Chapitre 20
7 Tu m'as dupé, SEIGNEUR,
tu m'as saisi, et tu l'as emporté.
Je suis sans cesse en butte à la dérision,
tout le monde se moque de moi.
8 Car toutes les fois que je parle, je crie,
je proclame : « Violence et ravage ! »
La parole du SEIGNEUR m'expose sans cesse
aux outrages et aux railleries.
9 Si je dis :
« Je ne l'évoquerai plus,
je ne parlerai plus en son nom »,
c'est dans mon cœur comme un feu dévorant,
enfermé dans mes os ;
je me fatigue à le contenir, et je n'y parviens pas.
Effroi de tous côtés !
Annoncez ! Annonçons-le !
— Tous mes amis m'observent
pour voir si je vais chanceler :
Peut-être se laissera-t-il duper,
et nous l'emporterons sur lui,
nous nous vengerons de lui !
11 Mais le SEIGNEUR est avec moi comme un héros brutal ;
c'est pourquoi mes persécuteurs trébucheront
et ne l'emporteront pas.
Ils auront bien honte de n'avoir pas réussi :
ce sera une confusion pour toujours ; on ne l'oubliera pas.
Il
nous arrive de chercher dans la fuite
loin de Dieu l’apaisement à nos révoltes Il nous arrive de croire que nous
avons fait des choses bonnes et de découvrir que les
événements se retournent contre nous. Nous croyons suivre les chemins de la
foi et c’est le silence de Dieu qui nous
répond. Nous espérons cependant que Dieu
partagera notre révolte, mais la voix de sa sagesse reste muette. Dieu ne
semble pas toujours disponible et son mutisme apparent nous fait du mal.
Par
ces quelques remarques, nous rejoignons
les préoccupations des prophètes d’Israël qui les ont portées avant nous, car
ils cherchaient plus à trouver de la cohérence dans la Parole de Dieu qu’à
deviner l’avenir que personne ne peut connaître puisqu’il s’écrit avec Dieu au
jour le jour. Mais avant d’aller plus loin dans nos investigations essayons de
préciser ce que recouvre pour nous la notion de prophète.
Il
n’est pas rare, au cours d’une conversation, alors que l’on élabore des
projets et que l'on ne sait pas exactement comment tourneront les choses, que l’on soit amené, à cours d’arguments à dire qu’après tout, nous ne
sommes pas des prophètes. Cela veut dire que le propos nous dépasse et que l’on
ne détient pas les secrets de l’avenir. Notre culture actuelle conçoit la
notion de prophète dans deux acceptions différentes. La première assez
classique, identifie le prophète avec le devin, celui qui serait gratifié d’un
don qui lui permettrait de connaître l’avenir. L’autre usage du mot servirait à
désigner les fondateurs des grands courants religieux tels Moïse ou Mahomet ou
plus proches de nous, Joseph Smith pour les Mormons ou le rev. Moon. Bien que
Jésus Christ corresponde à la deuxième de ses définitions, ce sont d’autres
titres que l’on a retenus pour lui.
Notre
propos de ce jour va consister à nous entretenir sur les vicissitudes du prophète Jérémie. Ni
lui, ni aucun des grands prophètes d’Israël ne correspond aux définitions que
je viens d’énoncer. Certes, à l’époque biblique, il existait une fonction
officielle de prophètes. Ils vivaient en confréries et étaient sans doute
appointés par le pouvoir royal. Leur fonction consistait à éclairer le roi sur
l’avenir que Dieu lui réservait. Si cette fonction était bien établie, elle n’a
pas laissé beaucoup de traces. Les prophètes dont les noms nous sont parvenus
exerçaient une fonction de type charismatique. Ils n’étaient pas investis
dans cette fonction par les
hommes, mais ils croyaient avoir reçu une vocation de Dieu qui leur permettait d’avoir
un éclairage particulier sur les événements. Leurs propos relevaient d’ une
lecture clairvoyante des Ecritures et
correspondaient rarement à ce que le roi ou le peuple désiraient entendre à ce sujet
En
fait, c’est à partir de la conscience qu'ils avaient de Dieu qu’ils se prononçaient
sur les événements. Il s’agissait pour eux de percevoir quelles étaient les
attitudes fidèles que leur suggérait la méditation de la loi. La fidélité à
Dieu n’impliquait pas forcément des conséquences gratifiantes pour eux, parfois
même, elles étaient en opposition radicale avec la cour, le clergé et le peuple.
C’est dans une telle situation que nous
rejoignons Jérémie.
Jérémie
a été amené à constater que le comportement du roi et de ses ministres était
souvent contraire aux prescriptions de la loi en dépit de ce que pouvaient dire
les prophètes officiels ainsi que le haut clergé constitué par le grand Prêtre
et son entourage.
Il
a compris très vite, encore enfant a-t-il dit, qu’il lui était demandé de répondre à sa
vocation en ne se taisant pas. Proche
des grands et familier du clergé auquel
il appartenait sans en exercer la fonction à cause de son célibat, il était
écouté, contesté et malmené. Pourtant, il a réussi à conserver l’amitié et l’oreille de personnes proches du pouvoir. Son
collaborateur, son ami et son protecteur à la fois fut le
secrétaire Baruch. Il nous faut entendre par secrétaire la « fonction de
secrétaire d’état », c’est à dire celle de ministre.
Comment pouvait-il
porter un poids si lourd quand les événements sefaisaient
contraires et que Dieu paraissait se jouer de lui ? Comment ne pas douter de
Dieu quand les conséquences de ses propos le plongeaient dans des difficultés
extrêmes. Sa vie fut souvent en danger et il dut se cacher. Il fut jeté dans
une citerne par ordre du roi et sauvé de justesse par le chambellan qui se
compromit pour lui.
Avec le décalage de l’histoire, nous
découvrons dans la plainte de Jérémie qui nous est rapportée ici une plainte
que nous pourrions formuler à notre tour.
Comme Jérémie, il nous arrive d’en
vouloir à Dieu parce que les événements ne vont pas dans le sens où nous le
souhaitons. Par fidélité à Dieu il arrive que nous fassions des choix de vie
douloureux et que ces choix se retournent
contre nous. Nous constatons que la vertu n’est pas récompensée à sa juste
mesure, que la manifestation de la foi paraît obsolète et que Dieu reste silencieux face à notre épreuve.Nous faisons nôtre ce cri de Jésus sur la croix: "Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné?"
A l’exemple
de Jérémie, nous devons comprendre cependant que le dialogue n’est jamais rompu
avec Dieu en dépit de son silence apparent. La logique humaine voudrait que le
croyant déçu abandonne tout et qu’il
s’inspire de la logique de la femme de Job qui lui recommandait au plus fort de
l’épreuve de maudire Dieu et de
mourir. Jérémie ne cesse d’interpeller Dieu et même de le mettre en accusation. Par son
attitude Jérémie nous apprend que Dieu préfère toujours le dialogue à tout
autre attitude, même si Dieu paraît absent.
Jérémie n'est pas ce triste personnage geignard qu'en a fait la tradition. Quand le silence de Dieu lui donne
l’impression qu’il cautionne l’injustice, il n'accepte pas la
situation et il n'encaisse pas sans rien dire. Même si Le croyant ne comprend pas le
sens des événements, il ne doit jamais s’enfermer dans une attitude
résignée face à Dieu car Dieu n’est jamais à l’origine de ce qui
nous accable. Il n’est jamais l’auteur de nos malheurs, même si on ne comprend
pas le sens de ce qui nous arrive.
Quand les
événements nous sont vraiment contraires, il n’est pas évident de garder une
telle sérénité dans la foi. Ce court passage de Jérémie nous montre qu’avant de
ressentir le moindre soulagement en exprimant sa révolte, il doit insister et
exprimer sa rancœur et même son désir de rejeter Dieu. Il exprime son projet de
s’écarter de la foi et d’abandonner sa vocation de prophète. Et quand il a fini
de crier sa révolte, au lieu de trouver son soulagement dans une forme
d’athéisme apaisant, il se laisse envahir par une vague de paix. Sa révolte
contre Dieu, poussée à l’extrême a nettoyé en lui toute amertume et a rétabli
une relation d’amour avec lui, car Dieu n’était en rien dans ses malheurs. Quand l'esprit du prophète oscille entre rejet et résignation, c'est toujours dans le silence accueillant de son Dieu qu'il retrouve sa sérénité.
Rien n’a
pourtant changé dans sa situation. Mais une énergie nouvelle s’est emparée de
lui. Il sait alors qu’il ne peut avancer autrement qu’en prenant la main que
Dieu lui tend en espérant qu’un jour les événements lui donneront
raison. La suite nous montrera que non.
Deux mille
cinq cents ans nous séparent de l’époque
où a vécu ce témoin courageux. Entre lui et nous s’est alors interposé un autre
visage, le visage de celui qui a porté les mêmes détresses et les mêmes
révoltes que lui. Il s’agit, bien entendu de Jésus Christ. Il a portées les révoltes des hommes jusque dans
la mort. Même si ce n’est pas par la volonté de Dieu qu’il est mort,
Dieu n’a cependant pas voulu le soustraire à cette
mort. Nous découvrons alors que la fidélité de Dieu à la cause des hommes, va
jusque dans la mort et qu’il la transforme en lui donnant la saveur de
l’éternité. Dieu ne nous abandonne pas
dans l’épreuve, comme il n’a pas abandonné son fils dans la mort. Il a sublimé
sa vie, comme il sublime la nôtre pour
que notre vie s’accomplisse totalement dans le destin qu’il a choisi de nous faire partager : l’éternité
.
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