Luc 3/15-22
Comme le peuple était
dans l'attente, et que tous se demandaient si Jean n'était pas le Christ, 16 il
leur répondit à tous : Moi, je vous baptise d'eau, mais il vient, celui
qui est plus puissant que moi, et ce serait encore trop d'honneur pour moi que
de délier la lanière de ses sandales. Lui vous baptisera dans l'Esprit saint et
le feu. 17 Il a sa fourche à la main, il va nettoyer son aire ; il
recueillera le blé dans sa grange, mais il brûlera la paille dans un feu qui ne
s'éteint pas.
.18 Jean annonçait la
bonne nouvelle au peuple avec beaucoup d'autres encouragements.
19 Mais Hérode le
tétrarque, à qui Jean faisait des reproches au sujet d'Hérodiade, femme de son
frère, et au sujet de toutes les mauvaises actions qu'Hérode avait commises, 20
ajouta encore à toutes les autres celle d'enfermer Jean en prison.
21Quand tout le peuple
reçut le baptême, Jésus aussi reçut le baptême ; et, pendant qu'il priait,
le ciel s'ouvrit, 22 et l'Esprit saint descendit sur lui sous une forme
corporelle, comme une colombe. Et il survint une voix du ciel : Tu es mon
Fils bien-aimé ; c'est en toi que j'ai pris plaisir.
J'ai écrit ce sermon il y a
trois ans et je l'ai gardé tel quel en y apportant quelques légères
modifications.
La prédication de Jean
laisse entrevoir le début d’une ère de paix, de partage et d’amour que Dieu est
en train d’instaurer pour le bonheur des hommes. Mais qu’en est-il vraiment de
ce Dieu auquel il se réfère comme un Dieu d’amour et que son successeur Jésus
considérera comme son père? Malgré les sentiments d'extrême bonté que l’on prête à
Dieu, il n’est pourtant pas venu secourir le prophète Jean Batiste annonciateur du
Messie menacé par Hérode. On le soupçonne aussi d’avoir laissé son propre
fils mourir sur une croix pour sauver les hommes. On a prétendu qu’il a accepté
ce mal pour provoquer un bien beaucoup plus grand. Dieu peut-il s’accommoder
d’un moindre mal pour favoriser un bien plus grand? C’est ici la grande
question que se pose le christianisme depuis deux mille ans. Nous
allons essayer d’y voir plus clair à propos de l’histoire de Jean Baptiste et
de Jésus.
Le texte unit les deux
hommes dans la même continuité spirituelle. Il s’achève sur le récit du
baptême de Jésus par lequel Jean semble lui conférer un droit de
succession. Dans le même temps, l’ombre du tétrarque plane au-dessus de Jean
annonçant sa mort prochaine. La mort de Jean semble arriver en temps
opportun pour laisser toute la place à Jésus. Si Dieu avait miraculeusement
sauvé Jean, sa présence aux cotés de Jésus n’aurait-elle pas nuit à sa
mission? La question est bien évidemment sans réponse. On peut
cependant se demander si Dieu n’a pas laissé faire pour que les choses se
passent sans qu’il y ait interférence de l’un sur l’autre.
A partir de cette question,
on peut se demander si Dieu n’utilise pas parfois certaines
actions mauvaises menées par les hommes ou provoquées par la nature pour
permettre qu’un mieux s’installe parmi les humains afin de faire avancer
l’histoire à sa guise. Il nous faut donc approfondir la
question pour savoir comment Dieu se situe. Gardons la question en
suspens pour l’instant et projetons-nous trois ans plus tard au moment où
Jésus lui-même fut mis à mort. On a encore aujourd’hui l’impression
pénible que Dieu aurait pu intervenir au lieu d’opposer un silence
insupportable aux coups de marteau du bourreau clouant Jésus sur la croix.
Les Écrivains bibliques,
n’ont pas commenté ce silence de Dieu lors de la mort de Jean, par contre, pour
Jésus, ils ont laissé entendre que c’était écrit à l’avance et que la mort de
Jésus aurait été bel et bien programmée par Dieu. En acceptant de mourir
d’une manière aussi infâme que celle qu’il a connue, Jésus se serait soumis à
la volonté de son Père. En tout cas c'est cette interprétation que la tradition
semble avoir favorisé.
Ce n’est pas parce que nous
posons la question du silence apparent de Dieu que nous allons la résoudre.
Elle va cependant alimenter notre réflexion pendant quelques instants.
Est-il donc possible que Dieu se taise quand les hommes souffrent, et est-il
possible qu’il tire un bien d’un mal qu’il aurait laissé faire?
Beaucoup de croyants
trouvent une réponse à leurs souffrances dans une telle approche,
et acceptent plus volontiers leurs souffrances s’ils pensent qu’elles
entrent dans un projet de Dieu. Ils considèrent que si Dieu laisse faire
c’est que, dans sa bonté il a construit un projet qui
permettra que d’autres humains en éprouvent un mieux-être. Le malade qui
souffre d’un mal incurable espère que son mal permettra aux chercheurs de
faire un pas de plus sur le chemin de la découverte d’un médicament ou d’un
vaccin et que Dieu en lui donnant du courage pour résister dans la souffrance
permet à la médecine de progresser.
Le prophète Esaïe semble
vouloir aller dans ce sens quand il campe le portrait du serviteur souffrant
qui accepte sans protester qu’on lui arrache la barbe ou qu’on agisse
envers lui comme on le ferait d’un mouton que l’on traine à la boucherie (1).
Les évangélistes en rapportant le récit sur la mort de Jésus ont vu en lui une
figure prophétique du Messie agonisant pour sauver le monde.
On s’est tellement habitué à
cette explication qu’on imagine mal qu’il puisse y en avoir d’
autres, car la souffrance pèse d’un tel poids dans notre existence et dans l’histoire
des hommes qu’il faut bien l’intégrer dans un projet divin, sans quoi la
vie elle-même deviendrait inacceptable et la porte serait ouverte au désespoir
et à la perte de la foi. Il faut bien que les choses en soient ainsi sans
quoi on n’aurait pas pu dire que l’Église s’est nourrie du sang des martyrs,
car leur supplice, loin de l’anéantir l’a faite progresser, comme
si la mort héroïque des témoins de Dieu avait nourri la foi des
incroyants au point qu’ils se convertissaient. C’est un fait incontestable
que les persécutions ont entrainé des actes de foi et des conversions.
Mais était-ce inscrit dans le plan de Dieu?
Jean Baptiste, et
Jésus après lui ont parlé d’un Dieu d’amour. Ils n’ont pas cherché
à instaurer une pratique religieuse basée sur la souffrance. Mais pour bannir
la souffrance et l’injustice qui règnent sur le monde, n’a-t-il
pas fallu que Dieu s’en mêle au prix de compromissions choquantes?
Face à un monde qui s’enlise
dans l’injustice, Jésus n’a proposé qu’une seule porte de sortie, celle de
l’amour et de l’altruisme. Il n’ignorait pas cependant qu’il rencontrerait
plus d’incompréhensions que d’adhésions. Il savait, que ceux qui
chercheraient à mettre ses préceptes en pratique en pâtiraient, mais il
savait aussi que son enseignement finirait par porter ses fruits, parce qu’il
portait en lui une vérité qui émanait de Dieu, c’est pourquoi les
souffrances des martyrs aidant, la foi chrétienne a réussi à gagner toute une
partie du monde.
Le monde dans lequel vivait
Jésus, comme le nôtre est un monde où la vie du plus fort se nourrit de
la vie des plus faibles. Nous considérons comme une vérité fondatrice
que dans ce monde les plus forts doivent profiter des plus
faibles et que les moutons produisent de la laine pour que les hommes les en
dépouillent. Cela entraine des injustices et aussi des souffrances.
L’espèce humaine évolue dans ce milieu mais y participe aussi. Or
depuis que Dieu est entré en contact avec les hommes,
depuis qu’Abraham s’est senti personnellement interpelé par Dieu, Dieu a montré
son désaccord avec ce mode de vie où la domination des uns
sur les autres aurait force de loi.
Les prophètes ont
répercuté cette protestation de Dieu, et c’est par leurs écrits qu’elle
nous est connue. On trouve ainsi sous la plume d’Esaïe une prophétie étrange
selon laquelle le lion et le bœuf ensemble mangeront de la paille
(2). Ceux qui ont reçu pour mission de parler au nom de Dieu se
sont laissés aller à envisager un monde utopique où la violence sera
proscrite et ne servira plus de règle pour gérer l’avenir. Loin d’envisager que
la violence puisse servir ses projets, Dieu inscrit l’absence de
violence, comme seule méthode possible pour gérer le monde selon sa
volonté. Ce projet prend déjà corps dans le baptême que Jean propose aux
foules et dont il baptise Jésus.
Bien entendu, les
ablutions de purification étaient déjà pratiquées dans le judaïsme, mais avec
Jean et plus tard avec Jésus elles deviendront un rite d’adhésion à la foi. Le
baptême va alors remplacer la circoncision qui était caractérisée par une
souffrance et une blessure du corps. Il remplacera aussi les sacrifices
qui eux aussi faisaient souffrir les animaux. Seul un peu
d’eau suffira désormais à marquer l’entrée des hommes dans le projet de vie
établi par Dieu à leur intention. Toutes les souffrances requises par le
passé au nom de Dieu seront désormais abolies.
Tout se passe comme si Dieu
se désolidarisait définitivement de toutes les formes
que pouvait prendre la violence. Bien entendu, les souffrances subies par les
hommes n’ont pas Dieu pour cause, mais cela n’empêche pas pour
autant Dieu de transformer en bien le mal causé par la souffrance.
Il nous faut donc innocenter Dieu de la mort de Jean Baptiste ou de Jésus et de
toutes les souffrances qui sont subies sur cette terre. Il nous faut donc
expliquer l'implication de Dieu dans la mort de Jésus d'une autre manière que
celle que nous admettons habituellement. Dieu combat le mal et ne
l’utilise pas.
Dans cette longue
aventure de la lutte de Dieu contre la souffrance, Jésus
prendra soin de rajouter un nouveau rite qui contient peut être la clé de
l'énigme : celui du partage. Il est tellement fort qu'il prendra par la suite
une valeur sacramentelle. Ce partage sera celui du pain et du vin qui
sont les éléments de base de la nourriture. Ils ne nécessitent aucune violence
pour les acquérir si non une violence sur soi-même puisque le partage est un
rite d’amour qui implique que l’on s’efforcera d’aimer ceux que
l’on n’aime pas forcément.
Ce geste d’amour ne nous est
nullement imposé, il correspond à un élan du cœur vers Dieu et implique
notre accord sur sa manière de gérer le monde. Si le nombre des croyants se
mettait à augmenter nous pourrions augurer de la venue d’une ère de paix
pour ce monde. L’avenir heureux du monde dépend donc de la manière dont
les croyants d’aujourd’hui sauront convaincre leurs contemporains de la
justesse du projet divin pour ce temps et les encourager à y adhérer.
1. Esaïe 50/6-53/7
2. Esaïe 65/25
2. Esaïe 65/25
Illustrations Nicolas
Poussin
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