mercredi 21 juin 2017

Ecclésia Reformata



Ecclésia Reformata : Jean 15/12-17 : une spiritualité de l’autocritique –

Fatigués par la répétition des idées du passé, on aimerait que les choses changent en matière spirituelle.  On voudrait innover afin que la pensée au sujet de Dieu se modernise.  Mais, en même temps, on aspire aussi à plus de stabilité. Nous sommes en pleine contradiction intérieure ! On voudrait qu’en matière de foi les choses évoluent et aussi qu’elles restent immuables !

 Mais tout cela n’est que fiction !

Les idées rassurantes sur Dieu que nous croyions avoir bercé les générations qui nous ont précédées ne l’étaient pas. Le péché pesait d’un poids énorme sur les consciences et vouait à l’enfer quiconque se croyait coupable. La menace était telle qu’on a dû inventer l’existence du purgatoire afin de mettre un peu d’espoir dans la vie des croyants.

 On avait alors procédé, comme si on pouvait disposer à sa guise de la volonté même de Dieu et dessiner selon la fantaisie des penseurs du moment  les frontières du paradis.  Ainsi se laisse-t-on trop souvent aller à imaginer l’existence d’un Dieu  dont la réalité reste imprécise à notre esprit  et dont on se plait à modifier l’aspect, suivant les idées en vogue. La Réforme avait-elle été le produit  d’une nouvelle mode ?  S’était-elle appuyée sur ce principe quand  elle a défini l’Eglise comme étant une réalité qui devait être réformée et toujours à réformer  afin de proposer aux hommes un Dieu acceptable?

Si je me suis permis de tels questionnements, c’est que nous ne sommes pas au clair sur la notion de Dieu. Qu’on le veuille ou non, nous avons seulement conscience  qu’il relève d’  une réalité qui nous dépasse. On cherche parfois  à s’en libérer en s’appuyant sur les philosophes du moment, d’autant plus  qu’ayant hérité des idées sur Dieu de nos pères,  il  nous parait opportun de nous en séparer  ou de  les faire  évoluer à notre guise pour nous sentir libres par rapport  au passé.

 En fait la question de Dieu ne nous laisse pas indifférents. Qu’on  l’accepte ou qu’on le rejette on  aimerait  que cette intuition sur lui s’accorde avec nos idées modernes. On aimerait que les églises nous y aident en se réformant radicalement.  Cela  ne parait pourtant pas être le cas et nous nous sentons bien seuls face à nos questions spirituelles, car il y a des moments où « ça parle en nous » et pour essayer de capter ces voix intérieures  et les comprendre, nous ne pouvons que nous appuyer  sur ce que nous avons appris des autres.

Mais qui est ce Dieu, cet Être suprême, ce Tout autre,  celui qui vient ainsi bousculer nos pensées et parler en nous ? Et pourquoi le fait-il ? L’affaire est trop personnelle pour en parler à ceux qui nous entourent,  surtout par les temps qui courent où toute question sur Dieu parait obsolète voire même suspecte.  A qui confier nos inquiétudes, si non à Jésus ? C’est lui qui nous semble le plus à même pour nous aider à percer le mystère de ce Dieu qui vient par moment habiter nos pensées.

Jésus partait du principe selon lequel  les ancêtres du judaïsme avaient perçu de Dieu,  qu’il était bon.  Cette idée se trouvait dans  les Ecritures qui parlaient  de la générosité d’un Dieu créateur qui accompagnait ses enfants  dans leur histoire. Mais tout cela n’était pas gratuit et tous ne pouvaient se reconnaitre comme ses enfants. Seuls ceux qui se revendiquaient comme appartenant à son peuple le pouvaient et lui  devaient une obéissance absolue.  Cela impliquait donc que  l’on devait rejeter et détester les autres qui n’étaient pas ses enfants, si bien que dans leurs pensées,  l’amour  que l’on devait  à  ses  semblables  était aussi fort que la haine avec laquelle on devait regarder  ses   ennemis. Ces idées avaient  acquis force de loi et impliquaient que l’on devait rejeter quiconque ne partageait pas cette pensée. Tel était le monde dans lequel Jésus a commencé son ministère !

L’intimité de Jésus avec  Dieu lui fit entendre une autre  voix. Il comprit que Dieu avait une valeur universelle et  que l’amour pour lui n’impliquait pas le rejet des autres mais impliquait  qu’on devait les aimer  eux aussi. Moïse avait enseigné à séparer  le bon du mauvais  et considérait que quiconque n’était pas avec Dieu  était  son ennemi. Etait-il possible d’entendre Dieu autrement que Moïse l’avait fait ?

La notion  de blasphème s’imposa alors dans le discours des adversaires de Jésus, on entreprit lentement d’équarrir le bois de sa croix et de forger les clous de son supplice.  La suite donna cependant raison à Jésus. Même si beaucoup de ceux qui se réclament de lui pensent encore le contraire, sans oser le dire, un fait semble  désormais acquis, c’est celui, selon lequel la connaissance  de Dieu peut se transmettre par étapes  et que les acquis de la pensée  à son sujet peuvent toujours s’enrichir.

Il fallut  bien admettre que la pensée de Jésus était le reflet de la pensée de Dieu et que l’amour  de Dieu pour les hommes impliquait l’amour des hommes pour tous les hommes.  Le péché prit alors une autre coloration et concerna désormais plus  l’offense aux hommes que l’offense à Dieu. C’est encore dur à admettre aujourd’hui !  Sans le dire explicitement, Jésus avait posé un principe  nouveau selon lequel  l’écoute attentive de la parole de Dieu  impliquait  le fait qu’il  était nécessaire de réformer  périodiquement  la manière de dire Dieu en fonction des progrès que faisait la connaissance des hommes à son sujet.  

Héritier de ce nouveau principe sur Dieu l’Eglise était désormais équipée pour la conquête du monde.  Une longue histoire allait commencer. Mais on a plus retenu les persécutions qu’elle subit au cours des premiers siècles  que de la lente acquisition du pouvoir dont l’Eglise s’empara progressivement.  C’est là que le bât blesse. C’est l’empereur Constantin  qui modifia les choses en se donnant  pour  dépositaire de la volonté de Dieu.

 Au moment de sa conversion, en mettant  le signe de Jésus sur ses étendards, « in hoc signo vinces, » il  imposa la religion chrétienne  comme seule religion de l’empire. La légende  devint vérité et il fut admis  que c’est sous l’effet d’une  vision divine  que le souverain reçut la faveur de Dieu. Cette  vérité s’imposa  au même titre que l’Evangile  et sous couvert des conciles, l’empereur décida de la foi de chacun.
 Il  expulsa les évêques récalcitrants, condamna les hérétiques, et refusa même à Dieu une autre autorité que celle du pouvoir temporel.

 Evidemment Dieu ne cautionnait pas une telle doctrine, mais on avait réussi à étouffer sa voix ! Et l’Eglise, tout au moins celle qui avait droit de cité, fut bien aise de partager le pouvoir avec le souverain. Les choses furent engagées ainsi pour longtemps.

Il est bien évident que Dieu ne restait pas silencieux pour autant. Des hommes et des femmes entendaient sa voix mais ceux qui en rendirent témoignage furent  éliminés, exécutés, brûlés. Une chape de silence tomba sur l’Eglise et pendant des siècles, on décida que telle était la volonté  de Dieu !  Puis, les siècles passants,   le cours de l’histoire s’inversa. Le pouvoir changea de camp, la vérité  sur Dieu prit une autre allure. Enfin, sa voix fut à nouveau audible.

 Il fut alors admis que la volonté de Dieu ne s’imposerait plus  par la force. Le vent de la Réforme contenu jusqu’à présent put enfin souffler et la voix de Dieu à nouveau  se fit entendre. Pierre Valdo,  Jean Huss, Luther et les autres tentèrent une parole à leur corps défendant. Un nouveau principe commença  à s’imposer comme l’expression de ce souffle qui venait de Dieu : Ecclesia reformata, sed ecclesia reformanda. La Réforme naissante découvrait un principe inhérent à la révélation elle-même et sur lequel  Jésus s’était déjà appuyé.

Elle   s’appropria, sans s’en apercevoir, un principe  qui remontait à Jésus lui-même. Il s’agissait d’affirmer  l’idée selon laquelle aucune  vérité ne pouvait s’imposer  sans être éclairée par une parole de Dieu  qui s’adaptait  au cours du temps. Ni l’église ni personne n’était  propriétaire d’une vérité immuable sur Dieu. L’Eglise désormais devait rendre témoignage d’une pensée capable d’évoluer et qui devait s’adapter  au cours de l’histoire.

Il fallait désormais que les églises (on passe du singulier au pluriel) cherchent à écouter fidèlement la parole de Dieu et la mettent en pratique. Comment alors écouter, et surtout, comment entendre ? Devait-on tout transformer ou modifier quelques aspects  seulement ? Qui allait s’arroger l’autorité pour interpréter correctement une parole venue de Dieu et la dire aux peuples ?

Une  assemblée de croyants serait sans doute plus à même  de percevoir cette vérité qu’un seul individu, c’est pourquoi la Réforme adopta le régime des assemblées à tous les niveaux. Mais était-ce normatif ?  Dieu pouvait-il se faire entendre quand des voix venues du monde se confondaient avec la sienne ? Ainsi les  grands problèmes sociaux  bousculèrent-ils les églises au titre même de la fidélité à Dieu.

 Le problème de la guerre et de la paix, aussi bien que celui des pauvres et des esclaves, celui de la justice sociale, celui du rôle des femmes,  de l’accueil des étrangers, des couples de même sexe de l’écologie n’ont pas cessé de bousculer les consciences dans des églises  toujours en quête d’une parole de Dieu sur toutes les questions qui se posaient à elle.

 La voix de Dieu pouvait-elle être  occultée  par d’autres voix que la sienne  ou se confondre avec elle ?  Les églises ont toujours eu beaucoup  de mal à l’entendre et à réformer leurs institutions pour les adapter aux sollicitations du temps. Mais qu’elles le veillent ou non il leur faut le courage d’écouter,  d’entendre et de réagir.

Et maintenant, la question posée au début réclame un éclairage qui aidera chacun à savoir  comment interpréter ses  propres voix intérieures.

De quel Dieu, ces voix  nous parlent-elles ? Qui a autorité pour nous imposer une opinion plutôt qu’une autre ? C’est d’amour plus fort que la mort qu’elles nous parlent. C’est cette vérité, cueillie sur les lèvres de Jésus qui nous  invite à la méditation intérieure  et  qui avoisine à la prière, à la patience aussi, car la vérité a toujours  besoin de temps pour s’imposer.

 Dieu, qui parle en nous par son esprit aura toujours assez d’amour et de patience pour nous amener  à comprendre quel est le chemin le mieux adapté pour construire notre vie et accomplir avec nous les projets qu’il formule pour tous. Il nous invite alors à nous prendre par la main et  à entrer avec son Eglise dans ce mouvement de réforme permanente  dont dépend notre avenir à tous.

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