13 A cette nouvelle, Jésus prit un bateau pour se retirer à l'écart, dans un
lieu désert ; les foules l'apprirent, quittèrent les villes et le
suivirent à pied. 14 Quand il descendit du bateau, il vit une grande foule, et
il en fut ému ; il guérit leurs malades.
15 Le soir venu, les disciples vinrent lui dire :
Ce lieu est désert, et l'heure est déjà avancée ; renvoie les foules, pour
qu'elles aillent s'acheter des vivres dans les villages. 16 Mais Jésus leur
dit : Elles n'ont pas besoin de s'en aller ; donnez-leur vous-mêmes à
manger. 17 Ils lui disent : Nous n'avons ici que cinq pains et deux
poissons. 18 Et il dit : Apportez-les-moi ici. 19 Il ordonna aux foules de
s'installer sur l'herbe, prit les cinq pains et les deux poissons, leva les
yeux vers le ciel et prononça la bénédiction. Puis il rompit les pains et les
donna aux disciples, et les disciples en donnèrent aux foules. 20 Tous mangèrent
et furent rassasiés, et on emporta douze paniers pleins des morceaux qui
restaient. 21 Ceux qui avaient mangé étaient environ cinq mille hommes, sans
compter les femmes et les enfants.
On rêverait bien volontiers de voir sa vie se dérouler
paisiblement comme une promenade en bateau sur un lac tranquille avec Jésus aux
commandes du navire. C’est sans doute cette impression de quiétude que nous
souhaiterions retenir en lisant ce texte pour la première fois et nous
aimerions partager ce sentiment que ressentent sans doute les amis de Jésus qui
ont embarqué avec lui ce jour là pour l’accompagner vers un lieu désert afin de
fuir ce monde qui ne leur apporte que déboires et chagrins. Ce voyage en bateau
a été apparemment organisé par Jésus qui a été affecté par l’annonce de
l’exécution de Jean Baptiste dont il vient d’apprendre la nouvelle.
En fait ce serait faire une erreur que d’apprécier la
situation de cette façon. Jésus ne semble tenir aucun compte de la présence de
ceux qui ont embarqué avec lui et ne fait état d’aucun sentiment particulier.
C’est seulement la logique du texte qui nous pousse à conclure qu’ils sont avec
lui sur le bateau, puisqu’ils seront avec lui dans la scène suivante. Ce n’est
pas pour fuir la réalité du monde qu’il les a entraînés avec lui, mais c’est
pour faire face à la situation telle qu’elle se présente.
Sans doute telle n’était pas la pensée des disciples
de Jésus auxquels nous pourrions prêter nos propres pensées si nous étions dans
leur situation. En effet, la crainte nous pousserait sans doute à nous tenir à
l’écart pour laisser passer l’orage. Il y a fort à penser que s’ils ont
embarqué sur le lac, c’est qu’ils espéraient mettre de la distance entre le roi
qui a tué Jean Baptiste et eux. Ils espéraient ainsi passer de l’autre côté de
la frontière sur une terre étrangère plus hospitalière.
Nous leur prêtons volontiers les sentiments de tant de
croyants qui estiment que la fidélité à la foi les pousse à vivre à l’écart des
remous du monde et de construire avec Jésus les bases d’une société nouvelle en
attendant la venue du Royaume à l’abri de toutes les tentations.
Nous ne croyons pas si bien dire, car c’est justement
quand nous nous croyons à l’abri des tentations que celles-ci surgissent sous
nos pas, sans que nous en soyons conscients. Jésus quant à lui a mis ses
disciples en garde, sans qu’ils s’en aperçoivent. Ils se rendent avec lui dans
un lieu désert, est-il dit. Mais le désert s’il apparaît comme un refuge est
aussi un lieu redoutable où la tentation prend tous les aspects. N’oubliez pas
que c’est quand il se réfugia au désert que Jésus fut le plus cruellement
tenté. Ils sont donc avertis, même s’ils n’en sont pas conscients que s’ils se
dirigent avec lui vers un lieu désert, ce n’est pas pour y être en sécurité,
mais c’est pour faire face aux épreuves qui les y attendent.
La première tentation n’est-elle pas de vouloir fuir
loin des hommes pour se mettre en sécurité ? Elle est dans le fait de croire
que c’est la présence des autres qui nous met en danger, alors que les autres,
dans ces temps troublés sont aussi en danger que nous-mêmes. On ne saurait si
bien dire. A peine ont-ils mis le pied à terre que les autres sont là. Ils sont
là avec leurs problèmes et leurs nécessités. Des hommes et des femmes de toute
condition. Ils les ont devancés en marchant à pied.
Alors que les amis de Jésus pensaient fuir les
turpitudes d’un monde qu’ils croyaient dangereux pour eux, c’est ce monde qui
vient vers eux. Si Jésus les a entrainés sur les eaux du lac, c’est peut être
pour s’écarter du tyran sanguinaire qui menaçait leur vie, mais ce n’était pas
pour les mettre à l’écart des problèmes des hommes qui les ont rejoints.
La situation prend alors pour eux un aspect
provoquant. C’est alors qu’ils se croyaient confortablement en train de fuir
leurs problèmes en compagnie de leur Seigneur, que les autres arrivent avec
leurs propres problèmes, à pied par monts et par vaux. Les disciples étaient
confortablement installés sur l’esquif qui glissait dans le clapotement des
vagues, poussé par le vent doux qui soufflait dans les voiles alors que les
autres, la foule, suaient sang et eaux vers la même destination. Ils étaient
privilégiés et ne le savaient pas.
Avant d’aller plus loin, force nous est donnée de
constater que parfois, alors que l’on se croit brimé par les événements, on se
trouve en fait dans une situation de favorisé. Les amis de Jésus devront
méditer cet état de fait dans les moments qui vont suivre. La situation va
devenir provocante pour eux comme pour nous. Tant qu’ils se considéreront comme
victimes des événements, ils resteront incapables de répondre à ce pour quoi le
Seigneur les interpelle, et nous avec !
La foule est là, à leur descente de bateau. C’est
Jésus qu’ils cherchent : « et puisque c’est lui qu’ils cherchent,
qu’il s’en occupe », doivent-ils penser non sans dérision! C’est bien ce
que fait Jésus, il s’occupe de tous ceux dont personne ne se soucie. Il prend
soin de leurs problèmes, il guérit ceux qui sont malades, il console leurs âmes
en tourments, il leur enseigne les chemins à suivre pour rejoindre Dieu. Il ne
tient pas compte de la présence de ses disciples dont on sait bien qu’ils sont
là, et dont on sait aussi l’inutilité. Rappelons-nous que les croyants que nous
sommes sont sensés faire cause commune avec les disciples. Nous sommes dans
leur rôle qui anticipe celui de l’Eglise.
Ce récit nous donne la description d’un monde où Dieu,
par les mains de Jésus transformerait les situations de détresses en situation
d’espérance. C’est lui qui fait tout. Ses amis ne font rien. Voila une description
qui pourrait bien représenter la société d’aujourd’hui dans l’idéal qu’elle se
propose d’atteindre.. Dieu y ferait son travail de mise en ordre du monde sans
que nous, l’Eglise, n’ayons à nous en mêler. Les malades seraient soignés, les
foules seraient enseignées et guéries. Les disciples, c’est-à-dire l’Eglise,
serait mise à l’écart du monde, n’interviendrait pas dans les affaires et se
contenterait de prier en laissant faire.
En revenant à notre récit, nous constatons que les
disciples se rendent compte du fait qu’ils sont tenus à l’écart, c’est pourquoi
ils interviennent. Ils remarquent qu’il se fait tard et que le lieu est désert.
Ils ont bien vu. Le désert est le lieu de toutes les tentations. Les
difficultés auxquelles ces pauvres gens vont se trouver confrontés vont surgir.
La question du gîte et du couvert va se poser.
« Qu’ils aillent ailleurs se faire prendre en
charge par d’autres plus capables que nous » disent-ils à Jésus ! Ils
considèrent qu’il est de leur responsabilité de les éloigner, pas de s’occuper
d’eux.
Le désert, lieu de tentation, est d’abord le lieu de
tentation pour eux.
-« Puisque vous avez de bonnes idées, semble leur dire
Jésus, mettez-les en pratique, nourrissez les vous-mêmes ! »
- « Nous n’en avons pas les moyens leur
répondent-ils. Tu nous demandes l’impossible ».
Comme ses disciples, ce sont aujourd’hui les croyants
qui dans ce monde se déclarent incompétents. Pourtant, nous sommes invités à
agir, alors que nous nous sentons inutiles dans un monde qui ne semble plus
avoir besoin de nous. Le seul rôle que nous nous reconnaissons, c’est celui
dire aux autres ce qu’il faut faire et de jouer les Cassandre en les
culpabilisant par notre discours selon lequel les choses iraient mieux si on
nous avait écoutés.
Par cette histoire, Jésus nous montre que c’est quand
la situation devient difficile, voire impossible que nous avons quelque chose à
faire pour les hommes. Jésus nous donne ici une leçon de savoir faire en
opérant ce que nos Bibles appellent « le miracle de la multiplication des
pains. » Mais est-ce vraiment un miracle ? Certes tout le monde mange, mais que
fait réellement Jésus ?
Il fait simplement les gestes du partage. Il utilise
ce qu’il a : 5 pains et 2 poissons. Ce n’est pas grand-chose, voire même
dérisoire. Ensuite nous ne voyons que les effets de son geste. La seule chose
que l’on sache c’est que Jésus réussit à faire ce qu’il devait faire avec ce
qui était à sa disposition, autant dire rien. Ainsi, même si nous avons peu,
cela ne nous dispense pas d’entreprendre, la foi fera le reste.
Il adresse ce message aux croyants en les invitant à
ne pas considérer leur faiblesse, leur manque d’argent, leur petit nombre pour
justifier leur inaction. Le miracle ne relève pas du prodige, mais de notre
capacité à entreprendre avec foi. Ce qui est nous est demandé c’est de donner
de l’espérance. Et pour ça seule la foi peut y arriver.
Illustrations Lambert LOMBARD
Illustrations Lambert LOMBARD
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