reprise d’un sermon publié le 4
novembre 2012
28
Un des scribes, qui les avait entendus débattre et voyait qu'il leur avait bien
répondu, vint lui demander : Quel est le premier de tous les
commandements ? 29 Jésus répondit : Le premier, c'est : Ecoute,
Israël ! Le Seigneur, notre Dieu, le Seigneur est un, 30 et tu aimeras le
Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ton
intelligence et de toute ta force. 31 Le second, c'est : Tu aimeras ton
prochain comme toi-même. Il n'y a pas d'autre commandement plus grand que
ceux-là.
32
Le scribe lui dit : C'est bien, maître ; tu as dit avec vérité qu'il
est un et qu'il n'y en a pas d'autre que lui, 33 et que l'aimer de tout son
cœur, de toute son intelligence et de toute sa force, et aimer son prochain
comme soi-même, c'est plus que tous les holocaustes et les sacrifices. 34
Jésus, voyant qu'il avait répondu judicieusement, lui dit : Tu n'es pas
loin du royaume de Dieu. Et personne n'osait plus l'interroger.
Que serait
le monde sans amour ? Les poètes l’ont chanté, les peintres l’ont représenté
et notre tête est remplie de souvenirs d’amours passées qui subsistent peut
être encore et qui enchantent notre mémoire. Sans amour, l’humanité disparaîtrait dans l’oubli et dans la mort.
Comment pourrait-on vivre si personne n’éprouvait l’ombre d’un sentiment pour
nous ou si nous n’éprouvions aucun sentiment pour personne. Jésus a bien vu que
les hommes ne peuvent vivre sans l’amour qu’ils échangent avec leurs
semblables, c’est pourquoi à la demande d’un jeune scribe sympathique il a
extrait des 613 articles de la loi deux commandements dont l’un parle de l’amour de Dieu et l’autre
de l’amour du prochain.
L’amour est
un sentiment que l’on a du mal à analyser. Il provient du plus profond de
nous-mêmes et fait vibrer notre âme d’une manière exquise sans que l’on sache
vraiment quels en sont les causes. Cependant chacun de ses effets embellit tellement la vie qu’elle se trouve radicalement transformée.
L’amour fonctionne comme un moteur qui
fait avancer notre vie sur la voie du bonheur. Il se cache dans tous les
recoins de l’être et arrache de notre cœur des sentiments d’extase et
d’exaltation pour une autre personne qui ne provoque apparemment pas les mêmes
émotions chez les autres. Au lieu de s’en tenir à ces constatations bucoliques, les chercheurs ont voulu aller plus loin et
ils ont édulcoré la beauté du sentiment. Ils ont parlé de phéromones et
d’autres substances chimiques qui seraient à l’origine du phénomène. Mais peu
importe, contentons-nous de constater que ce phénomène fonctionne et que nous
profitons de ses effets.
L’Amour n’est pas seulement suscité par d’autres
personnes au contact desquelles nous nous trouvons. Il peut être provoqué en
nous par toutes sortes de choses. C’est ainsi qu’on aime certaines musiques,
qu’on s’attache à certaines peintures, que l’on apprécie le confort d’une
maison ou d’une voiture, c’est pourquoi on se laisse aller à dire que nous aimons tel objet, voire même telle
situation. Ce sentiment s’empare tellement de notre vie qu’on arrive même à ne
plus l’écrire ou le décrire. On a fini
par le représenter par des icônes en
forme de cœurs. On l’imprime même sur nos tees shirts pour dire que l’on ne
peut vivre sans amour.
Conscients
de la nécessité de ce sentiment et du bien qu’il nous procure, nous nous engageons
cependant sur les chemins de la vie en laissant sur notre passage des
sentiments d’indifférence, d’hostilité ou de haine qui mettent à mal toute cette quiétude que nous venons
d’évoquer. Nous nous comportons comme si
nous avions comme un malin plaisir à
abimer ce qui nous fait du bien.
Nous véhiculons sur notre passage des comportements qui désenchantent
notre vie, alors que tout devrait fonctionner
pour la rendre belle et ouverte à
l’avenir. On a donc raison de dire que l’homme est un être bizarre qui connaît
la marche à suivre pour être heureux mais qui délibérément en utilise une
autre.
Ce serait
aller un peu vite en besogne que de dire que tout cela est la cause du péché,
même si nous serons amenés à considérer
à la fin de notre propos que c’est la seule réponse possible. Il me semble
avant tout que l’on exclue de notre comportement celui qui, à l’origine, est
l’inventeur de l’amour : Dieu. En effet, quand on prononce le nom de Dieu,
ce n’est pas au sentiment d’amour que
l’on pense en premier, sauf exception.
Quand on pense à Dieu, on fait référence
à des notions de toute puissance, de création, de péché, mais on ne pense au mot «amour» que si on est un
pratiquant de la foi chrétienne, et encore ce sentiment n’arrive pas en tête
dans l’ordre des valeurs concernant Dieu.
Or Jésus va
consacrer toute sa vie à nous dire que
ce sentiment doit être premier et qu’il ne peut y avoir de relation à Dieu sans
amour. C’est par là que l’on doit
commencer quand on veut parler de Dieu aux hommes. Pourtant, la plupart du
temps, ce n’est pas par-là que l’on commence. Où est donc l’origine de ce dysfonctionnement ?
C’est sans
doute notre tradition qu’il faut incriminer parce qu’elle présente les préceptes de la Bible comme des
commandements. Elle considère que la
pratique de l’amour doit-être soumise à un ordre venu d’en haut :
« tu aimeras » est-il dit. Or l’amour est un sentiment que l’on ne
commande pas. On ne peut nullement aimer
sur ordre, même sur ordre de Dieu. On a cependant considéré depuis toujours que
le terme de « commandement » était le mieux approprié pour parler de
notre relation à Dieu pourtant, le Livre du Deutéronome parle plus volontiers
de « paroles » que de « commandements ». Ce mot de parole, derrière lequel se
cache le pouvoir créateur de Dieu,
exprime plus un souhait de sa part qu’un
ordre. En effet, notre relation avec Dieu relève plus du désir de vivre
ensemble que de l’obligation de le
faire. Notre désir se portera d’autant plus vers Dieu que nous nous sentirons
libres de le faire.
Mais on ne
change pas aussi facilement des siècles de tradition. Jésus s’y est attaqué en
nous présentant Dieu sous un autre visage que celui du maître exigeant et
contraignant. Il a préféré celui du Père aimant, soucieux du mieux-être de ses
enfants, mais curieusement, les évangélistes qui nous ont rapporté son
enseignement ont conservé un mot grec qu’il est d’usage de traduire par
« commandement ». Nous ne dérogerons pas à cette règle à notre tour,
mais nous nous souviendrons intérieurement que
Jésus en appelle d’abord à la qualité de nos sentiments envers Dieu et
envers les autres.
A peine ce
premier obstacle levé, en voici un autre qui se dresse sous nos pas. Il s’agit
de ce celui provoqué par Dieu lui-même. Jacques Brel dans une de ses chansons
célèbres disait : « Que connais-tu de Dieu grand Jacques ?... Tu
ne connais rien de lui. » Jacques Brel sans le vouloir avait soulevé un
obstacle majeur. On ne peut aimer Dieu
que si on le connaît, or on ne le
connaît pas vraiment. Certes, on nous a parlé de lui, on nous l’a décrit comme
un Dieu tout puissant et maître de l’univers,
un Dieu qui prononce le premier et le dernier mot de toute vie. Un tel
Dieu provoque la crainte et le respect, mais ne suscite aucun sentiment
d’amour. Pour l’aimer, il faut le connaître, pour le connaître, il faut le
rencontrer.
Toute la
Bible nous parle de rencontre avec Dieu. Ce fut d’abord celle d’Abraham qui
parlait face à face avec lui. Ce fut aussi Jacob qui lutta avec lui ou Moïse
qui le reconnut dans un buisson de feu. Une telle rencontre doit aussi devenir
la nôtre. Elle peut se faire de mille façons, mais la plus part du temps, elle
se fait dans l’intimité de sa vie personnelle. Cela peut avoir lieu dans le
secret d’une descente à l’intérieur de
nous-mêmes, dans l’intimité de notre cœur, là où Dieu nous attend et développe
avec nous une relation intime qui lentement devient de l’amour et nous rend
dépendants l’un de l’autre.
Si cette vie
intime avec Dieu nous comble de bien être, Jésus nous révèle que ça ne peut pas
s’arrêter là et que l’amour avec Dieu perdra de sa vigueur au risque de
s’éteindre définitivement, si nous ne
l’accompagnons pas d’actes concrets à l’égard des autres. Ce sont ces actes qui
réjouissent Dieu et qui alimentent son amour pour nous. C’est ce que Jésus nous
rappelle dans le deuxième commandement. Le prochain devient pour nous celui en
qui se réalisent nos gestes d’amour pour Dieu, car Dieu cache son visage
derrière celui de ceux que nous rencontrons. Dieu et notre prochain confondent
leur visage en un seul et Dieu ne peut être vraiment connu que dans la mesure
où on l’a reconnu dans l’autre.
Quand Jésus
nous demande d’aimer notre prochain, il ne nous demande pas de faire un effort
particulier, il nous invite simplement à exprimer par des actes à l’égard des
autres les sentiments que Dieu provoque lui-même en nous. L’amour des autres
devient automatiquement la conséquence de l’amour que nous avons pour Dieu.
La
réciproque n’est pas forcément vraie. Certains ont conservé par devers eux une image tellement altérée de Dieu à cause
des violences que les hommes pratiquent entre eux qu’ils peinent à éliminer cette image que des siècles
d’histoire leur ont transmise. Les guerres que les hommes se sont faits au nom
de Dieu et qu’ils continuent à se faire,
ont grandement contribuées à
altérer son image si bien que ces gens peuvent aimer les autres sans qu’ils puissent
établir par ce sentiment une relation quelconque avec Dieu. Il nous faut donc
travailler à rendre crédible pour les
hommes cette image de Dieu qui abandonne sa toute- puissance au profit
de sa relation paternelle avec chacune et chacun de nous. Si par contre, notre relation avec les autres hommes n’est
pas bonne et se détériore, c’est que notre relation à Dieu n’est pas bonne non
plus. Notre relation avec les autres s’améliorera forcément du fait que nous
nous attacherons à améliorer notre relation à Dieu.
Illustrations :Fridha Kahlo de
Riviera Peintre mexicain décédé en 1954
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