35 Jésus enseignait
dans le temple : Comment les scribes peuvent-ils dire que le Christ est
fils de David ? 36 David lui-même, par l'Esprit saint, a dit :
Le Seigneur a dit à
mon Seigneur :
Assieds-toi à ma
droite,
jusqu'à ce que je
mette tes ennemis sous tes pieds.
37 David lui-même
l'appelle Seigneur ; d'où peut-il donc être son fils ? Et la foule,
nombreuse, l'écoutait avec plaisir.
Contre les scribes
38 Il leur disait,
dans son enseignement : Gardez-vous des scribes ; ils aiment se
promener avec de longues robes, être salués sur les places publiques, 39 avoir
les premiers sièges dans les synagogues et les premières places dans les dîners ;
40 ils dévorent les maisons des veuves et, pour l'apparence, ils font de
longues prières. Ils recevront un jugement particulièrement sévère.
L'offrande de la veuve
L'offrande de la veuve
41 S'étant assis en
face du Trésor, il regardait comment la foule y mettait de la monnaie de bronze.
Nombre de riches mettaient beaucoup. 42 Vint aussi une pauvre veuve qui mit
deux leptes valant un quadrant. 43 Alors il appela ses disciples et leur
dit : Amen, je vous le dis, cette pauvre veuve a mis plus que tous ceux
qui ont mis quelque chose dans le Trésor ; 44 car tous ont mis de leur
abondance, mais elle, elle a mis, de son manque, tout ce qu'elle possédait,
tout ce qu'elle avait pour vivre.
On se sent bien petit et plein d’admiration
devant un tel texte. On admire la foi de
cette femme, mais on n’a nullement envie de lui ressembler. C’est souvent ainsi
dans l’Évangile. Les gens que l’on nous donne à admirer, voire même à nous
identifier à eux, sont bien souvent des laissés pour compte, telle cette femme.
On dirait que malgré les difficultés de notre vie Jésus nous reproche les bons
moments que nous avons et les quelques avantages que notre société nous
procure.
Pendant des
générations, on a retenu pour faire son salut qu’il fallait être pauvre comme
saint François d’Assise et se réjouir de
sa pauvreté et de sa médiocrité. C’est ainsi que l’on a compris les choses pendant de nombreux siècles jusqu’à ce que la
Réforme bouscule le bien-fondé de cette
situation et rappelle que le salut est gratuit et qu’on ne l’acquiert pas en se
faisant volontairement pauvre. Si Jésus montre cette femme en exemple, ce n’est
pas pour montrer que le dénuement mène à Dieu mais pour dire que
la richesse peut faire obstacle à la perception de la volonté de Dieu.
Pourtant ici en
lisant ce texte nous ne pouvons qu’éprouver un profond malaise. Cette petite scène anodine va nous amener à nous
poser des questions sur la personne de Jésus lui-même et sur sa manière d’être présent au monde. Il y a en
effet, ici un certain nombre
d’incohérences dont il va bien falloir rendre compte pour essayer de comprendre
la portée de l’enseignement de Jésus.
Pour peu que
notre esprit soit en éveil, et
qu’il soit assez critique, nous serons
sans doute surpris, si non choqués en constatant que Jésus félicite une femme pour avoir fait un
geste qui ne va servir à rien.
Il fait
devant ses intimes l’éloge de
cette pauvre femme qui se sacrifie en
donnant tout ce qui lui est nécessaire à la vie pour l’entretien du temple de Jérusalem dont il annonce par
ailleurs, la destruction dans les instants qui suivent. Cette constatation est
assez choquante, pour nous arrêter et nous forcer à chercher une explication
logique, car pour l’instant Jésus
approuve un sacrifice qui, selon son propre jugement ne servira à rien.
En fait tout
est ici fait pour nous mettre mal à l’aise, et nous avons l’impression d’être
pris au piège de notre propre foi. Jésus
semble être blasé par le spectacle de la collecte de l’argent. « Jésus
regardait comment les foules mettaient de l’argent, plusieurs riches mettaient
beaucoup... » Jésus ne critique pas, il ne louange pas non plus, il
regarde simplement. Il ne porte aucun
jugement de valeur sur ceux qui donnent beaucoup. Il attire cependant l’attention de ses amis sur la veuve dont il est question ici. Le
texte insiste sur l’insignifiance de la somme qu’elle met dans le tronc:
« 2 pièces faisant un quart de sou ». Autant dire rien du tout, mais cette faible sommes a une grande valeur
pour elle car elle a donné de son
nécessaire. Elle s’est servi de l’argent
du ménage pour plaire à Dieu, croit-elle
car elle lui a donné la valeur du morceau de pain qu’elle ne mangera
pas.
Jésus ne fait
aucun commentaire pour dire si Dieu y trouve son compte et s’il se réjouit d’un
geste qui ne sert à rien. Cependant un tel geste représente pour elle
tout son potentiel de vie. Ainsi elle entre avec Dieu dans une relation de vie. Il y a
ici bien plus qu’un simple geste, bien plus qu’une simple action de
grâces, elle donne matériellement sa vie. Jésus ne
commente pas dans le sens où nous l’espérons.
En donnant cet exemple, l’évangéliste recommande que notre relation à
Dieu soit de l’ordre du vital. Notre relation à Dieu est aussi importante que
la vie que nous menons, que l’air que nous respirons ou que le pain que nous mangeons. Qui pourrait faire comme elle, dans une société où l’argent est devenu le maître à
penser, et où n’a de valeur aujourd’hui
que ce qui permet un profit immédiat.
Le geste de la
femme est cité en exemple sans qu’aucun autre commentaire ne soit fait, ni sur
l’argent, ni sur les riches. La femme ne sait même pas qu’elle a retenu
l’attention de Jésus pendant quelques secondes. Jésus n’a même pas eu une
parole pour lui dire la faveur de Dieu à son égard, ni même si Dieu se réjouit
d’un tel sacrifice. L’Évangile insiste
seulement sur la valeur du sacrifice volontaire qui établit une relation de vie
entre Dieu et la femme. C’est tout. On aurait envie de faire les commentaires
que Jésus ne fait pas.
Mais tout n’est
pas si simple car le temple va être détruit. L’étrange prophétie de Jésus
annonçant la disparition du temple semble rendre vain et inutile cet acte qui
lie la femme à son Dieu. Le temple par lequel passe sa relation à Dieu et pour lequel elle sacrifie ainsi sa vie
sera démoli! Il ne restera plus pierre sur pierre. Comment Jésus peut-il
faire une telle prophétie, qui va se réaliser dans une génération, après avoir
insisté sur le geste de cette femme que cette prophétie rend parfaitement
inutile?
En fait il me
semble que les choses ne sont pas inscrites
à l’avance dans l’histoire. Il
n’y a pas de déterminisme dans la pensée judéo-chrétienne. Jamais on ne pourra
dire c’était écrit, sans quoi l’intervention de Dieu dans l’histoire n’aurait
pas de sens. Le jour de notre mort, et l’événement par lequel nous quitterons
cette terre n’est pas écrit à l’avance, dans le livre de Dieu comme on le
pense dans d’autres religions.
S’il en était ainsi la révélation chrétienne n’aurait aucun sens
puisque les hommes seraient voués à un destin préétabli et dans un tel
contexte, le ministère de Jésus n’aurait aucun sens. L’histoire se vit donc au
jour le jour dans l’existence des hommes qui cherchent par leurs actions à
répondre à la mission et à la vocation que Dieu leur a données. C’est dans ce
contexte que s’inscrit le geste de la femme. Le geste de la femme va dans le
sens de la vie telle que Dieu la souhaite et telle que Jésus, l’annonce, même
si l’histoire montrera que le Temple ne jouera aucun rôle par la suite. Pour
l’instant et pour la relation de cette femme avec son Dieu il joue un rôle
considérable. En contribuant de tout son
être à l’édification du sanctuaire
terrestre où réside le nom de Dieu elle participe à la volonté créatrice
du Seigneur. C’est dans ce sens que Jésus valorise son action.
Ce geste
n’empêche pas pour autant Jésus de considérer avec lucidité la situation socio-politique de son époque.
Jésus sait, comme tout un chacun que si les tensions entre juifs et romains
persistent, la guerre finira par éclater et le sanctuaire sera détruit. La
prophétie de Jésus relève de la lucidité politique plutôt que de la théologie.
La théologie sur la destruction du temple sera élaborée après coup par ses
disciples et ses apôtres qui chercheront une logique là où il n’y en avait pas
forcément.
La destruction du temple est de l’ordre du
possible et même du probable, elle est liée au péché et à la violence des
hommes et pas forcément à la volonté de Dieu. Encore une fois répétons que les
hommes sont appelés chaque jour à construire l’histoire avec leur Dieu en y mettant tout le bien qu’il leur inspire.
Si Jésus savait que Dieu avait décidé la destruction
du Temple, il n’aurait pas tenu les propos qu’il a tenus sur la veuve comme il
l’a fait. Jésus ne s’est jamais très clairement exprimé sur la destruction du
temple, se sont ses ennemis qui au moment du procès ont joué sur les
mots. « Il a parlé de la destruction du temple » disaient-ils
et l’évangéliste Jean d’ajouter « qu’il parlait du temple de son
corps ». Les disciples en fait n’ont retenu que des paroles ambiguës à
propos du temple que Jésus a purifié avant sa mort (dimanche des rameaux) et
auquel il s’est identifié. Ni l’Évangile de Matthieu ni l’Évangile de Jean n’ont retenu la prophétie
que seule Marc et Luc rapportent.
C’est pourquoi
en prophétisant la destruction du temple Jésus n’a pas fait
état d’une décision préétablie de Dieu qui conduirait l’histoire
indépendamment des hommes, mais Jésus a fait état des conséquences inévitables
que le péché des hommes pouvait avoir sur la religion et sur la société de son
temps. L’histoire peut ainsi rendre vains des gestes qui étaient pourtant
porteurs d’avenir au moment où ils ont été faits.
C’est dans ce
contexte qu’il faut interpréter le geste de la femme qui met toute sa vie au
service de la cause de son Dieu, mais ce geste n’empêchera pourtant pas les
hommes de commettre l’irréparable et d’entraîner dans leur folie la destruction
du temple comme ce fut jadis le cas à l’époque de Nabuchodonosor.
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