Amos 7 :12-15 :
12 Amacya dit alors à
Amos : « Va-t’en, voyant ; sauve-toi au pays de Juda : là-bas,
tu peux gagner ton pain et prophétiser, là-bas !
13 Mais à Béthel, ne
recommence pas à prophétiser, car c’est ici le sanctuaire du roi, le temple
royal ! »
14 Amos répondit à
Amacya : « Je n’étais pas prophète, je n’étais pas fils de prophète,
j’étais bouvier, je traitais les sycomores ;
15 mais le SEIGNEUR m’a
pris de derrière le bétail et le SEIGNEUR m’a dit : Va ! prophétise à
Israël mon peuple.
Va prêcher ailleurs ! C’est en ces termes
qu’Amos est prié de quitter le Royaume du Nord et d’aller exercer son talent de
prophète dans celui du Sud. Ce n’est pas une simple boutade destinée à se débarrasser d’un prédicateur gênant, cela
implique un principe théologique que nous allons essayer de
découvrir.
Mais en quoi ce bouvier et ce planteur de
sycomores peut-il nous intéresser ?
Il vivait dans le Nord au pays d’Israël, dans un
état qui à l’origine formait un seul royaume,
et que les aléas de l’histoire avaient
divisé en deux états, parfois rivaux, parfois associés. Il y a là quelques
ressemblances avec des réalités d’aujourd’hui.
Que l’état du Nord, Israël intrigue avec son puissant voisin la Syrie, au mépris de son petit rival du Sud, n’a que
peu d’intérêt pour nous. Celui du Nord, à force de compromis mal gérés finira
par être anéanti par son puissant rival, quant à la partie Sud du pays, Juda,
trop faible pour le moment, elle échappera pour un temps à la catastrophe qui anéantit le Nord. Devenu
trop puisant à son tour, il disparaîtra deux siècles après dans la tourmente et
grâce à cet exil forcé, les victimes de ce nouvel Exode, séparées de leur terre
d’origine rédigeront leurs souvenirs, ce qui produira notre Bible, comme quoi
ce récit n’est pas sans intérêt.
Qu’est-ce qui provoqua ce désastre ? On en trouve les raisons
dans les oracles des prophètes, dont Amos ici présent. Une première
approche consiste à dire que c’est à cause de leur manque de
piété que Dieu les a punis en se servant
des armées païennes pour ramener son
peuple dans le droit chemin. La méthode parait un peu radicale. Une telle
explication laisse entendre que
Dieu aurait usé de son pouvoir discrétionnaire de « souverain tout
puissant » pour corriger les mauvais comportements de ceux qui estimaient
être son peuple.
Mais il y a peut-être une lecture plus subtile
à laquelle nous allons nous attacher.
Notre conducteur de bœufs était originaire du
Sud, mais pour des raisons qui nous échappent il vivait dans le Nord. S’il s’était engagé dans la politique de son temps,
il était aussi travaillé par les incidences qu’elle pouvait avoir sur la foi.
Il n’était donc pas adepte d’une stricte séparation du politique et du
religieux. Il reprochait à ses
contemporains de ne pas tenir compte des
impératifs de la foi pour orienter la politique du pays qui se trouvait livré
aux mains des plus fortunés qui
laissaient le prolétariat dans la misère.
Ce n’était pas très original. Le respect de la
veuve et de l’orphelin, le partage avec le prochain, très peu pour eux ! C’étaient
pourtant des impératifs de la loi de Moïse ! Cependant, s’il était d’usage
de respecter la religion, il était mal venu de s’en servir pour critiquer les
dirigeants.
On considérait que le fondement de la religion
était basé sur le culte, le respect des rites, l’organisation des processions et des
sacrifices. Pourtant quand le désastre de la défaite dans le conflit avec la
Syrie se produira on le justifiera comme étant l’expression du jugement de Dieu
qui n’aurait pas été satisfait de la
pratique du culte. En fait, ce n’est pas la pratique du culte qu’Amos dénonçait
c’est le comportement moral de ses concitoyens. Et c’est ce comportement
qu’il dénoncera comme la cause du
désastre. En fait, il considérait que la politique de corruption menée par les
dirigeants en était la cause. Il ne s’était pas gêné pour traiter les bourgeoises de Samarie de grosses vaches. Il
disait aux dirigeants qu’en ignorant le
petit peuple, ils pratiquaient une mauvaise politique et attiraient sur eux les foudres du Seigneur.
C’est là que le texte nous lance un défi : « Va prêcher
ailleurs, était-il enjoint à Amos,
par le ministre des cultes». Il
semblerait donc que ce puissant personnage ne contestait pas ses accusations.
Il disait simplement que ses sermons n’étaient pas pour eux. « Va donc
prêcher chez les gens du Sud », semblait-il lui dire, comme si Dieu avait
établi au Nord un Royaume de privilégiés dont le bon droit était de profiter
des bienfaits de la vie et qu’il avait réservé le Sud à une autre catégorie de
citoyens.
Selon cette théologie, que j’appellerai la théologie
du « bon droit », il relevait de la volonté de Dieu qu’il y ait une différence entre les humains. Je me demande si
une telle théologie n’effleurerait pas encore
aujourd’hui les conceptions de certains ? Face à une telle position,
le discours d’Amos parlait de justice, d’égalité et d’espérance.
Il laissait entendre, par ailleurs que l’absence de respect de ces vertus aurait
le désastre pour conséquence.
Dieu aurait-il une double attitude en fonction
des humains qui se réclament de lui ? Serait-il un Dieu partial ? Une
telle image de Dieu était conforme à l’idée d’un Dieu national telle qu’elle
était en vigueur dans la plupart des pays à cette époque. Mais les prophètes tels
Amos étaient déjà en train de révéler
une autre image de Dieu.
Pour justifier une telle théorie d’un Dieu
attaché à la sauvegarde de la nation, et pour que la situation subsiste, on lui offrait un culte très respectueux dans
les sanctuaires nombreux du royaume du Nord. En commentant ces belles
liturgies, Amos faisait entendre une autre voix qui révélait un autre aspect de Dieu. (ch
5/v. 22ss) :
-
Quand
vous me présentez des holocaustes et des offrandes, je n’y prends aucun plaisir. Vos sacrifices de communion, je ne les
regarde pas, Eloigne de moi le bruit de tes cantiques, je n’écoute pas le son
de te luths…
Sans
doute ces paroles étaient-elles plus ou moins bien reçues, mais on considérait qu’elles n’étaient pas pour eux. C’est pourquoi on le priait d’aller
dire ces choses ailleurs.
Certes, quand on lit ces textes un peu vite
sans les approfondir on retient l’image
d’un Dieu qui punit son peuple pour lui avoir rendu un culte sans conviction.
Mais le problème n’était sans doute pas là, le Dieu dont Amos voulait être le
témoin était un Dieu qui ne faisait pas
de distinction entre les humains et qui ne mettait pas sa puissance au service
d’une catégorie d’individus. Il se voulait au service de l’humanité sans
distinction. Déjà à l’époque reculée de
l’histoire d’Israël à l’époque des deux royaumes, cette idée de l’universalité
de Dieu était-elle en train de prendre sa place dans les principes essentiels
de la foi. C’est aujourd’hui ce principe connu sous les termes de « aime ton prochain comme toi-même »
qui est l’impératif phare de notre foi
et que les hommes ont encore tant de mal à respecter.
Ce principe a même dépassé les frontières de la
religion, il est devenu une revendication de l’humanité
et relève aujourd’hui du principe
au nom duquel se réclament les droits de l’homme que l’on cherche continuellement à contourner.
Comme quoi, dans le monde laïc où nous
prétendons vivre, c’est quand même Dieu qui impose sa loi.
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