3 Dans les jours qui suivirent,
Marie se mit en route et se rendit en hâte dans une localité de la région
montagneuse de Judée. 40 Elle entra dans la maison de Zacharie et salua
Élisabeth. 41 Au moment où celle-ci entendit la salutation de Marie, l'enfant remua
en elle. Élisabeth fut remplie du Saint-Esprit 42 et s'écria d'une voix
forte : « Dieu t'a bénie plus que toutes les femmes et sa bénédiction
repose sur l'enfant que tu auras ! 43 Qui suis-je pour que la mère de mon
Seigneur vienne chez moi ? 44 Car, vois-tu, au moment où j'ai entendu ta
salutation, l'enfant a remué de joie en moi. 45 Tu es heureuse : tu as cru
que le Seigneur accomplira ce qu'il t'a annoncé ! »
Le cantique de Marie
46 Marie dit alors :
« De tout mon être je veux
dire la grandeur du Seigneur,
47 mon cœur est plein de joie à
cause de Dieu, mon Sauveur ;
48 car il a bien voulu abaisser son
regard sur moi, son humble servante.
Oui, dès maintenant et en tous les
temps, les humains me diront bienheureuse,
49 car Dieu le Tout-Puissant a fait
pour moi des choses magnifiques.
Il est le Dieu saint,
50 il est plein de bonté en tout
temps pour ceux qui le respectent.
51 Il a montré son pouvoir en
déployant sa force :
il a mis en déroute les hommes au
cœur orgueilleux,
52 il a renversé les rois de leurs
trônes
et il a placé les humbles au
premier rang.
53 Il a comblé de biens ceux qui
avaient faim,
et il a renvoyé les riches les
mains vides.
54 Il est venu en aide au peuple
d'Israël, son serviteur :
il n'a pas oublié de manifester sa
bonté
55 envers Abraham et ses
descendants, pour toujours,
comme il l'avait promis à nos
ancêtres. »
56 Marie resta avec Élisabeth
pendant environ trois mois, puis elle retourna chez elle.
Si nous nous intéressions aux différentes
interventions de Dieu dans l’histoire du
monde rapportées par la Bible, nous constaterions que dès le commencement elles
ont fait de Dieu l’initiateur de tout ce
qui vit sur terre. Il s’acharne à trouver des solutions quand la vie se trouve menacée et il achève sa création dans l’apothéose de
la résurrection que personne, si non lui, n’aurait pu imaginer.
Au tout début des Ecritures on le voit consacrer toute son énergie créatrice à souffler sur une poupée d’argile pour lui donner vie. Dieu dépose tendrement l’homme qui s’ouvre à l’existence dans un
jardin qu’il a soigneusement préparé pour qu’il s’y épanouisse en le cultivant. Il
a pour lui les mêmes gestes qu’une mère pourrait avoir en déposant son enfant
dans son berceau. Même si le parallèle est osé, Il n’est pas interdit de
penser en ce temps de préparation de
Noël que Marie reprend ces mêmes gestes à son compte lors de la naissance de
Jésus en le déposant dans une crèche et en le protégeant lors de la fuite en Égypte pour qu’il assume sa mission.
Le projet est lancé. Dieu se consacre à faire progresser la vie. Même si les bavures sont nombreuses et si les
lecteurs des Ecritures accordent plus d’attention à la colère de Dieu
qui s’oppose à la violence des hommes qu’à sa tendresse
qui s’empare des situations les plus catastrophiques, Dieu continue à
valoriser la vie. C’est d’abord à un Caïn meurtrier que Dieu donne la
possibilité d’assumer son destin. Il va même jusqu’à mettre en cause ses
propres décisions en renonçant à anéantir l’humanité lors du
déluge. Il va créer l’arc en ciel comme un pense-bête à sa propre intention pour
lui rappeler qu’il a renoncé à se mettre en colère quand les
hommes l’irriteront. L’arc brillera pour
que lui, Dieu ne soit pas la cause du malheur des hommes. Ainsi les textes se
succèdent-ils au cours des chapitres et montrent-ils Dieu à l’œuvre dans son projet de rendre les
hommes aptes à vivre heureux sur la terre qu’il leur a donnée. C’est enfin le triomphe de la vie qui s’impose à
l’humanité par la victoire de Jésus à la résurrection. Les Ecritures, s’écartent en partie de ce
rôle attribué à Dieu qui en ferait un dieu de la vengeance et de la
colère ou même de la justice implacable où on se plait à enfermer Dieu.
Même si ces récits sont fortement
légendaires, les auteurs ont retenu cependant le désir de Dieu de triompher de
la mort et d’imposer la vie. La vie est en effet quelque chose
de fragile, toujours menacée, elle semble pourtant devoir s’imposer comme la
conclusion normale de toutes les situations. Dieu manifeste sa capacité à
l’imposer partout où elle est menacée. Il
trouve la plupart du temps des
femmes et des hommes pour se mettre à son service pour collaborer avec lui et partager avec lui son projet de faire vivre mieux l’humanité.
Ils participent donc avec lui à l’édification d’un monde nouveau. L’achèvement
de ce monde sera l’aboutissement d’un long cheminement qui s’appuie sur les
acquis du passé. Les yeux fixés sur l’avenir, Dieu ne cesse d’élaborer, en
partenariat avec les hommes qui le suivent, une
issue optimiste pour ce monde dont la vie éternelle sera l’enjeu.
C’est de cet enjeu qu’il est question dans le
texte de la visitation proposé pour
aujourd’hui. Deux femmes en sont les héroïnes et les hommes n’y
jouent aucun rôle. Mais n’en déplaise aux féministes, ce textes ne fait pas la
part belle aux femmes en tant que telles, c’est à leur fonction de mère qu’il
s’attache et surtout aux enfants qu’elles portent, car ici c’est en tant que
porteuse de vie et d’avenir qu’elles
ont un intérêt : Élisabeth porte en
elle la vie du passé et la vie du futur
est portée par l’enfant qui est dans le sein de Marie. La question qui se pose, est de savoir
comment ces deux vies vont s’ajuster l’une à l’autre ? La question qui
n’est pas posée mais qui est présente dans l’esprit des auteurs de cet évangile
est de savoir comment la nouveauté de Évangile
va s’accorder avec la tradition juive pour donner un message commun
cohérent. Le but recherché n’aboutira
pas, non pas du fait de Dieu, mais du fait des hommes. La question a eu cependant le mérite d’être posée.
Pour porter cette question, l’Évangile de Luc
a mis en scène deux femmes enceintes et courageuses qui s’émerveillent d’être
l’instrument de Dieu dans ce projet. Dieu comme toujours reste discret, mais il
reste au centre du récit dont le but est de dire que l’histoire a du sens. Son projet
est de faire que les deux traditions portées par chacune de ces femmes
construisent un avenir commun, car judaïsme et christianisme sont porteurs des
mêmes promesses et ils doivent assumer
cette tâche ensemble, mais l’échec des hommes ne masquera pas pour autant
le projet de Dieu.
En fait, il faut nous replonger dans le
contexte de ceux qui ont écrit ces lignes. Nous sommes vers les années 80 de
notre ère. Une guerre terrible a détruit la civilisation juive. Plus de Temple
a Jérusalem et les survivants ont quitté le pays. C’est sur ce fond de
désespoir que commence à apparaître, un peu partout dans l’empire une rivalité
naissante entre juifs et chrétiens. C’est sur cette toile de fond désespérante
que l’Évangéliste Luc rapporte cette histoire charmante qui fait état d’un choc
terrible entre deux civilisations dont
l’une est issue de l’autre. Que
se passera-t-il ? Si nous, nous savons la réponse, les auteurs de l’Évangile ne la savent pas encore. Mais nous avons là comme un plaidoyer pour
que ça se passe bien. Voici les éléments du récit :
Marie part vers les montagnes en portant en
son sein l’enfant qui donnera du sens à tout ce qui va advenir. La montagne,
n’est pas un lieu géographique, mais elle représente le lieu où a été forgée la
tradition biblique. Elle rappelle ces moments célèbres entre tous, quand Moïse
reçut les tables de la Loi et où les promesses de Dieu ont été formulées et couchées
par écrit. Élisabeth qui porte en
elle Jean Baptiste, ce fils de prêtre,
représente tout ce passé prestigieux et indique que l’avenir ne pourra se faire
sans lui ni la tradition qu’il représente. La salutation de Marie à Élisabeth évoque
la continuité entre ces deux traditions. La nouvelles ne pourra porter de
fruits véritables que si l’ancienne perdure en elle.
L’approbation de Dieu à ce projet se
manifeste par le superbe cantique placé ici dans le bouche de
Marie. Le « Magnificat » prend
alors tout son sens dans l’actualité de l’époque+ Alors que les empereurs continuent à opprimer
la Palestine, le cantique de Marie annonce la chute de ces tyrans qu’il faudra attendre longtemps, mais
qui viendra. En sera-t-il de même pour
la réalisation de l’union entre les deux traditions ? Marie quant à elle a établi un pont entre elles
si bien que les promesses faites jadis
par les prophètes se réaliseront un jour, car Dieu reste fidèle et les
prophéties annoncées jadis en son nom se
réaliseront demain. Tel est le message que Luc nous
donne aujourd’hui. Il l’a assumé dans un contexte de violence inouïe et
il a nourri l’espérance de ceux qui l’ont reçu, mais il ne savait pas encore
que les deux traditions se déchireraient avant de chercher à s’entendre comme
cela se réalise de nos jours bien longtemps après.
Si nous traversons aujourd’hui des temps bien rudes, et si pour beaucoup l’espérance ne porte plus leur foi, il faut d’abord qu’ils
méditent sur la fidélité de Dieu et son désir d’aider les hommes à construire
une humanité heureuse. A l’époque de Luc, qui était encore plus
troublée que la nôtre, l’espérance a porté la foi de bien des croyants qui
durent attendre longtemps, mais avec
fidélité, la réalisation des promesses. En fait, ce n’est pas Dieu qui crée les temps
difficiles, mais c’est lui et lui seul qui met en nous la persévérance par
laquelle nous surmontons les obstacles.
L’espérance qui nous anime désormais consiste
à savoir que Dieu fait confiance aux hommes qui agissent, pour que la vie qu’il
leur donne, triomphe de tout ce qui lui
fait obstacle.
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