Moïse tailla deux tables de pierre comme les premières.
Moïse se leva de bon matin et monta sur le mont Sinaï, comme l'Éternel le lui
avait commandé, et il prit à la main les deux tables de pierre. L'Éternel descendit dans la nuée, se tint là
auprès de lui et proclama le nom de l'Éternel.
L'Éternel passa devant lui en proclamant: L'Éternel,
l'Éternel, Dieu compatissant et qui fait grâce, lent à la colère, riche en
bienveillance et en fidélité, qui
conserve sa bienveillance jusqu'à mille générations, qui pardonne la faute, le
crime et le péché, mais qui ne tient pas (le coupable) pour innocent, et qui
punit la faute des pères sur les fils et sur les petits-fils jusqu'à la
troisième et à la quatrième génération! Moïse s'empressa de s'incliner à terre et de
se prosterner. Il dit: Seigneur, si j'ai
obtenu ta faveur, que le Seigneur marche au milieu de nous, car c'est un peuple
à la nuque raide; tu pardonneras notre faute et notre péché, et tu nous
prendras pour héritage.
En
écrivant de sa propre main les premiers mots qui ouvrent son histoire avec son peuple, Dieu inaugure
lui-même le début d’une aventure qui est aussi la nôtre et qui ne s’achèvera
qu’à la fin des temps. La sortie d’Egypte n’en avait été que l’épilogue. Dieu
se proposait d’être maintenant celui qui
accompagne les hommes et qui n’hésite pas à se mettre lui-même en cause, quitte
à recommencer ce qui a mal tourné.
C’est
dans ce même lieu, au pied du mont Sinaï
que les Hébreux s’étaient rebellés contre
Dieu. Mais était-ce vraiment, une
rébellion ? C’était plutôt une maladresse commise sous l’impulsion
d’Aaron, le frère de Moïse. Ils avaient voulu exprimer leur fidélité à ce Dieu
qu’ils venaient de découvrir. Moïse ayant
disparu sur la montagne, le silence de Dieu semblait signifier son absence.
Pour se rappeler à son bon souvenir et tenter de lui plaire, ils avaient
organisé une fête en son honneur. Ils avaient personnifié Dieu selon la coutume rencontrée en
Egypte en le représentant sous la forme d’un veau. On connait la suite. Moïse
qui réapparut soudain se mit en colère et
exigea un châtiment exemplaire pour les participants à la fête. Il ordonna un
pogrome, pire que ceux qu’ils avaient connus en Egypte ou qu’ils
connaîtront par la suite.
Le
texte que nous lisons aujourd’hui propose de recommencer la cérémonie
d’intronisation de l’Alliance
interrompue. Tous se tiennent sur la défense et attendent la suite,
redoutant l’emprise sur eux de ce Dieu qui les a libérés. La tradition a voulu
ainsi accréditer l’idée que le Dieu de l’Ancien Testament était un Dieu redoutable. On l’a alors opposé au Dieu d’amour révélé par Jésus Christ. Nous
verrons qu’il n’en est rien.
On
peut cependant se demander pourquoi Dieu s’acharne à maintenir un lien avec un
peuple qui ne lui sert à rien, qui va à
l’encontre de ses projets et ne
lui occasionne que des soucis en
provoquant sa colère ? En fait, ce n’est pas tellement Dieu qui se fâche,
c’est Moïse et on lui fait assumer une colère que Dieu lui-même n’éprouve pas puisqu’il demande que l’on recommence.
En
fait ce Dieu, qui s’est nouvellement révélé aux hébreux captifs, se démarque
des autres divinités. Il est totalement
différent des dieux païens qui ne sont que la sacralisation des éléments de la nature.
Apollon n’est-il pas la représentation du soleil qui parcourt le ciel
dans la journée et Mardouk, le dieu de Babylone, n’est-il pas lui aussi une
manifestation des mouvements de la nature ? Les hommes qui les vénéraient
pensaient que s’ils ne leur rendaient pas de culte, la nature se dérèglerait.
Mais ce n’était pas le cas de Yahvé. La présence d’un peuple à ses côtés ne lui
servait à rien, si non à lui manifester son amour. Ce Dieu qui vient vers les Hébreux et qui
parle par Moïse représente une toute nouvelle conception de la divinité. C’est Yahvé qui s’impose au peuple hébreu pour
le faire exister. Il se révèle alors à
lui comme le Dieu qui le fait vivre.
Maintenant
interrogeons-nous au sur ce peuple rebelle au cou raide dont parle l’Ecriture.
En quoi est-il coupable d’avoir construit un veau d’or ? Sa faute est d’avoir
représenté Dieu sous forme d’une statue ! Mais c’est Dieu qu’il voulait
honorer ainsi ! On ne lui avait pas dit comment faire puisque les détails de la Loi ne lui seront donnés qu’après. Si les tribus
rassemblées ont offert à Dieu une orgie, si j’en crois le film « les dix
commandements », elles ont
simplement fait une erreur d’appréciation par manque d’information. Les Hébreux
voulaient bien faire, et ils ont mal fait ! Cela ne méritait pas la mort
d’un grand nombre d’entre eux. Il
apparaît donc que la colère de Moïse contre eux était parfaitement injustifiée.
C’est d’ailleurs lui qui en rajoute et qui ordonne l’extermination des
coupables. Si Dieu réclame que l’on renouvelle l’alliance c’est qu’il passe l’éponge.
C’est comme s’il donnait tort à Moïse.
En
fait, on a pris l’habitude de croire que
l’homme était coupable par nature. Calvin l’a fait lourdement sentir dans sa
prière d’humiliation que notre liturgie a conservée : « né dans la
servitude du péché, incapable par nous-mêmes d’aucun bien… » C’est l’apôtre Paul qui avait commencé par enfoncer le clou, Augustin
l’a suivi dans cette voie, si bien qu’en
remontant le cours des Ecritures on
finit par arriver, comme toujours au fameux péché d’Adam, où il lui sera
reproché d’avoir consommé un fruit placé à portée de sa main pour le tenter. Ce
sera aussi l’histoire de Caïn qui a tué son frère sans raison, par simple
jalousie, puis ce sera le récit du déluge où
l’humanité considérée comme coupable
est destinée par l’Ecriture à être exterminée.
Ces
quelques exemples parmi les plus connus semblent suffisants pour
laisser entendre que les rédacteurs des textes bibliques considéraient
que l’homme avait un défaut de
conception au départ, comme un vice de
fabrication. Mais Dieu, même s’il
inspire les rédacteurs du texte
sacré résiste à cette conception et s’efforce en vers et contre tout de dépasser la fatalité qui semble peser sur
l’humanité. Ainsi, à la sortie de l’Eden
prépare-t-il Adam et Eve à la nouvelle aventure qui les attend. Il les habille
de peaux de bêtes plus résistantes que les feuilles dont ils se sont vêtus et
il leur donne une feuille de route : « Tu laboureras le sol à la
sueur de ton front », conséquence de leur nouvelle vie et non,
condamnation à cause de leur péché.
Si
Caïn tue son frère, c’est pourtant Dieu qui sauvegarde sa vie en plaçant sur
son front un signe de protection, comme s’il était inscrit dans l’ordre des choses que Caïn
tuerait Abel, comme s’il était inévitable que la sédentarisation et la culture supplantent le
nomadisme et l’élevage.
Si
l’écrivain biblique condamne les hommes
à disparaître dans le tsunami du
déluge à cause de leur méchanceté qui s’est soi-disant généralisée, c’est Dieu, encore lui, qui
intervient pour préserver l’humanité en détresse et sauver Noé et sa famille de
la fureur des éléments.
En
fait dans chaque cas, Dieu permet à l’homme d’évoluer vers une nouvelle
situation car sa destinée est de ne
jamais cesser d’évoluer. Ainsi Dieu nous
est-il présenté comme le Dieu qui résiste au rôle de justicier dans lequel on a
tendance à l’enfermer. Il n’est donc pas celui qui punit une humanité coupable
mais qui la conduit et l’accompagne sur
le chemin de sa destinée même si surgissent parfois sous ses pas des situations inexplicables dont
Dieu n’est pas responsable.
Voila
où nous en sommes. Ce sont ces constations qui expliquent pourquoi une nouvelle
édition du texte de la loi était nécessaire après que Moïse ait détruit la
première. Cette Loi est destinée à être le code de vie dont Dieu se sert pour
guider les hommes dans leur évolution.
C’est
Dieu qui en écrivant ce texte se désigne
lui-même même comme un Dieu lent à la colère, qui étend sa bénédiction jusqu’à
mille générations. Le rédacteur éprouva cependant le besoin de nuancer cet enthousiasme. Il suggéra alors que soit
rajouté un codicille qui maintiendrait quand même une possibilité de jugement
dans l’action de Dieu, c’est pourquoi il a rajouté « je punirai la faute
des pères sur les fils jusqu’à la troisième génération »
On
pourra alors dire qu’il y a quand même deux générations qui seraient
injustement punies. Mais il paraît impensable dans le contexte rédactionnel de
cette époque de ne pas faire apparaître une notion de jugement, c’est pourquoi
Dieu consent à ce que cette réserve soit inscrite dans le texte. Mais viendra
le jour où Dieu réduira le châtiment non
pas à une seule génération, mais à un seul homme qui acceptera que soit
détourné sur lui la fureur des nations qui voudraient voir en Dieu un juge
suprême et seulement cela. C’est pour cela que
Jésus mourra sur une croix, condamné non pas selon la loi d’Israël mais
la Loi de toutes les nations de l’époque, celle de l’empire romain. Désormais,
plus personne ne pourra contester le fait que Dieu oppose sa loi d’amour à
toute forme de justice humaine.
N’est
ce pas alors cette Loi d’amour qui était déjà dans le texte de la Loi écrite
par la main de Dieu et que Moïse a détruite ? C’est pour cela qu’il a fallu attendre
que Jésus vienne pour qu’elle soit
révélée.
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