mardi 24 février 2015

Marc 11/1-11 L'entrée de Jésus à Jérusalem : dimanche 29 mars 2015



J’ai déjà publié ce sermon il y a trois ans. Je n’en ai pas changé grand-chose, si non les notes que j’ai rajoutées. J'ai réécrit aussi le récit que j'attibue à Marc enfant.


1 Alors qu'ils approchent de Jérusalem, vers Bethphagé et Béthanie, près du mont des Oliviers, il envoie deux de ses disciples 2 en leur disant : Allez au village qui est devant vous ; sitôt que vous y serez entrés, vous trouverez un ânon attaché, sur lequel aucun homme ne s'est encore assis ; détachez-le et amenez-le. 3 Si quelqu'un vous dit : « Pourquoi faites-vous cela ? », répondez : « Le Seigneur en a besoin ; il le renverra ici tout de suite. » 4 Ils s'en allèrent et trouvèrent un ânon attaché dehors, près d'une porte, dans la rue ; ils le détachent. 5 Quelques-uns de ceux qui étaient là se mirent à leur dire : Qu'est-ce que vous faites ? Pourquoi détachez-vous l'ânon ? 6 Ils leur répondirent comme Jésus l'avait dit, et on les laissa aller. 7 Ils amènent à Jésus l'ânon, sur lequel ils lancent leurs vêtements ; il s'assit dessus. 8 Beaucoup de gens étendirent leurs vêtements sur le chemin, et d'autres des rameaux qu'ils avaient coupés dans la campagne. 9 Ceux qui précédaient et ceux qui suivaient criaient : Hosanna ! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! 10 Béni soit le règne qui vient, le règne de David, notre père ! Hosanna dans les lieux très hauts ! 11 Il entra à Jérusalem, dans le temple. Quand il eut tout regardé, comme il était déjà tard, il sortit vers Béthanie avec les Douze.

La vérité sur les choses qui concernent Dieu se situe toujours au-delà de ce que nous percevons par nos sens. Nous cherchons à repérer les manifestations de sa toute puissance dans les événements qui attestent de sa grandeur. Nous sommes à l’affût du moindre miracle, comme si c’était le seul élément capable de révéler la présence de Dieu, comme si Dieu n’était repérable que quand il se permettait lui-même de transgresser les lois de la nature qu’il est sensé avoir lui-même fixées. Certes la Bible nous a habitués à voir dans les événements qui y sont rapportés les preuves de la majesté divine, mais la réalité de Dieu se transmet le plus souvent par ce qui ne se voit pas.

En fait d’événement remarquable, c’est le récit d’une aventure pour le moins curieuse qui nous est donné de découvrir dans le passage que nous avons lu. Jésus n’y parle pas, mais les hommes crient. Le héros est un âne, un ânon plutôt ! La tradition chrétienne a trouvé dans ce non-événement matière à en faire une fête qu’elle célèbre chaque année en début de printemps.(1) Ici pas de miracle, pas d’enseignement remarquable. Caracolant sur un petit âne qui peine à la montée, entouré d’une bande de braillards, Jésus s’adonne à une parodie dont on n’est pas très sûr d’en avoir décrypté le sens profond.

On a vu dans cet événement l’intronisation royale de Jésus. On a vu dans cette bousculade la volonté de Dieu de faire de Jésus le roi du monde. Il faut beaucoup d’imagination pour décrypter dans cet incident apparemment mineur le signe d’une vérité théologique majeure. Cette manifestation n’est, sans doute pas assez évidente pour que Jésus y soit reconnu comme le successeur du grand roi David et qu’on lui donne le titre de Messie. Même si Jésus lui-même a voulu que les choses soient ainsi, il n’est pas sûr que nous soyons amenés à en tirer les bonnes conclusions.

Si Jésus est le successeur du roi David, s’il est le Messie et qu’il se présente pour nous comme notre roi, qu’est-ce que cela change d’ailleurs dans notre existence ? En quoi Jésus règne-t-il sur nous. Si cette question a tourmenté les croyants des premiers siècles, habitués à l’autorité des rois et du poids des traditions, en quoi peut-elle nous intéresser aujourd’hui, nous qui ne savons même plus ce que c’est qu’un roi ? Il y a sans doute un sens caché aux choses qu’il nous faut découvrir si nous voulons comprendre.

N’ayant plus de roi ici bas, nous nous plaisons à transférer la royauté de Jésus dans une autre réalité. Nous pensons habituellement que l’Evangile, à force de travailler intérieurement la conscience des peuples finira bien par provoquer une révolution lente qui instaurera une société plus juste, dans la quelle, tous les hommes devenus égaux ne rivaliseront plus entre eux. Comme personne n’y croit vraiment on a rejeté la réalisation d’une telle utopie à plus tard, dans un royaume céleste où Dieu règnera en maître sur un monde nouveau où les hommes ressuscités n’auront plus aucune réalité matérielle pour rivaliser entre eux et finiront par s’aimer par la force des choses. Y croyons-nous vraiment ? La question reste apparemment sans réponse.

Revenons alors à notre récit, essayons de mieux percevoir la pensée de Marc, l’auteur de cet évangile. Rejoignons le, trente ans avant la rédaction du récit que nous avons lu, au moment des faits. A cette époque, encore enfant, il arpentait les rues de Jérusalem à la suite de Jésus. Peut être était-il un de ces gamins qui cassaient des branches en vociférant. Certains détails de ses écrits laissent entendre que très jeune, il faisait sans doute partie de l’entourage de Jésus. (2)Au lieu du récit officiel de l’événement que nous avons lu et qu’il aurait écrit trente ans après, imaginons ce qu’il aurait pu écrire sur un cahier d’écolier, si ce type de cahier avait existé, quelques jours après. Ce n’est évidemment qu’une pure fiction  mais elle tient compte de quelques apports récents de l'exégèse:

« Les événements qui se sont passés à ce moment là resteront gravés à tout jamais dans ma mémoire, car ce jour là, j’ai peut être compris qui était vraiment Jésus. Je n’étais encore qu’un enfant, mais je suivais ses disciples pas à pas. J’étais là le jour où le maître a traversé Jérusalem sur une ânesse suivie de son poulain. On a dit après coup qu’il était monté sur le poulain pour être en accord avec la tradition des textes sacrés, mais il n’en fut rien. Il ne faisait pas chaud et contrairement à ce qu’on a pu dire les gens gardaient leur manteau sur eux mais agitaient les mains et quelques branches. Si l’événement m’a marqué, ce  ne fut pourtant pas un grand moment. La police du Temple n’aurait jamais permis qu’on organise une procession à proximité du sanctuaire sans autorisation. L’événement n’a pas duré longtemps. C’est pour cela que la police n’en a rien su. Jésus ne disait rien. Ses disciples dont je m’étais écarté pour brandir moi aussi ma petite  branche de palmier étaient gênés. Ils ne comprenaient pas que Jésus se donne à un tel spectacle, mais les gamins dont j’étais prenaient beaucoup de plaisir à crier. L’ânesse aussi semblait participer à la fête. On aurait dit qu’elle était fière de servir à quelque chose, comme si tout cela ne pouvait se faire sans elle. Moi aussi, j’étais content d’être là, même si je ne savais pas à quoi je servais, j’avais l’impression d’être utile. Puis très vite tout s’est arrêté on approchait du Temple et tout rentra dans l’ordre. ».

Dans les récits relatant le même événement rapporté par les trois autres évangiles, le fait que l’animal soit un ânon pose problème car c’était un animal apparemment trop faible pour être monté. L’Évangile de Matthieu rajoute la présence de l’ânesse sa mère, ce qui rend les choses plus cohérentes, et conforme à la prophétie de Zacharie (9 :9). « dites à la fille de Sion, voici que ton roi vient, plein de douceur monté sur une ânesse, sur un ânon, le petit d’une bête de somme. » Quoi qu’il en soit c’est l’âne qui est au centre du récit et non pas Jésus. Jésus, quant à lui ne dit pas un mot, si bien que nous devrons faire fonctionner les cellules grises de notre cerveau si nous voulons comprendre. Une seule parole de Jésus nous a cependant été rapportée et, comme de juste, elle concerne l’âne : «Le Seigneur en a besoin » dit-il pour justifier son emprunt.

En fait sans cet âne cet épisode n’aurait aucun sens. L’âne était considéré comme la monture royale du roi David qui avait des régiments d’ânes croit-on et chevauchait lui-même un âne de guerre. Un animal grand, au sabot sûr, monture parfaite pour porter la guerre en montagne et conquérir Jérusalem comme ce fut le cas. Mais cet ânon dont il s’agit ici, n’était pas une monture de combat ni de parade, il était incapable de porter trop longtemps un homme, même sans arme. Pourtant ici c’est l’âne qui fait le roi. Sans âne, il ne serait pas possible de discerner un sens royal à cette fête. Sans âne il n’y aurait pas d’allusion au roi mythique de la tradition, sans âne pas de Messie, pas de symbole. Si ce sont les gens qui acclament, c’est l’âne qui donne du sens à l’événement.

Le glissement est alors facile à faire de l’âne au chrétien. Celui qui porte le roi, celui qui atteste que Jésus est le Messie, c’est le petit âne, et par extension, c’est le modeste serviteur que l’on ne remarque pas, c’est vous, c’est moi. L’âne désigne ici le chrétien de base, incapable de manifester quoi que ce soit par sa parole sur la messianité de Jésus, mais capable de le désigner comme celui qui règne sur lui par ses actes. C’est par l’action constante et persévérante des chrétiens de base que Jésus est rendu manifeste à la face du monde et non pas par les sermons et les discours des clercs et des savants.

Ce récit fonctionne comme un encouragement muet de la part de Jésus en direction des plus modestes parmi nous. Toutes les petites actions en faveur des autres que nous pouvons faire, tous les petits témoignages que nous pouvons apporter sont autant de petits gestes qui manifestent la royauté de Jésus sur notre personne. Qui que nous soyons, comme le petit âne trop faible, Jésus a besoin de nous.

L’âne en avançant porte le Seigneur qu’il ne voit pas puisqu’il est sur son dos. Le croyant qui agit en faveur des plus petits que lui et qui témoigne de son amour pour Dieu ou pour les hommes ne voit pas forcément le Seigneur, mais comme l’âne il sait sa présence et cela lui suffit pour avancer. Cette collaboration anonyme avec Dieu donne tout son sens à notre vie. C’est cette présence de Dieu en nous qui nous permet de comprendre ce que nous sommes venus faire sur cette terre. Avec lui nous marchons dans la bonne direction, celle de l’éternité de la fraternité et de l’unité des hommes avec Dieu.

Que le Royaume de Dieu mette du temps à se réaliser, peu importe, ce ne doit pas être notre souci. Sans pour autant voir le maître, il nous suffit de sentir sa présence.

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(1)  Je vous renvoie au livre de John Shelby Spong : Jésus  pour le XXI eme siècle. L’auteur se sert de cet épisode pour contester la date habituelle de la crucifixion. Je vous livre une partie de son analyse  page  165 de son ouvrage: 
 « L’histoire de  l’entrée de Jésus à Jérusalem… est rapportée au moins par Marc, Matthieu et Luc, comme s’étant passée une semaine plus tôt( que la Pâques) ce qui la placerait déjà vers la mi mars. Le problème qui résulte de cette datation est qu’il y a peu de chance qu’il y aient des branches feuillues dans cette partie du Moyen Orient si tôt au printemps. Cette histoire nous offre le premier indice que la crucifixion aurait pu avoir eu lieu à un autre moment d l’année que la Pâques…Quand il eut pris conscience de cette contradiction, Matthieu qui écrivit quelques dix ans après Marc, arriva à la référence de « branches feuillues » et ôta le mot « feuillue » de son texte. Dans le texte de Matthieu, certaines gens, simplement « coupaient des branches et en jonchaient la route (Mt 21/8).  D’habitude on ne parle pas de « joncher » avec des branches, le verbe, s’applique mieux aux branches munies de feuilles…  Luc écrivit encore plus tard que Matthieu. Il sembla ressentir un problème. Il omit aussi bien les branches feuillues de Marc que les branches tout court de Matthieu. Luc relata uniquement le fait « qu’à mesure qu’ils avançaient, ils étendaient leurs vêtements sur la route » (Luc 19/36). La référence aux vêtements que la foule ôtait suggérerait même une saison plus chaude de l’année que  la fin mars…Quand Jean écrivit son évangile durant les dernières années de la dixième décennie après J.C., il ne pouvait pas raisonnablement ignorer les évangiles antérieurs… Toutefois il trouva une solution au problème des branches feuillues en disant : »ils prirent  des branches de palmiers et sortirent à sa rencontre  »   (Jn 12/13), c'est-à-dire des branches qui restent vertes tout l’année.

(2)    Certains pensent que le détail concernant le jeune homme qui  sauve sa vie en partant tout nu au soir de l’arrestation de Jésus serait Marc lui-même, car ce récit anecdotique n’est raconté que dans cet évangile. Il aurait ainsi signé son texte par ce détail connu de lui seul et de ses proches.  Marc 14/51.


Illustrations : ivoire de Consantinople ( 10 eme siècle)

jeudi 19 février 2015

Jérémie 31:31-34 - La nouvelle alliance - dimanche 22 mars 2015




La nouvelle alliance

31 Les jours viennent — déclaration du SEIGNEUR — où je conclurai avec la maison d'Israël et la maison de Juda une alliance nouvelle, 32 non pas comme l'alliance que j'ai conclue avec leurs pères, le jour où je les ai saisis par la main pour les faire sortir d’Égypte, alliance qu'ils ont rompue, bien que je sois leur maître — déclaration du SEIGNEUR. 33 Mais voici l'alliance que je conclurai avec la maison d'Israël, après ces jours-là — déclaration du SEIGNEUR : Je mettrai ma loi au dedans d'eux, je l'écrirai sur leur cœur ; je serai leur Dieu, et eux, ils seront mon peuple. 34 Celui-ci n'instruira plus son prochain, ni celui-là son frère, en disant : « Connaissez le SEIGNEUR ! » Car tous me connaîtront, depuis le plus petit d'entre eux jusqu'au plus grand — déclaration du SEIGNEUR. Je pardonnerai leur faute, je ne me souviendrai plus de leur péché.

En dépit de ce que l’on dit sur le droit que l’on a  de tout dire, même les choses les plus provocantes sur Dieu, ses saints et ses prophètes, c’est pour ma part un  sentiment d’une exaltation inexprimable que j’éprouve quand je pense à Dieu. Je me sens habité  par une réalité qui me dépasse,  qui me rend heureux et  qui n’appelle pas d’autres commentaires.  Mais en disant cela  j’éprouve  aussi l’impression que je vais rejoindre les rangs de ceux que l’on accuse d’être irrespectueux envers Dieu car je n’éprouve  que peu d’intérêt pour tous les éléments que  l’on ajoute au cours du culte sous la mention de confession de foi et qui viennent nuancer les propos que je viens de formuler.  Ils ne me sont d’aucune utilité pour exprimer mon amour pour Dieu. Ma foi est un émerveillement face à Dieu dans  lequel Jésus m’entraîne, et je ne saurais  rien ajouter.

Cette remarque  pourrait être perçue comme un blasphème pour ceux qui  construisent  leur foi  dans la tradition des religions révélées si je ne trouvais un écho de tout cela dans les lignes que nous venons de lire, sous la plume du prophète Jérémie. Il semble nous inviter à faire la part des choses et à concentrer notre attention sur la bonté de Dieu sans tenir compte de ce qu’on peut dire sur lui par ailleurs.

Pourtant, les religions, en tout cas pour le peu de ce que j’en connais  parlent d’un Dieu qui est déçu par l’humanité qu’il a créée et qu’il cherche à remettre sur la bonne voie.  Pour les uns il s’acharne  à sauver les hommes au prix du sang de son fils, pour les autres il les appelle à la raison en leur demandant de se soumettre à une morale établie depuis la fondation du monde. En échange de leur soumission il promettrait aux hommes un paradis illusoire. Pour d’autres encore il serait perçu comme celui qui a tout prévu à l’avance et qui aurait inscrit l’avenir dans un destin déjà programmé. Il envisagerait même que  l’humanité et l’univers pourraient disparaître dans une catastrophe finale, dont lui seule connaîtrait la date et l’heure, pour se régénérer dans un paradis, copie de notre monde actuel, le péché en moins.

Beaucoup font un judicieux mélange des ces différentes traditions, et nombreux les tournent en dérision. En fait, la plupart des, occidentaux se satisfont aujourd’hui de leur vie quotidienne et relèguent Dieu au magasin des accessoires inutiles. Ils  se réjouissent même de toutes les caricatures que  l’on pourrait faire de Dieu car elles justifieraient leur prise de distance par rapport à lui. Je viens à la fois de dénoncer l’aspect  inquiétant  de Dieu auquel se réfèrent les religions établies mais  en même temps je n’ai pas omis de dire que je trouve en lui bonheur, joie et espérance.

C’est comme si  j’essayais de  dire que la tradition religieuse prêtait à Dieu deux visages et  que le plus connu, celui du  Dieu sévère jaloux de sa création   ne serait  que l’ombre de celui  qui se révéla un jour  à Élie  sur la montagne dans un souffle  tiède et apaisant et sur le quel je voudrais attirer votre attention, car c’est lui seul qui mérite notre adoration ( 1 Rois 19/13). Certes la Bible  nous donne ce double portrait de Dieu mais elle n’insiste sur le premier  que pour mettre en évidence sa vraie nature  représentée par le second.

Il y a en effet, des traditions anciennes, qui remontent du fin fond des âges. Elles étaient déjà formulées avant que Socrate, Platon et bien d’autres se soient exprimés et elles voyaient Dieu sous un autre jour que celui que les religions ont  habituellement retenu. Pour ce qui nous concerne, c’est de Jérémie qu’il s’agit aujourd’hui. Jérémie,  mais aussi  Esaïe et Ézéchiel. Ils sont les premiers à avoir pris des libertés dans la description qu’ils faisaient de  Dieu. Ils l’ont  caricaturé au point d’attirer la colère de leurs congénères sur eux.  Jérémie a bénéficié de la protection d’amis puissants et de la faiblesse des rois sans quoi il y aurait laissé sa vie.  Il était  un opposant politique et se servait  de sa conception de  Dieu pour argumenter ses propos contre les puissants.

Pour parler de Dieu, Jérémie  n’hésitait pas à tourner en dérision le culte et les liturgies de la religion officielle. Il critiquait aussi bien la valeur des sacrifices que la circoncision,  il ridiculisait aussi les idoles des  religions païennes. Il se faisait l’ennemi de tous en prenant des libertés  avec le culte et le pouvoir. Il agissait au nom d’un Dieu dont il  présente un  portrait  peu usuel dans les conclusions de son propos que nous avons lu tout à l’heure et qui ressemble trait pour trait  à celui que je dressais dans les mots d’introduction de ce sermon : «Je mettrai ma loi au-dedans d’eux, je l’écrirai sur leur cœur… tous me connaîtront du plus petit jusqu’au plus grand, je pardonnerai leur fautes et je ne me souviendrai plus de leur péché ».

Jérémie fait ici grand cas des voix intérieures qui animent notre esprit. Pour lui, la sagesse de Dieu est inscrite dans  notre cœur comme une vérité éternelle que nul ne peut révoquer.  Il affirme aussi, que si la conscience du péché nous trouble et nous empêche de vivre, son pardon  nous est acquis par l’effet de sa bonté et de l’amour qu’il a pour nous, car déclare-t-il, il a déjà oublié  le péché dont le souvenir  nous perturbe. Jérémie se veut le témoin d’une tendresse universelle qui enveloppe le monde et qui préside à tous  nos comportements.

Ce serait  bien si les choses allaient vraiment  ainsi. Ce serait bien si le monde vivait dans cet état de grâce permanente  et de générosité généralisée, mais il n’en est rien. Le monde n’est pas cet univers  de bonté auquel je fais allusion.  Peut-on alors en déduire que si le monde n’est pas ainsi, le portrait de Dieu, tel qu’on vient de le faire à la suite des propos de Jérémie n’est pas véridique et que nous nous sommes fourvoyés en appuyant cette thèse ?

Jérémie a eu la sagesse de mettre son propos au futur, c’est en tout cas ainsi que les traducteurs l’ont rendu, comme pour dire que ce qui n’est pas encore réalisé aujourd’hui, le sera demain.   Il place l’humanité dans la perspective d’une évolution positive. Pour lui, Dieu est bien partie prenante de cet esprit d’amour qui habite le monde depuis l’origine des temps et il ne cesse  de souffler sur le monde afin qu’il ait un impact sur l’évolution des choses.  L’homme en particulier a vocation  d’en répercuter les effets dans toutes ses actions.

Sans doute, à court terme cela n’est pas perceptible, le soleil continue à  briller sur les bons et sur les mauvais, mais qui pourra contester que la vision de Dieu sur l’évolution des choses s’inscrit dans une dynamique positive ? C’est de cette vision des choses que s’est emparé Jésus pour en faire jaillir son admirable Évangile.  Il a tellement cru en cette vérité qu’il a joué sa vie pour lui donner de la réalité. C’est pourquoi il nous a invités à prendre sa suite et  à l’imiter.

Bien entendu tout n’est pas encore dit. La vision d’un Dieu répressif et autoritaire est tenace. Elle continue à occuper l’esprit de nombreux humains  qui trouvent qu’il est plus confortable de voir le monde évoluer sans vraiment s’en mêler. Ils en font un argument de foi et prétendent ainsi faire confiance en Dieu qui dans sa sagesse dirige le monde à son gré. Ils préfèrent raisonner ainsi plutôt que de mettre leurs bras, leur esprit et leur intelligence au service d’une vision positive d’un futur  dynamique.

Tant pis si la défense de cet autre aspect des choses est blasphématoire, elle a pour mérite de s’opposer à la passivité des hommes qui prennent  leur foi  comme prétexte pour ne pas agir.  Elle se donne pour être  le reflet de l’Évangile de Jésus Christ et elle tient la route aujourd’hui pour aider à discerner l’avenir du monde d’une manière positive.



J'ai choisi d'illustrer ce sermon avec des peintures naïves trouvées sur Internet pour que vous laissiez votre esprit prendre la suite de ce Dieu qui ne vous veut que du bien.

lundi 16 février 2015

Jean 12:20-33 - des grec demandent à voir Jésus dimanche 22 mars 2015




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(Ce sermon vous a déjà été proposé  pour le 15 mars 2012. J’y ai apporté quelques légères corrections. )


20 Il y avait quelques Grecs parmi les gens qui étaient montés pour adorer pendant la fête. 21 S'étant approchés de Philippe, qui était de Bethsaïda, en Galilée, ils lui demandaient : Seigneur, nous voudrions voir Jésus. 22Philippe vient le dire à André ; André et Philippe viennent le dire à Jésus. 


23 Jésus leur répond : L'heure est venue où le Fils de l'homme doit être glorifié. 24 Amen, amen, je vous le dis, si le grain de blé ne tombe en terre et ne meurt, il demeure seul ; mais s'il meurt, il porte beaucoup de fruit. 25 Celui qui tient à sa vie la perd, et celui qui déteste sa vie dans ce monde la gardera pour la vie éternelle. 26 Si quelqu'un veut me servir, qu'il me suive, et là où moi, je suis, là aussi sera mon serviteur. Si quelqu'un veut me servir, c'est le Père qui l'honorera. 

27 Maintenant je suis troublé. Et que dirai-je ? Père, sauve-moi de cette heure ? Mais c'est pour cela que je suis venu en cette heure. 28 Père, glorifie ton nom ! Une voix vint donc du ciel : Je l'ai glorifié et je le glorifierai encore. 29 La foule qui se tenait là et qui avait entendu disait que c'était le tonnerre. D'autres disaient : Un ange lui a parlé. 30 Jésus reprit : Ce n'est pas à cause de moi que cette voix s'est fait entendre, mais à cause de vous. 31 C'est maintenant le jugement de ce monde ; c'est maintenant que le prince de ce monde sera chassé dehors. 32 Et moi, quand j'aurai été élevé de la terre, j'attirerai tous les hommes à moi. 33 Il disait cela pour signifier de quelle mort il allait mourir.

Il y a un art de voir qui ne relève pas du bon fonctionnement de nos yeux mais qui relève de notre âme. Il y a une faculté de sentir les choses qui ne relève pas de nos sens mais d’une perception intérieure de tout notre être qui nous met en contact avec des réalités que nous ne soupçonnons pas. La réalité de Dieu s’impose à nous sans qu’il soit nécessaire de voir quoi que ce soit ou d’entendre quelque chose. Les certitudes qui nous habitent ne viennent pas de ce que nous voyons, mais de ce que nous croyons.

Les mystères de l’âme humaine n’ont pas encore vraiment été explorés, car ils ne relèvent d’aucune investigation scientifique. Ils relèvent de l’expérience que chacun fait avec Dieu. Il ne faut pas entendre par le mot âme un principe surnaturel et éternel qui serait la partie noble de notre être en opposition à tout ce qui est matériel et sensible. Il faut comprendre par cette expression tout ce qui relève de notre vie intérieure et qui reste inaccessible aux techniques d’investigation des hommes.

Celui qui cherche Dieu pense souvent qu’il pourra le rencontrer au moyen de ses sens. Il se tient en alerte pour écouter afin d’entendre. Il lit les théologiens ou les philosophes et espère en s’appropriant leurs expériences trouver un contact avec le sacré. Il s’imprègne de musique à laquelle il se croit sensible et croit alors qu’il entendra peut être Dieu dans le jeu sublime des instruments et des interprètes. Il contemple le soleil qui se couche sur l’océan et croit comprendre par ce spectacle tout le mystère de la création et de la grandeur de Dieu ! En fait, il n’en est rien, cela ne relève que des techniques que l’expérience humaine a déjà éprouvées depuis longtemps. Elles nous prédisposent sans doute à une ouverture à Dieu, mais elles ne nous révèlent pas Dieu.

Un tel comportement rejoint celui de ces grecs qui dans notre passage veulent voir Jésus et que Jésus laissent sans réponse. Ils espèrent en le voyant se rapprocher de Dieu et Jésus les détourne de ce projet. Il ne se montre pas à eux car le fait de voir ou de ne pas voir n’éclairera en rien leur demande de foi. Sans doute font-ils une démarche louable, et ils s’y prennent bien. Ils s’adressent à Philippe, puis à André dont les noms révèlent qu’ils sont eux aussi, sans doute d’origine grecque. Ils viennent de Bethsaïda, de l’autre côté du lac qui est perçu comme une terre païenne. Ils considèrent que les deux disciples grecs sont les plus qualifiés pour les introduire en présence du Seigneur, mais Jésus ne permet pas à la démarche d’aboutir et nous restons, comme eux sur notre faim.

Les gens qui cherchent à développer leur spiritualité croient bien souvent qu’en essayant de voir, ils parviendront à croire. « Montre-nous le Père » dira un peu plus loin Thomas et Jésus le renverra à sa vie intérieure : « Il y a si longtemps que je suis avec vous et tu n’as toujours pas compris ! » Ni Thomas, ni nous-mêmes n’avons compris que nos sens nous trahissent et nous entraînent à croire ce qui n’a pas lieu d’être. La foi n’est pas de l’ordre de ce qui se voit.

Jésus fait dire à ces amis grecs qui cherchent à le voir, que si ils veulent comprendre quelque chose à son message, c’est dans ce qui ne se voit pas qu’ils le trouveront, car c’est dans la mort de Jésus que se tient tout le mystère de la vie en Dieu. Ce mystère oriente nos regards vers l’événement de Pâques qui contient en lui tout ce qu’il nous faut savoir pour comprendre Dieu.

Le récit de l’événement de Pâques occupe plus du 1/4 de chaque évangile. Il s’achève sur  un non-événement, car la résurrection est un événement qui ne se voit pas. C’est un non-événement puisque le récit est présenté comme s’il n’avait pas eu lieu. Les gardes dormaient devant le tombeau et ne s’aperçurent de rien, les disciples qui se terraient dans leurs maisons n’étaient pas là, les femmes affairées dès le petit matin arrivèrent trop tard et ne découvrirent que le tombeau vide. Ce vide n’est pas le vide du néant sans quoi on aurait trouvé un corps pour attester qu’il était bien mort. L’absence du corps se constate, mais ne se voit pas, elle est beaucoup plus troublante que sa présence. S’il y a quelque chose à comprendre, ce n’est pas dans ce qu’il y a à voir que cela se situe, puisqu’il n’y a rien à voir.

Mais Ils ont bien vu le ressuscité par la suite ! Sans doute ! Mais dans un premier temps, quand ils l’ont vu ils n’ont pas cru que c’était lui. Marie Madeleine l’a pris pour le jardinier et les disciples d’Emmaüs ne réalisèrent que c’était lui réalisent qu’après son départ quand ils ne le voyaient plus. Bien sûr, plus tard, ils le verront tous, à l’exception de Thomas, mais ce sera trop tard car la réalité de la résurrection s’était déjà imposée à eux dans le non-événement qui constitue l’épisode du tombeau vide, car la résurrection elle aussi ne se voit pas. C’est à cause de cela que les peintres n’ont jamais pu en rendre vraiment compte.

Même une réalité aussi nécessaire à notre foi que la résurrection ne parvient pas à nous par les sens. Cette réalité parvient à nous par des itinéraires intérieurs qui nous bousculent. L’individu que nous sommes n’entre pas dans le mystère de Dieu par des moyens humains, c’est Dieu qui vient vers lui par des itinéraires divins. Cela n’est pas réservé à quelques initiés, cela est le fait de tout un chacun. Dieu se rend disponible à tous. Mais nous ne pourrons pas comprendre Dieu si nous occultons les manifestations de son esprit par toutes sortes d’artifices humains qui au lieu de le révéler risquent de lui barrer le chemin.

Nous devons prendre en compte qu’il existe en nous une autre dimension de l’individu qui n’est pas faite de chair et de sang mais qui est faite d’esprit et de sentiments, et c’est là que Dieu se plaît à venir habiter. C’est au niveau de ce qui est insaisissable en nous que Dieu révèle à chacun le mystère d’une vie qui nous dépasse et qui reste insaisissable par les sens. Cette vie dépasse ce qui est matériel et nous révèle qu’au delà de l’être physique que nous sommes il y a une réalité profonde que beaucoup de soupçonnent même pas mais à qui Dieu confère une valeur d’éternité.

Jadis, dans une société aujourd’hui révolue, on disait de celui dont la vie intérieure était perceptible à l’extérieur qu’il était une belle âme. Cette réalité ne se voit pas mais elle se perçoit. Il en va de même pour la réalité de Dieu, il ne se voit pas mais il  se perçoit et cette perception s’impose à nous comme une conviction. Celui qui prétend chercher Dieu et qui se plaint de ne pas le trouver se trompe car en fait Dieu est déjà installé en lui depuis longtemps et il n’attend pour se manifester que l’on se rende disponible.

Il attend que nous cessions de nous agiter et de tenter de faire des expériences spirituelles pour découvrir au fond de nous-mêmes ce Dieu qui est déjà au rendez-vous. C’est alors qu’il nous sera possible non pas de voir Dieu mais de le percevoir. Sa Parole, sans faire vibrer les ondes sonores deviendra clairement perceptible dans les Ecritures qui nous parlent de lui et où les propos de Jésus prennent du sens.

Cette Parole retentit en nous comme un encouragement à vivre avec intensité la vie présente puisque cette vie s’enrichit déjà de l’éternité. Pour en arriver là il faudra que chacun prenne sur lui de considérer que la vraie vie en Dieu n’est perceptible que pour ceux qui acceptent d’orienter leur méditation vers ce lieu de mort qu’est la croix et ce lieu de vide qu’est le tombeau. La vérité sur Dieu se fera alors manifeste au fond de nous pour nous révéler que la mort est dépassée par la vie qui repose déjà en nous et que Dieu concrétise en nous par la foi.

Si j’ai choisi d’illustrer ce sermon en utilisant des images du Retable d’Issenheim peint par Grunwald de 1512 à 1516, c’est parce que cette peinture rend compte de l’invisible à travers le visible.
La souffrance et la mort donnent le ton à ce tableau, mais pourtant, dans cette atmosphère délétère, on sent doucement poindre la vie. Le désespoir des vivants ainsi que le cadavre pendu au bois laissent transparaître la réalité d’une autre vie à partir du personnage de Jean Baptiste qui occupe toute la droite du tableau. Venu d’au-delà de la mort, il témoigne de la vie qui surgit des Ecritures dont il tient le livre dans la main gauche et qu’il transmet par son doigt pointé sur le corps sans vie du Seigneur. La vie nouvelle de la résurrection devient réalité alors que tout suggère la mort. Il faut être croyant pour comprendre cela.

Dans quelques jours, je vous proposerai un sermon sur Jérémie 31 :31-34 . Cet autre  texte est également proposé dans la liste de lectures pour le 22 mars.