9Comme le Père m'a aimé, moi aussi, je vous ai aimés. Demeurez
dans mon amour. 10Si vous gardez mes commandements, vous demeurerez dans mon
amour, comme moi j'ai gardé les commandements de mon Père et je demeure dans
son amour.
11Je vous ai parlé ainsi pour que ma joie soit en vous et que
votre joie soit complète.
12Voici mon commandement : que vous vous aimiez les uns les
autres comme je vous ai aimés. 13Personne n'a de plus grand amour que celui qui se défait de sa
vie pour ses amis. 14Vous, vous êtes mes amis si vous faites ce que, moi, je vous
commande. 15Je ne vous appelle plus esclaves, parce que l'esclave ne sait
pas ce que fait son maître. Je vous ai appelés amis, parce que je vous ai fait
connaître tout ce que j'ai entendu de mon Père. 16Ce n'est pas vous qui
m'avez choisi, c'est moi qui vous ai choisis et institués pour que, vous, vous
alliez, que vous portiez du fruit et que votre fruit demeure ; afin que le
Père vous donne tout ce que vous lui demanderez en mon nom.
17Ce que je vous commande, c'est que vous vous aimiez les uns les
autres.
Les
événements liés aux massacres des chrétiens en Orient et en Afrique donnent un
caractère particulier à cette injonction de Jésus. Comment aborder le problème sans avoir l’impression de
trahir nos frères ? Nous allons cependant essayer de l’aborder sans perdre
de vue la question cuisante qui nous est posée par l’actualité. Mais Jésus en affirmant ces impératifs sur l’amour
se situait dans le contexte de la « communauté chrétienne » et non dans
celui des persécutions, bien qu’au moment de la rédaction de cet évangile des
Chrétiens avaient déjà eu à souffrir dans leur corps pour leur foi.
-
Peut-on aimer si on n'éprouve aucun sentiment pour l'autre?
-
Ne pas répondre à la violence de celui qui vous humilie est-ce de
l’amour ?
Si
on répond par l'affirmative à ces deux questions n'éprouvera-t-on pas une
profonde frustration? Peut-on alors trouver une satisfaction dans la
frustration ? Derrière ces quelques remarques se cachent bien
évidemment toutes les questions que nous formulons quand l’Évangile nous
propose de trouver notre bonheur dans des attitudes que nous
pourrions qualifier de vexatoires ou d’aliénantes. "Heureux serez-vous
quand on vous outragera, aimez vos ennemis, priez pour ceux qui
persécutent. » Voila des textes, tant de fois cités qui
permettent au nom d’un idéal évangélique mal compris, de justifier des
situations parfois choquantes. Comment réagir quand nos frères tombent sous les
armes de ceux qui ont décidé de leur perte ?
Il
paraît tout à fait évident et conforme à notre nature humaine de
considérer que le but de notre vie est d’être heureux, c'est pourquoi chacun
cherche à sa manière le secret du bonheur. Nous pensons qu’il réside dans
l’accomplissement de nos dons et de nos désirs. Nous cherchons dans le
dépassement de nous-mêmes à réaliser ce qui nous motive le plus et nous pensons
ainsi atteindre le bonheur. Mais l’être humain est un puits sans fond. Il
n’arrive jamais au terme de ses désirs et en demande toujours plus.
Pourtant la plupart d'entre-nous considèrent que l’expression d’une
sagesse raisonnable consiste, faute d’avoir vraiment trouvé le bonheur, à
se contenter de ce qu'on a et de s'en accommoder comme un succédané du bonheur.
Il semble cependant que soit révolue l'époque où jadis les philosophes
invitaient chacun à trouver son bonheur dans la satisfaction de l’instant
qui passe et où les théologiens l’invitaient à accepter son sort comme un
don de Dieu.
Face
à ceux qui malgré tout restent satisfaits d’eux-mêmes, se dresse l’immense
groupe des insatisfaits et des malchanceux. Blessés par la vie avant de l’avoir
commencée, ou nés sous une mauvaise étoile, ils sont frustrés et ne trouvent
leur satisfaction qu'en exprimant leur révolte. Le mot d’ordre de ces dernières
années n’est-il pas de s’indigner ? La société où nous vivons attise ces
sentiments de frustration en accusant les autres d'être responsables
de notre mal-être.
C'est
sur ce point que Jésus nous provoque, il nous invite non seulement à découvrir
qui sont ces autres que nous accusons, mais à les aimer. Il ne s’agit cependant
pas de subir leurs sarcasmes et d’accepter d’être humiliés par eux, ou de ne pas nous révolter s’ils nous
persécutent, mais de chercher à avoir vis à vis d'eux une attitude telle
qu'ils seront amenés à se transformer. C'est ainsi que l'on plaira à
Dieu. Car selon lui, c'est dans notre bonne relation avec l'autre,
quel qu'il soit, que réside le secret du bonheur et on ne peut être heureux
sans plaire à Dieu. Mais comment arriver à ce renversement d'attitude
quand c'est l'indifférence, voire même l'hostilité qui préside à nos relations
avec les autres?
Il
est bien évident, qu’ici en Occident, on est mal venu pour donner des réponses
à ceux dont la vie est mise en danger à cause de leur foi. Mais nous allons
essayer de réfléchir à la question sans perdre de vue leur situation
douloureuse, tout en nous rappelant que Jésus nous interpelle dans nos
comportements communautaires. On ne peut
aimer sur commande. On ne peut pas aimer ceux pour qui nous n’avons aucune
attirance et l’injonction de Jésus qui nous pousse vers tous les autres nous
paraît suspecte et irréaliste. Quoi qu’il en soit nous savons bien que
notre désir de réussite personnelle ne nous apportera que des satisfactions fugitives
et égoïstes, si elles ne sont pas accompagnées par une grosse part
d’altruisme et d’intérêt pour les autres.
Jésus
en a fait un impératif. Il considère que nous ne pouvons pas faire autrement.
En fait, l’Écriture depuis les textes les plus anciens jusqu’aux plus
récents, nous introduit dans cette perspective qui est la règle de
conduite de Dieu. Même, si la violence semble être une constante dans la
Bible, et c’est ce qu’on lui reproche, elle nous présente cependant un Dieu
soucieux de l’avenir de l’homme. Il sauve Noé du déluge, il libère le peuple
hébreu esclave en Égypte. Il nous est suggéré que la motivation profonde
de Dieu résiderait dans le fait qu’il aime l’homme d’une manière parfois
incompréhensible puisqu’il ira même jusqu’à sauver Caïn coupable du
meurtre de son frère.
Si
l’être humain est fait à l’image de Dieu, comme il est dit, c’est qu’il y a en
lui la même capacité à aimer, même ce qui lui est hostile.
Cela fait partie de ses structures profondes. Il doit développer cette capacité
pour accomplir son destin. Mais l’homme a une faiblesse, c’est
le rapport qu’il entretient avec lui-même. Il s’ingénie à retourner toutes ses capacités vers lui-même et à les mettre au service de son propre ego.
le rapport qu’il entretient avec lui-même. Il s’ingénie à retourner toutes ses capacités vers lui-même et à les mettre au service de son propre ego.
C’est
ainsi qu’il exerce l’amour. Nous nous aimons nous mêmes en priorité et en
totalité avant de concevoir que nous sommes fait pour aimer les autres. Jésus
nous rappelle que nous sommes conçus pour aimer notre prochain, à égalité
avec nous-mêmes. Pourtant, ce n'est pas aussi évident. Quand nous croyons
aimer les autres, c’est souvent à nous que nous pensons en premier. "Je
ne peux pas vivre sans toi dit l’amoureux à sa bien aimée", en
s’exprimant ainsi, c’est à lui qu’il pense en priorité et non à elle.
Aimer ce n’est pas ne pas pouvoir se passer de l’être aimé, c’est vouloir
que l’être aimé soit heureux. C’est sur ce point qu’Eros rejoint Agapè et qu’Agapè
supplante Eros. Ainsi l'homme en quête d'amour doit commencer à lutter contre
lui-même. Il doit donner priorité aux autres, et à défaut de les aimer avoir de la considération pour eux.
Nous pouvons aussi penser que puisque Dieu nous pousse à le faire, il
nous en donnera la force et fera également jaillir en nous un sentiment que
nous ne croyons pas pouvoir éprouver. Imaginons alors ce que serait notre
société si cette attitude se généralisait ! C’est en envisageant une
telle perspective que Jésus parle alors de joie. Une telle attitude de la
part des hommes comblerait Dieu de joie et le remplirait de bonheur.
Il
est gratifiant pour nous de combler la joie de Dieu, mais à quoi cela nous
sert-il ? Si nous rendons Dieu heureux décidera-t-il alors de rendre le
monde différent et acceptable pour les hommes ? Le monde tirerait-il un
avantage quelconque à participer au bonheur de Dieu ? Autrement
dit si le genre humain se mettait à obéir à sa nature profonde et
se mettait à aimer ses semblables d’une autre manière que ce que nous
faisons habituellement, Dieu changerait-il d'attitude vis à vis du
monde et créerait-il une société paradisiaque? Non. Les hommes n’ont aucun
pouvoir sur Dieu, et encore moins celui de le changer. Mais la bonne réponse
n'est pas vraiment là.
La
bonne réponse réside dans le constat que le seul fait de rendre
Dieu heureux suffit à lui seul à changer les hommes en provoquant
un immense bonheur dans leur cœur. Plus nous nous ouvrirons à notre
prochain, plus Dieu sera heureux et plus heureux serons-nous à notre tour. Mais
cet amour ne peut se réaliser que dans la liberté de
chacun. L’Église n'a pas à convaincre les hommes de la nécessité d'aimer, mais
elle doit être un lieu de liberté où l'amour trouvera ses droits. Et ce n'est
toujours pas le cas. Il est cependant réconfortant de réaliser que nous
sommes conçus avec une capacité à aimer et que nous avons possibilité de le
faire sous réserve que les conditions
dans lesquelles nous vivons nous le
permettent.
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