La pratique de
l’amour, fait partie de cette révolte
que Dieu met en nous pour changer le monde :
( Une réflexion pour accompagner une
méditation sur Jérémie 20/7
« Tu m’as séduit Éternel et je me
suis laissé séduire
Tu m’as saisi et tu as vaincu. Je suis
chaque jour en dérision et
Tout le monde se moque de moi. »)
Tout individu qui réfléchit à la réalité
des choses, finit invariablement par se
dire que Dieu ne peut faire cause commune avec ce monde. Il y a incompatibilité entre lui, que nous supposons en phase avec l’univers et la société des
humains qui se complaisent à multiplier
les rivalités et les inégalités. Toute forme d’harmonie entre les êtres devient
alors impossible. Ceux qui voudraient faire entrer la notion de Dieu dans une telle
réflexion pourraient seulement dire que
le Dieu qui conviendrait aux humains ne
pourrait être qu’un Dieu injuste et
sectaire qui n’affermirait sa
toute puissance qu’en cautionnant les
rivalités et les injustices. Mais si c’était le cas, le monde à la destiné duquel il préside aurait
disparu depuis longtemps. A l’inverse, c’est le Dieu de
l’harmonie auquel nous aspirons secrètement qui n’aurait que peu de chances d’exister. Dans le meilleur des cas c’est le Dieu qui se
confond avec la nature qui aurait l’heur
de nous plaire, mais il n’aurait aucune incidence sur le devenir des
hommes.
Voila le raisonnement qu’aurait pu tenir
Jérémie s’il avait prolongé plus loin la
pensée qu’il développe dans le passage que nous avons cité en exergue. Il en
serait sans doute arrivé à conclure
qu’il y a inadéquation entre le Dieu dont les hommes se réclament
généralement et la réalité du Dieu qu’il perçoit. Mais malgré tout, il ne peut concevoir un
autre Dieu que celui-là. Bien évidemment
quand il développe de telles idées en contradiction les unes avec les
autres, les hommes se moquent de lui.
Non seulement il en souffre, mais il remet aussi en cause l’idée qu’il a de Dieu.
Qui le délivrera de ce raisonnement
absurde dans lequel il s’enferme ? Qui nous éclairera si nous avons
l’audace de le suivre sur cette voie là ?
La
sagesse ne consisterait-elle pas
pour lui à cesser de se poser tant de questions, à accepter de vivre dans ce
monde où il est et de profiter du temps qui passe en rendant grâce à Dieu de ce
qu’il y a de bien dans son existence
sans soulever des problèmes auxquels personne ne saurait répondre ? Ce n’est
pas à lui de porter sur ses frêles épaules
toutes les inégalités de ce monde ! Dieu ne le lui demande pas ! Tels pourraient-être les arguments que lui
opposeraient ses meilleurs amis s’il en avait comme ce fut le cas de Job. Evidemment,
il ne pense pas comme eux ! Si le Dieu auquel il croit est cohérent avec ce qu’il lui inspire, sa protestation contre ses semblables qui ne l’écoutent pas, est justifiée. S’il y a de la cohérence dans le Dieu auquel
il croit, il doit se jeter à corps perdu
dans la bagarre, dut-il y laisser sa
vie.
Il se doit de contester le bien fondé de
cette société de privilégiés où il se trouve et de polémiquer contre ses
semblables, contre les prêtres et même
contre son roi. Il ne peut pas tout
garder en lui sans le dire, l’esprit qui l’anime lui suggère de le faire, c’est pourquoi, il se refuse à taire
cette vérité qui lui fait si mal et à la garder pour lui. En même temps, tout en se
reconnaissant comme trop faible pour
agir efficacement il reproche à
Dieu de ne pas lui en donner les moyens.
Voila ce que pense Jérémie. Il est à la foi en accord avec son Dieu qui lui
inspire ses protestations et il lui
reproche en même temps de ne pas lui donner la force, ni le pouvoir d’agir
efficacement. Il le laisse s’enferrer dans une révolte de façade qui ne lui attire que des désagréments.
Pourtant, en protestant comme il le faisait,
Jérémie donnait la parole à tous ceux qui n’étaient pas satisfaits des
injustices dans lesquelles ils se trouvaient et contre lesquels les ils se
sentaient seuls. Il justifiait ainsi,
tous les contestataires qui se réclament de Dieu pour dire leur
insatisfaction. Ils entendent au fond d’eux-mêmes une autre voix que la
leur, qui leur vient de Dieu et qui leur dit que la priorité pour eux n’est pas
dans la pratique de la religion, mais
dans la justice et le refus des inégalités : « Vos holocaustes ne
me plaisent pas, dira-t-il au nom de Dieu en 6/20, vos sacrifices ne me sont pas
agréables ». Il ouvrait ainsi la voie
à tous les chercheurs de Dieu qui le trouvaient ailleurs que dans la rigueur
du culte et les portiques du temple mais dans une vaste protestation contre
l’injustice.
Il est banal de refuser aujourd’hui Dieu tel que les religions le représentent,
les lois nous autorisent à le faire sans que nous risquions d’en payer lourdement
les conséquences. On a le droit de dire son désaccord et même de rejeter Dieu sans aucune
conséquence apparente, mais c’est Dieu qui n’y trouve pas son
compte ! Car, quand on rejette jusqu’au
principe même de Dieu, on ferme son propre esprit à toutes ces voix qui viennent d’ailleurs et
qui sont parfois la sienne, qui vibrent à l’intérieur de chaque individu et qui
lui disent ce que Dieu dit aux hommes.
En effet, si Dieu est présent au monde, il
est aussi présent aux hommes et il a la possibilité de se faire comprendre
d’eux, sans fréquenter les chemins sur les quels on s’attend à le rencontrer. Il
ne s’encombre pas des conventions imposées par les hommes pour se faire
comprendre, car c’est sur le chemin de la révolte que Dieu lui apparaît.
Ce n’est pas cette voie qu’ on s’attend à
rencontrer Dieu. Jérémie a bien compris que Dieu ne l’invite pas à se
satisfaire d’une situation établie et qu’il ne cautionne pas la société injuste qui se réclame de lui. Ce n’est pas dans les actes de piétés qu’il
entend l’appel de Dieu, ce n’est pas dans les cérémonies du temple, ni dans la
beauté des processions ou dans la musique liturgique qui élève son âme, c’est
dans le vent de révolte contre l’ordre
établi qu’il entend la voix de son Dieu. Ce vent le pousse bien malgré lui sur
un chemin où personne ne veut l’accompagner.
Mais en tant qu’homme de Dieu il sait aussi
qu’il doit être un sage. La sagesse ne consiste pas à donner libre cours à la révolte, à descendre dans la rue et à
mobiliser au nom de Dieu contre le pouvoir en place, tous les mécontents. La sagesse, alors que la
révolte gronde en lui, est de chercher à
entendre Dieu et à rester en harmonie avec lui. Plus il est méprisé, plus il se
sent rejeté, plus il sent la proximité de Dieu qui lui donne la sérénité pour
avancer et l’espérance malgré les contraintes. La révolte ne signifie pas la
violence, mais correspond à un état d’esprit que nous découvrons à son contact
comme faisait partie de l’esprit de Dieu.
Dieu ainsi avait préparé depuis longtemps le
message dont Jésus s’emparera bien plus
tard, quand il fera de l’amour du prochain la règle absolue que l’humanité devra adopter si elle veut
être en accord avec ce qu’il nous est
donné de connaître de Dieu. Dieu n’est pas seulement celui qui a mis en branle
tout l’univers et qui règle le parcours des étoiles dans le ciel. Il n’est pas
seulement celui qui donne du sens aux choses et aux individus, mais il est
avant tout celui qui conduit les hommes vers leurs semblables pour qu’ils
s’aiment entre eux. Il propose aux
hommes de renoncer à toute forme de rivalités pour vivre en harmonie avec leurs
semblables. Ainsi ils construiront un monde
qui sera en accord avec la
manière dont Dieu veut concevoir
l’univers et agir en osmose avec
lui. La pratique de l’amour prend alors l’aspect de la révolte que Dieu met en
nous pour changer le monde.
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