Luc 10 : 25-35 Le bon Samaritain
25 Un spécialiste de la loi se leva et lui dit, pour
le mettre à l'épreuve : Maître, que dois-je faire pour hériter la vie
éternelle ? 26 Jésus lui dit : Qu'est-il écrit dans la Loi ?
Comment lis-tu ? 27 Il répondit : Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu,
de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de toute ton
intelligence, et ton prochain, comme toi-même. 28 Tu as bien répondu, lui dit
Jésus ; fais cela, et tu vivras. 29 Mais lui voulut se justifier et dit à
Jésus : Et qui est mon prochain ?
30 Jésus
reprit : Un homme descendait de Jérusalem à Jéricho. Il tomba aux mains de
bandits qui le dépouillèrent, le rouèrent de coups et s'en allèrent en le
laissant à demi-mort. 31 Par hasard, un prêtre descendait par le même
chemin ; il le vit et passa à distance. 32 Un lévite arriva de même à cet
endroit ; il le vit et passa à distance. 33 Mais un Samaritain qui
voyageait arriva près de lui et fut ému lorsqu'il le vit. 34 Il s'approcha et
banda ses plaies, en y versant de l'huile et du vin ; puis il le plaça sur
sa propre monture, le conduisit à une hôtellerie et prit soin de lui. 35 Le
lendemain, il sortit deux deniers, les donna à l'hôtelier et dit :
« Prends soin de lui, et ce que tu dépenseras en plus, je te le paierai
moi-même à mon retour. » 36 Lequel de ces trois te semble avoir été le
prochain de celui qui était tombé aux mains des bandits ? 37 Il
répondit : C'est celui qui a montré de la compassion envers lui. Jésus lui
dit : Va, et toi aussi, fais de même.
Qu’a-t-il donc pu
passer dans la tête de Jésus pour qu’il raconte à des gens qui lui étaient déjà
hostiles cette histoire qui met en scène un étranger, voyageur solitaire en
terre hostile. Non seulement il vient d’ailleurs, mais il est aussi imprudent car il se déplace seul dans un
endroit où les bandits abondent. C’est ce que dit le récit. Il est d’autant plus
en danger qu’il est riche, c’est ce que nous déduisons de la suite du texte. Il est non seulement étranger, mais il est
samaritain, c’est dire que sa pratique du culte en fait un ennemi déclaré de la religion. Voila le
personnage campé comme un être honni appartenant à la secte mal aimée des
Samaritains. Il est donc très imprudent pour lui de se déplacer ainsi dans ce lieu
solitaire. On pourrait s’attendre à ce que dans un tel contexte il lui arrive un mauvais coup, c’est même ce
que pourraient espérer l’auditeur juif de Jésus. Mais ce ne sera pas le cas. L’auditeur juif
sera bien déçu, car Jésus en fera un héro.
Mais sous les traits de ce Samaritain
généreux et débonnaire, n’est-ce pas Jésus lui-même qui trace son propre
portrait ? Il nécessiterait sans doute quelques retouches pour être exact,
mais si peu ! Jésus lui-même qui
prétend enseigner les juifs n’est-il pas un demi-étranger ? Il vient de
Galilée, une mauvaise terre habitée par des sang-mêlés, des juifs mâtinés de païens. On se demande
déjà en quoi il se sent autorisé à donner des leçons de vertu à des juifs de
pure souche et en plus à les offenser en
prenant un exemple hautement
improbable car, nous allons le voir, l’histoire est peu
vraisemblable ?
Jésus,
en habile narrateur sait tout cela, c’est pourquoi il attend prudemment
que l’intrigue du récit soit vraiment nouée, pour introduire le Samaritain sur les lieux du drame alors que les autres
solutions possibles pour secourir le blessé qui est au cœur de ce récit, ont échouées. C’est donc lui, le
Samaritain détesté, qui par son attitude,
au nœud de l’histoire donne la bonne
réponse à la question posée à
l’origine « Qui est mon prochain ? »
Si personne ne dit rien encore, croyez-moi
les détracteurs de Jésus se sont certainement mis à penser, car tout sonne faux
dans ce récit si on l’approfondit quelque peu, et les auditeurs de Jésus l’ont sans
doute bien compris. En effet il était notoire que la route empruntée par le samaritain traversait un lieu désert et
mal fréquenté. Le blessé de l’histoire en a fait les frais, mais lui le Samaritain
qui est sans doute riche car il débourse
par la suite une forte somme, n’aurait sans doute pas couru le risque de
voyager seul si l’histoire était crédible. S’il
avait voyagé en groupe avec d’autres personnes, comme la prudence le recommandait, son geste
aurait perdu une partie de sa valeur, c’est pourquoi Jésus l’a campé
dans une histoire invraisemblable où en
tant que voyageur solitaire et vulnérable il s’aventurait sans escorte. Mais la remarque faite au sujet du danger
encouru par le Samaritain est valable aussi pour le prêtre et le lévite, qui par
mesure de prudence auraient sans doute voyagés ensemble, en tout cas pas seuls. Ils n’auraient sans doute pas eu l’imprudence
de s’aventurer seuls sur une route
dangereuse. Jésus raconte là une aventure peu vraisemblable, mais il était
nécessaire de tenir la sagacité de son auditoire en éveil. Celui qui ne sait pas la suite se
demande ce qui va se passer, et le dénouement sera surprenant pour celui qui ne
sait pas. Préparons-nous donc à être
surpris !
En attendant, écoutons ce qui se murmure,
sans doute, dans le dos de Jésus, mais qui ne sera pas encore dit d’une manière
audible, car on garde le dénouement pour la fin. C’est bien connu, sussurre-t-on,
que Jésus est un anticlérical. Il
préconise une autre forme de religion,
sans clergé, sans scribes sans docteurs
de la loi et sans Loi et sans Temple, c’est pourquoi, il met en scène deux
religieux qu’il accable en les mettant
dans une situation improbable. Cette
rumeur on l’entendra clairement plus
tard lors du procès de Jésus au Sanhédrin, mais elle avait déjà pris naissance en Galilée lors du fameux sermon à Nazareth à l’issue
duquel il faillit se faire lyncher. La rumeur s’amplifiait alors que Jésus
approchait de Jérusalem.
Mais
ce ne sont pas les seuls reproches que l’on pourrait encore adresser à Jésus.
Il a mis en scène un aubergiste qui
accepte de faire crédit à un étranger,
ce que personne n’aurait fait, ni vous, ni moi. Ca ne tient pas ! Toute
l’histoire est construite sur des
impossibilités, mais sa conclusion, qui se fera sur une solution que nous
jugerons impossible, allons-nous la récuser aussi puisqu’elle suggère
d’imiter le samaritain qui donne au-delà du possible et du vraisemblable.
Allons-nous alors récuser l’Evangile parce que nous l’estimons invraisemblable?
En fait, il est bien plus facile de
décrédibiliser l’histoire, plutôt que d’écouter ce qu’elle raconte. Si nous
estimons que l’histoire n’est pas
crédible, c’est qu’aucun des auditeurs, ni vous ni moi n’est capable de se
comporter comme devrait le faire celui qui est attentif à son prochain. C’est à cause de la rudesse de notre cœur que nous
avons dénoncé tous les arguments qui rendent cette histoire impossible, et nous
l’avons fait avec complaisance, parce que les arguments ultimes de Jésus nous
gênent. Mais ce n’est pas fini.
Continuons, car cette dernière remarque
a refroidi nos critiques et nous sommes prêts à écouter la suite sans rien dire.
Portons notre attention sur ce samaritain qui ne tient compte ni de son temps,
ni de son argent pour maintenir en vie le mourant. Ce qui lui paraît plus essentiel que tout, même
que ses soucis personnels, c’est que la vie du blessé soit préservée. Il
considère cela comme un impératif quasiment religieux, même si nulle part, il n’est fait
allusion à la religion, ni à Dieu. Mais la relation à Dieu n’est-elle pas une émotion
du cœur bien avant d’être un impératif religieux ? Pour lui cette émotion est plus forte que les
prescriptions de la religion, elle dépasse la rigidité de la loi écrite pour en
faire la quintessence de la loi morale, celle à laquelle Jésus nous propose d’obéir
d’instinct parce qu’elle provient d’une réaction du cœur.
Conscient
du fait que ce qui vient d’être
dit est difficilement acceptable pour la plupart, il est facile de trouver des
arguments pour rendre cette parabole irrecevable.
L’argument principal est celui que l’on
formule au sujet du comportement des
étrangers. Quand on est étranger, on ne
la ramène pas et on ne donne pas des leçons de bonne conduite quand on traverse
simplement le pays en touriste. Certes Jésus n’insiste pas sur le fait que le
samaritain est étranger mais c’est quand
même son origine qui sans le dire rend son comportement insupportable et c’est
à cause de sa qualité d’étranger que Jésus a raconté la parabole de cette
manière.
Jésus n’est pourtant pas un naïf. Au cours de
ce voyage qui l’amène à Jérusalem, il a lui-même expérimenté la dureté des
relations avec les étrangers. Il s’est
trouvé lui, et ses amis, en situation
d’étranger rejeté en traversant la
Samarie. Le récit nous en parle quelques lignes plus haut. Il fut agressé à l’entrée d’un village
samaritain ( Lc 9/53ss). Sans doute sa petite troupe était-elle en nombre suffisant pour que l’incident soit
sans conséquence, mais il dut passer son chemin ! Il est à prévoir
cependant que la rancune s’était installée au cœur de ses proches qui lui
proposèrent quand même de faire descendre le feu du ciel sur les agresseurs. La
leçon immédiate que Jésus tira de l’événement ne nous est pas parvenues mais
elle a pu prendre la forme de cette
parabole. Jésus a bien compris le sort qu’il aurait eu s’il avait voyagé en
solitaire, mais il est dit aussi que les samaritains peuvent être bons et
généreux comme n’importe quel autre, juif ou pas. Il est alors montré que la générosité de cœur
n’a pas de frontières et que ce n’est
pas le fait d’être étranger qui rend les hommes différents des autres.
Il n’y a aucune frontière qui délimite le
territoire où se trouve notre prochain, car ce sont les frontières construites
par les hommes et non par Dieu qui
fabriquent des étrangers. Les
frontières sont des séparations de fabrication humaine établies par les hommes pour des raisons
économiques mais que Dieu n’a pas inventées pour que les hommes établissent entre eux des
différences d’ordre morale raciales ou
ethniques.
illustrations E. Delacroix
V. Van Gagoh
Henryk Stefan
A.N. Morot
illustrations E. Delacroix
V. Van Gagoh
Henryk Stefan
A.N. Morot
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