Ecclésia Reformata : Jean 15/12-17 : une
spiritualité de l’autocritique –
Fatigués par
la répétition des idées du passé, on aimerait que les choses changent en
matière spirituelle. On voudrait innover
afin que la pensée au sujet de Dieu se modernise. Mais, en même temps, on aspire aussi à plus de
stabilité. Nous sommes en pleine contradiction intérieure ! On voudrait
qu’en matière de foi les choses évoluent et aussi qu’elles restent immuables !
Mais tout cela n’est que fiction !
Les idées
rassurantes sur Dieu que nous croyions avoir bercé les générations qui nous ont
précédées ne l’étaient pas. Le péché pesait d’un poids énorme sur les
consciences et vouait à l’enfer quiconque se croyait coupable. La menace était
telle qu’on a dû inventer l’existence du purgatoire afin de mettre un peu
d’espoir dans la vie des croyants.
On avait alors procédé, comme si on pouvait
disposer à sa guise de la volonté même de Dieu et dessiner selon la fantaisie
des penseurs du moment les frontières du
paradis. Ainsi se laisse-t-on trop
souvent aller à imaginer l’existence d’un Dieu
dont la réalité reste imprécise à notre esprit et dont on se plait à modifier l’aspect,
suivant les idées en vogue. La Réforme avait-elle été le produit d’une nouvelle mode ? S’était-elle appuyée sur ce principe
quand elle a défini l’Eglise comme étant
une réalité qui devait être réformée et toujours à réformer afin de
proposer aux hommes un Dieu acceptable?
Si je me
suis permis de tels questionnements, c’est que nous ne sommes pas au clair sur
la notion de Dieu. Qu’on le veuille ou non, nous avons seulement conscience qu’il relève d’ une réalité qui nous dépasse. On cherche
parfois à s’en libérer en s’appuyant sur
les philosophes du moment, d’autant plus
qu’ayant hérité des idées sur Dieu de nos pères, il
nous parait opportun de nous en séparer
ou de les faire évoluer à notre guise pour nous sentir libres
par rapport au passé.
En fait la question de Dieu ne nous laisse pas
indifférents. Qu’on l’accepte ou qu’on le
rejette on aimerait que cette intuition sur lui s’accorde avec
nos idées modernes. On aimerait que les églises nous y aident en se réformant
radicalement. Cela ne parait pourtant pas être le cas et nous nous
sentons bien seuls face à nos questions spirituelles, car il y a des moments où
« ça parle en nous » et pour essayer de capter ces voix intérieures et les comprendre, nous ne pouvons que nous
appuyer sur ce que nous avons appris des
autres.
Mais qui est
ce Dieu, cet Être suprême, ce Tout autre, celui qui vient ainsi bousculer nos pensées et
parler en nous ? Et pourquoi le fait-il ? L’affaire est trop
personnelle pour en parler à ceux qui nous entourent, surtout par les temps qui courent où toute
question sur Dieu parait obsolète voire même suspecte. A qui confier nos inquiétudes, si non à
Jésus ? C’est lui qui nous semble le plus à même pour nous aider à percer
le mystère de ce Dieu qui vient par moment habiter nos pensées.
Jésus
partait du principe selon lequel les
ancêtres du judaïsme avaient perçu de Dieu,
qu’il était bon. Cette idée se trouvait
dans les Ecritures qui parlaient de la générosité d’un Dieu créateur qui accompagnait
ses enfants dans leur histoire. Mais
tout cela n’était pas gratuit et tous ne pouvaient se reconnaitre comme ses
enfants. Seuls ceux qui se revendiquaient comme appartenant à son peuple le
pouvaient et lui devaient une obéissance
absolue. Cela impliquait donc que l’on devait rejeter et détester les autres
qui n’étaient pas ses enfants, si bien que dans leurs pensées, l’amour que l’on devait à
ses semblables était aussi fort que la haine avec laquelle on
devait regarder ses ennemis. Ces idées avaient acquis force de loi et impliquaient que l’on
devait rejeter quiconque ne partageait pas cette pensée. Tel était le monde dans
lequel Jésus a commencé son ministère !
L’intimité
de Jésus avec Dieu lui fit entendre une
autre voix. Il comprit que Dieu avait
une valeur universelle et que l’amour
pour lui n’impliquait pas le rejet des autres mais impliquait qu’on devait les aimer eux aussi. Moïse avait enseigné à séparer le bon du mauvais et considérait que quiconque n’était pas avec Dieu
était son ennemi. Etait-il possible d’entendre Dieu
autrement que Moïse l’avait fait ?
La notion de blasphème s’imposa alors dans le discours
des adversaires de Jésus, on entreprit lentement d’équarrir le bois de sa croix
et de forger les clous de son supplice. La
suite donna cependant raison à Jésus. Même si beaucoup de ceux qui se réclament
de lui pensent encore le contraire, sans oser le dire, un fait semble désormais acquis, c’est celui, selon lequel la
connaissance de Dieu peut se transmettre
par étapes et que les acquis de la
pensée à son sujet peuvent toujours
s’enrichir.
Il
fallut bien admettre que la pensée de
Jésus était le reflet de la pensée de Dieu et que l’amour de Dieu pour les hommes impliquait l’amour
des hommes pour tous les hommes. Le
péché prit alors une autre coloration et concerna désormais plus l’offense aux hommes que l’offense à Dieu.
C’est encore dur à admettre aujourd’hui ! Sans le dire explicitement, Jésus avait posé
un principe nouveau selon lequel l’écoute attentive de la parole de Dieu impliquait
le fait qu’il était nécessaire de
réformer périodiquement la manière de dire Dieu en fonction des
progrès que faisait la connaissance des hommes à son sujet.
Héritier de
ce nouveau principe sur Dieu l’Eglise était désormais équipée pour la conquête
du monde. Une longue histoire allait
commencer. Mais on a plus retenu les persécutions qu’elle subit au cours des
premiers siècles que de la lente
acquisition du pouvoir dont l’Eglise s’empara progressivement. C’est là que le bât blesse. C’est l’empereur
Constantin qui modifia les choses en se
donnant pour dépositaire de la volonté de Dieu.
Au moment de sa conversion, en mettant le signe de Jésus sur ses étendards,
« in hoc signo vinces, » il imposa la religion chrétienne comme
seule religion de l’empire. La légende devint
vérité et il fut admis que c’est sous
l’effet d’une vision divine que le souverain reçut la faveur de Dieu.
Cette vérité s’imposa au même titre que l’Evangile et sous couvert des conciles, l’empereur
décida de la foi de chacun.
Il
expulsa les évêques récalcitrants, condamna les hérétiques, et refusa
même à Dieu une autre autorité que celle du pouvoir temporel.
Evidemment Dieu ne cautionnait pas une telle
doctrine, mais on avait réussi à étouffer sa voix ! Et l’Eglise, tout
au moins celle qui avait droit de cité, fut bien aise de partager le pouvoir
avec le souverain. Les choses furent engagées ainsi pour longtemps.
Il est bien
évident que Dieu ne restait pas silencieux pour autant. Des hommes et des
femmes entendaient sa voix mais ceux qui en rendirent témoignage furent éliminés, exécutés, brûlés. Une chape de
silence tomba sur l’Eglise et pendant des siècles, on décida que telle était la
volonté de Dieu ! Puis, les siècles passants, le
cours de l’histoire s’inversa. Le pouvoir changea de camp, la vérité sur Dieu prit une autre allure. Enfin, sa
voix fut à nouveau audible.
Il fut alors admis que la volonté de Dieu ne
s’imposerait plus par la force. Le vent
de la Réforme contenu jusqu’à présent put enfin souffler et la voix de Dieu à
nouveau se fit entendre. Pierre
Valdo, Jean Huss, Luther et les autres
tentèrent une parole à leur corps défendant. Un nouveau principe commença à s’imposer comme l’expression de ce souffle
qui venait de Dieu : Ecclesia reformata, sed ecclesia reformanda. La
Réforme naissante découvrait un principe inhérent à la révélation elle-même et
sur lequel Jésus s’était déjà appuyé.
Elle s’appropria, sans s’en apercevoir, un
principe qui remontait à Jésus lui-même.
Il s’agissait d’affirmer l’idée selon
laquelle aucune vérité ne pouvait
s’imposer sans être éclairée par une
parole de Dieu qui s’adaptait au cours du temps. Ni l’église ni personne n’était propriétaire d’une vérité immuable sur Dieu.
L’Eglise désormais devait rendre témoignage d’une pensée capable d’évoluer et qui
devait s’adapter au cours de l’histoire.
Il fallait
désormais que les églises (on passe du singulier au pluriel) cherchent à
écouter fidèlement la parole de Dieu et la mettent en pratique. Comment alors
écouter, et surtout, comment entendre ? Devait-on tout transformer ou modifier
quelques aspects seulement ? Qui
allait s’arroger l’autorité pour interpréter correctement une parole venue de Dieu
et la dire aux peuples ?
Une assemblée de croyants serait sans doute plus
à même de percevoir cette vérité qu’un seul individu, c’est pourquoi la
Réforme adopta le régime des assemblées à tous les niveaux. Mais était-ce
normatif ? Dieu pouvait-il se faire
entendre quand des voix venues du monde se confondaient avec la sienne ?
Ainsi les grands problèmes sociaux bousculèrent-ils les églises au titre même de
la fidélité à Dieu.
Le problème de la guerre et de la paix, aussi
bien que celui des pauvres et des esclaves, celui de la justice sociale, celui du
rôle des femmes, de l’accueil des
étrangers, des couples de même sexe de l’écologie n’ont pas cessé de bousculer
les consciences dans des églises toujours en quête d’une parole de Dieu sur
toutes les questions qui se posaient à elle.
La voix de Dieu pouvait-elle être occultée par d’autres voix que la sienne ou se confondre avec elle ? Les églises ont toujours eu beaucoup de mal à l’entendre et à réformer leurs
institutions pour les adapter aux sollicitations du temps. Mais qu’elles le
veillent ou non il leur faut le courage d’écouter, d’entendre et de réagir.
Et
maintenant, la question posée au début réclame un éclairage qui aidera chacun à
savoir comment interpréter ses propres voix intérieures.
De quel Dieu,
ces voix nous parlent-elles ? Qui a
autorité pour nous imposer une opinion plutôt qu’une autre ? C’est d’amour
plus fort que la mort qu’elles nous parlent. C’est cette vérité, cueillie sur
les lèvres de Jésus qui nous invite à la
méditation intérieure et qui avoisine à la prière, à la patience aussi,
car la vérité a toujours besoin de temps
pour s’imposer.
Dieu, qui parle en nous par son esprit aura
toujours assez d’amour et de patience pour nous amener à comprendre quel est le chemin le mieux adapté
pour construire notre vie et accomplir avec nous les projets qu’il formule pour
tous. Il nous invite alors à nous prendre par la main et à entrer avec son Eglise dans ce mouvement de
réforme permanente dont dépend notre
avenir à tous.
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