1 Jésus se rendit au mont des Oliviers. 2 Mais dès le matin, il retourna au temple, et tout le peuple vint à lui. S'étant assis, il les instruisait. 3 Alors les scribes et les pharisiens amènent une femme surprise en adultère, la placent au milieu 4 et lui disent : Maître, cette femme a été surprise en flagrant délit d'adultère. 5 Moïse, dans la loi, nous a ordonné de lapider de telles femmes : toi, donc, que dis-tu ? 6 Ils disaient cela pour le mettre à l'épreuve, afin de pouvoir l'accuser. Mais Jésus se baissa et se mit à écrire avec le
doigt sur la terre. 7 Comme ils continuaient à l'interroger, il se redressa et leur dit : Que celui de vous qui est sans péché lui jette le premier
une pierre ! 8 De nouveau il se baissa et se mit à écrire sur la terre. 9 Quand ils entendirent cela, ils se retirèrent un à un, à commencer par les plus âgés. Et il resta seul avec la femme qui était
là, au milieu. 10 Alors Jésus se redressa et lui dit : Eh bien, femme, où sont-ils passés ? Personne ne t'a donc condamnée ? 11 Elle répondit : Personne, Seigneur. Jésus dit : Moi non plus, je ne te condamne pas ; va, et désormais ne pèche plus.]
Si on voulait résumer en quelques mots
l’enseignement de Jésus pour lequel ses amis ont consacré quatre évangiles,
c’est à coup sûr, la conclusion de cet épisode de la femme
adultère qu’il faudrait prendre : « moi non plus, je ne te
condamne pas ! » Jésus, parlant au nom de Dieu ne condamne pas les simples
pécheurs ni les pécheurs scandaleux, ni les autres. Il ne prive personne ni de l’amour ni de la
grâce de Dieu, même pas ceux que la
justice des hommes condamne à de lourdes peines ou même à la mort. A tous Jésus offre la vie.
Dans ce passage, vous avez sans doute admiré la manière dont Jésus s’était sorti de
piège remarquablement tendu par ses adversaires. Mais sommes-nous bien sûrs
d’avoir compris ce qui s’était passé, car Jésus ne s’est pas livré à une
entourloupette juridique comme le font les grands avocats pour que leurs clients échappent à une peine
méritée. Jésus n’a pas cherché à sauver la femme par des artifices juridiques,
mais elle a quand même été sauvée. Ceux qui ont compris l’attitude de Jésus n’ont
pas forcément accepté sa conclusion du pardon universel sans condition. Sans
condition avez-vous dit ? Sans condition, avons-nous dit !
Si j’en crois la manière dont ce texte a été
reçu dans le canon de l’Évangile de Jean, je dirais que les premiers chrétiens
ont eu du mal à s’approprier la conclusion de Jésus et à la considérer comme
l’aboutissement normal de son Évangile.
Pendant 3 siècles les premiers fragments des parchemins de l’Évangile de Jean qui nous sont parvenus n’ont pas fait état de cet épisode. Ce n’est qu’au
quatrième siècle qu’on l’a vu apparaître
une seule fois en finale de l’Évangile de Luc, puis lentement il s’est
imposé comme partie intégrante de l’Évangile de Jean. La chose est
curieuse et mériterait de plus amples commentaires, d’ailleurs, selon les spécialistes du texte,
ce récit relève plus du style de Luc que de celui de Jean. En fait pendant longtemps ce texte a fait la navette entre
les deux Évangile, tantôt accepté par les copistes de
l’un tantôt refusé par les autres.
Toutes ces hésitations plaident
d’ailleurs en faveur de son authenticité. Ce n’est sans doute pas le récit en
soi qui était ainsi discuté, mais sa conclusion. Il serait donc mal venu de
critiquer les scribes et les pharisiens qui soupçonnent Jésus de laxisme, L’Église aussi l’a fait à propos de ce texte.
Jésus annonçait le pardon des péchés sans
aucune contrepartie. Les plus grands pécheurs seraient accueillis devant Dieu de
la même façon que les moins
fautifs ! C’est tellement choquant qu’on a essayé de minimiser la
situation et d’innocenter la femme en se faisant son avocat. On va inventer
toutes sortes d’arguments pour justifier
les propos de Jésus et les rendre acceptables.
On a fait valoir que son complice ne comparaissait pas avec elle, or, pour qu’un adultère soit flagrant, comme il est
dit ici, il faut que le complice soit cité en même temps que l’accusé. Ce n’est
pas le cas ici. Pour qu’il y ait procès,
car c’est bien d’un procès qu’il s’agit, il faut un plaignant, or le seul
plaignant habilité en l’occurrence serait le mari. Il n’est pas présent non
plus et ne se présente pas en accusateur. Cette mise en scène était donc un piège
pour faire tomber Jésus et il n’y est pas tombé. Après ces commentaires la
femme, ne semblait pas coupable. Personne ne s’y trompe et on se réjouit de
voir que Jésus s’en sort habilement, comme toujours.
Ceux qui ont une sérieuse culture biblique
verront dans ce récit une parenté avec l’histoire de Suzanne et des vieillards
que l’on trouve dans l’apocryphe de Daniel, ignoré des publications
protestantes de la Bible. Suzanne se baignait dans son jardin clos de murs,
cette imprudente avait bien le droit d’être ainsi dévêtue dans ce lieu privé !
Deux vieillards regardant par où il ne
fallait pas, contemplèrent la scène et
tentèrent d’abuser de la baigneuse.
Celle-ci résista et ne succomba pas. Par esprit de vengeance,
les deux vieillards lubriques, juges pour la communauté juive à Babylone,
l’accusèrent d’adultère en lui inventant un partenaire, et tant qu’à faire
jeune et beau. Elle fut condamnée à mort et aurait été exécuté si Daniel
n’avait eu l’idée de faire interroger les vieillards séparément. Ils se
contredirent bien évidemment. C’est eux qui furent alors condamnés et exécutés. L’histoire est belle,
la morale est sauve, mais ce n’est pas du tout le cas de l’histoire dans
laquelle on sollicite l’avis de Jésus, et tout essai de rapprocher les deux
textes, comme on l’a souvent fait
nuirait à la compréhension de l’Evangile.
Jésus
n’essaye pas de disculper la femme, il ne prend pas à son compte les
arguments que nous avions développés pour la disculper. Il la considère comme coupable et demande
qu’on la lapide, ce qui ne se faisait plus à l’époque, mais il ajoute une condition, celle de la nécessité de l’absence de péché des bourreaux. Tous se
dégonflent.
Jésus ne veut pas savoir si elle est coupable
où non. Il fait valoir un principe qui est
incontournable, pour lui et donc pour Dieu, bien qu’on en discute encore
aujourd’hui, c’est le droit absolu à la vie sans aucune restriction. C’est en
regardant le texte d’un peu plus près que nous comprendrons ce que son auteur
veut nous faire comprendre. Assis parterre, Jésus face à l’accusée, sans
regarder personne, écrit avec son
doigt dans la poussière. Tout ici prend
du sens. Jésus regarde à terre et écrit avec son doigt comme jadis Dieu le fit
sur les tables de la loi cassées par
Moïse au Sinaï.
La loi, en vigueur à cette époque n’était donc
que le pale reflet des tables écrites par Moïse. Elles attendaient une
réédition de Dieu quand le peuple serait prêt à la recevoir. L’était-il ?
Le sommes-nous ? Cette réflexion éclaire la suite. Si
Jésus écrit dans la poussière, c’est que l’homme en a été issu et qu’il y retournera. Jésus est donc en train
d’écrite avec son doigt la nouvelle loi,
comme Dieu le fit avec Moïse. Il le fait dans la poussière, l’élément qui
constitue la structure même l’humanité. Puis, le texte étant écrit, il se redresse
et cette fois il regarde les hommes et les enjoint à appliquer la loi dont ils
se réclament. Lapidez-là si la loi ordonne la mort. Mais cette loi venue de
Dieu ne peut être appliquée que par celui qui en est digne. Elle ne peut être
appliquée que par une main sans péché.
Aucun humain n’en est digne, Jésus ne le dit pas explicitement,
mais tous comprennent. On ne peut en
rester là ! Heureux celui qui comprendra la suite, il pourra
alors avancer sur le chemin de la compréhension de Dieu. Le regard de Jésus se tourne à nouveau vers le sol, il ne regarde personne, chacun se
retire jugé par sa propre conscience, mais pas par Jésus qui ne regarde pas puisqu’il regarde à terre et poursuit son
écriture. A coup sûr ce sont des paroles de vie qu’il écrit dans la poussière,
c'est-à-dire dans les fondements de notre humanité. Cette poussière
insignifiante que l’on méprise en la foulant au pied est désormais porteuse de la vie que Dieu
nous demande de respecter comme le bien le plus précieux dont dépend l’humanité et dont personne ne peut disposer.
Et la femme ? Il est normal de
s’intéresser à son sort avant de conclure. L’histoire personnelle de cette
femme marque ici un temps d’arrêt mais elle ne s’arrête pas pour autant. N’ayant
reçu aucun condamnation, elle peut
retourner normalement à la vie. Etai-elle
coupable ? Sans doute, car on n’aurait pas pu monter un tel piège avec une
innocente comme appât. Si elle avait été
innocente, Jésus n’aurait pas pu tirer les conclusions qu’il a tirées, mais sa
faute, même avérée ne suffisait pas à l’empêcher de vivre et Jésus lui a ouvert un chemin de vie. S’il lui dit
de ne plus pécher, ce n’est pas
d’adultère qu’il parle, c’est de cette
situation qui consiste à se considérer comme séparé de Dieu quand on se sait coupable, car
c’est cela le péché, c’est être séparé de Dieu. Or Dieu n’exclut personne c’est pourquoi il nous pardonne tous. Quand ils ont compris cela, ce
texte a paru irrecevable, même aux évangélistes. Et pour nous qu’en
est-il ? Quant à la repentance dont
on n’a pas parlé et que Jésus ne demande pas à cette femme, c’est une autre
histoire, c’est une histoire entre Dieu et nous qui n’a pas sa place ici.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire