38 Jean lui dit : Maître,
nous avons vu un homme qui chasse les démons par ton nom et nous avons cherché
à l'en empêcher, parce qu'il ne nous suivait pas. 39 Jésus répondit : Ne
l'en empêchez pas, car il n'y a personne qui puisse parler en mal de moi tout
de suite après avoir fait un miracle en mon nom. 40 En effet, celui qui n'est
pas contre nous est pour nous.
41 Et quiconque vous donnera à boire une
coupe d'eau parce que vous appartenez au Christ, amen, je vous le dis, il ne
perdra jamais sa récompense.
Les causes de chute
42 Mais si quelqu'un devait causer la
chute de l'un de ces petits qui mettent leur foi en moi, il vaudrait mieux pour
lui qu'on lui attache autour du cou une meule de moulin et qu'on le lance à la
mer. 43 Si ta main doit causer ta chute, coupe-la ; mieux vaut pour toi
entrer manchot dans la vie que d'avoir tes deux mains et d'aller dans la
géhenne, dans le feu qui ne s'éteint pas . 45 Si ton pied doit
causer ta chute, coupe-le ; mieux vaut pour toi entrer infirme dans la vie
que d'avoir tes deux pieds et d'être jeté dans la géhenne. 47Et si ton œil doit
causer ta chute, arrache-le ; mieux vaut pour toi entrer borgne dans le
royaume de Dieu que d'avoir deux yeux et d'être jeté dans la géhenne, 48 où
leur ver ne meurt pas, et où le feu ne s'éteint pas.
Si on voulait construire une société
idéale en fonction de nos critères humains, pour tenter d’établir le Royaume de
Dieu sur terre, nous ferions certainement de grosses erreurs,
car nous inventerions des règles à respecter et des lois
contraignantes. Sous prétexte de créer une société idéale, on finirait par
réaliser une société invivable. De nombreux exemples par le passé à commencer
par celui de Genève ; ont montré combien il est difficile, voire même
impossible de réaliser un tel projet. Combien de communautés religieuses,
animées par des prédicateurs pétris de bonnes intentions n’ont-elles pas
cherché à créer des sociétés de ce type. Dans l’ancien monde, où elles ont
souvent pris naissance au moment de la Réforme, elles ont été rejetées. Il
s’agissait surtout de communautés mennonites et anabaptistes. Beaucoup d’entre
elles, fuyant les persécutions se sont ensuite établies dans le nouveau monde
où les vastes espace ont permis qu’elles s’installent sans se gêner les unes
les autres.
Si Jésus avait pu prendre la parole
quand ce mouvement a pris naissance, il aurait sans doute dit avec humour qu’on
ne peut rien faire sans une totale liberté. Comme on va le voir par la suite,
il ne s’agit pas d’un peu de liberté, mais d’une totale liberté.
Cette vertu est nécessaire pour que
s’établisse durablement une société vivable qui aurait l’amour pour règle
première, car l’amour récuse toute forme de contrainte. S’il y a liberté, il ne
peut y avoir de contrainte et s’il y a contrainte, aussi limitée soit-elle, il
ne peut y avoir de liberté, sans quoi une telle société idéale, basée sur le
seul enseignement de Jésus s’effondrerait.
Il faut avoir tout cela à
l’esprit quand on essaye de comprendre les propos de Jésus, car il savait
bien qu’une société idéale, construite sur des préceptes relevant de
la seule piété ne pouvait aboutir. Jésus ne souhaitait pas que ses
adeptes quittent le monde où ils vivaient. Il
souhaitait qu’ils cohabitent au milieu de leurs
semblables du mieux possible
sans chercher à ériger une société de
parfaits. C’est dans ce monde où nous vivons, où personne ne
ressemble à son voisin, et où personne ne pense comme son voisin que
Jésus se propose de nous accompagner.
Dans ce
passage, Jésus n’est pas en train d’établir des règles contraignantes
pour vivre le Royaume qu’il promet. Il imagine avec humour ce que
les hommes pourraient inventer comme société s’ils leur prenaient la fantaisie
de se risquer à construire une société parfaite
conforme aux règles qu
’ils pourraient dégager de l’Evangile. Il les prévient
qu’elle finirait vite par devenir une société d’inadaptés. Les uns seraient totalement inutiles puisqu’on
les aurait jeté à la mer une meule de moulin attachée au cou ; quant aux
autres, ils seraient infirmes à cause des contraintes qu’ils s’imposeraient à
eux-mêmes. Comme ils se seraient eux-mêmes mutilés pour se punir d’avoir mal
fait, Ils seraient incapables d’être utiles à leur prochain, puisque
ils seraient démunis de bras, de jambes et même de sentiments. Ce
serait exactement le contraire de ce que l’Evangile préconise qui se
construirait. En tout cas si une telle société de justes cherchait
à exister, elle ne fleurerait pas bon l’amour du prochain, mais
serait liée à l’espionnage, à la suspicion et au jugement
des autres. Cela aboutirait à une absence totale de liberté.
On ne peut vivre les promesses de Jésus
sans liberté. Cela découle de son enseignement, c’est
pourquoi Jésus ne se présente pas comme un révolutionnaire briseur
d’injustices et redresseur de torts. Il s’approche des hommes avec tendresse et
les fait sortir de leur immobilisme contraignant. Il leur donne un seul
objectif comme marche à suivre : l’amour du
prochain.
Ainsi, il commence par
prendre le parti de ceux qui prêchent sans autorisation dûment patentée ou qui
enseignent sans diplôme. Pour lui, ce n’est pas la qualification ou
le diplôme qui donne de la valeur à ce que l’on dit. Lui-même
n’était sans doute pas diplômé. Cette question de la formation de Jésus intéresse
les théologiens et les historiens au plus haut
point. Etait-il un dissident essénien formé à la dure
école des ermites du désert ? A-t-il étudié aux pieds des
grands maîtres de la Loi sous le portique de Salomon ? N’a-t-il
reçu aucune formation et sa science lui venait-elle directement de
Dieu sans intermédiaire humain ? Aucune réponse n’a jamais été apportée à
ces questions. Il semblerait qu’il ait reçu son inspiration de Dieu
seul qui se serait chargé de sa formation, autant dire qu’il ne
pouvait se prévaloir d’aucune autorité reconnue par les hommes.
Si Jésus n’avait aucune autorité
légitime pour enseigner, comment aurait-il pu l’exiger des
autres ? C’est ce que l’on dit, qui a de la valeur, à condition que
la parole prononcée soit porteuse de vie et d’espérance. Le bon prédicateur
n’est pas celui qui sort des meilleures universités ou qui sait manier
l’éloquence, c’est celui qui dit ce que Jésus aurait dit ou qui fait ce que
Jésus aurait fait. On a tendance à croire que c’est la
formation qui donne de la valeur aux gens. La formation n’est qu’un critère,
sans doute nécessaire pour que celui qui enseigne la communauté soit reconnu,
mais ce qui est important c’est ce qu’il dit, à condition que ses paroles
soient le juste reflet de ce qu’aurait pu dire Jésus qui mettait l’amour en
tête des critères à retenir.
Jésus proposera donc à chacun de ceux qui l’écoutent de devenir le
compagnon de route de sa vie, non pas pour lui imposer des contraintes qui
orienteraient son existence d’une manière ou d’une autre, non pas pour faire
peser sur lui une morale rigide, mais pour l’aider à donner priorité à l’amour
dans tous ses choix et toutes ses entreprises.
Pourtant, on sent poindre l’exaspération
dans ses propos, parce que la société qui l’entoure a donné priorité à d’autres
critères que les siens. Elle a fait de la morale la règle essentielle de
la religion. Jésus ne s’en prend pas à l’hypocrisie des pharisiens qu’il a déjà
dénoncée par ailleurs. Ce qui l’exaspère, c’est la rigueur morale qu’ils
enseignent , car ils enseignent que Dieu se cache derrière la
rigidité de la Loi de Moïse et qu’il se contente du respect de la loi pour
absoudre toutes les fautes.
Or pour Jésus c’est le manque d’amour à
l’égard des petits qui est la cause de tous les troubles de la société. Pour
lui, Dieu se fait connaître par l’amour que lui-même leur
porte. Il ne vous a pas échappé que Jésus a mis les petits au centre de son
propos. Mais bien vite vous allez oublier ce détail, qui n’en est pas
un, tant la violence des propos de Jésus qui font
suite vont vous heurter.
Le lecteur un peu attentif, que vous
êtes sans doute, sera impressionné par la sévérité des paroles de
Jésus. Vous allez sans doute être portés
à considérer que la dureté des attitudes imposées
par Jésus est encore plus sévère que la loi imposée par les
pharisiens et les scribes. Ses exigences respirent une violence
insupportable. Quand ce n’est pas la mort qu’il préconise, c’est la mutilation
qu’il envisage. A l’entendre on n’a plus qu’une seule envie, c’est
celle de tourner la page et de renvoyer
Jésus rejoindre l’école de ceux qui préconisent que de
telles pratiques soient encore appliquées, si bien qu’on ne désire plus l’avoir
pour guide.
Je vous arrête ici dans vos pensées, car
si elles étaient les vôtres vous auriez tout faux. En effet de tels propos
s’accordent mal avec l’attitude de tendresse préconisée
ailleurs par Jésus. En fait il ne
préconise pas ces pratiques cruelles, il les
mentionne seulement pour provoquer notre intelligence et nous forcer à
réfléchir. Il veut nous dire simplement que notre
attitude à l’égard des petits, pour lesquels nous n’avons pas
grands soucis, est porteuse de mort, et que nous mériterions un
châtiment sévère de la loi si
on considérait que telle serait la volonté de
Dieu pour se faire aimer. Loin de lui d’exiger que l’on noie ceux
qui manquent de respect aux petits ou qu’on se mutile soi-même pour
toutes les formes de manquement à la charité.
Autrement dit,
Jésus retourne contre nous les pratiques de la loi que nous
souhaiterions instituer, pour nous permettre de comprendre qu’un tel
projet serait mortel pour nous. En fait il ne parle pas de la Loi de
Moïse, mais d’une loi que nous nous imposerions à nous-mêmes au cas où nous
chercherions à être parfaits. Tout compte fait, Jésus nous laisse déduire
logiquement de son propos qu’il serait plus avantageux pour nous de pratiquer
l’amour plutôt que la loi.
Les petits ce sont ceux qui n’ont pas la
parole, les enfants, bien sûr, mais aussi les malades, les infirmes, les
réfugiés, les sans asile, les prisonniers, les vieillards. Tous ces
gens que notre société marginalise et qui auraient besoin
de toute notre attention et devraient mobiliser tous nos soins. Une
société qui ne le ferait pas ne pourrait pas être porteuse de vie et
d’espérance, car c’est à partir de gestes en faveur des petits que s’édifiera
le Royaume de Dieu.
Il n’est donc pas question de
construire une société à part, faite de croyants qui fuiraient un monde aussi
injuste que le nôtre. Il est question de se laisser immerger dans ce
monde-ci et de mettre nos propos et nos actions au
service de la cause de tous ces petits dont l’amour et la sollicitude des
autres font tant défaut.
Aucune loi ne nous condamnera si nous ne
le faisons pas, mais si nous ne le faisons pas, comment pourrons-nous
encore parler de l’amour de Dieu ?
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