38 Pendant qu'ils étaient en route, il entra dans un village, et
une femme nommée Marthe le reçut. 39 Sa sœur, appelée Marie, s'était assise aux
pieds du Seigneur et écoutait sa parole.
40 Marthe, qui s'affairait à beaucoup de
tâches, survint et dit : Seigneur, tu ne te soucies pas de ce que ma sœur
me laisse faire le travail toute seule ? Dis-lui donc de m'aider. 41 Le
Seigneur lui répondit : Marthe, Marthe, tu t'inquiètes et tu t'agites pour
beaucoup de choses. 42 Une seule est nécessaire. Marie a choisi la bonne
part : elle ne lui sera pas retirée./
D’habitude,
ce sont les frères et non les sœurs qui sont mis en opposition dans
l’évangile, parce que la société de l’époque mettaient plus en avant les hommes
que les femmes, pourtant ici, comme pour déroger à la règle, ce sont deux sœurs
qui interrompent Jésus sur sa route. Elles lui ouvrent leur porte et le
reçoivent. Ces deux femmes ont été rendues célèbres par l’Évangile de Jean qui
les présente comme des amies proches de Jésus qui rendit la vie à leur
frère Lazare décédé. Marie a été identifiée à la femme qui renversa un vase de
parfum aux pieds de Jésus. Ici, elles nous sont présentées par l’évangéliste
Luc. Il est peu familier des coutumes d’Israël, et présente les deux sœurs
comme des femmes plus représentatives de la société grecque que de la
société juive. Il donne à Marthe le rôle de chef de la maisonnée,
ce qui n’aurait pas cours en terre d’Israël.
Luc
par le truchement de ces deux femmes va aborder la situation des femmes
dans l’Église telle qu’elle se posait à la première génération du
christianisme. Derrière le questionnement de Marthe qui s’inquiète de voir sa
sœur aux pieds de Jésus écoutant avec avidité l’enseignement du maître, il
faut reconnaître le souci des premiers chrétiens qui devaient
s’interroger de la place que prenaient les femmes dans le ministère de l’Église. En effet, Lydie qui était chef d’entreprise par exemple,
devint aussi chef d’Église dans la ville de Philippe. D’autres femmes
dont nous ne connaissons pas toujours les noms avaient sans doute commencé à
occuper des postes importants. Était-ce raisonnable ?
En
rapportant cet épisode de la vie de Jésus, Luc essaye sans doute de répondre
à cette question que l’actualité avait rendue brûlante. Ici, Marthe par
son attitude soutient la thèse selon laquelle les femmes doivent
s’occuper d’autre chose que de théologie. Marie qui est mise en cause ici ne
dit rien. La réponse de Jésus semble dire sans ambigüité que Marie
serait à la bonne place et que l’étude de la théologie relèverait
vraiment de son ressort. Elle a donc vocation à prendre la place du maître
quand il ne sera plus là. Mais Jésus répond-il vraiment à la question au
sujet de laquelle nous nous interrogeons? Comme nous allons le voir plus
loin, c’est en fait à une autre question qu’il répond.
Une
nouvelle question surgit alors. Jésus est-il en train d’établir une hiérarchie
dans les fonctions que l’on exerce dans l’Église ? Que les femmes
aient leur place dans le ministère de l’enseignement, qu’elles
puissent exercer celui de la parole, cela ne semble pas poser vraiment de
problème, même si on a mis des siècles à s’en apercevoir, mais y a-t-il
supériorité du ministère de la parole sur les autres ministères ?
C’est ce que Jésus semble dire et c’est l’enseignement que l’on a
pris l’habitude de retenir de ce texte.
Vue
le caractère de Marthe on comprend vite qu’elle n’était pas de nature à
se laisser dominer, en tout cas pas par sa sœur qu’elle évincerait volontiers
plutôt que de se laisser dominer par elle. Elle croit savoir que son service
pour le Seigneur est indispensable à la bonne marche des affaires. Elle ne
conçoit pas que le service de l’écoute passe avant celui de l’action. Le bavardage
théologique passe pour elle au second plan. Tout se passe dans son esprit comme
si tout avait déjà été dit depuis longtemps sur Dieu et sur la manière de le
servir et qu’il n’y avait pas lieu d’en rajouter. Tout cela n’était que
commentaires de rabbins, inutiles à la bonne marche des choses. En pensant
ainsi elle se situe dans un courant de pensée classique. Pour elle ce qui
compte, c’est l’efficacité, et elle s’y emploie.
Nous
reconnaîtrons dans son comportement une attitude assez répandue dans beaucoup
de nos églises et de nos paroisses qui cherchent à se rendre visibles par
l’efficacité de leurs actions. Elles cherchent plus à témoigner de leur
foi par les œuvres qu’elles font plus que par leur approche spirituelle des
événements. On mobilise plus facilement les paroissiens d’une
communauté pour s’investir dans les œuvres de la paroisse plutôt
que pour fréquenter les études bibliques, si bien qu’il est de bon ton de
considérer que les gens les plus efficaces sont ceux qui agissent et non
pas ceux qui s’assoient pour méditer et réfléchir.
En
lisant un peu vite ce passage on penserait facilement que Jésus prend ici le
contrepied de Marthe et qu’il la désavoue. Marthe quant à elle ne s’en laisse
pas conter et campe sur ses positions. Quant à Marie, elle ne se lève pas pour
rejoindre sa sœur à sa demande, elle reste assise avec l’approbation du maître.
Jésus
en fait, ne donne pas tort à Marthe, il lui reproche de s’inquiéter et de
s’agiter pour beaucoup de choses. C’est son souci qui est l’objet de sa critique
et non pas la tâche qu’elle accomplit. Marthe se met en souci parce que les
choses ne prennent pas la tournure qu’elle souhaite. En bonne maîtresse de
maison, elle croit savoir ce qui est bon pour son hôte et elle prie sa sœur
d’adopter la même attitude qu’elle. Elle va même jusqu’à reprendre Jésus parce
qu’il n’a pas eu les mêmes pensées qu’elle et qu’il ne se soumet pas à ses
propres conventions sociales auxquelles elle donne une portée
universelle.
Or,
Jésus n’est pas un hôte ordinaire. S’il est reçu par les deux sœurs, c’est
parce qu’il est perçu par elles comme celui qui vient de la part de Dieu. Ce
qu’il a à leur dire est un message de la part de Dieu. Marthe ne se
soucie pas de cette réalité, elle agit comme elle croit devoir agir, elle agit
comme si elle savait mieux que le messager de Dieu ce qu’elle doit faire. Elle
sait mieux que Jésus ce que Dieu lui demande et elle reproche à Jésus de ne pas
avoir la même pensée sur Dieu qu’elle-même. Là est le problème. Elle reproche à
Marie et à Jésus de débattre sur des questions théologiques qu’elle-même
a sans doute déjà résolues. Elle ne cherche pas à savoir ce
que Dieu souhaite qu’elle fasse. Elle le sait déjà et mieux que lui. Elle
n’imagine même pas qu’elle doive se soucier de la volonté de Dieu avant
de se mettre au travail pour lui. Pour Jésus Marthe ne se soucie pas à
bon escient et ne s’agite pas pour la bonne cause, parce qu’elle n’a pas pris
soin de s’en soucier.
Il
y a ici un bon enseignement pour l’Eglise qui ne prend toujours pas le temps de
réfléchir à ce que Dieu souhaite qu’elle fasse avant d’agir. Si l’église avait
pris cette peine elle aurait évité par le passé de se fourvoyer dans des
situations contestables dont la liste serait trop longue pour qu’on la dresse
maintenant.
Si
Marie reste assise aux pieds du maître, c’est pour recevoir de lui un
enseignement qui déterminera par la suite ce qu’elle doit faire. Peut-être
sera-t-elle invitée à rejoindre sa sœur et s’agitera-t-elle avec
elle ? Mais avant de le faire, encore faut-il qu’elle sache ce que Dieu
lui demande.
Le
message pour L’Église devient alors clair. Peu importe que les femmes aient
accès au ministère comme nous avons cru le discerner dans un premier temps. Ce
qui semble nécessaire avant tout, c’est de savoir discerner la volonté de Dieu.
C’est pourquoi il est nécessaire de s’assoir et de laisser du temps à la
méditation afin de savoir ce que Dieu attend de nous. Ensuite, quand nous
aurons compris son message, il sera toujours temps de s’agiter pour faire sa volonté.
illustrations de Paul Alexandre Alfred Leroy
illustrations de Paul Alexandre Alfred Leroy
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire