Actes 6 :1-7
1En ces
jours-là, comme les disciples se multipliaient, les gens de langue grecque se
mirent à maugréer contre les gens de langue hébraïque, parce que leurs veuves
étaient négligées dans le service quotidien.
2Les Douze
convoquèrent alors la multitude des disciples et dirent : Il ne convient
pas que nous délaissions la parole de Dieu pour servir aux tables.
3Choisissez
plutôt parmi vous, frères, sept hommes de qui l'on rende un bon témoignage,
remplis d'Esprit et de sagesse, et nous les chargerons de cela.
4Quant à
nous, nous nous consacrerons assidûment à la prière et au service de la Parole.
5Ce
discours plut à toute la multitude. Ils choisirent Étienne, homme plein de foi
et d'Esprit saint, Philippe, Prochore, Nicanor, Timon, Parménas et Nicolas,
prosélyte d'Antioche.
6Ils les
présentèrent aux apôtres, qui, après avoir prié, leur imposèrent les mains.
7La parole
de Dieu se répandait, le nombre des disciples se multipliait rapidement à
Jérusalem, et une grande foule de prêtres obéissait à la foi.
L’institution d’un collège de chrétiens
destinés au service des plus déshérités remonte aux origines de l’Église.
C’est ce que Luc, l’auteur du livre des Actes a retenu quand il publia
son récit 30 ans après l’événement
relaté ici. C’est même une des toutes premières initiatives prises à ce moment
là, comme si le bien être des plus démunis faisait partie d’un des
enseignements essentiels qu’ils avaient retenus de l’enseignement de leur
maître. Luc en a fait état pour aider les premières communautés chrétiennes qui
cherchaient à s’organiser dans tous le bassin méditerranéen et qui se servait des écrits de Marc, Matthieu
et Luc pour s’édifier en communautés de foi.
Luc écrivait dans un but didactique, mais il était assez
perspicace pour déceler que les choses ne s’étaient pas passées aussi
heureusement qu’il le raconte. Son but était d’édifier l’Église et non pas de
polémiquer. A le lire avec un peu d’attention on remarquera que, même placée
sous les effets de la descente de
l’esprit à Pentecôte, des tensions subsistaient entre les membres de l’Église naissante, et pas
forcément, là où on croyait les discerner.
Qu’on me pardonne si je mets en cause l’harmonie que l’on croyait exister entre
ses membres de la première église. Bien
évidemment ces dysfonctionnements avaient des causes qui rejoignaient sans doute
les mêmes dysfonctionnements que l’on note encore aujourd’hui dans nos églises.
Il y avait parmi les membres de la première
église des gens qui subissaient une discrimination à cause de leur origine
païenne et bien évidemment on les distinguait grâce à la langue grecque qu’ils parlaient, alors
que les apôtres et les gens d’origine juive parlaient l’hébreu. Cette discrimination avait lieu a l’égard des femmes de ce groupe
en particulier qui n’avaient pas la protection d’un mari. Il y avait donc deux groupes dans l’Église qui se distinguaient les
uns par rapport aux autres à cause de leur langue et de leur origine
ethnique.
On peut imaginer que les pauvres d’origine
juive, donc officiellement de religion
juive, pouvaient trouver des subsides en
se réclamant de la générosité que le Temple devait octroyer à ses pauvres. Cela
relevait même d’un commandement. Les grecs, n’étant pas d’origine juive ne
pouvaient réclamer le même droit. On ne sait pas d’ailleurs comment ces pauvres
de langue grecque avaient rejoint l’église en grand nombre, car s’ils étaient
des pèlerins convertis, ils devaient avoir de l’argent avec eux. Peut-être qu'après Pentecôte, s'étaient-ils joints à l’Église et que leurs revenus s' étaient épuisés. Mais là n’est
pas le problème pour l’instant. En tout cas ils ne trouvaient pas leur compte
auprès de la communauté.
Cette situation insupportable va trouver un
remède qui apparemment va satisfaire tout le monde, mais qui, sous couvert
d’une « apparente justice » va sans doute couvrir une « profonde injustice ». En fait le
problème de la langue et du manque de ressources parait secondaire. Il semblerait que la plupart des
membres de cette fraction de langue grecque étaient issus de la diaspora juive et étaient vraisemblablement bilingues, comme
Paul à qui Luc consacrera la plus grande
partie de son livre. Par contre, ceux qui sont appelés ici, les Hébreux, dont
faisaient partie les apôtres, et notamment Pierre étaient uniquement de langue
juive. Y avait-il déjà, chez les gens de langue grecque une tendance à
s’imposer du fait de leur bilinguisme et de leur grande culture? La suite nous
montrera que c’était peut être le cas et qu’il y avait peut être sous-jacent à
ce problème de « tables », un problème de rivalité et de jalousie
qu’il va nous falloir débusquer.
Pour l’instant, apparemment, le problème
était celui des pauvres et pour le régler on
avait eu recours à une sorte d’élection au suffrage universel pour
désigner 7 membres d’origine grecque qui
géreraient cette difficulté. Quoi de plus équitable que la démocratie pour régler un
problème litigieux ? Bien
évidemment les plus fougueux parmi
eux étaient connus de tous. Ils furent donc
désignés par le suffrage universel, avec en premier, Étienne et Philippe dont
le livre des Actes parlera très vite après. Les apôtres sacralisèrent leur
élection en leur imposant les mains, alors qu’au premier chapitre du livre, on
nous dit que Matthias qui fut appelé comme apôtre pour remplacer Judas n’avait
pas eu droit à un tel geste de faveur. L’intention maintenant était de donner au nouveaux élus un ministère nouveau qui les cantonnerait
dans une fonction reconnue : le service des tables. Les voila
donc apparemment écartés de la fonction
d’enseignement désormais réservée aux
apôtres.
Il semble donc que sous couvert d’aider les pauvres, on ait
trouvé un moyen de remédier à un autre problème sousjacent, si non deux : celui de maintenir les
apôtres dans leur privilège
d’enseignement et celui de la supériorité de la langue hébraïque sur le grec.
Mais vous l’avez compris, ça ne s’est pas
passé comme cela. Les plus déterminés parmi les nouveaux promus, ceux que l’on
voulait écarter du ministère de la parole réservé aux apôtres, vont quand même se consacrer au ministère de
l’enseignement avec succès. Dans les pages suivantes du récit on nous
présentera Étienne et Luc en pleine
action. Étienne sera même le premier martyr et Luc consacrera tout un
long passage à décrire avec émotion la grâce qui émanait de lui lors de son
supplice. Curieusement, quelques pages
plu loin, on ne fera que mentionner le supplice de Jacques, le premier apôtre
martyr. C’est comme si dans ce récit la faveur de l’auteur semblait passer des
apôtres de langue juive aux judéo-chrétiens de langue grecque. Il faut dire que
dans l’Église de Luc, 30 ans après, le
nom d’Étienne avait été sans doute conservé alors que celui de Jacques avait
déjà été oublié. Quant à l'apôtre Pierre, même si pendant
quelques pages, il reste apparemment favori dans le texte, son personnage
finira vite par être éclipsé en faveur de Paul et à disparaître lui aussi du récit.
Tout
se passe ici comme si le nouveau collège instauré par l’élection et
l’imposition des mains était comme une sorte de clergé destiné à remplacer le groupe des apôtres qui
étaient sans doutes tous morts au moment de la rédaction de ce texte. Les
apôtres ne sont plus et la langue grecque a supplanté l’hébreu. Il
semblerait ici que Luc considère que c’est la langue dominante du
lieu où on se trouve qui doit être la langue de l’Église, à la différence de la
synagogue qui considérait que l’hébreu
devait s’imposer de partout là où le culte juif était célébré. C’était sans doute une des questions qui se
posait vers les années 80 alors que le schisme entre l’Église et la synagogue
n’était pas encore vraiment consommé. Bien évidemment le problème reste
secondaire par rapport à celui de la circoncision qui sera posé et pas
forcément réglé au chapitre 15 de ce
même livre.
Tout au long de mon propos je n’ai pas
utilisé le terme de diacre que la tradition a retenu pour désigner le ministère
des 7 promus. Il n’est pas utilisé dans
le récit mais le sera plus tard dans l’Église pour désigner ceux qui sont chargés du service des pauvres. Bien évidemment on
réservera d’autres termes pour parler de ceux qui sont chargés de
l’enseignement tels celui de prêtre. La
fonction de service continuera donc à être considérée comme seconde par rapport à
celle de celui qui enseigne.
Mais nous retiendrons de ce texte, malgré les
controverses que nous avons soulignées, que c’est la notion de service qui est première dans toutes les
fonctions qui sont retenues par Luc, car c’est en étant au
service des plus faibles qu’on est fidèle à l’Évangile et on ne peut se permettre de l’enseigner que lorsque
l’on a accompli cette première fonction. Même si ce n’était pas ce but qui était celui de ceux qui ont
instauré la fonction, c’est pourtant ce but qui s’est réalisé, car le saint
Esprit était à l’œuvre pour que cette vérité s’impose.
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