Matthieu /15-21 La foi d'une Cananéenne
21 Jésus partit de là et se retira vers la région de Tyr et de
Sidon. 22 Une Cananéenne venue de ce territoire se mit à crier : Aie compassion
de moi, Seigneur, Fils de David ! Ma fille est cruellement tourmentée par un
démon. 23 Il ne lui répondit pas un mot ; ses disciples vinrent lui demander :
Renvoie-la, car elle crie derrière nous. 24 Il répondit : Je n'ai été envoyé
qu'aux moutons perdus de la maison d'Israël. 25 Mais elle vint se prosterner
devant lui en disant : Seigneur, viens à mon secours ! 26 Il répondit : Ce
n'est pas bien de prendre le pain des enfants pour le jeter aux chiens. 27—
C'est vrai, Seigneur, dit-elle ; d'ailleurs les chiens mangent les miettes qui
tombent de la table de leurs maîtres... 28 Alors Jésus lui dit : O femme,
grande est ta foi ; qu'il t'advienne ce que tu veux. Et dès ce moment même sa
fille fut guérie.
Heureux
celui ou celle qui sait que le Seigneur reste le maître des mystères de sa vie,
car notre vie est pleine de mystères dont nous ne savons pas les origines et
cela nous trouble. Quelles que soient les circonstances et quelles que soient
ses origines le croyant sait qu’il y a indépendamment de lui des forces qui
n’obéissent pas aux règles des hommes et qui donnent du sens à son existence.
C’est Dieu qui se révèle ainsi. Cela relève de la foi, et cela devrait lui
suffire. Mais ce n’est pas le cas.
Pour
beaucoup, il apparaît comme un fait établi que Dieu aurait réglé les mystères
de la vie selon des critères qui lui appartiennent, mais les hommes se croient
suffisamment intelligents pour les découvrir et s’en emparer à son insu. A
l‘opposé, d’autres vont jusqu’à penser que certains individus ou même certains
peuples ont priorité sur les autres et détiennent dans leurs cultures les
secrets de la vie. Comme cela semble apparemment être le cas du peuple juif.
On
est en droit de penser que Jésus en tant que juif partage cette opinion qui le
rend réticent pour écouter les doléances de cette femme. Cela peut sans doute
nous choquer, mais Jésus est un homme de son temps, issu de la culture de son
temps et il réagit avec les réserves des hommes de son temps. Mais tout cela
n’est ici qu’une entrée en matière dont l’issue nous rapprochera de la vérité.
Même
s’il reconnaît qu’il est venu pour donner priorité aux brebis perdues d’Israël,
il ne dit pas qui sont ces brebis perdues. S’agit-il des Israélites qui ne
reconnaissent pas en lui le messager de Dieu ? S’agit-il des non juifs qui
n’ont aucune connaissance de Dieu ? Dans ce cas il s’agit d’une grande
multitude de gens ! Alors grand est le nombre des brebis perdues de la maison
d’Israël, même les petits chiens cananéens qui mendient les miettes en font
partie.
En
fait de miettes, il ne me paraît pas que la foi puisse se mesurer. Ici il
s’agit de miettes, ailleurs il s’agit de grains de moutarde, il n’y a pas de
mesure pour codifier les degrés de la foi. La foi est avant tout une certitude
et un savoir. Elle relève d’un état et non d’un dosage. Elle repose sur une
vérité que nous ressentons au fond de nous-mêmes selon laquelle notre vie ne
nous appartient pas. Elle appartient à une réalité qui nous nous vient
d’ailleurs et qui s’intègre en nous pour faire partie de nous-mêmes. Ce n’est
ni la sagesse des hommes, ni la science que l’on pourrait avoir des Ecritures
qui fait que notre vie a du sens ou qu’elle n’en a pas, c’est une vérité qui
vient d’au de là de nous-mêmes.
En
dépit de cela, depuis toujours les hommes ont cru pouvoir arracher les secrets
de la vie à qui les possède : Dame nature dont nous faisons partie ou Dieu
quand on y croit. Les savants ont tenté toutes sortes d’aventures pour parvenir
à cette fin. Ils sont descendus jusqu’aux aux racines des continents dans les
gouffres marins, ils sont montés plus haut que les cieux pour rejoindre les
étoiles, mais leur avidité de connaissance ne leur a rien révélé sur notre âme.
Astrologues,
sorciers, enchanteurs, mages et gourous ont aussi essayé d’arracher ces mêmes
secrets à la matière dont nous sommes faits, mais l’élixir de vie, l’eau de
jouvence ou la pierre philosophale n’ont jamais été trouvés et ne le seront
sans doute jamais car les secrets de notre existence ne sont pas à notre
portée.
Pour
y arriver, il faudrait franchir les portes de la mort et perdre alors notre
consistance physique pour découvrir qu’au delà de la mort il y a peut être un
savoir sur la vie qui nous concerne, mais cette étape franchie tout
retour vers un état antérieur nous serait interdit. Notre découverte ne nous
serait alors d’aucune utilité. Face à toutes ces espérances déçues, une pauvre
femme dont on ne connaît pas le nom nous donne la seule leçon qui nous permette
d’avancer.
Face
au mystère de la vie, Dieu ne nous a pas laissés sans réponse. Face au
questionnement universel des hommes, il y a une réponse que cette femme a
trouvée en toute naïveté. Apparemment si cette femme a compris ce grand mystère
qui est celui de la foi. Nous en serons, sans doute capables, nous aussi. Dieu
nous a donné des miettes suffisantes pour apaiser notre faim de curiosité elles
ne relèvent ni de la compétence des savants ni de celle des gourous. Ces
miettes qui échappent à la sagesse des plus futés sont cependant à la portée de
chacun.
Pour
ce faire il nous faut suivre l’exemple de cette femme qui a déjà fait le point
sur sa propre existence. Comme elle, nous n’avons sans doute pas plus
d’importance que des petits chiens et nous espérons cependant que des miettes
de la sagesse divine vont tomber jusqu’à nous. Cette sagesse qui va nourrir
notre foi c’est l’espérance.
Cette
femme espère. Elle ne sait sans doute pas quoi, mais elle est poussée par une
force qui lui donne de l’audace. L’espérance est cette force qui nous habite et
qui met en nous une soif de vie qui nous pousse à commettre des actes
audacieux. Ces audaces dont nous sommes capables ne correspondent ni à une science
ni à un savoir elles jaillissent du tréfonds de nous-mêmes et agissent comme un
moteur de vie qui tire notre existence vers le haut. On pourrait les appeler en
terme profane l’instinct de survie.
Cet
appétit de la vie nous pousse à entreprendre des choses parfois irrationnelles
ou insensées. Il ne porte pas toujours les fruits espérés, il échoue parfois
lamentablement, mais il provoque en nous un dynamisme dont l’origine
mystérieuse est en nous, mais ne vient pas de nous.
La
femme cananéenne de ce récit a compris cela, elle n’a sans doute pas fait
d’études avancées mais elle comprend que les pulsions de vie qui l’habitent
viennent d’ailleurs que d’elle-même. Au contact de Jésus, ces pulsions de vie
se sont mises en mouvement et elle comprend que c’est le Dieu dont Jésus parle
qui en est à l’origine. Elle sait que c’est Dieu, qui en dépit des
circonstances et des conventions sociales lui donne l’audace d’attirer
l’attention de Jésus. Puisque Dieu provoque en elle cette espérance de vie,
elle a alors raison d’insister.
Elle
n’a pas eu besoin qu’on l’enseigne pour découvrir que l’espérance qui l’habite
lui vient de ce Dieu qui a mis en elle un désir de vie. Il en va de même pour
chacun de nous. Ce mystère ne nous appartient pas. On ne le trouvera ni en faisant
des expériences élaborées ni en s’adonnant à des calculs compliqués, mais en
constatant qu’il y a en nous une force de vie qui nous pousse à espérer.
Le
miracle de la femme cananéenne ne réside pas tellement dans le fait que sa
demande ait abouti, mais plutôt dans le fait qu’elle ait compris que l’audace
qu’elle a eu d’importuner le maître pour quémander la vie, ne lui venait pas
d’elle-même mais lui venait justement de celui qui donne la vie et qui la prend
en charge, elle et sa fille.
L’espérance
est donc cette force que Dieu a mis en nous depuis nos origines et qui nous
pousse à toutes les audaces. Jésus s’est donné pour tâche de nous aider à
identifier cette force et de lui donner un nom. Il reconnaît en elle le
Seigneur dont il est le Fils. Il nous prend en charge comme le ferait un Père,
il nous enveloppe d’amour comme le ferait une mère. Il nous ouvre un avenir de
vie sans fin comme le ferait notre Dieu. C’est grâce à l’Esprit que Jésus
souffle sur nous que nous arrivons à cette connaissance.
Lui
seul a su aller jusque au bout de l’espérance. Même dans la mort, son espérance
a pris la dimension de l’éternité qui est la seule réalité qui contienne toutes
les dimensions de Dieu, c'est-à-dire l’amour, l’espérance et la vie. Ainsi
croire en Jésus Christ consiste à avoir l’audace suprême de savoir que la vie
ne peut pas nous abandonner car elle vient d’ailleurs, elle appartient à Dieu
et Dieu a décidé de nous la donner en totalité.
Images Codex Egbert
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