Luc
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49 Je suis venu jeter un feu sur la terre ; comme je
voudrais qu'il soit déjà allumé ! 50 Mais il y a un baptême que je dois
recevoir, et quelle angoisse est la mienne, tant que je ne l'ai pas reçu ! 51
Pensez-vous que je sois venu pour apporter la paix sur la terre ? Non, mais la
division. 52 En effet, à partir de maintenant, s'il y a cinq personnes dans une
famille, elles seront divisées trois contre deux, et deux contre trois. 53 Le
père sera contre le fils et le fils contre son père ; la mère contre sa fille,
et la fille contre sa mère : la belle-mère contre sa belle-fille, et la
belle-fille contre sa belle-mère.
54 Puis, s'adressant
de nouveau à la foule, Jésus reprit : Quand vous voyez apparaître un nuage du
côté de l'ouest, vous dites aussitôt : « Il va pleuvoir », et c'est ce qui
arrive. 55 Quand le vent du sud se met à souffler, vous dites : « Il va faire
très chaud », et c'est ce qui arrive. 56 Hypocrites ! Vous êtes capables
d'interpréter correctement les phénomènes de la terre et les aspects du ciel,
et vous ne pouvez pas comprendre en quel temps vous vivez ? 57 Pourquoi aussi
ne discernez-vous pas par vous-mêmes ce qui est juste ? 58 Ainsi, quand tu vas
en justice avec ton adversaire, fais tous tes efforts pour t'arranger à
l'amiable avec lui pendant que vous êtes encore en chemin. Sinon, il te
traînera devant le juge, celui-ci te remettra entre les mains des forces de
l'ordre qui te jetteront en prison. 59 Or, je te l'assure, tu n'en sortiras pas
avant d'avoir remboursé jusqu'à la dernière petite pièce.
Sans doute Jésus était-il
lucide sur lui-même. Il ne s’est pas laissé prendre au succès apparent qu’il obtenait auprès
de la poignée de ses fidèles qui partageaient
en partie sa vie. Il savait que ses amis se posaient des questions à son
sujet et que certains avaient même cessé de le suivre. Mais il savait aussi que
l’Evangile qu’il voulait proclamer en était le prix. Il rendait témoignage à un
Dieu au nom duquel certains prophètes avaient perdu la vie avant lui. Esaïe en
en fait le portrait dans les chants du serviteur souffrant à qui on avait même
arraché la barbe. Jérémie avait douté de ce même Dieu et de la charge qu’il
lui avait confiée et avait maudit le jour de sa naissance. Jonas quant à lui, tourna
le dos à la mission qu’il lui avait été assignée, croyait-il.
Jésus ne s’opposait pas vraiment au Dieu que
la loi de Moïse avait révélé, mais il contestait ce que la religion en avait
fait. Il s’intéressait d’abord et avant
tout au prochain et le prochain c’était l’autre quel qu’il soit. Dans les
rapports humains, c’était toujours l’autre qui devait avoir priorité. L’autre n’était pas forcément le
pauvre en opposition au riche. Jésus ne
demandait pas forcément de changer les rapports sociaux, mais c’est à l’autre,
à tous les autres à qui Dieu donnait priorité. Le mendiant n’était pas plus que
le roi, mais le roi n’était pas plus que
le mendiant. Celui qui avait priorité, c’est celui avec qui chacun était en relation immédiate.
La hiérarchie qu’il préconisait, c’est que l’autre devait passer avant moi. La
femme avant l’homme, l’enfant avant l’adulte.
En commençant mon propos, je
crains que vous ne soyez choqués par ce que je vais dire au sujet de Jésus, car en voulant être fidèle
à ce texte, vous allez découvrir que je
ne vais pas tracer de Jésus un portrait avenant, conforme à celui que la
tradition a retenu. Il était lui-même
bien conscient que son enseignement allait créer des dissensions parmi ses amis
et que même sa propre famille allait le
rejeter.( voir la série d’articles que Réforme consacre actuellement à Jacques
frère de Jésus). Il ne se priva pas lui-même de prendre ses distances par
rapport à sa mère et ses frères. Sans
savoir si je m’y prends bien je vais prendre
la défense de Jésus quand il paraît excessif, mais je vais en même temps
prendre le parti de ses amis quand ils seront tentés de le trahir et de le
rejeter.
En écoutant ce texte avec
attention, nous réalisons que Jésus a créé un climat de discorde et de suspicion autour de lui. Il a entraîné ses
disciples à faire des gestes provoquant
qui ont choqué les hôtes de Jésus, comme le fait de ne pas se laver les mains avant les repas.
Il a lui-même invité des hôtes non
recommandables à la table de ceux qui l’invitaient à partager leurs repas.
Comme ses amis nous sommes tentés de le désapprouver quand il semblait choquer gratuitement. Nous allons être tentés de rejoindre ceux qui ont trouvé
qu’il allait trop loin et qui l’ont trahi. En fait, c’est ce qu’on fait tous ses lors de son arrestation. Même si c’était un faux prétexte
pour ne pas faire cause commune avec lui, ils se sont enfuis. Ils avaient peur de l’autorité qui le faisait l’arrêter, d’autant plus que c’était en partie la garde du temple à la
solde des grands prêtres. Ils avaient peur que les grands-prêtres les accusent
de partager ses idées dont ils se désolidarisèrent ce soir-là. Puisque les soldats
se chargeaient du mauvais travail,
autant laisser faire ! On agirait
plus tard si c’était possible ! On nous raconte que Pierre osa le suivre
de loin, et malgré ce geste courageux, qu’il fut le seul à faire, c’est lui
qu’on accusa de trahison !
Pour le moment rejoignons
Jésus sur les chemins de Galilée au printemps ! Pourquoi au
printemps ? Parce qu’en bonne logique il devait prendre ses quartiers
d’hier sur le bord du Lac dans la maison de Pierre, car il était nécessaire de se mettre à l’abri quand le temps était
froid.
Dès que le printemps arrivait,
Jésus se mettait en route avec quelques-uns de ses disciples qui le suivaient
en profitant de ses enseignements. Il était parfois accueilli chez quelques fidèles
amis qui lui offraient le gîte et le couvert tel Lazare et ses sœurs. Certains bourgeois
le retenaient parfois pour le repas du soir. De nombreux textes attestent de
cette éventualité, mais il n’était sans doute pas rare qu’il établisse un campement pour la
nuit. Certains passages le laissent entendre aussi. On peut facilement imaginer
que quelques adeptes restaient avec son
petit groupe pour la nuit. Ils mangeaient avec eux ce qu’il y avait,
partageaient sans doute les provisions qu’ils avaient apportées avec eux.
C’était festif et récréatif. Les évangiles le racontent dans les 5 récits de la
multiplication des pains. Pour la nuit, quand celle-ci était fraiche, c’était leurs
manteaux qu’ils partageaient ou la couverture. Le matin, les uns repartaient à
leur occupations habituelles, Jésus quant à lui, avec sa poignée d’amis
reprenait son chemin jusqu’au soir où le rejoignaient d’autres amis, et cela se faisait au fil des jours. C’était
sans doute difficile à vivre. Pour les hôtes occasionnels, cela se faisait une fois, mais pour Jésus et
ses disciples, c’était tous les jours.
Eclairés par cette vie austère l’enseignement de Jésus
se colorait d’une manière singulière. Quel aspect pouvait prendre ce Royaume
qu’il annonçait ? Était-ce cette vie de nomade où tout le monde était le bienvenu, où il fallait parfois, mendier son pain et se
méfier à tout instant de la police de l’occupant ? On pouvait rêver mieux.
Était-ce vraiment ce que Dieu leur demandait ? Ce Dieu était-il vraiment
celui qui allait tout changer miraculeusement ? Les disciples
pouvaient-ils construire leur foi naissante avec si peu ?
C’est dans ce contexte, et
dans ces conditions que sont nés les Evangiles. On se doute bien que tout cela
n’était pas sans leur poser de questions et Jésus s’en rendait compte. Il
entendait et comprenaient leurs
désaccord. Il comprenait leur tentation de tout quitter et de revenir à
leur vie d’avant, comme l’ont fait les deux disciples d’Emmaüs quand ça a mal
tourné. A mesure que les jours passaient la tentation était sans doute de plus
en plus forte de de tout abandonner si
Jésus ne changeait pas ses méthodes.
On a reproché à la foule qui
suivait Jésus d’être fluctuante et versatile, mais elle partageait tous ces
questionnements que l’on vient d’évoquer, Jésus le savait et ne songeait pas à changer. Le Dieu d’amour
qu’il proposait voulait-il faire d’eux d’éternels mendiants ? Tout cela était-il porteur d’avenir ? Sans doute faisaient-ils secrètement à Jésus
le reproche d’attirer les enfants à lui,
de les cajoler, de donner des conseils à leur sujet, mais qu’en savait-il, lui
qui n’avait pas d’enfants ? « Laissez venir à moi les petits
enfants » ! Etait-ce cette vie de mendiants qu’il préconisait pour
eux ? Il y avait de quoi s’inquiéter ! Le Royaume dont il faisait
l’apologie ressemblait à un camp de réfugiés, et sans doute personne ne
voulait-il de ça.
Jésus savait bien que l’on
n’attire pas les mouches avec du vinaigre, mais les foules, amadouées par ses
propos, avides des miracles qu’ils
faisaient ne partageaient pas le quotidien de ses amis et Jésus sentait monter
les hostilités. C’est ce qu’il exprime ici dans ce passage.
Certes, j’ai pris beaucoup de
libertés, mais j’ai essayé de dire dans quel contexte l’Evangile est né et quel
portrait de Dieu en ressortait. Si la personne du prochain, c’est-à-dire de
n’importe quel autre avait priorité dans les soucis de Jésus, il faut prendre
conscience que ce prochain est le
compagnon imprévu de notre quotidien : Soldat, paysan, pharisien,
samaritain. C’était ce que Dieu nous demandait ! Selon lui, Dieu était
l’inspirateur silencieux de nos attitudes provocatrices, justifiant le bien fondé de nos conduites
surprenantes. Il visait à nous proposer un Royaume sans roi, sans privilège,
sans dominant, impossible à réaliser avec seulement notre bonne volonté, mais
révélateur de projets que Dieu inspire à ceux qui voient en lui celui qui nous
donne l’audace de penser autrement.
C’est alors que la mort de
Jésus et sa résurrection se sont chargées de nous révéler que toutes les utopies
de Jésus n’étaient possibles que si Dieu s’en mêlait. C’est lui qui nous donne la
possibilité de voir et de vivre les
choses autrement. Il met sur notre chemin le prochain à aimer, sans se soucier des conditions de notre rencontre, ni de conséquences
qu’elle peuvent entraîner. C’est lui
qui décide de nos changements d’attitude et qui nous entraine à construire son Royaume,
ce lieu où tous les prochains sont frères.
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