Matthieu 18 :15-20/ 21-22
15 Si ton frère a péché contre toi, va et reprends-le
seul à seul. S'il t'écoute, tu as gagné ton frère. 16 Mais, s'il ne t'écoute
pas, prends avec toi une ou deux personnes, afin que toute affaire se règle sur
la parole de deux ou trois témoins. 17 S'il refuse de les écouter, dis-le à
l'Eglise ; et s'il refuse aussi d'écouter l'Eglise, qu'il soit pour toi comme
un non-Juif et un collecteur des taxes. 18 Amen, je vous le dis, tout ce que
vous lierez sur la terre sera lié dans le ciel, et tout ce que vous délierez
sur la terre sera délié dans le ciel. La prière en commun
19 Amen, je vous dis encore que si deux d'entre vous s'accordent
sur la terre pour demander quoi que ce soit, cela leur sera donné par mon Père
qui est dans les cieux. 20 Car là où deux ou trois sont rassemblés pour mon
nom, je suis au milieu d'eux.
21 Alors Pierre vint lui demander : Seigneur, combien de fois
pardonnerai-je à mon frère, lorsqu'il péchera contre moi ? Jusqu'à sept fois ?
22 Jésus lui dit : Je ne te dis pas jusqu'à sept fois, mais jusqu'à
soixante-dix fois sept fois.
Il
aurait été surprenant que Jésus donnât une réponse chiffrée à la demande de
Pierre sur le nombre de fois qu’il devrait pardonner à son frère. Le nombre de
sept fois, suggéré par Pierre devait déjà lui paraître anormalement élevé. Quoi
qu’il en soit, le problème du pardon reste récurent, et doit habiter la
conscience de beaucoup de monde. En suggérant de pardonner jusqu’à sept fois,
Pierre se donne le beau rôle, puisqu’il s’est situé d’emblée dans le camp de
l’offensé. C’est lui qui s’est placé dans la position de celui qui pardonne, il
ne s’est pas mis dans la situation de celui qui demande le pardon, pourtant le
problème se pose dans les deux sens. Pour autant qu’on le sache, c’est Pierre
qui devra surtout être pardonné par Jésus pour pouvoir se mettre à sa
suite.
Tout
le cours de notre vie est jalonné par des demandes de pardon refusées et des
demandes de pardon non formulées. Il y a des blessures tellement profondes
qu’une simple parole de regret n’arrive pas à apaiser à moins que
l’offensé obtienne un châtiment à la hauteur de l’offense car seul un
châtiment peut assouvir la peine, mais est-ce un pardon qui se produira, ce
sera plutôt une vengeance ? Il y a des meurtrissures qui
résistent au pardon. ,Il y a des pardons donnés du bout des lèvres qui n’en
sont pas. Il y a aussi tous ces pardons que nous nous refusons à nous-mêmes,
car le souvenir du tort fait à autrui est tellement secret ou tellement lourd
que nous nous refusons à l’évoquer tant nous nous sentons coupables de fautes
impardonnables, à tel point qu’on n’ose même pas le confier à Dieu.
Dieu
en effet joue un rôle important dans notre relation aux autres. Une mauvaise
relation avec les autres entraîne de facto une mauvaise relation avec Dieu. On
peut alors se demander si la défection religieuse qui frappe en ce moment l’occident
et qui entraîne la désertion de nos églises n’est pas liée à un problème de
mauvaises relations entre les hommes. Cet état de fait aurait pour origine des
pardons ignorés ou refusés et des pardons bafoués ou extorqués.
Jésus
a centré tout son évangile autour du thème du pardon, c’est pourquoi, après
lui, par fidélité à son message, les hommes ont élaboré des systèmes religieux
centrés sur le pardon. Ils considèrent que pour vivre en harmonie avec Dieu les
hommes doivent sans cesse chercher à recevoir son pardon. Pour certains, ce
pardon ne peut s’obtenir qu’en menant une vie exemplaire consacrée au service
des autres. C’est la vision catholique de la chose. Pour d’autres, à l’inverse,
s’appuyant sur la bonté de Dieu, ils prétendent que Dieu leur fait grâce sans
qu’ils ne méritent aucunement son pardon. Les œuvres généreuses qu’ils font
pour le mieux être des autres seraient alors perçues par eux comme les effets
du pardon en eux. C’est la vision protestante.
Mais
quelque soit la vision, ce pessimisme qui ferait de l’être humain un éternel
coupable à l’égard des hommes ou à l’égard de Dieu est assez mal accepté par
nos contemporains. Ils ont du mal à se sentir liés à Dieu par un sentiment de
culpabilité qui appellerait le pardon afin de se sentir en harmonie avec lui.
Ce sentiment de culpabilité serait si pesant que beaucoup d’hommes se
détourneraient de Dieu.
Peut-on
voir les choses autrement ? C’est difficile car, un simple regard sur le monde
nous suffit pour constater que les choses vont mal et qu’une partie du monde
bénéficie des bienfaits de la planète sans les mériter tandis qu’une autre
partie souffre de ne même pas être capable de survivre. Pourtant, aucune des
deux parties ne se sent ni coupable ni responsable de son sort, qu’il soit bon
ou mauvais. Beaucoup pensent que c’est le hasard qui a voulu que les choses
soient ainsi. Si les mieux nantis proposent d’améliorer les choses en puisant
dans leur trop plein de réserves pour secourir les mal lotis, ils pensent alors
que c’est le fait de leur générosité naturelle et que Dieu n’y joue pas grand
rôle.
C’est
à cause de ce constat qui apparaît comme une évidence aux yeux de nos
contemporains qu’il est peut être nécessaire de mettre les choses au point et
de les regarder sous un autre angle. En effet, nous savons qu’il nous arrive de
commettre des erreurs. Or les erreurs que nous commettons ne nous laissent
rarement indifférents, elles nous font même souffrir. Quand nous avons fait du
tort à quelqu’un, nous en éprouvons non seulement du regret, mais aussi de la
souffrance. C’est comme si la blessure commise aux autres rejaillissait sur
nous pour que nous ne l’oublions pas.
N’est-il
pas curieux de constater, jusqu’à preuve du contraire que les animaux, dans des
situations identiques n’en éprouvent pas les mêmes effets. Quand deux mâles de
la même espèce se battent, et s’entretuent parfois, pour obtenir la suprématie
sur la harde ou sur le troupeau, ils n’éprouvent aucun sentiment de regret même
si pour évincer leur rival ils doivent l’encorner au risque de le tuer. L’observateur
humain que nous sommes prétend qu’ils agissent selon les lois de l’espèce ou
selon les lois de la nature. Pourquoi cela ne marche-t-il pas chez les humains
?
Tout
se passe comme s’il y avait en nous, depuis toujours, un sentiment d’altérité en
fonction duquel on éprouverait de la souffrance quand on porte atteinte à
l’autre et qu’on ressentirait comme un besoin de remédier à sa souffrance, en
fonction d’un autre sentiment qu’on pourrait appeler l’amour.
Chose
curieuse, c’est ce sentiment que Jésus utilise pour définir Dieu. « Dieu est
amour » dit-il dans l’Évangile de Jean. Bien sûr, certains humains sont très
peu sensibles au sort des autres, ils ne souffrent pas forcément du tort qu’ils
leur font. Les campagnes électorales semblent rendre les choses évidentes.
L’histoire et la littérature fourmillent d’exemple attestant de l’insensibilité
de beaucoup d’individus. Dirai-je que ceux qui se comportent de la sorte se
rapprochent de l’animalité ? Je dirai plutôt qu’ils se séparent de Dieu qui nous
a doté d’une sensibilité semblable à la sienne et qui trouve son paroxysme dans
le sentiment d’’amour.
Il
semble donc qu’il y ait en nous, comme un sentiment régulateur qui permettrait
aux hommes de vivre en harmonie les uns envers les autres. Il serait même
capable de rétablir cette harmonie quand elle est rompue. Il me plait d’y voir
la marque du divin en nous. Ce sentiment pourrait bien activer chez les hommes
la notion du pardon. Il nécessite que l’on s’approche des autres dans une
attitude d’humilité et de compassion. Un tel comportement permet à la société
des hommes d’aller mieux.
Le
Judaïsme dont les Chrétiens sont les héritiers l’a particulièrement bien
compris puisqu’il en a fait la clé de voûte de la plus grande de ses
célébrations qui ouvre la nouvelle année qui commence par le Grand Pardon qui
permettrait à Dieu d’effacer toutes les erreurs commises dans l’année écoulée
et d’ouvrir pour l’humanité une nouvelle année libérée du poids et de la
souffrance des fautes passées. La plupart des églises chrétiennes quant à
elles, ouvrent leur culte par la célébration liturgique de la confession des
péchés et l’annonce du pardon de Dieu. Elles montrent par là qu’il ne peut y
avoir de culte rendu à Dieu, si le pardon n’y prend pas une place essentielle.
Ainsi,
nous l’avons bien compris, le pardon est bien un don de Dieu qui rend la vie
possible dans le monde des humains. Ceux qui s’en écartent se laissent prendre
par le tourbillon de la haine et de la mort et se séparent de Dieu. Ceux qui
s’en rapprochent par contre, se trouvent en harmonie avec Jésus et sont invités
à construire le Royaume de Dieu à la préparation duquel, il a consacré toute sa
vie et dont il nous demande de poursuivre la construction. Les deux instruments
de cette entreprise sont l’amour et le pardon. C’est alors que les chiffres
nécessaires à quantifier le pardon changent, ils passent de sept à septante
sept fois sept fois, c’est à dire à un nombre infini
Illustrations
de Pierre-Jean Braecke et de E. Dubois.
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