15 Comme le peuple était dans l'attente, et que tous se
demandaient si Jean n'était pas le Christ, 16 il leur répondit à tous :
Moi, je vous baptise d'eau, mais il vient, celui qui est plus puissant que moi,
et ce serait encore trop d'honneur pour moi que de délier la lanière de ses
sandales. Lui vous baptisera dans l'Esprit saint et le feu. 17 Il a sa fourche
à la main, il va nettoyer son aire ; il recueillera le blé dans sa grange,
mais il brûlera la paille dans un feu qui ne s'éteint pas.
.18 Jean annonçait la bonne nouvelle au peuple avec beaucoup
d'autres encouragements.
19 Mais Hérode le tétrarque, à qui Jean faisait des reproches au
sujet d'Hérodiade, femme de son frère, et au sujet de toutes les mauvaises
actions qu'Hérode avait commises, 20 ajouta encore à toutes les autres celle
d'enfermer Jean en prison.
21Quand tout le peuple reçut le baptême, Jésus aussi reçut le
baptême ; et, pendant qu'il priait, le ciel s'ouvrit, 22 et l'Esprit saint
descendit sur lui sous une forme corporelle, comme une colombe. Et il survint
une voix du ciel : Tu es mon Fils bien-aimé ; c'est en toi que j'ai
pris plaisir.
J'ai écrit ce sermon il y a trois ans et je l'ai gardé tel quel en y apportant quelques légères modifications.
La
prédication de Jean laisse entrevoir le début d’une ère de paix, de partage et
d’amour que Dieu est en train d’instaurer pour le bonheur des hommes. Mais
qu’en est-il vraiment de ce Dieu auquel il se réfère comme un Dieu d’amour et
que son successeur Jésus considérera comme son père? Malgré les
sentiments d’amour qu’on prête à Dieu, il n’est pourtant pas venu secourir
le prophète annonciateur du Messie menacé par Hérode. On le soupçonne
aussi d’avoir laissé son propre fils mourir sur une croix pour sauver les
hommes. On a prétendu qu’il a accepté ce mal pour provoquer un bien beaucoup
plus grand. Dieu peut-il s’accommoder d’un moindre mal pour favoriser un bien
plus grand? C’est ici la grande question que se pose le
christianisme depuis deux mille ans. Nous allons essayer d’y voir plus clair à propos de l’histoire de Jean Baptiste et de Jésus.
Le
texte unit les deux hommes dans la même continuité spirituelle. Il s’achève sur
le récit du baptême de Jésus par lequel Jean semble lui
conférer un droit de succession. Dans le même temps, l’ombre du tétrarque
plane au-dessus de Jean annonçant sa mort prochaine. La mort de Jean semble arriver
en temps opportun pour laisser toute la place à Jésus. Si Dieu avait
miraculeusement sauvé Jean, sa présence aux cotés de Jésus n’aurait-elle pas
nuit à sa mission? La question est bien évidemment sans réponse. On
peut cependant se demander si Dieu n’a pas laissé faire pour que les
choses se passent sans qu’il y ait interférence de l’un sur l’autre.
A
partir de cette question, on peut se demander si Dieu n’utilise pas
parfois certaines actions mauvaises menées par les hommes ou provoquées
par la nature pour permettre qu’un mieux s’installe parmi les humains
afin de faire avancer l’histoire à sa guise. Il nous faut
donc approfondir la question pour savoir comment Dieu se situe. Gardons
la question en suspens pour l’instant et projetons-nous trois
ans plus tard au moment où Jésus lui-même fut mis à mort. On a encore
aujourd’hui l’impression pénible que Dieu aurait pu intervenir au lieu
d’opposer un silence insupportable aux coups de marteau du bourreau clouant
Jésus sur la croix.
Les
Écrivains bibliques, n’ont pas commenté ce silence de Dieu lors de la mort de
Jean, par contre, pour Jésus, ils ont laissé entendre que c’était écrit à
l’avance et que la mort de Jésus aurait été bel et bien programmée par Dieu. En
acceptant de mourir d’une manière aussi infâme que celle qu’il a connue,
Jésus se serait soumis à la volonté de son Père. En tout cas c'est cette interprétation que la tradition semble avoir favorisé.
Ce
n’est pas parce que nous posons la question du silence apparent de Dieu que nous allons
la résoudre. Elle elle va cependant alimenter notre réflexion pendant quelques
instants. Est-il donc possible que Dieu se taise quand les hommes souffrent, et
est-il possible qu’il tire un bien d’un mal qu’il aurait laissé faire?
Beaucoup
de croyants trouvent une réponse à leurs souffrances dans une telle
approche, et acceptent plus volontiers leurs souffrances s’ils
pensent qu’elles entrent dans un projet de Dieu. Ils considèrent que si
Dieu laisse faire c’est que, dans sa bonté il a construit un
projet qui permettra que d’autres humains en éprouvent un
mieux-être. Le malade qui souffre d’un mal incurable espère que son mal
permettra aux chercheurs de faire un pas de plus sur le chemin de la découverte
d’un médicament ou d’un vaccin et que Dieu en lui donnant du courage pour
résister dans la souffrance permet à la médecine de progresser.
Le
prophète Esaïe semble vouloir aller dans ce sens quand il campe le portrait du
serviteur souffrant qui accepte sans protester qu’on lui arrache la barbe
ou qu’on agisse envers lui comme on le ferait d’un mouton que l’on traine à la
boucherie (1). Les évangélistes en rapportant le récit sur la mort de Jésus ont
vu en lui une figure prophétique du Messie agonisant pour sauver le monde.
On
s’est tellement habitué à cette explication qu’on imagine mal qu’il
puisse y en avoir d’ autres, car la souffrance pèse d’un tel poids dans notre
existence et dans l’histoire des hommes qu’il faut bien l’intégrer dans
un projet divin, sans quoi la vie elle-même deviendrait inacceptable et
la porte serait ouverte au désespoir et à la perte de la foi. Il faut
bien que les choses en soient ainsi sans quoi on n’aurait pas pu dire que
l’Église s’est nourrie du sang des martyrs, car leur supplice, loin de
l’anéantir l’a faite progresser, comme si la mort héroïque des témoins de
Dieu avait nourri la foi des incroyants au point qu’ils se
convertissaient. C’est un fait incontestable que les
persécutions ont entrainé des actes de foi et des conversions. Mais était-ce
inscrit dans le plan de Dieu?
Jean
Baptiste, et Jésus après lui ont parlé d’un Dieu d’amour. Ils n’ont
pas cherché à instaurer une pratique religieuse basée sur la souffrance. Mais
pour bannir la souffrance et l’injustice qui règnent sur le monde,
n’a-t-il pas fallu que Dieu s’en mêle au prix de
compromissions choquantes?
Face
à un monde qui s’enlise dans l’injustice, Jésus n’a proposé qu’une seule porte
de sortie, celle de l’amour et de l’altruisme. Il n’ignorait pas cependant
qu’il rencontrerait plus d’incompréhensions que d’adhésions. Il
savait, que ceux qui chercheraient à mettre ses préceptes en pratique en
pâtiraient, mais il savait aussi que son enseignement finirait par porter
ses fruits, parce qu’il portait en lui une vérité qui émanait de Dieu, c’est
pourquoi malgré les souffrances des martyrs, la foi chrétienne a
réussi à gagner toute une partie du monde.
Le
monde dans lequel vivait Jésus, comme le nôtre est un monde où la vie du plus
fort se nourrit de la vie des plus faibles. Nous considérons comme
une vérité fondatrice que dans ce monde les plus forts doivent profiter des plus faibles e que les moutons produisent de la aine pour que les hommes les en dépouillent. Cela entraine des injustices et
aussi des souffrances. L’espèce humaine évolue dans ce milieu mais y
participe aussi. Or depuis que Dieu est
entré en contact avec les hommes, depuis qu’Abraham s’est senti personnellement
interpelé par Dieu, Dieu a montré son désaccord avec ce mode de vie
où la domination des uns sur les autres aurait force de loi.
Les
prophètes ont répercuté cette protestation de Dieu, et c’est par
leurs écrits qu’elle nous est connue. On trouve ainsi sous la plume d’Esaïe une
prophétie étrange selon laquelle le lion et le bœuf ensemble mangeront de
la paille (2). Ceux qui ont reçu pour mission de parler au nom de
Dieu se sont laissés aller à envisager un monde utopique où la
violence sera proscrite et ne servira plus de règle pour gérer l’avenir. Loin
d’envisager que la violence puisse servir ses projets, Dieu inscrit
l’absence de violence, comme seule méthode possible pour gérer le monde
selon sa volonté. Ce projet prend déjà corps dans le baptême que Jean
propose aux foules et dont il baptise Jésus.
Bien
entendu, les ablutions de purification étaient déjà pratiquées dans le
judaïsme, mais avec Jean et plus tard avec Jésus elles deviendront un rite
d’adhésion à la foi. Le baptême va alors remplacer la circoncision qui
était caractérisée par une souffrance et une blessure du corps. Il remplacera
aussi les sacrifices qui eux aussi faisaient souffrir les
animaux. Seul un peu d’eau suffira désormais à marquer l’entrée des
hommes dans le projet de vie établi par Dieu à leur intention. Toutes les
souffrances requises par le passé au nom de Dieu seront désormais
abolies.
Tout
se passe comme si Dieu se désolidarisait définitivement
de toutes les formes que pouvait prendre la violence. Bien entendu, les
souffrances subies par les hommes n’ont pas Dieu pour cause, mais cela
n’empêche pas pour autant Dieu de transformer en bien le mal
causé par la souffrance. Il nous faut donc innocenter Dieu de la mort de Jean
Baptiste ou de Jésus et de toutes les souffrances qui sont subies sur cette
terre. Il nous faut donc expliquer l'implication de Dieu dans la mort de Jésus
d'une autre manière que celle que nous admettons habituellement.
Dieu combat le mal et ne l’utilise pas.
Dans
cette longue aventure de la lutte de Dieu contre la souffrance,
Jésus prendra soin de rajouter un nouveau rite qui contient
peut être la clé de l'énigme : celui du partage. Il est tellement fort qu'il
prendra par la suite une valeur sacramentelle. Ce partage sera celui du
pain et du vin qui sont les éléments de base de la nourriture. Ils ne
nécessitent aucune violence pour les acquérir si non une violence sur soi-même
puisque le partage est un rite d’amour qui implique que l’on
s’efforcera d’aimer ceux que l’on n’aime pas forcément.
Ce
geste d’amour ne nous est nullement imposé, il correspond à un élan du cœur
vers Dieu et implique notre accord sur sa manière de gérer le monde. Si
le nombre des croyants se mettait à augmenter nous pourrions augurer de
la venue d’une ère de paix pour ce monde. L’avenir heureux du monde dépend donc
de la manière dont les croyants d’aujourd’hui sauront convaincre leurs
contemporains de la justesse du projet divin pour ce temps et les encourager à
y adhérer.
Illustrations Nicolas Poussin
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