Le riche insensé.
13 Quelqu'un de la foule lui dit : Maître, dis à mon frère de partager avec
moi notre héritage. 14 Il lui répondit : Qui a fait de moi votre juge ou votre
arbitre ? 15 Puis il leur dit : Veillez à vous garder de toute avidité ; car
même dans l'abondance, la vie d'un homme ne dépend pas de ses biens. 16 Il leur
dit une parabole : La terre d'un homme riche avait beaucoup rapporté. 17 Il
raisonnait, se disant : Que vais-je faire ? car je n'ai pas assez de place pour
recueillir mes récoltes. 18 Voici, dit-il, ce que je vais faire : je vais
démolir mes granges, j'en construirai de plus grandes, j'y recueillerai tout
mon blé et mes biens, 19 et alors je pourrai me dire : « Tu as beaucoup de
biens en réserve, pour de nombreuses années
; repose-toi, mange, bois et fais
la fête. » 20 Mais Dieu lui dit : Homme déraisonnable, cette nuit même ton âme
te sera redemandée ! Et ce que tu as préparé, à qui cela ira-t-il ? 21 Ainsi en
est-il de celui qui amasse des trésors pour lui-même et qui n'est pas riche
pour Dieu.
La vie dans l’au-delà ne passionne pas généralement le lecteur de
l’Évangile. En effet, les Ecritures n’entrouvrent qu’une porte mystérieuse sur
un monde qui n’appartient qu’à Dieu. Dieu nous invitera à l’y rejoindre en
temps voulu après avoir prononcé à notre égard un jugement que nous espérons
favorable. C’est grâce à l’affirmation selon laquelle nous sommes sauvés par
grâce que les réformateurs nous ont permis de regarder l’avenir avec optimisme.
Cette histoire du riche insensé nous invite à porter un regard particulier
sur nous-mêmes en insistant sur la valeur de notre responsabilité personnelle
dans la gestion des affaires des hommes. Nous devons nous regarder sans
complaisance, car nous sommes les mieux placés pour savoir comment nous avons
répondu aux sollicitations de la vie et comment nous avons mis celle des autres
en valeur. Ainsi allons-nous sans doute aller à contre sens des valeurs
établies.
Ceci étant dit, je vous invite à partager le rêve que nous avons en commun
avec le personnage central de cette parabole : celui de devenir riche. Qui n’a
pas rêvé de se trouver riche soit par les hasards de l’histoire, soit par ceux
de la naissance ? L’argent a un pouvoir fascinant sur les humains puisque sa
recherche joue un rôle considérable dans le choix de carrière que nous faisons
pour nous-mêmes ou pour nos enfants. Nous espérons avoir assez d’argent pour ne
manquer de rien, et de ne pas en avoir trop pour ne pas en devenir dépendant !
Mais c’est un leurre ! Nous le savons bien, car l’argent appelle l’argent.
Les affaires financières que l’actualité étale sous nos yeux ne font
qu’apporter de l’eau à notre moulin si bien que nous envions ceux qui ont
beaucoup d’argent et nous méprisons ceux qui trichent. Pourtant nous avons tous
joué à ce jeu de la tricherie en dissimulant à la douane par exemple, des
objets qui auraient du être taxés et je ne parle pas de toutes les ruses que
nous utilisons pour soustraire notre voiture en stationnement illicite, à la
surveillance des agents de l’état préposés à nous sanctionner.
Mais le riche de la parabole, même s’il n’est pas sympathique ne triche
pas. Ce n’est pas là qu’il faut chercher le pointe du texte. En quoi cet homme
est-il mis en cause par le regard que Jésus porte sur lui ? En s’attaquant à ce
riche là, nous sentons bien que Jésus va nous mettre en cause pour une raison
que nous ne soupçonnons pas encore. Détrompez-vous et soyez rassurés, ce n’est
ni aux richesses de ce personnage ni aux vôtres que Jésus va s’en prendre,
l’argent ne joue ici qu’un rôle secondaire. Ce qui est mis en cause c’est la
valeur que nous donnons à la vie et de l’usage que nous en faisons.
Jésus
ne reproche pas à cet homme d’avoir amassé de l’argent ! Il
l’interroge sur ce qui a motivé son action en amassant une fortune ? Pourquoi
a-t-il agi comme il l’a fait, et naturellement c’est à chacun de nous qu’il
s’adresse? Qu’est ce qui a motivé son action ? Il a accumulé des biens plus que
nécessaire ! Cela ne nous paraît pas moral, mais ce n’est pas le sujet de
l’intervention de Jésus qui ne lui laisse même pas le temps de répondre et
l’accable immédiatement par l’annonce de sa mort prochaine.
Cependant nous pouvons facilement répondre à la place du riche, parce que
sa réponse sera aussi la nôtre. Il amasse des biens pour que ses enfants en profitent
après lui, ils seront heureux d’avoir une vie plus facile que la sienne.
Surtout par les temps qui courent nous sentons-nous autorisés à rajouter. Et
puis, on pourrait en dire plus encore, nous pourrions suggérer qu’en amassant
des biens, il fournit des emplois à ceux qui travaillent sur son domaine.
Tout cela est juste, mais c’est quand même lui, et lui seul qui reste au
centre de ses préoccupations. Si ses enfants et ses ouvriers doivent lui être
reconnaissants un jour, il est en droit de se réjouir à l’avance de cette
fonction de bienfaiteur qu’il se reconnaît déjà à lui-même. Quoi qu’il puisse
dire c’est son ego qui reste au centre de ses préoccupations ! Mais nous
agissons tous ainsi, et moi qui vous tance tout le premier. Quel mal y a-t-il à
cela ?
Avec une telle remarque vous devinez sans doute que mon propos n’est pas de
vous reprocher de tirer vanité de vos biens et de vos bonnes intentions. Vous
voilà rassurés pour un moment Il n’y a donc apparemment pas de mal à se mettre
soi-même au centre de ses pensées. Ce n’est d’ailleurs pas sur ce point que
Jésus exerce sa critique, il l’interpelle sur son âme, ce qui est inhabituel
chez Jésus. L’âme est une notion difficile à apprécier, mais il semble qu’elle
corresponde à l 'élément vital qui est en nous et qui est lié au principe de la
vie. C’est ce principe de vie qui intéresse Jésus et c’est sur ce point là que
s’appuie son questionnement. Cet élément de vie qui est en nous, fonctionne
pour Jésus comme un outil de contrôle. C’est lui qui provoquerait en nous un
jugement de valeur sur la manière dont nous agissons.
C’est en nous interrogeant nous-mêmes sur notre âme que nous découvrons
vraiment qui nous sommes. Nous semblons ignorer que ce principe de vie est à
notre disposition pour orienter notre existence. Pourtant Jésus y insiste. En
fait, nous nous comportons comme si à la fin des temps, Dieu devait prononcer
un jugement sur nous et, en fonction de ce que nous avons dit au début de ce
propos, ce jugement sera favorable ou non. Si le jugement est favorable, c’est
un supplément de vie qui nous sera alloué, si non ce sera l’oubli éternel. Nous
parions cependant que la grâce divine fera pencher la balance en notre faveur.
En ce sens, la manière de penser des contemporains de Jésus, et la nôtre ressemble
à celle des sociétés païennes de tous les temps selon les quelles, avec toutes
les variantes possibles, une récompense finale attendrait les bons et un
jugement sévère serait réservé aux
autres.
autres.
La pensée de Jésus ne semble pas devoir cautionner cette manière simpliste
de voir les choses. Il s’attache à porter son regard sur nos vies alors
qu’elles ne sont pas encore terminées. Ce qui importe pour lui c’est le
jugement que nous devrions porter sur nous-mêmes avant que Dieu puisse porter
un jugement final sur nous à la fin des temps. Il suggère donc, que nous
apprécions notre conduite à chaque tournent de notre vie en fonction des
décisions que nous avons prises ou que nous devons prendre.
En effet, nous savons intuitivement ce qu’il est bon ou qu’il est juste de
faire. Nous connaissons bien la volonté de Dieu telle qu’elle nous parvient par
les Ecritures. Nous sommes donc particulièrement habilités à porter un jugement
sur nos actions. Jésus nous renvoie à nous-mêmes et à la façons dont nous
savons prendre nos responsabilités pour que les forces de vies qui sont en nous
soient mobilisées en fonction d’un plan de Dieu qu’il nous appartient de
discerner. Jésus pense que le regard que Dieu porte sur nous s’attache à la
manière dont nous savons exercer nos responsabilités.
Ainsi ce qui a le plus de valeur aux yeux de Dieu, c’est le jugement que
nous portons sur nous-mêmes, sans tenir compte du jugement que peuvent porter
les autres sur nos motivations ou sur nos égoïsmes. Il est tout à fait
important que nous sachions apprécier de quelle valeur de vie nos actions sont
chargées. Nous sommes, placés dans une situation de responsabilité par rapport
à tous ceux que nous côtoyons et que nous appelons nos prochains.
La valeur de notre vie est appréciée par Dieu en fonction de nos capacités
à gérer le potentiel de vie qui est en nous. Nous pouvons donc dire que le
jugement qui a de la valeur aux y
eux de Dieu c’est d’abord celui que nous portons sur nos capacités à stimuler toutes les formes de vie qui nous entourent. C’est elles qui donneront de la valeur à notre existence. Ce jugement que nous portons sur nous-mêmes nous amène donc à réviser à chaque instant notre manière de penser et d’agir.
eux de Dieu c’est d’abord celui que nous portons sur nos capacités à stimuler toutes les formes de vie qui nous entourent. C’est elles qui donneront de la valeur à notre existence. Ce jugement que nous portons sur nous-mêmes nous amène donc à réviser à chaque instant notre manière de penser et d’agir.
Quant au reste, il y a fort à parier que le jugement de Dieu sur nous-mêmes
sera moins sévère que le nôtre. Mais ce qui est important, c’est le jugement
que nous portons sur nous-mêmes quand il nous reste encore du temps pour agir.
Tout cela constitue le secret de notre vie et il n’appartient qu’à nous.
Illustrations: les riches heures du Duc de Berry
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