Jean 10/27-30
27
Mes moutons entendent ma voix. Moi, je les connais, et ils me suivent. 28 Et moi, je leur donne la vie éternelle ; ils ne
se perdront jamais, et personne ne les arrachera de ma main. 29 Ce que mon Père m'a donné est plus grand que tout — et
personne ne peut l'arracher de la main du Père. 30 Moi et le Père, nous sommes un.
(J'ai publié ce sermon en avril 2013 et je ne trouve rien à y modifier, si non que l'équilibre du monde s'est un peu plus fracturé et que l'harmonie avec Dieu est encore plus nécessaire)
Depuis l’école primaire notre esprit est
habité par l’image d’un agneau qui se désaltérait dans le courant d’une onde
pure. Il avait l’innocence de l’enfant qui tète encore sa mère et n’avait
aucune raison de subir l’arrogance d’un loup que la faim avait attiré en ces
lieux. La morale de l’histoire est désolante. Pourtant combien de bambins
n’ont-ils pas été contraints d’apprendre par cœur cette histoire lamentable au
risque de voir leur inconscient déformé à tout jamais par l’affirmation selon
laquelle la raison du plus fort est toujours la meilleure. Cette fable
mémorisée par tant d'enfants n’a-t-elle pas contribué à conforter les plus
vaillants dans leur bon droit, sans parler de l’effet néfaste qu’elle a pu
avoir sur les plus vulnérables.
En dépit de cette histoire, si les agneaux
contribuent encore à attendrir les humains, c’est qu’ils sont mignons, par
contre ce même Monsieur de La Fontaine classe les moutons et autres espèces parmi
les animaux stupides, et cette idée reste profondément ancrée dans l’opinion.
Il faudra alors qu’un petit prince
descende de ses nuages pour remettre le mouton à sa place. Il éprouve de la
sollicitude pour ce petit animal. Il s’inquiète à son sujet, parce qu’il
pourrait bien manger sa fleur. Par le truchement d’Antoine de Saint Exupéry,
voilà enfin le mouton redevenu un animal fréquentable. Il est même le sujet
d’un entretien philosophique entre l’enfant et l’aviateur perdu dans les
sables. Nous sommes inévitablement gagnés par la logique de l’enfant. Nous
sommes alors surpris que l’aviateur tourmenté par son problème de survie
ne partage pas davantage le soucis du petit prince inquiet du sort de son
mouton.
Jésus aurait sans doute trouvé beaucoup de
saveur dans cette histoire, parce que lui aussi s’est intéressé au sort des
brebis, perdues dans le désert ou menacées par les voleurs. Il a même consacré
tout le chapitre 10 de l’Evangile de Jean à nous parler de son souci à
propos du sort des moutons. Le sermon d’aujourd’hui va s’appuyer sur un tout
petit passage de ce long chapitre pour se demander pourquoi et comment Jésus
leur promet une part de son éternité. Sans doute, comme le petit Prince,
Jésus se montrerait-il plus sensible au problème du mouton qu’à celui du
pilote absorbé, par ses ennuis de moteur. Vue par un enfant la
situation prend une autre tournure, car il est plus important pour lui de
savoir dessiner un mouton que de réussir à démarrer un moteur en plein désert !
Sans doute les contemporains de
Jésus ont-ils eu, eux aussi beaucoup de mal à le suivre dans ses élucubrations
au sujet des moutons. Jésus ne voyait pas le profit économique que
l’on pouvait retirer de ces animaux. Il n’envisageait pas le profit
que l’on pouvait retirer des moutons, grâce aux sacrifices du temple. Il
ne voyait pas en eux des bêtes de boucherie, il ne cherchait pas à leur tondre
la laine sur le dos, ni à les traire en vue de faire du fromage. Mais à quoi
lui servaient-ils ?
- A rien !
Les brebis dans ce récit n’ont aucune
utilité. Le berger à qui Jésus s’identifie, n’a qu’un but c’est celui de les
faire paître dans des près d’herbe tendre. Son seul souci, c’est celui de leur
assurer le plus de confort possible. Jésus nous transporte donc dans un univers
étrange, celui de la gratuité. Le berger s’active sans aucune rentabilité, et
les brebis en s’engraissant n’ont aucune autre fonction, si non celle de
faire la joie de leur berger.
Bien évidemment nous sommes invités à nous retrouver dans le rôle des
brebis. Mais si les brebis n’ont pas de rôle à jouer, qu’en est-il de
nous ? Avons-nous un rôle à jouer, et quel est le but recherché par Dieu
en nous accordant la vie éternelle ? Aucun, si non son plaisir. Notre
fonction sur cette terre serait donc de remplir Dieu de bonheur. Nous
sommes donc transportés aux antipodes de ce que notre société nous propose
aujourd’hui quand elle nous explique qu’il n’y a pas d’avenir sans
rentabilité et que la rentabilité ne peut s’obtenir sans l’efficacité.
Aux yeux de Dieu la réalité du monde se conjugue en d’autres termes et Jésus
privilégierait volontiers les mots d’amour et de partage à ceux de rentabilité
et d’efficacité.
Apparemment Jésus n’appartient pas à la
même planète que ceux qui nous dirigent, il est comme le petit prince plus
soucieux de la survie d’une fleur, d’un mouton ou d’un renard, que du bon
fonctionnement d’un moteur d’avion. Ici se pose vraiment le problème que nous
pose l'actualité d'aujourd'hui.
Bien évidemment il ne faut pas être naïfs,
nous devons quand même revenir dans notre société, car notre vie ne se
déroule pas dans le rêve mais dans la réalité. Notre vie sur terre ne peut se
résumer à cultiver un farniente inutile qui finirait par être tout à fait
ennuyeux. Mais ce n’est pas non plus ce que Jésus veut nous dire. Il veut
simplement nous rappeler que le but de notre vie c’est en priorité
de faire plaisir à Dieu. Dieu, quand à lui, se réjouit quand les choses
vont bien, il se réjouit quand la terre tourne correctement sur son axe
et que les choses se passent parmi les hommes comme il le souhaite, quand tous
sont correctement nourris et quand les malades sont soignés, et que les guerres
se terminent par une paix durable. Pour cela il faut que le respect de
l’autre, l’amour du prochain, le partage des biens, la paix et la justice
sociale soient au centre de nos activités et de nos soucis. Quand tout
cela est respecté, les rouages du monde sont bien huilés, et Dieu est
satisfait. Tout cela n’exclut pas la rentabilité ni l’efficacité dont
nous parlions tout à l’heure, mais ce n’est pas elles qui doivent avoir
priorité sur nos actions.
J’arrête ici ces propos, parce qu’ils ne
convainquent personne. Utopie, diront les économistes. « Ça ne pourra jamais
marcher » diront les politiciens. « Ce n’est qu’un ramassis de
rêveries » affirmeront les philosophes qu’une telle simplicité rebute.
Pourtant ces idées que l’on vient de formuler ne sont pas nouvelles, ce sont
celles de Jésus Christ lui-même.! Elles sont au cœur même des idées
qui animent notre société occidentale. Pendant des siècles n’a-t-on pas
fait de l’enseignement de Jésus la religion d’état ? Alors, pourquoi
cela ne marche-t-il toujours pas ?
En fait les humains sont des créatures
bizarres, ils projettent sur l’autre monde les idées que Jésus leur a
transmises pour construire ce monde ci. Ils imaginent, qu’après leur
mort, le monde reposera sur des règles qu’ils refusent de respecter dans
celui-ci. Pourquoi attendre le monde futur pour vivre comme Jésus le souhaite alors
qu’il est théoriquement possible de le mettre en pratique dès maintenant ?
Mieux! Je reviens alors au texte que
nous méditons aujourd’hui. Dieu est allé plus loin encore que ce
que nous pouvons imaginer. Il nous propose dès maintenant d’entrer dans
l’éternité et de vivre dès maintenant d’une vie qu’il nous promet éternelle.
Tous ceux qui croient en Dieu et qui ont compris que l’enseignement de
Jésus est l’expression même de la volonté de Dieu ne mourront pas
dit-il, car ils sont déjà passé de la mort à la vie.
Ce n’est donc plus notre fortune amassée
tout au long de notre vie qui fait de nous des êtres remarquables aux
yeux de Dieu. Ce ne sont pas nos compétences professionnelles qui
nous distinguent aux yeux de Dieu, c’est
notre capacité à entrer en harmonie avec lui. C’est notre faculté de pouvoir
nous mettre au service des autres qui constitue l’huile que nous devons mettre
dans les rouages du monde pour que celui-ci soit en harmonie avec Dieu.
A vue humaine, les hommes ne sont pas plus
utiles ni plus rentables que des brebis que l’on n’élèverait pas pour
leur tondre la laine sur le dos ou qu’on ne mangerait pas. En fait Dieu
n’a pas fait des hommes ses partenaires sur terre pour qu’ils
soient rentables mais pour prodiguer autour d’eux leur capacité à aimer
et à vivre en harmonie avec les autres ; c’est sans doute à cause de cette
capacité que l’Ecriture dit qu’ils sont faits l’image de Dieu. Qu’on se
le dise !
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