"Si quelqu'un veut me suivre, qu'il se charge de
sa croix..."
Matthieu 16 :21-27
Dès lors Jésus commença à montrer à ses disciples qu'il lui fallait aller à Jérusalem, souffrir beaucoup de la part des anciens, des grands prêtres et des scribes, être tué et se réveiller le troisième jour. 22 Pierre le prit à part et se mit à le rabrouer, en disant : Dieu t'en préserve, Seigneur ! Cela ne t'arrivera jamais. 23 Mais lui se retourna et dit à Pierre : Va-t'en derrière moi, Satan ! Tu es pour moi une cause de chute, car tu ne penses pas comme Dieu, mais comme les humains.
24 Alors Jésus dit à ses disciples : Si quelqu'un veut venir à ma suite, qu'il se renie lui-même, qu'il se charge de sa croix et qu'il me suive. 25 Car quiconque voudra sauver sa vie la perdra, mais quiconque perdra sa vie à cause de moi la trouvera. 26 Et à quoi servira-t-il à un être humain de gagner le monde entier, s'il perd sa vie ? Ou bien, que donnera un être humain en échange de sa vie ? 27 Car le Fils de l'homme va venir dans la gloire de son Père, avec ses anges, et alors il rendra à chacun selon sa manière d'agir. 28 Amen, je vous le dis, quelques-uns de ceux qui se tiennent ici ne goûteront pas la mort avant d'avoir vu le Fils de l'homme venant dans sa royauté.
Dans les
moments, comme ceux que nous vivons, nous avons parfois l’impression que
l’histoire s’accélère. C’est alors que nous nous interrogeons pour
savoir qui préside aux destinés du monde et qui donne du sens à l’histoire ?
C’est une question récurrente qui n’est pas aussi banale qu’on le croit, car
elle nous pose la question de Dieu et la réponse qu’on lui apporte implique que
nous réfléchissions aux fondements de notre foi.
Dieu a-t-il donné le coup d’envoi au monde en lui assignant un programme précis ? Si oui, pourquoi ce programme ne semble-t-il pas être respecté à la lettre? Y a-t-il une autre puissance que celle de Dieu qui soit mise en cause dans cette affaire ? Même si cette manière de voir les choses ne reçoit pas notre adhésion, elle entre cependant dans notre conception. Cela se perçoit facilement dans nos propos habituels quand nous envisageons les choses avec fatalisme : « c’était écrit » dit-on, ou « c’était son destin ! Nous n’y pouvons rien, c’est la fatalité » ou encore « Inch’Allah., Dieu l’a voulu ». C’est ainsi que les choses se disent sans pour autant que nous y voyons une option théologique arrêtée, mais notre inconscient est tributaire de cet état de fait. Nous éprouvons un certain confort spirituel à penser que les événements, bons ou mauvais se produisent selon une logique programmée à l'avance. Mais la lecture des Ecritures ne nous conforte pas forcément dans ce sens
Si notre destin est programmé à l'avance et fait partie d’un processus déjà pré établi, notre liberté est gravement mise en cause. A l'inverse, faut-il que l’on se résigne à vivre dans un monde absurde dont personne ne contrôle les éléments et où l’action humaine peut être responsable du pire et du meilleur?
Nous cherchons alors à trouver un moyen terme entre l’hypothèse d’un contrôle de Dieu sur le monde et celle de notre totale liberté. C’est l’enjeu posé aujourd’hui par les questions concernant la sauvegarde de la planète. Il nous souvient que l’Ecriture contient l’affirmation selon laquelle au jour « J » et à une heure connue de Dieu seul, celui-ci mettra un terme à notre humanité ? Alors pourquoi s’inquiéter, puisque tout est prévu ?
Tout cela est bel et bon, mais nous ne sommes pas si sûrs qu’il faille interpréter les choses de la sorte. Nous avons du mal à comprendre que Dieu puisse se servir de nos erreurs et de nos échecs pour accomplir ses projets. Nous pensons plutôt qu’au lieu de provoquer les événements catastrophiques qui mettraient un terme à notre histoire, Dieu se contente d’accompagner les événements. Il se réserverait le rôle d’inspirer aux hommes les actions bonnes qu’ils entreprendraient en toute liberté.
Mais une telle vision des choses, si elle s’accorde avec les idées du moment, ne semble pourtant pas refléter complètement les données bibliques. La Bible laisse entendre qu’un certain nombre de choses seraient prédestinées à l’avance. Les récits des événements de la vie de Jésus nous sont rapportés dans ce sens par les Evangiles. Les actions que l’on prête au personnage de Judas, par exemple, semblent avoir été prévues de tout temps. Qui l'a manipulé pour qu'il agisse comme il l'a fait ? Est-il né mauvais d'une manière irréversible? Qu'en est-il alors de la théologie de la grâce si chère à saint Paul?
Dans le texte proposé aujourd’hui, c’est la question de la clairvoyance de Jésus par rapport à son avenir qui nous interpelle. Il semble se comporter comme si la désobéissance d’Adam qui a entrainé le péché originel appelait le rachat de l’humanité perdue par un sacrifice parfait, le sien. C'est ce principe qu'a développé Saint Anselme en imaginant que pour sauver l'humanité, Dieu aurait prévu de sacrifier son fils pour apaiser sa justice offensée. Cette théorie du Moyen Age cherche une légitimité que la Bible ne lui reconnait pas. Pourtant une lecture trop rapide des textes, dont celui sur lequel nous réfléchissons nous permet de penser que Jésus va dans ce sens quand il rabroue Pierre qui s'oppose à une telle vision des choses : « A Dieu ne plaise, cela ne se produira pas » avait-il dit.
Merci Pierre d’avoir réagi comme tu l’as fait ! Tu as réagis sainement. Tu as réagis comme tu l’as fait parce que tu ne penses pas que Dieu puisse être derrière un tel projet. Tu ne veux pas lier ta foi en Jésus à la conception d’un Dieu qui aurait programmé la souffrance et la mort de son propre fils.
En fait que conteste Pierre ? Il conteste que Jésus puisse mourir d’une mort violente et injuste à ses yeux. Quelques versets plus haut, il a reconnu Jésus comme étant le Messie, le Fils du Dieu vivant. En toute logique, il ne peut concevoir une fin dramatique à son Seigneur mais une telle conception des choses relève de sa logique à lui, pas de celle de Jésus. Cela implique-il cependant que Dieu ait un projet précis à ce sujet ? C’est cela qui fait problème.
Tout ça n’explique pas pourquoi Dieu aurait prévu une mort violente pour Jésus. Cela nécessite qu’on s’y attarde. Jésus analyse la situation avec clairvoyance. Il se sait chargé d’un message pour l’humanité entière. Ce message remet en cause l’institution religieuse dans laquelle la société de son temps évolue. Il sait que ses propos ont déjà amassé beaucoup de haine sur sa tête et que ses adversaires envisagent déjà sa mort. Jésus montre par ses propos qu’il a choisi d’affronter la mort, car le message qu’il a déjà apporté nécessite une telle attitude pour être entendu et compris.
Les évangélistes qui ont rapporté cet événement l’ont inséré dans le cadre sacrificiel de cette époque. A ce moment du récit on n’en était pas encore là, mais le processus de mort était déjà enclenché. Jusqu’au bout, Jésus restera maître de la situation, c’est pourquoi il programma le jour et l’heure de son arrestation et affronta la mort sans se dérober. Par une telle attitude il s’est conformé à la logique de sa situation. Jusqu’au bout il revendiquera le fait d' être seul responsable des événements, même s’il connut à Gethsémani des moments de faiblesse et de doute.
Pour défendre les idées qui sont les sienne, il défie les puissants pour mettre en cause leurs privilèges si bien que quiconque voudra le suivre sur cette voie devra s’attendre à partager son sort. Il faudra qu’il se charge de sa croix et le suive. Jésus n’a pas forcément, à ce moment précis, envisagé de mourir crucifié, comme ses propos pourraient le laisser entendre.
En effet, certains théologiens ont envisagé que Jésus reprenait ici les propos d'Ezéchiel qui demandait aux Israélites qui se voulaient fidèles à la Loi de se marquer du signe du Tau sur le front. Cette lettre hébraïque en forme de croix désignant la première lettre de la Tora. (1) Il aurait s’agit pour Jésus de donner priorité à la loi, telle qu’il s’était efforcé de l’interpréter depuis trois ans.
Ici Jésus ne faisait qu’analyser logiquement sa situation par fidélité à la mission qu'il s'était donnée. Cela signifiait qu'au point où il en était, Jésus ne pouvait faire autrement que d'envisager sa propre mort et de l'organiser. Il ira donc volontairement à la mort puisque la situation présente l’exigeait. En se sens il était fidèle à Dieu, ce qui ne signifiait pas forcément que Dieu ait prévu sa mort mais en agissant ainsi, il restait cohérent avec tout ce qu'il avait prêché. Ce sont les circonstances qui l’exigeaient et non la volonté de Dieu.
En résumé, il me semble donc que Dieu se révèle à nous comme un Dieu de bonté, qui aime les hommes, qu’il leur inspire des projets généreux. Il les guide, en les laissant toujours libres de les mettre en œuvre. C’est donc librement que Jésus est allé à la mort, c’est librement que nous mettons nos pas dans les siens, et c’est librement que nous en assumons les conséquences. C'est ce que les théologiens catholiques ont retenu quand ils ont inscrit cette idée dans la liturgie de la Messe.
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