7Ayant appelé les Douze, il se mit à les envoyer deux à deux, en
leur donnant autorité sur les esprits impurs. 8Il leur enjoignit de ne
rien prendre pour la route, sinon un bâton seulement ; ni pain, ni sac, ni
monnaie de bronze à la ceinture, 9mais — disait-il —
chaussez-vous de sandales et ne mettez pas deux tuniques. 10Il leur disait
encore : Lorsque vous serez entrés dans une maison, demeurez-y jusqu'à ce
que vous quittiez l'endroit. 11Et si quelque part les
gens ne veulent pas vous accueillir ni vous écouter, en partant de là, secouez
la poussière de vos pieds ; ce sera pour eux un témoignage.
12Ils partirent et proclamèrent qu'il fallait changer
radicalement. 13Ils chassaient beaucoup de démons, faisaient des applications
d'huile à beaucoup de malades et les guérissaient.
Même
si les douze ne partent pas sur les chemins de randonnée de
Palestine pour un projet de vacances écologiques, le contexte y ressemble
cependant. Ils sont équipés au minimum et projettent un hébergement chez
l’habitant qui pourvoira à leur confort, non pas pour une nuit à l’étape, mais
pour toute la durée de leur séjour. Charge à leurs hôtes de reconnaître
en eux les porteurs de la parole de Dieu en échange de qui ils
pourront être exorcisés et soignés. En termes d’aujourd’hui le
projet semble bien irréel car en cas de refus d’hébergement, c’est la
nuit à la belle étoile. Pour corser la chose, Jésus leur a interdit le
kit de survie, et les tablettes de vitamines. Bien entendu, le contexte est
bien différent de celui d’aujourd’hui, il ne s’agit ni de vacances, ni de
pèlerinage écologique. Ils sont missionnaires, ils portent un message de Dieu
et à ce titre là, Jésus fait le pari qu’ils seront reconnus et reçus comme
tels.
C’est
dans cette simplicité que les auteurs des évangiles ont imaginé la première
mission du vivant même de Jésus. Pendant des siècles ceux qui ont eu à cœur de
diffuser la « bonne parole de l’Évangile » les ont imités.
C’est sur leurs traces qu’ont marché Pierre Valdo le fondateur des Vaudois, les
Cathares avant lui et aussi John Wesley, le fondateur du Méthodisme et au dix neuvième et vingtième siècle les
colporteurs bibliques.
Ils
étaient tous en pleine utopie, mais leur message a porté. Si on
suit le déroulement chronologique
de l’Evangile, dans l’épisode précédent Jésus a failli se faire
lyncher, et c’est en prévision des difficultés qui les attendent que Jésus leur
recommande de prendre un bâton, pour la marche bien entendu, car la route
sera longue et le soleil brûlant. Ils croiseront sans doutes des
chiens agressifs et peut être des détrousseurs de voyageurs. Malgré tout Jésus
est confiant et leur promet le gite et le couvert à l’étape.
C’est
bien ce dernier point qui nous pose question, car nulle part dans le monde il
n’y a d’hébergement sans contrepartie, ils n’ont pas d’argent avec eux,
alors avec quoi payer, car les gens qui vont les héberger ne sont pas
riches ? Quant à imaginer que les servantes du lieu vont se disputer le privilège
de prendre soin de leur tunique poussiéreuse et de leurs pieds endoloris, il ne
faut pas rêver ! Certes, ils ont pour mission de chasser les démons,
guérir les malades. Encore faut-il qu’il y ait des malades et des
possédés dans les lieux où ils s’arrêteront.
En
fait, si on en croit Jésus, le monde où il les envoie est un monde
idyllique où l’accueil du visiteur est rarement mis en cause,
le principe de l’hospitalité ne se discute pas, le respect de l’étranger est un
principe sacré. Dans l’Évangile un tel monde s’appelle le Royaume. Il est
prévu pour la fin des temps. Mais pour Jésus il semble déjà être une réalité.
Pourtant
si on fait attention au texte, on remarque que Jésus n’est pas dupe. C’est vers
des gens qui sont plus victimes qu’épanouis qu’il les
envoie, ils sont malades, possédés par les démons et les esprits
impurs. Jésus envoie ses amis vers un monde difficile et les
y prépare, mais il les place déjà dans le contexte du Royaume à venir. C’est le
dilemme dans lequel les églises s’efforcent encore aujourd’hui d’accomplir leur
mission : la réalité quotidienne d’une part et le
Royaume d’autre part.
Pierre Valvo
Bien entendu, quand on parle ici de démons et d’esprits impurs, il ne s’agit pas de gens qui seraient aux prises avec des manifestations diaboliques faut plutôt penser à des gens soumis aux vicissitudes du moment et à toutes les détresses qu’apportent la malnutrition, la pauvreté et le manque d’hygiène. Si on transpose leurs difficultés dans le monde d’aujourd’hui, on parlera de fins de mois difficiles, de la hantise de perdre son emploi, des factures qui arrivent au mauvais moment, du lave linge qui tombe en panne sans parler des difficultés d’élever des adolescents qui n’en font qu’à leur tête.
Le
chemin que suivent les apôtres est bien évidemment aussi le nôtre. Il
traverse les difficultés que nous venons d’énoncer, mais en même temps,
il nous fixe comme objectif la réalité du Royaume, ce monde nouveau où nous
serons guéris de toutes nos angoisses. Mais pour cela, l’Évangile doit
cesser d’être une promesse pour plus tard. Il doit et devenir une réalité dont on verra
les signes dès aujourd’hui dans les gestes d’altruisme des
hommes.
Nous
sommes donc amenés à vivre dans une double réalité : celle du monde
présent avec ses injustices et sa rigueur. Et le monde de demain où
pointe déjà comme une réalité promise. Le monde ancien est appelé à se modifier
par l’action des hommes et des femmes de bonne volonté qui traduisent par
leurs actions les signes d’espérances que Dieu leur suggère.
Même
si ce changement ne se produit qu’imperceptiblement, malgré tout, c’est
dans ce sens qu’il nous est demandé d’agir. Nous avons reçu de Dieu cette dose
d’espérance qui nous permet de voir à travers les rigueurs de la
vie quotidienne une autre réalité qui s’inscrit au plus profond de
nos vies.
Il
est évident que Jésus demande à ses apôtres d’inscrire leur mission dans un
monde qui n’existe pas encore, mais dont ils doivent annoncer les promesses.
S’il leur demande de faire comme si le gîte et le couvert les attendait à la
fin de l’étape, c’est qu’il y croit aussi. Il sait que la chose sera
parfois possible, car la parole qu’ils portent est une parole de Dieu et
leurs hôtes éventuels sont aussi capables qu’eux de reconnaître la
parole de Dieu qu’ils portent. Si les apôtres sont capables de porter la parole
de Dieu, Jésus sais aussi que des hommes sont déjà capables de la
discerner dans leurs propos.
Le
cœur humain semble être conçu de telle sorte qu’il est réceptif à la
parole de Dieu. C’est ainsi que Dieu conçoit l’évolution du monde, mais cela ne
marche pas à tous les coups, c’est pour quoi Jésus leur dit de ne pas
s’entêter en cas d’échec. Ils doivent aller plus loin, mais cela signifie pour
eux, pas de gîte, pas de couvert et la sensation désagréable de l’échec.
Cette sensation Jésus l’a déjà ressentie avant eux quand au
paragraphe précédent de ce même évangile on nous a raconté l’échec de son
discours à Nazareth.
Quoi
qu’il en soit, la réalité du monde est destinée par Dieu à évoluer et à
se perfectionner en vue du Royaume. Depuis l’origine des Ecritures il est dit
que Dieu s’ingénie à bousculer les structures du monde pour l’amener à une
réalité nouvelle qui le modifiera de fond en comble. Aujourd’hui encore, comme
depuis toujours, le monde n’obéit qu’à une seule règle : celle du pouvoir
du plus fort. « La raison du plus fort est toujours la meilleure »
dit le dicton et c’est cette raison qui gère le monde jusqu’à ce que Dieu
s’en mêle. Or il s’en mêle déjà.
Ainsi
le brin d’herbe est mangé par le lapin qui est à son tour mangé par le renard,
qui lu
i-même devient victime d’un prédateur plus fort que lui. C’est là une
règle immuable. Pourtant, un jour, une poignée d’esclaves, en se révoltant
contre leur oppresseur a compris que c’était Dieu qui avait inspirés leur
libérateur Moïse. C’est alors que tout a changé. Dieu a été perçu
comme celui qui casse la règle édictée plus haut et qui oriente le monde
en fonction de nouvelles règles centrées autour de l’altruisme. C’est ainsi
qu’il nous faut percevoir Dieu comme créateur.
Dieu
nous invite à le reconnaître dans tous les actes libérateurs que
les hommes commettent en son nom. C’est ainsi que le monde est en train de
changer et que l’humanité est en train d’accomplir la destiné que Dieu
lui promet. Pour y arriver, il faut que les hommes soient capables de
discerner le projet de Dieu pour le monde dans les actes de leurs semblables. Les
apôtres vont tester cette réalité en entreprenant cette expédition, deux par deux sur les routes de
Galilée. Malgré les échecs prévus, ils ont eu du succès, c’est ce que dit la
suite. A nous de les imiter dans les conditions particulières que nous vivons
dans notre société.
Viendra
alors le jour où Dieu sera reconnu comme le vainqueur de l’oppresseur
suprême : la mort. Déjà par la foi nous en discernons les effets que
nous voyons dans la douloureuse et injuste mort que fut celle de
Jésus. Toute action libératrice que nous menons, rend témoignage du fait
que le combat mené par Dieu contre le mal n’est pas forcément visible, et c’est
dans la mort de Jésus qu’il devient réalité.
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