jeudi 30 juin 2016

Luc 10:25-37 Le bon Samaritain - dimanche 10 juillet 2016



Luc 10 : 25-37 Le bon Samaritain

25 Un spécialiste de la loi se leva et lui dit, pour le mettre à l'épreuve : Maître, que dois-je faire pour hériter la vie éternelle ? 26 Jésus lui dit : Qu'est-il écrit dans la Loi ? Comment lis-tu ? 27 Il répondit : Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de toute ton intelligence, et ton prochain, comme toi-même. 28 Tu as bien répondu, lui dit Jésus ; fais cela, et tu vivras. 29 Mais lui voulut se justifier et dit à Jésus : Et qui est mon prochain ?  

30 Jésus reprit : Un homme descendait de Jérusalem à Jéricho. Il tomba aux mains de bandits qui le dépouillèrent, le rouèrent de coups et s'en allèrent en le laissant à demi-mort. 31 Par hasard, un prêtre descendait par le même chemin ; il le vit et passa à distance. 32 Un lévite arriva de même à cet endroit ; il le vit et passa à distance. 33 Mais un Samaritain qui voyageait arriva près de lui et fut ému lorsqu'il le vit. 34 Il s'approcha et banda ses plaies, en y versant de l'huile et du vin ; puis il le plaça sur sa propre monture, le conduisit à une hôtellerie et prit soin de lui. 35 Le lendemain, il sortit deux deniers, les donna à l'hôtelier et dit : « Prends soin de lui, et ce que tu dépenseras en plus, je te le paierai moi-même à mon retour. » 36 Lequel de ces trois te semble avoir été le prochain de celui qui était tombé aux mains des bandits ? 37 Il répondit : C'est celui qui a montré de la compassion envers lui. Jésus lui dit : Va, et toi aussi, fais de même.


Qui est mon prochain ? Autrement dit : l’étranger peut-il être mon prochain ? Nous allons bientôt le savoir en grinçant des dents.

Qu’a-t-il  donc  pu passer dans la tête de Jésus  pour qu’il  raconte à des gens qui lui étaient déjà opposés cette histoire qui met en scène un étranger, voyageur solitaire en terre hostile et fait monter la colère contre lui. Pourtant dans ce texte admirablement bien construit, rien n’est laissé au hasard. Jésus met au centre de son propos un étranger bien imprudent car il se déplace seul dans un endroit où les bandits abondent. Il est d’autant plus en danger qu’il est riche. Il est non seulement riche et étranger, mais il est samaritain, c’est dire qu’il offense les coutumes religieuses du pays qu’il traverse par sa  propre pratique religieuse. Il a tout contre lui. Il est donc bien imprudent  de se déplacer ainsi dans ce lieu solitaire. On pourrait s’attendre à ce que dans un tel contexte  il lui soit arrivé un mauvais coup. C’est même ce qu’aurait pu  espérer l’auditeur juif de Jésus qu’il semble viser dans ce propos.  Mais ce ne sera pas le cas. L’auditeur juif sera bien dépité pour la grande joie des disciples, car Jésus en fera un héro. Mais ne riez pas trop vite.

Sous les traits de ce Samaritain généreux et débonnaire, n’est-ce pas Jésus lui-même qui trace le portrait d’un personnage qui lui ressemble, fortune en moins? Il nécessiterait sans doute quelques retouches pour être exact, mais si peu !  Jésus ne fait-il pas lui-même  figure de redresseur de tort  et de donneur de leçon. Lui, qui prétend enseigner les juifs n’est-il pas un demi-étranger ? Il vient de Galilée, une mauvaise terre habitée par des sangs-mêlés,  des juifs mâtinés de païens. Comment  se sent-il autorisé à donner des leçons de vertu à des juifs de pure souche  et en les offenser en tournant en dérision le clergé local qu’il ridiculise dans une histoire  hautement improbable ?  

Jésus, est un  en habile narrateur  et il sait dans quelle direction  il entraîne ses auditeurs, c’est pourquoi il attend prudemment que l’intrigue du récit soit vraiment nouée, pour introduire le Samaritain  sur les lieux du drame. Mais cette situation  du blessé, laissé  sur le carreau par deux membres du clergé, n’est pas très vraisemblable.  Pas plus vraisemblable d’ailleurs,  sera l’attitude de ce riche samaritain qui donne la bonne réponse à la question  posée à l’origine  «  Qui est mon prochain ? »


Tout sonne faux dans ce récit si on l’approfondit quelque peu. Les  auditeurs de Jésus l’ont sans doute bien compris. En effet il semblait évident que la route empruntée par  les 3 personnages  et qui traversait un lieu désert était mal fréquentée. Le blessé de l’histoire en a fait les frais. Mais le Samaritain qui  était vraisemblablement  riche car il la manière dont il débourse par la suite une forte somme le montre bien.  Il n’aurait sans doute pas couru l’imprudence de voyager seul si l’histoire était crédible. S’il  avait voyagé en groupe avec d’autres personnes, comme  la prudence le recommandait,  son geste  aurait perdu une partie de sa valeur, c’est pourquoi Jésus l’a campé dans une histoire  invraisemblable où en tant que voyageur solitaire et vulnérable il s’aventurait sans escorte.  Cependant la remarque faite au sujet du danger encouru par le Samaritain est valable aussi pour le prêtre et le lévite qui sont peut être critiquables, mais pas idiots. Par  mesure de prudence  et dans leur propre intérêt, ils auraient sans doute voyagés ensemble, en tout cas pas seuls.  Ils n’auraient sans doute pas eu l’imprudence de  s’aventurer seuls sur une route dangereuse. Dans ce cas, le regard de leurs  compagnons de route les auraient l’un et l’autre invités à la charité et ils n’auraient pas passés leur chemin. Mais le récit n’aurait d’intérêt que si le prêtre et le lévite ont un mauvais rôle. Mais pourquoi Jésus affiche-t-il une telle hostilité à l’égard des prêtres ? A qui cherche-t-il à plaire et qui est visé par un tel discours ? Patience !

En attendant, écoutons  les propos qui se murmurent, sans doute, dans le dos de Jésus et qu’il a sciemment provoqués. Ce n’est pas  dit d’une manière audible, car le narrateur  garde le dénouement pour la fin, mais chacun de nous peut facilement trouver des arguments pour alimenter la critique. « C’est bien connu, susurre-t-on, que  Jésus était  anticlérical et qu’il Il préconisait une autre forme de  religion, une religion sans clergé, sans scribes  sans docteurs de la loi, sans Loi et sans Temple. » C’est sans doute pour accréditer ces critiques qu’il introduit dans son récit deux religieux qu’il  accable en les mettant dans une situation improbable et particulièrement désobligeante.  Cette rumeur,  on l’entendra clairement plus tard lors du procès de Jésus au Sanhédrin, mais elle  avait déjà pris naissance en Galilée, souvenez-vous,  lors du fameux sermon à Nazareth à l’issue duquel il faillit se faire lyncher. La rumeur, comme toute rumeur a tendance à s’amplifier, c’est ce qui se passe sans doute,  alors que Jésus approchait  de Jérusalem. Les disciples n’en perdent pas une miette.

 Mais ce ne sont pas les seules critiques que l’on pourrait adresser à Jésus. On pourrait lui reprocher encore d’avoir mis en scène un aubergiste  qui accepte de faire crédit  à un étranger, ce que personne n’aurait fait et ne ferait encore, ni vous, ni moi. Ça ne tient pas ! Toute l’histoire est  construite sur des impossibilités, mais sa conclusion,  allons-nous la récuser aussi  puisqu’elle nous paraît invraisemblable et qu’elle est la conclusion d’un récit invraisemblable ? 

En fait, il est bien plus facile pour tout auditeur de ce récit de le  décrédibiliser, plutôt que d’écouter ce qu’il dit. Si nous estimons que  l’histoire n’est pas crédible, c’est qu’aucun des auditeurs, ni vous ni moi n’est capable de se comporter comme devrait le faire celui qui  cherche vraiment à être  attentif à son prochain. Jésus pointe ici la  rudesse de notre cœur qui nous avons dénoncé tous les arguments qui rendent cette histoire impossible, et nous l’avons fait avec complaisance, parce que les arguments ultimes de Jésus nous gênent. Je parle  ici pour moi, bien entendu. Mais ce n’est pas fini.

Continuons. Portons notre attention sur ce samaritain qui ne tient compte ni de son temps, ni de son argent pour maintenir en vie le mourant.  Ce qui lui paraît plus essentiel que tout, même que ses soucis personnels, c’est que la vie du blessé soit préservée. Pour lui cette émotion qu’il ressent à la vue du blessé est plus forte que toutes les prescriptions de la religion, elle dépasse. Elle dépasse la rigidité de la loi écrite pour en faire la quintessence de la loi morale, celle à laquelle Jésus nous propose d’obéir d’instinct parce qu’elle provient d’une réaction du cœur. Mais la pointe du texte est peut être encore ailleurs

Jésus n’est pas un naïf. Au cours de ce voyage qui l’amène à Jérusalem, il a lui-même expérimenté la dureté des relations avec les étrangers et des Samaritains en particulier.  Il s’est trouvé lui, et  ses amis, en situation d’étranger rejeté  en traversant la Samarie. Le récit nous en rapporte l’épisode quelques lignes plus haut.  Il fut agressé à l’entrée d’un village samaritain ( Lc 9/53ss). Sans doute sa petite troupe était-elle  en nombre suffisant pour que l’incident soit sans conséquence, mais il dut passer son chemin ! De là découle la nécessité de voyager en groupe. Cependant  la rancune s’était  installée au cœur de ses proches qui lui proposèrent quand même de faire descendre le feu du ciel sur les agresseurs.


Cette parabole ne serait-elle pas la leçon que donnerait Jésus à  ses propres amis à la suite de cet incident et ne s’adresserait aux juifs qu’après coup ? Ce serait donc ses amis qui seraient d’abord visés ici. En effet, la leçon porte mieux si on donne l’impression de s’adresser à d’autres qu’à ceux qui sont réellement visés. Jésus a bien compris  quel sort il aurait eu lui-même s’il avait voyagé en solitaire, mais cela fait partie des aléas de la vie.  Il est alors montré que la générosité de cœur n’a pas de frontières  et que ce n’est pas le fait d’être étranger qui rend les hommes différents les uns des autres.

Il n’y a aucune frontière qui délimite le territoire où se trouve notre prochain,  les frontières sont construites par les hommes et non par Dieu  et c’est elles qui  fabriquent des étrangers.  Les frontières sont  des séparations de nature humaine  établies par les hommes pour des raisons économiques mais que Dieu n’a pas inventées pour  que les hommes établissent entre eux des différences d’ordre  morale raciales ou ethniques.

Illustrations:Henryk Stephan, A.N. Morot, E. Delacroix

Aucun commentaire: