Reprise d'un sermon de 2015.
21
Jésus regagna l'autre rive en bateau, et une grande foule se rassembla auprès
de lui. Il était au bord de la mer. 22 Un des chefs de la synagogue, nommé
Jaïros, arrive ; le voyant, il tombe à ses pieds 23 et le supplie
instamment : Ma fille est sur le point de mourir ; viens, impose-lui
les mains, afin qu'elle soit sauvée et qu'elle vive. 24 Il s'en alla avec lui.
Une grande foule le suivait et le pressait de toutes parts.
25 Or il y avait là une femme atteinte d'une perte de
sang depuis douze ans. 26 Elle avait beaucoup souffert du fait de nombreux
médecins, et elle avait dépensé tout ce qu'elle possédait sans n’en tirer aucun
avantage ; au contraire, son état avait plutôt empiré. 27 Ayant entendu
parler de Jésus, elle vint dans la foule, par-derrière, et toucha son vêtement.
28 Car elle disait : Si je touche ne serait-ce que ses vêtements, je serai
sauvée ! 29 Aussitôt sa perte de sang s'arrêta, et elle sut, dans son
corps, qu'elle était guérie de son mal. 30 Jésus sut aussitôt, en lui-même,
qu'une force était sortie de lui. Il se retourna dans la foule et se mit à
dire : Qui a touché mes vêtements ? 31 Ses disciples lui
disaient : Tu vois la foule qui te presse de toutes parts, et tu
dis : « Qui m'a touché ? » 32 Mais il regardait autour de
lui pour voir celle qui avait fait cela. 33Sachant ce qui lui était arrivé, la
femme, tremblant de peur, vint se jeter à ses pieds et lui dit toute la vérité.
34 Mais il lui dit : Ma fille, ta foi t'a sauvée ; va en paix et sois
guérie de ton mal. 35Il parlait encore lorsqu’arrivent de chez le chef de la
synagogue des gens qui disent : Ta fille est morte ; pourquoi
importuner encore le maître ? 36 Mais Jésus, qui avait surpris ces
paroles, dit au chef de la synagogue : N'aie pas peur, crois seulement. 37
Et il ne laissa personne l'accompagner, si ce n'est Pierre, Jacques et Jean,
frère de Jacques. 38Ils arrivent chez le chef de la synagogue ; là il voit
de l'agitation, des gens qui pleurent et qui poussent de grands cris. 39 Il
entre et leur dit : Pourquoi cette agitation et ces pleurs ? L'enfant
n'est pas morte : elle dort. 40Eux se moquaient de lui. Mais lui les
chasse tous, prend avec lui le père et la mère de l'enfant, ainsi que ceux qui
l'accompagnaient, et il entre là où se trouvait l'enfant. 41 Il saisit l'enfant
par la main et lui dit : Talitha koum, ce qui se traduit : Jeune
fille, je te le dis, réveille-toi ! 42 Aussitôt la jeune fille se leva et
se mit à marcher — en effet, elle avait douze ans. Ils furent saisis d'une
grande stupéfaction. 43 Il leur fit de sévères recommandations pour que
personne ne le sache, et il dit de lui donner à manger.
Deux miracles coup sur
coup. Voilà de quoi émerveiller les foules, voilà de quoi alimenter les
prédications de beaucoup de pasteurs pour nous inviter à nous émerveiller et à
propos de Jésus et à nous aider croire que c’est lui qui donne du sens à nos vies.
Voilà en quels termes
pourrait commencer le sermon que je ne vais pas faire. Je vais chercher
ailleurs que dans le merveilleux, d’autres aspects de ce texte à côté
desquels je ne voudrais pas passer. En lisant attentivement ce récit on
découvre des aspects du texte auxquels on ne s’attend pas, car aucun des
acteurs n’agit comme on aurait pu le supposer. Ils font tous ce qu’il ne faut
pas faire, mais malgré tout leur
démarche aboutit. Ce texte fonctionne comme si on nous donnait le
contre-exemple des bonnes attitudes face à Jésus. Et malgré notre foi mal
fondée, Jésus ne semble pas remarquer que nos démarches sont maladroites que nos
attitudes théologiques sont bancales. Il
nous vient en aide et nous apporte son réconfort.
Nous pensons en
faisant ce constat à toutes ces différences théologiques qui opposent les
églises entre elles depuis parfois des millénaires et qui continuent à les
diviser au point de s’interdire tout geste de communion entre elles
alors que Jésus les considéreraient comme des points de détails qui
mériteraient à peine qu’on s’y arrête.
Le récit, nous l’avons
noté, est fait de deux récits imbriqués l’un dans l’autre. Il y est
question d’une femme guérie en pleine rue, aux sus et aux vues de
tout le monde sans même que Jésus s’en mêle vraiment. Dans l’autre récit,
il est question d’une autre femme - une fillette dit le texte, mais est-elle
une fillette ? – qui se meurt avant que Jésus intervienne et qu’il rend à
la vie dans le plus grand secret familial.
Pourquoi l’une est-elle
guérie en public alors que pour l’autre Jésus, s’enferme avec elle et ses
proches pour la réveiller ? Sans doute fallait-il, pour que la
femme puisse retrouver pleinement la jouissance de sa vie, qu’elle se
trouve également réintégrée dans la
société. Sa guérison signifie aussi sa réintégration dans la vie sociale
puisque sa maladie la rendait inapte à la vie avec les autres à cause de
l’impureté qu’elle subissait du fait des pertes de sang dont elle
souffrait. Quant à la jeune femme, son retour à la vie signifiait aussi une
guérison de la cellule familiale qui elle-aussi est également malade, nous
allons le voir, mais cela relevait de l’ordre du privé et n’avait besoin de
n’être connu de personne.
Douze ans séparent ces
deux femmes. La maladie de la plus vieille a commencé au moment de la naissance
de la plus jeune. C’est comme si la plus vieille endossait le rôle
de la mère de l’enfant qui n’occupe aucune place ici et qu’on pourrait
considérer comme morte si Jésus, au dernier moment, ne l’exhumait
du néant où elle semblait être enfermée. La mort plane sur la vie de ces
trois femmes dans un non-dit qu’il nous faut maintenant décrypter. Au
moment où la plus vieille retrouve une vie normale, la plus jeune renaît
à la vie, et la mère est rendue à l’existence. Jésus se charge
ainsi aussi bien des morts secrètes que des morts réelles pour répandre la vie
de partout où il est reconnu.
Revenons à chacun des
personnages de ce texte. Nous l’avons dit, aucun d’ entre eux ne fait ce
qu’il doit faire. Le récit est présenté de telle sorte qu’il suggère que les
croyants font rarement ce que Dieu attend d’eux. Sous couvert d’une démarche
de foi, ils agissent, comme la femme par superstition, où comme le
Père qui impose à Dieu, en manipulant Jésus la réponse qu’il espère.
L’attitude de la femme
malade correspond au type de la démarche superstitieuse. Elle n’en peut plus.
Elle est épuisée physiquement par sa perte de sang qui affaiblit son
organisme et par toutes les vaines tentatives qu’elle a entreprises auprès des
médecins et en désespoir de cause des guérisseurs. En outre, la culture
de son pays lui interdit tout contact avec les autres à cause de son
impureté permanente. Ne la blâmons pas si elle pense qu’elle peut
s’approprier clandestinement un peu de l’énergie vitale que Dieu a mise
en Jésus. Jésus ne la blâme par pour son geste, mais pour le secret
avec lequel elle a opéré. « Pas besoin de se cacher pour
espérer » semble-t-il lui dire. La puissance de vie dont dispose Jésus est
pour tous. Par Jésus Dieu donne à tous la capacité de vivre, même
malade et même mort. Douze ans de vie et de souffrances viennent de voler
en éclat par le seul contact discret, avec Jésus et les effets de
cette puissance de vie vont rejaillir sur la jeune fille de
l’histoire suivante.
Le Père de la jeune fille
ne fait pas à son tour ce qu’il devrait faire. Françoise Dolto a analysé
son cas avec attention. Elle a montré qu’il a agi à tort envers
Jésus en lui ordonnant de faire ce qu’il doit faire à cause sans doute
d’un complexe de supériorité mal assumé. Mais il a aussi mal agi
envers sa fille depuis sa plus tendre enfance dont il s’est totalement emparé
au point que la mère ne joue plus aucun rôle auprès d’elle. Il semble avoir
privé sa femme de son rôle de mère. Il parle de sa fille comme d’une petite
fille alors qu’elle a douze ans. En Orient, en ce temps-là, elle était à
l’aube de devenir femme et se trouvait déjà en état d’être bonne à
marier. Françoise Dolto estime que cette enfant est étouffée et privée de
possibilité d’entrer dans sa vie de femme par un Père abusif et
possessif.
Devant le drame de sa
fille il somme Jésus d’obtempérer avec condescendance et autorité. Cette
attitude pleine de contradictions révèle le mal être qui est en lui.
Il demande à Jésus de lui imposer les mains comme s’il voulait,
lui-même, régénérer la vie de son enfant
en manipulant Jésus et par extension Dieu lui-même. Jésus évidemment ne se
soumet pas, mais ne lui fait pas
remarquer ce qu’il y a d’offensant dans
son attitude. Il reprend cependant l’autorité
à son compte. C’est lui, maintenant qui dit ce qu’il faut faire. Il rétablit
l’unité familiale totalement rompue par la faute du Père en les réunissant avec
lui et avec la mère dans la chambre de l’enfant. La jeune fille devient alors
capable de vivre à nouveau et de sortir du sommeil léthargique où l’avait
enfermé l’attitude abusive du Père. La seule chose dont la jeune fille a besoin
maintenant c’est de manger et de reprendre des forces. Le retour à la vie de
l’enfant montre que Jésus avait vu juste. C’est son entourage qui la rendait
inapte à la vie. En remettant chacun à sa place, la vie pouvait renaître.
Toute action de Jésus est
porteuse de vie. Elle relève simplement de l’évidence selon laquelle, notre foi
en Dieu consiste avant tout à reconnaître qu’il est pourvoyeur de vie. Le
miracle permanent en nous découle simplement de ce que nous reconnaissons cet
état de fait. Ici on l’a vu, il s’agit non seulement de guérison de maladie,
mais de guérison de la vie sociale. La malade est réintégrée dans la société,
la jeune fille est rendue à la vie, mais elle est aussi guérie des abus que son
père a pu lui faire subir et la mère reprend pied dans la vie
familiale. Jésus ici est entouré d'une atmosphère de mort, mais il suffit
qu'il soit reconnu pour que la vie, toute la vie, reprenne ses droits. A
nous de comprendre ce que la vie signifie pour Jésus.
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