L'impôt dû à César
15 Alors
les pharisiens allèrent tenir conseil sur les moyens de le prendre au piège en
parole. 16 Ils envoient leurs disciples, avec les hérodiens, pour lui
dire : Maître, nous savons que tu es franc et que tu enseignes la voie de
Dieu en toute vérité, sans te soucier de personne, car tu ne regardes pas à
l'apparence des gens. 17 Dis-nous donc ce que tu en penses : est-il permis
ou non de payer la capitation à César ? 18 Mais Jésus, qui connaissait
leurs mauvaises intentions, répondit : Pourquoi me mettez-vous à
l'épreuve, hypocrites ? 19 Montrez-moi la monnaie avec laquelle on paie la
capitation. Ils lui présentèrent un denier. 20 Il leur demande : De qui
sont cette image et cette inscription ? 21— De César, lui répondent-ils.
Alors il leur dit : Rendez donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce
qui est à Dieu.
Dès que l’on parle d’argent la méfiance s’installe et les
conversations prennent une autre tournure, car c’est l’argent qui provoque les
cassures au sein de la société ou même au sein des familles. Il y a ceux qui
ont de l’argent et il y a ceux qui n’en ont pas. A partir de ce fait
incontournable, chacun y va de son couplet. Pour les uns il s’agit de décrier l’argent comme la pire des choses
quant aux autres ils s’accordent à dire que puisqu’il est nécessaire, il faut
bien s’en accommoder. Dans la vieille Europe l’argent était considéré comme
impur, c’est pourquoi on a laissé les marginaux s’en occuper: les Juifs
d’abord, les Protestants ensuite. A eux de se salir les mains avec l’argent qui
souille et pervertit, puisqu’ils étaient hors de l’Eglise - entendre hors du
salut - A eux aussi de le faire
fructifier pour ceux qui le leur confiaient et espéraient en tirer des
bénéfices. On voit que l’hypocrisie des milieux religieux n’est pas nouvelle
On dit que l’argent est le nerf de la guerre et que c’est
lui qui fait marcher le monde. Le phénomène de la mondialisation nous montre
que ce sont les détenteurs de grosses fortunes qui gèrent le destin de la
planète à l’instar des hommes politiques qui sont obligés de s’aligner pour
garder l’illusion de gouverner.
Quiconque veut avoir de l’influence en ce bas monde,
quiconque veut faire valoir une idée a besoin d’argent pour séduire les médias
et payer leur temps de pub ou d’antenne. Pour cela il doit se trouver un mécène
disait-on jadis, un sponsor dit-on aujourd’hui, qui le soutiendrait pour le prix de son talent ou de sa vertu.
Forcément ceux qui manient l’argent et qui ont du pouvoir
grâce à lui cherchent à légitimer ce pouvoir en cherchant la caution de Dieu.
C’est ce que font les interlocuteurs de
Jésus, nous allons y revenir. Ils
étaient déjà dans le courant moderne de notre temps. Le modernisme a besoin
d’idées généreuses pour donner de la vertu à l’argent. C’est ainsi que les
multinationales achètent des parts de bonnes actions auprès des ONG et à défaut de vertu s’acquièrent une morale. C’était aussi le but des prêtres du Temple de Jérusalem qui essayaient de trouver des valeurs morales au prélèvement de la dîme. La suite nous montrera que leur quête était sans fondement théologique.
multinationales achètent des parts de bonnes actions auprès des ONG et à défaut de vertu s’acquièrent une morale. C’était aussi le but des prêtres du Temple de Jérusalem qui essayaient de trouver des valeurs morales au prélèvement de la dîme. La suite nous montrera que leur quête était sans fondement théologique.
Ne soyons donc pas surpris si les gens de pouvoir ont
cherché à s’allier avec les gens qui relèvent du domaine spirituel, à moins que
ce soit le contraire, car le mouvement va dans les deux sens. Cela est connu
comme le principe de l’alliance du trône et de l’autel. L’Ecriture semble
pourtant avoir mis des garde-fous en opposant Dieu et Mammon : « on
ne peut servir Dieu et Mammon » disait Jésus et les hommes puissants de
rétorquer : « nous ne servons pas l’argent, nous nous en servons pour servir Dieu. » Ce faisant,
ils se comportaient en bons théologiens, car c’est ainsi que Dieu entend
les choses. Il nous confie l’argent comme un des nombreux talents qu’il met à
notre disposition pour gérer harmonieusement l’évolution de la planète. C’est ainsi que les
choses doivent fonctionner. C’est ainsi que l’homme a été prévu dès l’origine
pour gérer la création. Mais les narrateurs de la Bible ont bien vu que cela ne
cadrait pas avec la réalité. L’homme
exploite plus la création qu’il ne la valorise. Pour remédier à ce
constat désastreux, on a introduit le récit de la chute au milieu des récits de
la création. Si nous sommes attentifs aux événements qui mettent notre société
en émoi nous pourrons constater que la chute a été vertigineuse.
Pourtant, il est une
tradition qui découle de l’Evangile et qu’on élève au rang de vertu: c’est la
pauvreté volontaire. C’est ce que l’on retrouve dans les voeux monastiques. On
est pauvre individuellement, mais on vit au sein d’une communauté qui gère
l’argent de la collectivité pour le mieux être de chacun et des autres. Cet
idéal que nous admirons a hélas montré qu’il pouvait être perverti. Les sectes
mondialement connues ont profité de cet idéal pour asseoir leur pouvoir a des
fins de dominations et non pas
d’édification. A tout bon scientologue: Salut! Salut aussi à la foultitude de toutes les communautés qui se sont
engouffrées dans la brèche utilisant la
vie en collectivité pour cautionner leur
soif de pouvoir et de domination sur l’autre par l’appropriation de ses biens.
L’idéal monastique, mal conçu peut donner une perversion qui relève plus du
pouvoir du diable que de la candeur angélique.
Ces quelques idées, glanées de ci, de là dans l’actualité
nous permettent de comprendre l’ampleur du piège que l’on tend à Jésus quand
on lui demande de choisir entre le
pouvoir de l’argent et le pouvoir spirituel.
Jésus sait que l’argent donne du pouvoir à celui qui en possède. Il sait
que l’empereur s’enrichit ouvertement sur le dos des citoyens. Il sait aussi
que les prêtres du Temple s’enrichissent sur le dos du bon peuple en lui
laissant croire que Dieu cautionne la dîme et l’impôt ecclésiastique. Jésus va
s’arranger pour ne pas leur donner tort sans leur donner raison, car pour lui
ils sont à mettre du même côté que l’empereur. L’histoire montrera en effet que
la foi juive subsistera fort bien après la destruction du Temple et que la
fortune des prêtres amassée grâce à la dîme ne servait à rien. Voila pour les juifs,
on parlera des chrétiens plus loin.
Jésus ne tombe pas dans le piège. Donnez à chacun ce qui lui
revient dit-il. Le problème ne se pose pas au niveau de l’empereur. L’empereur récupère auprès des
citoyens l’argent dont il a besoin. Mais le problème va se poser au niveau de
Dieu. Dieu a-t-il besoin d’argent? « Rendez à l’empereur ce qui lui est
du et à Dieu ce qui lui revient. » Pour l’empereur, on l’a vu, ça ne se
discute pas. Ce qui lui revient c’est
une partie de notre argent. Jésus ne
précise pas ce qui revient à Dieu. En fait,
Dieu n’a pas besoin d’argent, en tout cas pas de la même façon que
l’empereur. Mais les hommes qui se
disent au service de Dieu ont besoin d’argent. Quant à Dieu lui-même, c’est un
autre problème. Tout appartient à Dieu, tout doit lui revenir y compris l’argent que l’empereur
nous prend! Il n’y a pas de partage
entre le temporel et le spirituel. Tout va à Dieu, tout relève de Dieu. Cela
appartient du domaine de la foi et ce n’est pas avec de l’argent que l’on rend
son du à Dieu.
L’empereur nous prend ce qu’il ne nous a pas donné. En
effet, l’impôt est une ponction sur nos revenus faite par le pouvoir en place.
A l’opposé, Dieu nous donne ce qu’il nous demande de lui donner. C’est au
niveau de l’amour que ça se passe. Dieu nous donne son amour et espère le
nôtre. La relation n’est pas du tout, au même niveau que l’argent de
l’empereur.
Si je dis que l’on doit seulement notre amour à Dieu, le
trésorier de la paroisse ne va pas être content. Certes on peut manifester son amour
à Dieu de plusieurs façons, avec son argent, avec son temps, avec son talent;
avec ses dons, mais toutes ces choses que l’on donne à Dieu ne sont que des
outils pour lui manifester notre amour qui demeure premier.
Mais que l’on y prenne garde, tout cela peut être perverti. Car certains pensent que l’on peut
capitaliser toutes ces choses que l’on est sensé faire pour Dieu et qu’on peut
espérer des avantages en retour. Plus on aura fait de gestes qui plaisent à
Dieu pensent-on, plus notre place dans
le Royaume sera assurée. C’est, sans
doute la manière la plus mesquine d’apprécier nos actions car elle
sous-entendrait que Dieu pourrait échanger notre amour contre des bonnes
actions. L’amour ne s’échange pas, il ne se monnaie pas, on ne le capitalise
pas bien sûr, il n’a aucune valeur
marchande. Il ne se manie pas comme de l’argent. Pour subsister, l’amour doit
continuellement être en action, car comme notre coeur, notre amour est vivant
et il doit être en activité sous peine de mort. Si l’amour de Dieu nous fait
vivre, Dieu a besoin de notre amour pour exister lui aussi aux yeux du monde.
Nous sommes donc sur un tout autre registre que celui de
l’impôt que l’on paye au roi ou à l’institution ecclésiastique. Notre relation à
Dieu ne profite à personne si non à Dieu lui-même, pour son propre bien-être.
C’est cela la gratuité du salut, c’est
de savoir que l’on aime Dieu sans espérer de récompense de lui puisque nous
avons déjà tout reçu. Son amour est total et il demande que nous le lui
rendions totalement. C’est pourquoi Dieu réclame seulement notre amour et rien
que notre amour. « Aime et fais ce que voudra » disait saint
Augustin. Et Rabelais fit graver cette devise sur le fronton de l’abbaye de
Thélème. Quant à notre argent il ne devrait nullement être concerné par notre
relation à Dieu.
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