Esaïe 49 : 3-6
1 Iles, écoutez-moi ! Peuples lointains, prêtez attention ! Le
SEIGNEUR m'a appelé depuis le ventre maternel, il a évoqué mon nom depuis les
entrailles de ma mère.
2 Il a rendu ma bouche semblable à
une épée acérée, il m'a couvert de l'ombre de sa main ; il a fait de moi
une flèche aiguë, il m'a caché dans son carquois.
3 Et il m'a
dit : Tu es mon serviteur, Israël, c'est en toi que je montre ma
splendeur.
4 Mais moi,
j'ai dit : C'est pour rien que je me suis fatigué, c'est pour le chaos, la
futilité, que j'ai épuisé ma force ; assurément, mon droit est auprès du
SEIGNEUR et ma récompense auprès de mon Dieu.
5 Maintenant
le SEIGNEUR parle, lui qui me façonne depuis le ventre de ma mère pour que je
sois son serviteur, pour ramener à lui Jacob, pour qu'Israël soit rassemblé
auprès de lui ; je suis glorifié aux yeux du SEIGNEUR, car mon Dieu a été
ma force.
6 Il a
dit : C'est peu de chose que tu sois mon serviteur pour relever les tribus
de Jacob et pour ramener les restes d'Israël : j'ai fait de toi la lumière
des nations, pour que mon salut parvienne
jusqu'aux extrémités de la terre.
Esaïe est un personnage impressionnant dont
la voix a porté jusqu’à nous, tout à la
fois des imprécations redoutables contre
son peuple et des paroles apaisantes pour nous, évoquant une vision paradisiaque
d’un monde futur. On devine en lui une fore de caractère hors du commun et une
foi qui résiste à tous les doutes. Il est difficile de situer ce prophète aux
multiples visages qui selon les savants modernes correspond au moins à trois personnages différents.
Le premier, celui qui a donné son nom à l’ensemble du
Livre vivait à cette époque troublée où
le Royaume du Nord allait être dévasté par les armées de Ninive et sa
population déportée. Les rescapés qui ont pu s’exiler se sont réfugiés dans le Royaume du Sud, la terre de Juda, qui
fut enrichie du talent des nouveaux arrivants. La parole du
prophète aura une influence certaine dans le monde politique, si bien qu’on situe aisément son ministère dans l’entourage des souverains dont il fut au
service de quatre d’entre eux.
Après les 40 premiers chapitres, c’est un
autre personnage qui occupe la place, il vit au moment de l’exil du Royaume de
Juda, quelques cent ans plus tard. Porteur de paroles d’espérance, il prépare
les exilés à un retour vers la terre de
leurs ancêtres. Enfin les 10 derniers chapitres sont attribués à un
troisième personnage qui vivait lui, au
retour de l’exil. Tous trois ont eu une parole forte qui nous stimule encore
aujourd’hui. Mais en considération du
texte qui nous intéresse, c’est sur le deuxième personnage que nous
concentrerons notre attention.
Nous avons constaté qu’il fait une longue
digression sur sa vocation prophétique dont le message a marqué le comportement de ceux qui
partageaient avec lui l’exil à Babylone. Le regard qu’il porte sur lui-même n’est pas sans
susciter notre étonnement tant il est sûr d’être né pour être prophète et que
Dieu a formulé des projets pour lui bien avant sa naissance. Mais les choses se passent rarement comme
prévu, il est plus ou moins écouté par ceux qui partagent sa situation et qui
ne croient pas forcément en la valeur prophétique de ses propos. Il a
l’impression de prêcher dans le désert, mais jamais il ne remet en cause sa
vocation face à l’adversité.
Bien peu d’hommes à part Paul partagent une telle certitude,
même parmi les plus remarquables. La
plupart éprouveront le doute face à l’échec et mettront en cause leur propre
vocation, certains même iront jusqu’à renoncer à elle, tel Jonas qui préféra
courir le risque de périr en mer plutôt que d’affronter les dangers du désert
que Dieu lui demandait de traverser pour
proclamer sa parole à Ninive.
La certitude du prophète nous apparaît comme
de l’arrogance et de la prétention ! En effet, comment peut-on être si sûr
de soi quand les événements nous contredisent
et ne semblent pas forcément
aller dans le sens où Dieu voudrait que s’écrive l’histoire. Les chants
sur le serviteur souffrant semblent attester du fait qu’on s’en soit pris à sa personne et que peut être il n’est
pas passé très loin du lynchage et de la mort :
«
j’ai livré mon dos à ceux qui me frappaient et mes joues à ceux qui
m’arrachaient la barbe et je n’ai pas dérobé mon visage aux outrages et
aux tracas 50/6»
Il est bien conscient d’adresser ses messages
à un peuple au cou raide qui accepte mal le tournent que Dieu veut donner à
l’histoire. Il entrevoit l’avenir en faisant confiance au nouvel envahisseur de
Babylone, un roi païen, Cyrus qu’il espère voir organiser le retour dans leur
ancienne partie. Il est certain que ses propos ne sont pas accueillis
favorablement par tous et que la plupart ne se réjouissent pas à
l’idée d’un retour éventuel dans un pays en ruine.
On a sans doute déjà porté la main sur lui,
nous venons de le voir, et bien peu de ses compagnons d’exil s’enthousiasment à l’idée
d’un retour possible. C’est donc dans ce contexte que le prophète
exprime sa foi en sa vocation avec une
certitude inébranlable. Il sait que Dieu ne cesse d’échafauder des projets de
salut, et il le dit, même quand les éléments sont contraires. Il n’hésite
pas à profiter du contexte politique
fragile pour y introduire l’espérance
qu’il reçoit de Dieu. L’histoire lui donnera raison.
L’homme a beau paraître arrogant, il est
cependant sûr que la confiance qu’il a mise en Dieu est bien placée. Nous
devons prendre leçon du message. S’il est prétentieux de croire que le prophète
se croit destiné dès le sein maternel à se mettre au service de Dieu, rien ne
nous dit qu’il est le seul dans ce cas là
et que tel n’est pas le sort que
Dieu nous réserve à tous. Chaque croyant ne devrait-il pas se retrouver lui-même dans
ces propos? Il il doit être tenu pour acquis que Dieu jette un œil bienveillant sur chacun de nous dès notre premier
balbutiement. Dieu donnera sa force et son énergie à quiconque acceptera
de faire de la cause de Dieu sa propre cause.
Cela n’est pourtant pas une garantie de succès
et la promesse que le doute ne nous visitera pas. Cela ne veut pas dire
que nous ne connaîtrons pas les échecs, et nous épargnera une mort cruelle, mais cela
veut dire que Dieu sera toujours fidèle malgré nos infidélités. La vie dans
laquelle nous entrons dès notre premier cri de bébé lui est précieuse, et
compte tenu du moment, il lui donnera toutes les chances de s’épanouir.
Mais le dynamisme que Dieu met en nous se
heurte aussi à des éléments contraires qui peuvent mettre en cause notre vie et
notre foi. Dieu veut être celui qui inspire et oriente les hommes tout au cours
de l’histoire, mais il n’est pas celui qui fait l’histoire. Il y participe si
les hommes le suivent, mais ils lui attribuent souvent un autre
rôle : celui de les épargner du mal en contrepartie de leur fidélité. C’est
de là que nait la confusion et la doute. Bien que ce soit Dieu qui inspire, ce
sont les hommes qui agissent. Trop souvent les hommes agissent sans avoir pris
soin de consulter Dieu, c’est alors que l’histoire dérape et prend une autre
tournure que celle que Dieu avait prévue.
Quand cinq cents ans plus tard le tour de Jésus arrivera, il prendra la suite
du prophète. Il était bien conscient de tout le contenu de ce passé tourmenté
et agité. Il savait qu’il portait le projet de Dieu mais que les hommes se
mettraient en travers. Esaïe avait été son précurseur et son histoire personnelle
avait été prophétique de ce qui allait se passer au sujet de Jésus. Jésus pour
sa part, n’a pas tenu compte de l’hostilité des hommes au projet de Dieu. Il
s’est jeté dans l’aventure sans se
soucier du barrage que lui opposeraient
les notables et les dignitaires du
peuple. Il accepta d’affronter la mort pour que l’humanité trouve le sens que
Dieu voulait donner à l’existence humaine. Dieu donnait ainsi son sens
définitif à l’histoire en invitant les hommes à agir désormais par des actes
suscités uniquement par l’amour.
Ainsi, aujourd’hui il nous est proposé de découvrir
que les tournants de l’histoire, ne sont pas provoqués par les exploits des hommes mais par les gestes
d’amour, d’altruisme et de négation de
soi que les hommes ont accompli au nom d’une vérité plus grande qu’eux et qui
les dépasse. En effet, qu’est-ce que
l’histoire retiendra, des conquêtes de Gengis Kan ou de celles de Napoléon,
dont il ne reste plus rien, alors que la
déclaration des droits de l’homme régit encore aujourd’hui nos
comportements ? Attachez-vous à faire ce constat sur bien d’autres points
de l’histoire pour constater que ça marche. Les moments déterminants de
l’histoire ne sont pas ceux qui retiennent l’attention, mais ceux dans lesquels
l’amour a laissé une empreinte. C’est en
observant ce phénomène que les historiens doivent sans doute rendre compte de
l’action de Dieu dans l’histoire du
monde.
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