Texte de 2010 revue et corrigé
Luc 14: 25
De grandes foules
faisaient route avec lui. Il se retourna et leur dit :26 Si quelqu'un vient à
moi et ne déteste pas son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères, ses
sœurs et même sa propre vie, il ne peut être mon disciple. 27 Et quiconque
ne porte pas sa croix pour venir à ma suite ne peut être mon disciple.
28 En effet, lequel
d'entre vous, s'il veut construire une tour, ne s'assied pas d'abord pour
calculer la dépense et voir s'il a de quoi la terminer, 29 de peur qu'après
avoir posé les fondations, il ne soit pas capable d'achever, et que tous ceux
qui le verront ne se moquent et ne disent : 30 « Cet homme a commencé à
construire, et il n'a pas été capable d'achever.»
31 Ou bien quel roi,
s'il part en guerre contre un autre roi, ne s'assied pas d'abord pour se
demander s'il peut, avec dix mille hommes, affronter celui qui vient au-devant
de lui avec vingt mille ? 32 Sinon, tandis que l'autre est encore loin, il lui
envoie une ambassade pour demander les conditions de paix. 33Ainsi donc,
quiconque d'entre vous ne renonce pas à tous ses biens ne peut être mon
disciple.
La tradition a rendu populaire une certaine image de Jésus que Théodore Botrel parmi tant d’autres a chanté dans le folklore breton. Jésus y est présenté comme le doux Sauveur à barbe blonde avec de grands yeux doux. Le cinéma américain a contribué pour sa part à vulgariser cette image. Les peintres classiques n’ont pas échappé à ce canon de beauté pour présenter le visage du Seigneur. Mais ce serait mal lire l’Evangile que de voir Jésus sous ce seul portrait. Le texte que nous avons lu nous présente un autre aspect de Jésus, plus rude, d’où la tendresse est absente. Serait-il plus conforme à celui que les spécialistes actuels tentent de vulgariser en faisant de Jésus un homme de taille moyenne , brun au regard fuyant,( je vous livre ici 2 portraits publiés dans la presse) Le rôle de Jésus est avant tout celui de nous faire découvrir Dieu. Ici il le fait sans ménagement car le Dieu dont il est le témoin est différent de celui que Jésus lui-même nous a habitué à découvrir dans ses propos.
Qui est Dieu pour vous ?
En quoi votre existence est-elle affectée par la réalité de Dieu ? Comment
agit-il en vous ? Ces questions tant de fois répétées, tant de fois formulées
nécessitent qu’on ose se les poser au moins une fois de temps en temps. Chacun
y répondra mentalement et à sa façon. On pourra dire que Dieu est une force qui
vient d’en haut et qui s’empare de nous, qui habite notre âme et notre esprit.
On dira aussi que c’est une certitude rassurante sans laquelle notre vie serait
ballottée au rythme des hasards dans une société globalisante. Nous dirons
aussi que Dieu donne du sens à notre être. Nous nous garderons de vérifier si
notre réponse est conforme à la théologie en vigueur dans notre église. Mais
nous savons fondamentalement, que nous ne chercherions pas Dieu s’il ne nous
avait déjà trouvés, et que c’est lui qui nous pousse à le chercher. Nous
percevons intuitivement qu’il y a un lien entre lui et nous et nous croyons
qu’il a quelque chose à voir avec notre existence dans ce monde.
Il est donc normal que
nous cherchions Dieu, sans pour autant jamais le trouver complètement. Écoutez
ce que dit le poète Kalil Gibran : « Contemplez le ruisseau, écoutez sa
mélodie. Éternellement, il sera en quête de la mer, et bien que sa recherche
n’ait pas de fin, il chante son mystère de crépuscule en crépuscule.
Puissiez-vous chercher le Père comme le ruisseau cherche la mer » (1)
Nous savons que Dieu a
laissé son empreinte en nous, c’est pourquoi Jésus nous aide à le trouver. Mais
ce Dieu que Jésus nous aide à trouver est très différent de tout ce que l’on a
dit, car il nous devient personnel. Dans le texte de ce matin Jésus s’implique
dans notre recherche et nous provoque volontairement. Il ne s’encombre d’aucun
a priori, et d’une manière surprenante il saute à pieds joints par-dessus les
conventions. Il parle de haine alors que nous nous attendons à ce qu’il parle
d’amour. « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » nous plaisons-nous à
répéter après lui et nous nous appuyons sur l’Evangile de Jean pour dire que
Dieu est amour.
Aujourd’hui, ce n’est pas
le cas, Jésus recommande de haïr ses proches, son père, sa mère ses frères et
ses sœurs sa femme et les autres. Il n’a aucune parole rassurante pour mettre
un baume sur nos inquiétudes. Pour nous stimuler, il nous promet de porter
notre croix, comme W. Churchill promettait à son peuple du sang et des larmes. Il
ouvre devant nous une perspective de souffrance et de mort.
Ainsi provoqués, nous
allons pouvoir exercer notre sagacité. En fait, le jeu en vaut la chandelle.
Jésus a l’intention de nous faire sortir des chemins battus. Il nous montre que
Dieu n’a rien à voir avec les critères soigneusement recensés par les
religions. Dieu pour lui ne se trouve pas dans un code de morale. Il est
ailleurs que dans nos définitions théologiques. Dieu se situe avant tout dans
une relation avec nous. Comme il a sacrifié sa divinité pour venir jusqu’à
nous, il s’attend à ce que nous lui consacrions notre humanité.
Il nous propose sagement de
faire le bilan de notre foi en nous racontant cette parabole banale du roi qui
compte ses hommes, puis qui compte les hommes de l’adversaire et qui négocie la
paix en fonction de ses propres forces parce qu’il préfère se soumettre plutôt
que de risquer un combat perdu d’avance. La paix dans ce contexte devient un
accord de moindre mal, un « gentleman agreement » que l’on a du mal à fonder
théologiquement. Or nos vies ressemblent la plupart du temps à ces côtes mal
taillée où l’on essaye de donner à chacun sa part. Dieu y compris. Nous
composons avec Dieu, avec les hommes, avec notre vertu, avec le temps, si bien
que notre existence ne ressemble plus à rien si non à un « melting pot » sans
goût ni grâce ni saveur ni prétention. Il nous faut donc changer notre approche
concernant Dieu.
En quelques phrases, Jésus
a mis à mal tout notre édifice spirituel, pour que nous nous efforcions de le
reconstruire. Nous n’osons même pas continuer notre lecture de l’Évangile de
peur d’être encore plus déstabilisés car ajoute Jésus, «quiconque ne renonce
pas à tout ce qu’il possède ne peut être mon disciple ». Il faut comprendre
clairement que cela veut dire qu’on ne peut pas découvrir Dieu en vérité sans
abandonner tous les préjugés et tous les acquis de la société. Le chercheur de
Dieu doit donc aller à contrecourant d’une société qui centralise tout sur
l’homme.
Jésus met notre manière de
raisonner totalement en cause en nous rappelant qu’avec Dieu, c’est tout ou
rien. Pas question de partager prudemment entre Dieu et le monde. Pas question
de demander à Dieu de se charger de notre âme d’une part et de choisir de gérer
nous-mêmes et à notre gré nos autres activités. Il nous rappelle ainsi que Dieu
est envahissant.
Jésus contemple alors la foule qui le suit comme un troupeau
bêlant. Il nous décrit comme des moutons cherchant à être pris en charge par un
bon berger. Ils cherchent seulement un confort spirituel auprès d’un maître à
la mode qui paraît pour lors efficace. Jésus renonce à se laisser manipuler par
eux, il n’est pas un gourou rassurant qui profiterait des avantages de ses dons
de guérisseur et de prédicateur pour s’assurer une notoriété. Il provoque la
foule dont nous faisons tous partie pour que chacun sorte de lui-même et assume
le poids de la croix qu’il doit porter.
Vous voulez être rassurés
sur l’avenir de votre âme, vous voulez une religion facile qui soit distincte
des religions traditionnelles. Vous voulez échapper aux tourments de la vie et
être les privilégiés de Dieu, vous ne voulez plus être malades et vous voulez
manger tous les jours à votre faim ! Mais vous valez mieux que cela, vous
n’êtes pas des moutons promis à l’abattoir. Vous avez en vous la capacité
d’être des rebelles, de vivre une passion dévorante, cette passion peut se
vivre avec Dieu, mais elle réclame une rupture.
Dans l’Écriture, la rupture est parfois féconde et créatrice, car elle demande à être habitée par un esprit inventif. La rupture c’est la distanciation nécessaire qu’il nous faut prendre par rapport aux conventions sociales qui nous enferment dans des catégories ou des préjugés. Il n’est donc pas étonnant que Jésus prenne la famille pour cible, parce qu’elle a un pouvoir contraignant et enfermant sur les individus. Pour que Dieu puisse s’emparer de nous il ne faut être retenu par aucun autre intérêt. C’est ainsi libérés et placés tout entier sous le charme de Dieu que nous pourrons devenir les conquérants d’un monde nouveau. De même que l’homme doit quitter son père et sa mère s’il veut aimer sa femme, de même il faut mettre les exigences familiales au second degré de nos préoccupations pour laisser l’intuition de Dieu nous saisir et mettre nos vies à la disposition de Dieu.
Combien parmi nous ne
trouvent-ils pas leur existence fade et sans avenir ? Ils se comportent
généralement comme le roi de la parabole racontée par Jésus. Ils
recherchent leurs intérêts, ils font la part des choses, et ils
donnent une importance calculée aux choses et aux êtres, ils ne négligent
cependant pas Dieu, mais ils lui réservent seulement une partie de
l'aventure. Ils se construisent une vie raisonnable faite de concessions, sans
que le hasard et l’aventure n’y aient leur place. Dieu mérite mieux que nos
petites dispositions de sagesse humaine, il réclame toute notre activité, tous
nos soucis, toutes nos préoccupations, la totalité de nos personnes. Dieu
réclame de devenir le partenaire de notre vie et de la partager en totalité.
Affranchis des
contingences humaines, Dieu nous rend libres et responsables. Il se peut que
cette joyeuse liberté déplaise aux hommes qui cherchent à nous la prendre en
nous enlevant la vie. Ce fut le cas de Jésus et de bien d’autres après lui.
Mais leur mort ne fut-elle pas un cri de liberté et une ouverture vers la
délivrance. Leur vie était en Dieu et la vie en Dieu est sans limite
puisqu’elle lui est toute consacrée et qu’elle débouche quand tout est accompli
dans la plénitude éternelle de Dieu, sans limite de temps et d’espace.
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