Luc
10 : 38-42 Marthe et Marie Dimanche 21 juillet 2019
38 Pendant qu'ils étaient
en route, il entra dans un village, et une femme nommée Marthe le reçut. 39 Sa
sœur, appelée Marie, s'était assise aux pieds du Seigneur et écoutait sa
parole.
40
Marthe, qui s'affairait à beaucoup de tâches, survint et dit : Seigneur,
tu ne te soucies pas de ce que ma sœur me laisse faire le travail toute
seule ? Dis-lui donc de m'aider. 41 Le Seigneur lui répondit :
Marthe, Marthe, tu t'inquiètes et tu t'agites pour beaucoup de choses. 42 Une
seule est nécessaire. Marie a choisi la bonne part : elle ne lui sera pas
retirée.
D’habitude, ce sont les
frères et non les sœurs qui sont mis en opposition dans l’évangile, parce
que la société de l’époque mettaient plus en avant les hommes que les femmes,
pourtant ici, comme pour déroger à la règle, ce sont deux sœurs qui
interrompent Jésus. Elles lui ouvrent leur porte et le reçoivent. Ces deux
femmes ont été rendues célèbres par l’Evangile de Jean qui les présente comme
des amies proches de Jésus qui rendit la vie à leur frère Lazare décédé.
Marie a été identifiée à la femme qui renversa un vase de parfum aux pieds de
Jésus. Ici, elles nous sont présentées par l’évangéliste Luc. Il est peu
familier des coutumes d’Israël, et présente les deux sœurs comme des femmes
plus représentatives de la société grecque que de la société juive. Il
donne à Marthe le rôle de chef de la maisonnée, ce qui n’aurait pas
cours en terre d’Israël.
Luc par le truchement de ces
deux femmes va aborder la situation des femmes dans l’Eglise telle
qu’elle se posait à la première génération du christianisme. Derrière le
questionnement de Marthe qui s’inquiète de voir sa sœur aux pieds de Jésus
écoutant avec avidité l’enseignement du maître, il faut reconnaître le
souci des premiers chrétiens qui devaient s’interroger de la place que
prenaient les femmes dans le ministère de l’Eglise. En effet, Lydie qui
était chef d’entreprise par exemple, devint aussi chef d’Eglise dans la
ville de Philippe. D’autres femmes dont nous ne connaissons pas toujours les
noms avaient sans doute commencé à occuper des postes importants. Était-ce
raisonnable ?
En rapportant cet épisode de
la vie de Jésus, Luc essaye sans doute de répondre à cette question que l’actualité
avait rendue brûlante. Ici, Marthe par son attitude soutient la thèse
selon laquelle les femmes doivent s’occuper d’autre chose que de théologie.
Marie qui est mise en cause ici ne dit rien. La réponse de Jésus semble dire
sans ambigüité que Marie serait à la bonne place et que l’étude de
la théologie relèverait vraiment de son ressort. Elle a donc vocation à
prendre la place du maître quand il ne sera plus là. Mais Jésus répond-il
vraiment à la question au sujet de laquelle nous nous interrogeons? Comme
nous allons le voir plus loin, c’est en fait à une autre question
qu’il répond.
Une nouvelle question surgit
alors. Jésus est-il en train d’établir une hiérarchie dans les fonctions que
l’on exerce dans l’Eglise ? Que les femmes aient leur place
dans le ministère de l’enseignement, qu’elles puissent exercer celui de la
parole, cela ne semble pas poser vraiment de problème, même si on a mis
des siècles à s’en apercevoir, mais y a-t-il supériorité du ministère de la
parole sur les autres ministères ? C’est ce que Jésus semble
dire et c’est l’enseignement que l’on a pris l’habitude de retenir de ce
texte.
Vue le caractère de
Marthe on comprend vite qu’elle n’était pas de nature à se laisser
dominer, en tout cas pas par sa sœur qu’elle évincerait volontiers plutôt que
de se laisser dominer par elle. Elle croit savoir que son service pour le
Seigneur est indispensable à la bonne marche des affaires. Elle ne conçoit pas
que le service de l’écoute passe avant celui de l’action. Le bavardage théologique
passe pour elle au second plan. Tout se passe dans son esprit comme si tout
avait déjà été dit depuis longtemps sur Dieu et sur la manière de le servir et
qu’il n’y avait pas lieu d’en rajouter. Tout cela n’était que commentaires de
rabbins, inutiles à la bonne marche des choses. En pensant ainsi elle se situe
dans un courant de pensée classique. Pour elle ce qui compte, c’est
l’efficacité, et elle s’y emploie.
Nous reconnaîtrons dans son
comportement une attitude assez répandue dans beaucoup de nos églises et de nos
paroisses qui cherchent à se rendre visibles par l’efficacité de leurs
actions. Elles cherchent plus à témoigner de leur foi par les œuvres
qu’elles font plus que par leur approche spirituelle des événements. On
mobilise plus facilement les paroissiens d’une communauté pour
s’investir dans les œuvres de la paroisse plutôt que pour fréquenter les
études bibliques, si bien qu’il est de bon ton de considérer que les gens
les plus efficaces sont ceux qui agissent et non pas ceux qui s’assoient
pour méditer et réfléchir.
En lisant un peu vite ce
passage on penserait facilement que Jésus prend ici le contrepied de Marthe et
qu’il la désavoue. Marthe quant à elle ne s’en laisse pas conter et campe sur
ses positions. Quant à Marie, elle ne se lève pas pour rejoindre sa sœur à sa
demande, elle reste assise avec l’approbation du maître.
Jésus en fait, ne donne pas
tort à Marthe, il lui reproche de s’inquiéter et de s’agiter pour beaucoup de
choses. C’est son souci qui est l’objet de sa critique et non pas la tâche
qu’elle accomplit. Marthe se met en souci parce que les choses ne prennent pas
la tournure qu’elle souhaite. En bonne maîtresse de maison, elle croit savoir
ce qui est bon pour son hôte et elle prie sa sœur d’adopter la même attitude
qu’elle. Elle va même jusqu’à reprendre Jésus parce qu’il n’a pas eu les mêmes
pensées qu’elle et qu’il ne se soumet pas à ses propres conventions
sociales auxquelles elle donne une portée universelle.
Or, Jésus n’est pas un hôte
ordinaire. S’il est reçu par les deux sœurs, c’est parce qu’il est perçu par
elles comme celui qui vient de la part de Dieu. Ce qu’il a à leur dire
est un message de la part de Dieu. Marthe ne se soucie pas de cette réalité,
elle agit comme elle croit devoir agir, elle agit comme si elle savait mieux
que le messager de Dieu ce qu’elle doit faire. Elle sait mieux que Jésus ce que
Dieu lui demande et elle reproche à Jésus de ne pas avoir la même pensée sur
Dieu qu’elle-même. Là est le problème. Elle reproche à Marie et à Jésus de
débattre sur des questions théologiques qu’elle-même a sans doute déjà
résolues. Elle ne cherche pas à savoir ce que Dieu souhaite qu’elle
fasse. Elle le sait déjà et mieux que lui. Elle n’imagine même pas
qu’elle doive se soucier de la volonté de Dieu avant de se mettre au travail
pour lui. Pour Jésus Marthe ne se soucie pas à bon escient et ne s’agite
pas pour la bonne cause, parcequ’elle n’a pas pris soin de s’en soucier.
Il y a ici un bon
enseignement pour l’Eglise qui ne prend toujours pas le temps de réfléchir à ce
que Dieu souhaite qu’elle fasse avant d’agir. Si l’église avait pris cette
peine elle aurait évité par le passé de se fourvoyer dans des situations
contestables dont la liste serait trop longue pour qu’on la dresse maintenant.
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