Jean
17/11-19 ( Pour éclairer ce propos: lire aussi Ecclésiaste 1/12-18)
11 Je ne suis plus dans le monde ; eux sont dans le monde, et moi, je viens à toi. Père saint, garde-les en ton nom, ce nom que tu m’as donné, pour qu’ils soient un comme nous. 12 Lorsque j’étais avec eux, moi, je les gardais en ton nom, ce nom que tu m’as donné. Je les ai préservés, et aucun d’eux ne s’est perdu, sinon celui qui est voué à la perdition, pour que l’Écriture soit accomplie. 13 Maintenant, je viens à toi, et je parle ainsi dans le monde pour qu’ils aient en eux ma joie, complète. 14 Moi, je leur ai donné ta parole, et le monde les a détestés, parce qu’ils ne sont pas du monde, comme moi, je ne suis pas du monde. 15 Je ne te demande pas de les enlever du monde, mais de les garder du Mauvais. 16 Ils ne sont pas du monde, comme moi, je ne suis pas du monde. 17 Consacre-les par la vérité : c’est ta parole qui est la vérité. 18 Comme tu m’as envoyé dans le monde, moi aussi je les ai envoyés dans le monde. 19 Et moi, je me consacre moi-même pour eux, pour qu’eux aussi soient consacrés par la vérité.
Curieusement,
alors que les temps sont accomplis, que la mort le guette et que son
supplice se prépare, Jésus va prononcer
ces dernières paroles qui vont enfin donner du sens à ce monde où nous vivons
depuis l’aube des temps historiques. Or, il faut bien le dire, ce monde n’a
guère de sens car les plus modestes semblent y être nés pour la peine et les
plus favorisés n’y ont fait que naître
dans des conditions plus favorables. Mais tous finissent par disparaître sans
laisser aucune trace. Telle est la méditation à laquelle se livre l’Ecclésiaste
(1/12ss). Il fut le plus grand roi d’Israël, et blasé, il considère
que sa puissance et sa fortune ne lui
ont servi de rien, car tout est vanité
dit-il. Il était donc temps que la sagesse des plus sages soit dépassée et que
Dieu prenne part à ce débat. C’est ce qu’il
fait par la voix de Jésus qui nous invite à entrer dans la joie de Dieu,
car le monde n’arrivera pas à son terme sans y participer.
Pour que
le monde prenne du sens et devienne un concept crédible, pour que le monde soit
gagnant, il ne faut pas tout attendre de Dieu. Il ne suffit pas que Jésus meurt
en prononçant des paroles vertueuses pour que le monde devienne intelligible.
Il y a bien longtemps que les propos de
saint Anselme sur la théologie du rachat
sont dépassés. La théorie du péché
originel sur laquelle il s’appuie ne trouve plus d’adeptes. Pour que les choses prennent du sens, il faut
que nous mettions notre intelligence à contribution, car Dieu a prévu notre
collaboration pour que le monde
s’harmonise avec lui. Il n’est d’ailleurs nullement évident que nous
seront gagnants et que les choses tourneront à notre avantage.
En effet,
être gagnant, dans notre vocabulaire d’aujourd’hui signifie que nous espérons faire partie de ceux qui
bénéficieront de l’évolution favorable des choses. Or Jésus veut nous inviter à croire que Dieu ne
veut pas que le monde soit réparti entre
chanceux et mal chanceux.
C’est une
autre conception du monde qu’il propose. Jésus utilise ici plusieurs fois cette notion
de monde. Le monde est présenté ici comme une alternative à Dieu. Pourtant Dieu
l’aime au point de donner son fils pour le sauver, est-il dit ailleurs dans ce
même évangile. Mais en dépit de cet amour que Dieu éprouve pour lui, le monde suit des voies qui
s’écartent de celles que Dieu souhaite.
En fait,
le monde est cet espace où Dieu exerce son
art de créateur. Depuis l’origine de toutes choses, le monde résiste à
l’action de l’amour par lequel Dieu tente de le transformer. Ce qui domine sur le monde
c’est l’individualisme de chacun, sa
tendance à tout ramener à lui-même et à tout
accaparer en faveur de ce qui viserait à le maintenir en situation de dominants. Or l’amour dont
Jésus fait état devrait avoir justement un effet contraire, si bien que la partie du monde sur laquelle
Dieu n’a pas encore d’emprise a tendance à haïr tout ce qui tenterait d’aller
dans le sens où Dieu le souhaite.
Ce texte
qui a trouvé sa forme définitive après que Jésus l’ait prononcé, a fait planer l’ombre du « mauvais »
comme la cause de tout ce qui s’oppose à
Dieu. Il a laissé entrevoir même dans le
personnage de Judas, comme incarnation
du malin qui trouve bien évidemment sa
place, ici, dans le contexte de la
passion. Mais ce serait aller bien vite en besogne que de lui faire porter un
rôle quelconque dans la dérive du monde en
faisant de lui l’incarnation du rival de Dieu qui contrecarrerait ses projets.
Il serait plus correcte de penser que le « mauvais » ferait plutôt
partie de nous-mêmes et qu’il serait lié à cet élément qui, en nous, ferait barrage à l’amour de Dieu et qu’il
serait plus conforme d’en faire l’émanation de notre égoïsme ou de notre instinct de domination que nous seuls
pourrions combattre et vaincre avec l’aide de Dieu.
Jésus affirme
que le projet de transformation du monde est possible et que le monde pourrait
aller dans le sens où Dieu le désire, mais il faudrait que chacun y mette du
sien et commence par accepter la haine
des autres à leur égard, car ils répondent par la haine aux propos de Jésus selon lesquels, Dieu ne projetterait pas de faire évoluer le
monde en réservant une place de choix aux plus favorisés.
Il semblerait
qu’en méditant ces paroles de Jésus
comme nous le faisons, nous devrions
bouleverser notre manière de célébrer le culte dominical et que nous devrions plutôt le commencer
par la prière d’intercession au lieu de terminer par elle. En effet, dans cette
prière, nous faisons état de tout ce qui va mal autour de nous et où nous
supplions Dieu d’agir de toute urgence pour le mieux être du monde.
C’est la
partie prophétique de tout notre culte, c’est le moment où devant Dieu et avec
lui nous traçons les contours d’un monde qui pourrait devenir
celui que Dieu désire si on le prenait au sérieux et si nous faisions ce qu’il
souhaite que nous fassions. En faisant état de tout ce qui va mal, nous sommes
bien conscients du fait qu’un autre monde serait possible. En concevant les choses ainsi, nous allons
dans le sens de la prière de Jésus et nous nous plaçons dans les conditions
souhaitées par le Seigneur pour que sa volonté soit faite et que son règne
arrive.
Nous
entrons alors dans l’ultime souhait de Jésus, afin d’être dans la joie. Elle deviendra parfaite quand
elle rejoindra celle de Dieu et que nous aiderons le monde à évoluer selon sa
volonté. Ainsi les hommes pourront entrer joyeusement en harmonie avec Dieu dans
la vision d’un monde appelé à se transformer par nos efforts conjugués avec lui.
Le monde s’ouvrira alors à un devenir
dont la réalisation est de l’ordre du bonheur
possible.
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