Les Galiléens massacrés par Pilate
1 En ce temps-là, quelques personnes vinrent lui raconter ce qui était
arrivé à des Galiléens dont Pilate avait mêlé le sang à celui de leurs
sacrifices. 2 Il leur répondit : Pensez-vous que ces Galiléens aient été
de plus grands pécheurs que tous les autres Galiléens, parce qu'ils ont
souffert de la sorte ? 3 Non, je vous le dis. Mais si vous ne changez pas
radicalement, vous disparaîtrez tous de même. 4 Ou encore, ces dix-huit sur qui
est tombée la tour de Siloam et qu'elle a tués, pensez-vous qu'ils aient été
plus coupables que tous les autres habitants de Jérusalem ? 5 Non, je vous
le dis. Mais si vous ne changez pas radicalement, vous disparaîtrez tous
pareillement.
La parabole du figuier stérile
6 Il disait aussi cette parabole : Un homme avait un figuier planté
dans sa vigne. Il vint y chercher du fruit et n'en trouva pas. 7 Alors il dit
au vigneron : « Voilà trois ans que je viens chercher du fruit sur ce
figuier, et je n'en trouve pas. Coupe-le donc : pourquoi occuperait-il la
terre inutilement ? » 8 Le vigneron lui répondit :
« Maître, laisse-le encore cette année, le temps que je creuse tout autour
et que j'y mette du fumier. 9 Peut-être produira-t-il du fruit à
l'avenir ; sinon, tu le couperas ! »
Ce matin, l’Évangile de Luc s’ouvre pour nous comme les pages de notre journal quotidien. Comme tous les journaux, il
ne contient aucune bonne nouvelle en perspective, au contraire, Il commence par l’énumération d’une une série de mauvaises nouvelles qui
nous attristent sans pour autant nous affecter, tant nous en avons l’habitude. Par la suite le quotidien
continue par la chronique « jardinage » en nous livrant les commentaires d’un jardinier en difficulté
avec un figuier. Même si cela ressemble à nos journaux, à la différence de ceux-ci, nous sommes ouvertement interpellés par la question du rôle de Dieu dans la marche de choses.
La première colonne
de ce pseudo journal s’ouvre sur le récit d’un massacre de pèlerins
par l’autorité occupante dans le temple au moment des sacrifices. Nous sommes
invités à nous demander pourquoi Dieu a permis une telle horreur. Nous
cherchons à la hâte des explications qui relèveraient du bon
sens et qui expliqueraient une telle situation. Le contexte semble
suggérer que ces gens devaient être bien coupables pour que Dieu, même si
son nom n’est pas prononcé, accepte que leurs dévotions soient interrompues
d’une manière si cruelle. On ne s’étonne pas que le gouverneur Pilate ait ordonné la chose, car sa brutalité est bien
connue, mais on peut justifier son action, si non l’excuser en pensant plutôt que
ces gens massacrés étaient des rebelles
Zélotes qui auraient fomenté un attentat dans le temple et dont le projet
aurait été déjoué. En tout cas personne ne s’étonne vraiment de rien.
Jésus pour sa part semble prendre lui aussi de la distance par rapport à
l’événement qu'il commente d’une manière laconique en nous laissant
le choix de notre appréciation et en disant seulement que nous sommes tous menacés et
qu’il faut s’y préparer. Il faut donc nous préparer au pire pour ne pas être
surpris. L’espérance, à la recherche de laquelle nous étions venus au
culte semble ne pas être au rendez-vous.
La deuxième
manchette du journal va dans le sens
de la conclusion précédente. Elle fait état d’une catastrophe :
« Une tour s’effondre à Siloé : 18 morts ». L’événement
est présenté comme un banal fait divers, et Jésus fait le même
commentaire que précédemment. Aucune allusion directe à Dieu qui n’y est
pour rien ! Dans un journal d’aujourd’hui on n’aurait pas manqué de
dire que les victimes étaient innocentes, comme si les journalistes
étaient qualifiés pour décider de l’innocence des uns ou des autres.
Jésus semble accepter l’événement sans rien dire. Mais dans quel monde
cet évangile nous plonge-t-il ? Quelle est cette théologie ou plutôt cette
absence de théologie que Jésus développe ici ? Dieu ne peut-il rien quand
les catastrophes se produisent ? De quelle manière est-il présent dans ce
monde ? Comme dans le cas du massacre des Galiléens, Dieu se sert-il
des événements pour exercer son châtiment, car selon une théologie classique
qui relève du péché originel, tous sont privés de salut à moins que la
grâce de Dieu ne repose sur eux. Si bien qu’aux yeux de Dieu nul ne serait
innocent devant lui.
Même si nous
ne croyons pas vraiment que les choses sont ainsi, nous nous comportons
cependant comme si elles l’étaient. On ne veut pas croire que le hasard est
aveugle et qu’il frappe sans raison. « Qu’ai-je fait au bon Dieu pour
qu’il en soit ainsi ? » Disons-nous souvent, comme si cette dernière
thèse avait un fond de vérité. On ne peut croire en Dieu et considérer qu’il
regarde le monde du haut de ses demeures sans réagir aux événements. La
bonne nouvelle espérée au début de ce propos est en train de se déliter, à
moins que la suite ne nous réserve une surprise et provoque un revirement de
situation qui permettrait à la bonne nouvelle espérée de se réaliser.
Sans
transition, nous tombons sur la rubrique
jardinage. Nous sommes placés face au dilemme qui oppose un propriétaire et son jardinier.
Ils ne sont pas d’accord sur le sort que l
’on doit réserver à un figuier qui
ne porte pas de fruits. C’est un cas suffisamment rare pour qu’on en parle car
ce type d’arbre s’accommode de tout terrain et produit des fruits dans les 3
ans qui suivent sa plantation. Celui dont il est question ici n’obéit pas aux
règles et mérite qu’on le coupe avant qu’il n’ait épuisé la terre de la vigne
au milieu de laquelle il a été planté.
L’affaire
aurait bien vite été réglée si le propriétaire n’avait pas eu à faire à
un jardinier zélé, trop amoureux des plantes pour obtempérer sans rien faire.
Ce serait un véritable supplice pour lui de détruire un arbre, même
improductif, sans n’avoir rien fait pour lui. Il plaide donc auprès du
propriétaire la cause de l’arbre rétif. Il se propose de mettre la main à la
pioche, de creuser la terre, de l’amender. Il espère que peut-être
ses soins ajoutés à une année supplémentaire sauveront l’arbre.
En
disant "peut être», le jardinier apporte comme l’ombre d’un espoir
pour le figuier. Peut-être cette histoire va-t-elle changer notre regard sur ce
triste monde où nous vivons ? Mais la note d’espoir, c’est l’homme
qui l’apporte, pas Dieu. Pourtant la logique de la raison humaine vient
assombrir ce rayon d’optimisme. Si ça ne marche pas, si l’espoir
humain est déçu, si l’arbre ne porte pas de fruit, il sera coupé, par le maître
c'est-à-dire Dieu !
Ce ne sera
pas le vigneron qui coupera l’arbre, ce sera le propriétaire si ça lui
chante. C’est là que se situe le renversement de situation que j’espérais tout
à l’heure pour ouvrir la porte à l’espérance et qu’enfin une bonne nouvelle
fasse son entrée dans ce récit. Qui est donc ce propriétaire amateur de
figues ? Un instant on a cru que c’était Dieu, mais un instant seulement
car apparemment, Dieu n’est pas dans ce rôle-là. On l’imagine mal dans le rôle
du propriétaire recevant des consignes de la part de son serviteur. Or dans
cette parabole, c’est lui, le vigneron qui prend les initiatives. Et qui dit au
maître ce qu’il doit faire.
Pour
comprendre, il va falloir inverser les valeurs. Selon notre manière de voir les choses, selon ce
que Jésus nous a appris, celui qui devrait avoir des idées de générosité et qui devrait mettre la main à la pioche et même dans le fumier,
c’est Dieu ! Celui qui exige que le figuier le nourrisse et que le
vigneron exécute ses ordres, serait habituellement l’homme. Celui qui devrait menacer de mort le figuier, c’est l’homme
et celui qui devrait chercher à le sauver, c’est Dieu.
Habituellement
les hommes n’accordent leur confiance en Dieu que s’il ressemble au
propriétaire de la parabole, c’est d’ un Dieu qui agirait de la sorte, que les
hommes croient pouvoir être les auxiliaires. Ils s’empresseraient alors d’abattre l’arbre qui ne leur sert à
rien. Mais ça ne marche pas ainsi dit Jésus. Il voit les choses autrement, il
estime que la bonne nouvelle c’est de
considérer que le monde n’est pas voué à la fatalité d’un Dieu qui ne ferait
rien et qui laisserait faire, ni à un Dieu qui mettrait les hommes au service
de son autorité. Le Dieu que Jésus
Christ nous présente ici est un Dieu à l’œuvre et qui travaille à améliorer le
monde. Il enseigne l’homme à le considérer autrement qu’il ne le fait habituellement,
et c’est à la vie qu’il donne priorité.
Tel est le
Dieu que Jésus présente ici. Quant à nous nous reconnaissons trop souvent
dans le rôle de celui qui reproche à Dieu de ne pas faire ce qu’il aurait
dû faire : « tu aurais dû protéger ces pèlerins au moment où ils
faisaient leurs dévotions, tu aurais dû retenir la tour avant qu’elle ne
s’écroule, tu devrais éliminer cet arbre qui ne sert à rien »
pensons-nous. Les hommes se comportent généralement, comme s’ils étaient les maîtres d’un Dieu
qui ne veut pas leur obéir.
La bonne nouvelle ici, c’est que Dieu n’a pas besoin de nous pour lui donner des conseils et encore moins des ordres, car il sait déjà ce qu’il faut faire pour que les choses aillent mieux et il nous inspirent les choses à faire. Il nous suggère de mettre la main à la pâte et de travailler pour que la vie s’enrichisse autour de nous. Ce n’est plus à nous de couper les arbres improductifs, mais c’est à nous de bêcher le sol pour que l’arbre s’améliore.
En fait,
nous sommes libres de vivre dans ce monde comme si Dieu n’y était pas,
mais il est tellement plus profitable à tous, et c’est tellement plus
porteur d’espérance de savoir que Dieu est avec nous dans ce mode et
qu’il nous inspire ce que nous devons faire. Ainsi nous serons assez patients
pour attendre que le figuier produise des fruits, que la vie que Dieu nous
donne s’empare du monde, et que nous
œuvrions à le le rende conforme à ce que
Dieu a prévu pour lui.
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