(déjà publié en 2012)
30 Partis de là, ils traversaient la Galilée, et il ne voulait
pas qu'on le sache. 31 Car il instruisait ses disciples et leur disait :
Le Fils de l'homme est sur le point d'être livré aux humains ; ils le
tueront, et, trois jours après sa mort, il se relèvera. 32 Mais les disciples
ne comprenaient pas cette parole, et ils avaient peur de l'interroger.
33 Ils arrivèrent à Capharnaüm. Lorsqu'il fut à la maison, il se
mit à leur demander : A propos de quoi raisonniez-vous en chemin ? 34
Mais eux gardaient le silence, car, en chemin, ils avaient discuté pour savoir
qui était le plus grand. 35 Alors il s'assit, appela les Douze et leur
dit : Si quelqu'un veut être le premier, qu'il soit le dernier de tous et
le serviteur de tous. 36 Il prit un enfant, le plaça au milieu d'eux et, après
l'avoir pris dans ses bras, il leur dit : 37 Quiconque accueille en mon
nom un enfant, comme celui-ci, m'accueille moi-même ; et quiconque
m'accueille, ce n'est pas moi qu'il accueille, mais celui qui m'a envoyé.
Ce
ne sera une surprise pour personne si je dis que Jésus n’approuverait pas le
fonctionnement de notre société. Il la trouverait en parfaite
contradiction avec ce qu’il a essayé de nous inculquer dans son Évangile. Il
préconisait en effet de corriger les erreurs de ce monde en
favorisant les humains les moins chanceux dans notre société. C’est pour
cela qu’il s’est permis de faire des miracles afin de remettre parmi les
gens normaux ceux qui étaient devenus des marginaux, c’est pourquoi il a
guéri des malades qui n’avaient aucune chance de vivre normalement. Il
s’efforçait de redonner leur chance à ceux qui avaient été victimes
d’injustices. C’est ainsi qu’il rendit sa dignité à une femme prostituée et
qu’il permit à la femme adultère condamnée à mourir, de conserver la vie.
Le malade mental ainsi que le lépreux ont pu retrouver leur place
dans la société des humains. Voilà quelques exemples relevés dans l’Evangile
pour que nous comprenions que Jésus préconisait une société qui aurait
fonctionné à l’inverse de la nôtre.
Nous
avons cependant du mal à comprendre ce qu’il voulait nous dire quand il
prit un enfant dans ses bras et le proposa comme exemple de ce
qu’il fallait faire pour devenir grand dans notre monde. Nous avons d’autant
plus de mal à le comprendre, qu’aujourd’hui, les enfants sont au centre
des préoccupations de notre société. L’enfant est devenu roi dans un monde où
tout tourne autour de lui. Il est devenu le type même de consommateur que les
marques cherchent à séduire tant il a pris de l’importance pour orienter le
goût de ses propres parents.
Pourtant,
si l’enfant est roi dans les sociétés favorisées, il ne l’est pas dans
les sociétés défavorisées, si bien qu’à côté du monde des enfants rois,
il y a aussi le monde des enfants victimes. Dans les sociétés les plus
défavorisés, les enfants souffrent plus que les adultes de la soif, de la
faim et des maladies. On en fait même des soldats et des
prostitués, garçons et filles.
Il
nous fallait donc faire le point sur la situation de l’enfant dans nos sociétés
postmodernes pour comprendre l’attitude de Jésus. Il prend un enfant en
exemple pour montrer quel chemin on doit suivre si on veut devenir grand.
Dans le monde contemporain de Jésus, l’enfant n’avait pas un sort enviable.
Il était le plus souvent considéré comme une charge. Il était
avant tout une bouche de plus à nourrir. On le faisait travailler très tôt pour
un salaire inexistant, c’est ainsi qu’il fournissait une main d’œuvre peu
coûteuse dont on avait tendance à abuser. Victimes de la mauvaise
alimentation et de l’hygiène déficiente, beaucoup mouraient en bas âge. Sans
doute l’enfant, était-il aimé par ses parents, comme le sont tous les
enfants du monde, mais il n’était pas choyé comme aujourd’hui. Les chagrins que
causait la mortalité infantile poussaient les parents à ne pas trop s’attacher
aux tout petits dont beaucoup ne survivaient pas à la petite enfance.
C’est
donc dans ce contexte que Jésus intervint en plaçant un enfant
devant eux à titre d’exemple. On se demande alors en quoi un enfant
aurait pu donner un exemple de grandeur. Un enfant n’avait pas
d’instruction et il n’avait aucun savoir. Il n’avait aucun exemple à
donner si non sa naïveté. On ne comprend pas non plus en quoi les enfants
auraient à nous donner des leçons en matière de foi. Comment
pourrait-on être grand aux yeux de Dieu en se comparant à un enfant ?
Les
enfants ne sont pas des adultes en miniature. Ils ne pensent pas comme des
adultes, ils ne réagissent pas non plus comme eux. Ils ont des comportements
qui leur sont propres. Ils ont en particulier une faculté
d’émerveillement que n’ont pas les adultes. En contrepartie, les adultes ont le
savoir et la science. Ils ont aussi la sagesse, pense-t-on.
Aujourd’hui, comme jadis, on donne un enseignement religieux aux enfants pour
qu’ils puissent acquérir les notions élémentaires de la foi. Pour faire partie
d’une communauté chrétienne, et avant d’avoir accès aux responsabilités dans
l’Eglise et prendre part à la Sainte Cène de manière officielle, il faut
avoir franchi les différentes étapes du catéchisme.
Des
adultes dûment patentés sont chargés d’enseigner les enfants, ils sont à la
fois des enseignants et des gardiens de la tradition. C’était la même situation
à l’époque de Jésus. Il était nécessaire de connaître les 616 articles de
la Loi ou tout au moins les dix commandements qu’il fallait respecter, pour
espérer grandir dans la foi. C’est sur ce point que Jésus semble en désaccord
avec nous et avec les adultes de son temps. Il semble contester le fait que
pour être un homme de foi il faille avoir acquis l’expérience auprès de
plus savants que soi.
L’enfant
plus que l’adulte sait observer ce qui se passe en lui. Il découvre très
vite que son cœur est habité de pensées bonnes et de pensées mauvaises. Il sait
aussi que des sentiments parcourent son âme. Il a un sens de la beauté, de la
justice, de la droiture. Mais il ne sait pas mettre un nom sur l’origine
de ces phénomènes, il ne sait pas que Dieu travaille en lui, mais il en
constate les effets dans sa naïveté. Pourtant, très vite les
adultes interviennent pour expliquer ces mystères et pour lui indiquer la
bonne voie à suivre et l’enfant perd sa candeur. Très vite ses parents puis ses
enseignants vont lui apprendre à maîtriser le cours de ses émotions, et ils
vont lui enseigner en même temps tout ce qu’il faut savoir sur Dieu sur
le péché sur la loi et l’enfant passe de la spontanéité enfantine à la
raison de l’adulte.
L’enfant
va alors apprendre ce que les hommes savent depuis des siècles sur
Dieu, et c’est ainsi qu’il deviendra un adulte bien élevé et un croyant
honnête face à Dieu. Mais Jésus trouve que les choses vont trop vite et que
l’on ne s’arrête pas assez sur cette naïveté de l’enfant qui lui permet d’entendre Dieu et de le
repérer avant même qu’on lui ait enseigné à le faire.
Ainsi
sans que les adultes, parents ou éducateurs s’en souviennent, leur
premier contact avec Dieu s’est fait à partir d’observations et
d’expériences de vie intérieure qu’ils ont faites quand ils étaient
enfants et qu’ils ont gardées pour eux-mêmes, dans l’incapacité qu’ils étaient
de pouvoir l’exprimer. Ce Dieu tout à l’intérieur d’eux-mêmes a bien vite
laissé la place à un Dieu extérieur à eux-mêmes qui avait les
apparences que le monde des adultes avait bien voulu lui donner.
Quelle
que soit la façon dont les enfants entendent parler de Dieu par les adultes,
cela se passe toujours de la même manière. Les adultes donnent une
information sur Dieu sans se soucier des expériences que peut avoir eu le
petit enfant dans sa vie intérieure.
Jésus
sait bien, quant à lui, que ce sont les expériences de la vie intérieure qui
nous amèneront les uns et les autres à une connaissance personnelle de Dieu. Il
invite donc ceux qui l’écoutent à faire une descente au fond
d’eux-mêmes avec la même naïveté que le ferait un enfant qui ne sait pas encore
s’exprimer et qui découvre que « ça » parle au fond de lui, même s’il
ne sait pas que c’est Dieu qui se manifeste à lui. Comme le fit Samuel enfant
dans le sanctuaire. (1 Samuel 3-10)
Dieu
nous invite à retrouver une spontanéité intérieure qui a été altérée par
ce que l’éducation a apporté l’enfant et qui a fait de Dieu une réalité
extérieure à lui-même. Devenu adulte, l’homme ne sait plus entendre
quand Dieu s’adresse à lui au plus profond de son âme. Jésus ne
méprise pas pour autant l’enseignement de la loi, il ne rejette pas la
tradition rapportée par les «Pères», elles sont des guides indispensables pour
nous faire progresser en sagesse. Mais il dit aussi que nous ne pouvons
pas progresser dans la foi si nous n’essayons pas de converser avec Dieu dans
notre intimité avec lui, là où personne ne peut nous accompagner ni venir
avec nous.
Si
aujourd’hui beaucoup d’hommes se détournent de Dieu, c’est parce qu’on leur a
enseigné à se référer à un Dieu qui parle de l’extérieur d’eux-mêmes au travers
des textes et des traditions. Ils découvrent que ce Dieu là, n’est
pas en adéquation avec le monde moderne. Ceux qui désespèrent de ne pas trouver
dans le Dieu que prêchent les hommes la voie de leur salut, le trouveront quand
même s’ils essayent de retrouver un cœur d’enfant et de
s’émerveiller de l’action de Dieu en écoutant ce qu’il leur dit au plus
profond de leur personne.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire