1 Après cela, Jésus s'en alla sur l'autre rive de la mer de Galilée, la mer
de Tibériade. 2 Une grande foule le suivait, parce qu'elle voyait les signes
qu'il produisait sur les malades. 3 Jésus monta sur la montagne ; là, il
s'assit avec ses disciples. 4 Or la Pâque, la fête des Juifs, était proche. 5
Jésus leva les yeux et vit qu'une grande foule venait à lui ; il dit à Philippe
: Où achèterons-nous des pains pour que ces gens aient à manger ? 6 Il disait
cela pour le mettre à l'épreuve, car il savait, lui, ce qu'il allait faire. 7
Philippe lui répondit : Deux cents deniers de pains ne suffiraient pas pour que
chacun en reçoive un peu. 8 Un de ses disciples, André, frère de Simon Pierre,
lui dit : 9 Il y a ici un jeune garçon qui a cinq pains d'orge et deux poissons
; mais qu'est-ce que cela pour tant de gens ? 10 Jésus dit : Faites installer
ces gens. — Il y avait beaucoup d'herbe en ce lieu. — Ils s'installèrent donc,
au nombre d'environ cinq mille hommes. 11 Jésus prit les pains, rendit grâce et
les distribua à ceux qui étaient là ; il fit de même pour les poissons, autant
qu'ils en voulurent. 12 Lorsqu'ils furent rassasiés, il dit à ses disciples :
Ramassez les morceaux qui restent, pour que rien ne se perde. 13 Ils les
ramassèrent donc ; ils remplirent douze paniers avec les morceaux des cinq
pains d'orge qui restaient à ceux qui avaient mangé. 14 A la vue du signe qu'il
avait produit, les gens disaient : C'est vraiment lui, le Prophète qui vient
dans le monde. 15 Jésus, sachant qu'ils allaient venir s'emparer de lui pour le
faire roi, se retira de nouveau sur la montagne, seul.
Reprise du sermon publié le 26 juillet 2009
Nombreuses sont les religions qui invitent leurs adeptes à participer à un
banquet à la fin des temps. Ceux qui auront le privilège d’y participer partageront
avec la divinité les mets les plus raffinés. Mais avant d’entrer dans la salle
du banquet, il faudra pour chacun franchir avec succès les dures étapes que la
vie leur réserve avant d’avoir le droit de figurer au nombre des invités. La
vie terrestre est ainsi conçue par elles comme un parcours qu’il faut
accomplir pour entrer dans la béatitude éternelle.
Jésus, ne semble pas avoir échappé à la règle. Cependant à la différence
des religions animistes Jésus ne conçoit pas l’existence terrestre comme
un parcours initiatique. Au contraire, pour lui, c’est Dieu qui vient à la
rencontre des hommes. Il participe avec eux à la longue marche de leur
existence. Il se propose de les assister pour qu’ils surmontent leurs angoisses
et maîtrisent les obstacles que la maladie, la faim et les oppressions dressent
devant leurs pas. C’est ce qui se répète régulièrement depuis que sous la
conduite de Moïse il a organisé la fuite hors d’Égypte du peuple des
Hébreux.
Notre existence est ainsi remplie de moments où nous devons apprendre à
voir Dieu agir en notre faveur. Jésus nous promet alors qu’au terme de
notre vie, l’action libératrice de Dieu ne nous fera pas défaut. Il a raconté
cette action de Dieu dans plusieurs paraboles qu’il
situe dans des banquets et même dans des banquets de noce signifiant la fin
heureuse qui nous est réservée.
Jésus a participé à de nombreux repas au cours desquels il n’a pas manqué
de donner un enseignement sur la fin des temps. Dans l’épisode de la
multiplication des pains, il apporte un élément supplémentaire. Il établit un
lien entre le repas ordinaire de tous les jours qui est une nécessité de la vie
avec le repas mythique de la fin des temps. Tout cela évidemment ne prend
vraiment de sens que si on se souvient qu’au dernier soir de sa vie il partagea
le pain qui devint pour ses apôtres un don de vie et signifia pour eux
l’invitation qui leur était faite d’entrer dans le Royaume.
Contrairement au banquet final que les peuples celtes, partageaient avec le
Dieu Odin qui les récompensait en buvant avec eux de la cervoise tiède dans le
crane de leurs ennemis, Jésus n’attend pas la fin de la vie des hommes pour
leur signifier la réalité de leur salut. Ce salut devient effectif dans la vie
même des participants. Il les nourrit alors qu’ils ne demandent rien et il leur
apporte le salut sans, qu’ils ne s’en soient rendus
dignes. Jésus transforme le mythe en réalité. Il rend le salut présent sans
tenir compte des péchés et ceux qui participent à l’événement n’ont pas besoin
d’attendre leur mort, pour savoir que Dieu les aime.
C’est là le premier enseignement qu’il faut tirer de cet épisode : le salut n’est pas le résultat d’une longue pratique, il n’est pas la récompense d’une vie méritoire. Il est à l’évidence la conséquence de la présence de Jésus parmi les hommes. La présence de Jésus, à elle seule suffit, à nous assurer que Dieu a prévu l’éternité pour que les hommes s’y accomplissent. Ainsi Dieu s’installe pour toujours dans notre vie.
Cet épisode de la multiplication des pains en est un signe tellement
significatif qu’il sera rapporté 5 fois dans les Évangiles. Jésus en confirmera
la portée un peu plus tard, lors du repas de Pâques qu’il partagera au soir de
sa vie avec les siens. Ce repas final sera compris comme le don total de
sa vie à la cause des hommes.
Mais si tel est l’enseignement de Jésus, on ne peut s’empêcher de lui opposer tous les démentis que l’histoire des hommes nous a fait connaître. On a vu trop de peuples laminés par la disette et la famine. On a vu trop d’humains mourir de faim ou de maladie sans qu’aucun miracle ne vienne les secourir malgré leurs prières incessantes. L’apparente surdité de Dieu aux détresses humaines laisse Jésus mourir avec nos illusions. Pourquoi le Seigneur n’a-t-il donné qu’une seule fois ce signe et ne l’a-t-il pas répété à l’infini? Ainsi on aurait pu dire qu’il avait réellement changé le monde?
En fait, rien n’a changé. Le monde reste désespérément mauvais. Pourtant
cela n’empêche pas Jésus de nous affirmer que l’éternité
de Dieu nous appartient. C’est à partir de cette certitude qu’il recrute des
hommes et des femmes de bonne volonté pour que sous son impulsion et à son
instigation ils se mettent à leur tour à transformer le monde et à le faire
évoluer pour que les promesses du Christ annonçant un changement radical se
réalisent. Le but de Jésus est donc que nous organisions nous-mêmes, à l
échelle de la planète le partage initié ce jour là.
L’Écriture n’a jamais caché que l’humanité avait été mise à part par Dieu
pour organiser le monde afin qu’il reste (ou qu’il devienne) un paradis.
Ce paradis est présenté comme un projet formulé par Dieu à l’origine et que le
péché des hommes s’évertue à faire échouer. La crise mondiale qui s’aggrave
montre que les hommes continuent par leur égoïsme à détruire le projet divin.
Les pays nantis réduisent aujourd’hui leur participation au développement.
Notre pays pour ce qui le concerne a baissé sa participation de 0,7% à 0,39%
contribuant ainsi à plonger les pays les plus pauvres dans une détresse qui
grandit davantage alors qu’ils ne sont responsables, ni de la crise financière,
ni des émissions de gaz à effet de serre qui demain les rendra encore
plus vulnérables.
C’est dans ce contexte qu’il faut recevoir le récit de la multiplication
des pains. Il nous ramène dans le droit fil du projet divin. Les participants à
ce repas partagent tous les maigres provisions qui passent par les mains de
Jésus. Ils sont tous rassasiés. Nous ne voyons personne en train de faire
bombance en tirant de son propre panier des suppléments de victuailles. Nous ne
voyons pas non plus, les gros bras faire usage de leur puissance physique
pour accaparer plus de nourriture que nécessaire et faire des provisions pour
les négocier plus tard. La nécessité que Jésus leur impose de partager
collectivement les modestes vivres qu’il leur offre montre clairement que quand
ça se passe mal, c’est le péché qui est à l’œuvre et qu’il empêche la
vie des hommes d’évoluer harmonieusement.
Sans le péché qui fausse tout, les hommes deviendraient
capables de remplir leur vocation d’hommes, c’est à dire qu’ils seraient
capables de gérer le monde tel que Dieu l’avait prévu. Or Jésus ne
cesse de dire que le péché a été détruit par Dieu. Il
laisse donc miroiter la possibilité que le monde pourrait évoluer
autrement qu’il ne le fait.
Mais apparemment, ça ne marche pas et le monde où nous sommes semble courir
inéluctablement vers sa perte. Beaucoup de croyants qui ne supportent pas
l’accroissement des injustices auxquelles il serait possible de
remédier, se réfugient dans l’attente d’une intervention de Dieu qui détruirait
le monde des incrédules et donnerait aux fidèles l’éternité promise.
Ils n’ont pas tort, mais ils s’arrêtent à mi-chemin. Ils attendent au lieu
d’agir. C’est bien souvent l’attitude qui est également celle de leurs églises.
Elles ont prêché le salut, elles ont enseigné aux hommes la morale pour s’y
maintenir. Mais elles aussi se sont arrêtées là en attendant que Dieu
fasse le reste, elles ont figé l’histoire du salut dans l’événement de la
conversion de chacun. Elles réactualisent continuellement
cet événement dans les sacrements qu’elles pratiquent fidèlement, mais elles
semblent ignorer l’étape suivante. Elles la rejettent dans le camp de Dieu.
Pourtant Dieu compte sur elles pour
réaliser cette dernière étape.
Il s’agit maintenant du salut du monde dont nous sommes chargés par
vocation divine. Les hommes qui ont fait l’expérience du salut
dans leur foi sont maintenant appelés par Dieu à gérer le monde pour
qu’il devienne ce monde nouveau symbolisé par la multiplication des pains.
Il y a donc deux étapes dans l’histoire du salut. Il y a le salut individuel qui est une chose acquise. Il reste la deuxième étape, celle du salut du monde qui est confié de toute éternité aux hommes qui doivent inlassablement donner des signes d’espérance et de vie là où le péché tend à répandre la mort.
Le miracle de la multiplication des pains est porteur en lui de cette double espérance. L’espérance du salut de chacun que Jésus prend en charge et l’espérance du monde pour laquelle Jésus renvoie la balle dans notre camp. Pour cela nous devons apprendre à jouer dans la société des hommes avec les règles que Dieu nous a données dans l’Écriture.
Les illustrations sont de Laurent Lombard ( 1506-1566)
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