4Le Seigneur DIEU m'a donné le langage des
disciples, pour que je sache soutenir par une parole celui qui est
épuisé ; chaque matin, il éveille, il éveille mon oreille, pour que
j'écoute à la manière des disciples.
5Le Seigneur DIEU m'a ouvert l'oreille, et moi, je
ne me suis pas rebellé et je ne me suis pas dérobé.
6J'ai livré mon dos à ceux qui me frappaient et mes
joues à ceux qui m'arrachaient la barbe ; je ne me suis pas détourné des
insultes et des crachats.
7Mais le Seigneur DIEU m'a secouru ; c'est
pourquoi je n'ai pas été confus, c'est pourquoi j'ai rendu mon visage semblable
à du granit, sachant que je n'aurais pas honte.
Depuis
des siècles, nous ouvrons la semaine sainte en écoutant le martellement des
sabots d’un petit âne sur les pavés de la vieille ville de Jérusalem. Il
emprunte à peu de choses près le même chemin que Salomon avait suivi, juché sur
l’ânesse de son père pour être intronisé roi à sa suite. Il s’agissait d’une
révolution de palais qui consistait à imposer Salomon sur le trône de David à
la place de son ainé. L’affaire fut chaude. Il y a donc fort peu de similitude
entre les deux événements si non le lieu et la monture. Pourtant il s’agit bien
aussi pour Jésus d’une révolution, mais elle est d’un autre ordre.
Jésus ne
cherche pas à renverser le pouvoir. Il ne bouscule pas les valeurs sociales,
comme on l’imagine parfois. Il n’institue pas le règne des pauvres. Il ne
suggère pas avant l’heure, une forme de dictature du prolétariat. Le mouvement
qui anime Jésus puise ses racines dans les origines prophétiques du judaïsme.
Il trouve son inspiration dans la longue complainte du « Serviteur
souffrant » à la quelle le prophète Esaïe a prêté sa plume et sa voix. Son
histoire trouve son épilogue dans l’agonie de Jésus, au moment où sur la croix
il s’écrie : Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? »
C’est là le dernier élément qui concerne la création, car c’est bien de la
création qu’il s’agit, comme on le verra plus loin.
Nous le
connaissons bien ce serviteur torturé du second Esaïe. On lui arrache la barbe
sans qu’il se révolte, on le mène au supplice comme un agneau à la boucherie
sans qu’il proteste. Les chants du « Serviteur souffrant »
servent de toile de fond à de nombreuses
liturgies de la semaine sainte. Sa plainte trouve son accomplissement dans la
mort de Jésus comme l’affirmation de la présence de Dieu au sein de la
souffrance. Six siècles séparent les deux événements. L’Evangile donne dans la
mort de Jésus une réponse aux questions que se posait déjà Esaïe au sujet de
toutes les injustices et toutes les souffrances que subissent les humains. Dieu
les prend en charge dans l’agonie de Jésus et transforme en espérance de vie
tout ce qui était marqué par la mort.
Jadis le
prophète Esaïe a osé dire qu’il n’y avait pas de rapport de cause à effet entre
la souffrance des hommes et la volonté de Dieu. Il parlait d’un homme juste,
persécuté par se semblables et il affirmait que ses souffrances n’avaient pas
vraiment de cause. On le
persécutait et Dieu semblait laisser
faire. Il était torturé et Dieu n’intervenait pas. Le prophète savait bien, en
disant cela qu’il était témoin d’un des
temps forts de la révélation et que la qualité de notre foi dépendait de la
réponse qui sera donnée à toutes les questions qui surgissent sur ce sujet.
Comment se fait-il que l’innocent puisse être considéré comme un coupable
sans que Dieu intervienne ? Est-il vraiment possible que l’on souffre sans
raison apparente et que le seul baume qui soit efficace ne le soit que quand la
mort aura fait son œuvre en nous ?
Dans la
révolution instaurée dans les idées du moment par Esaïe, le prophète se propose
de dire délibérément dans quel camp Dieu se situe. Si Dieu participe à la révolte de celui qui
souffre et le soutient dans son épreuve, il ne peut être en même temps dans le
camp de celui qui inflige sa peine. Qu’on se le dise ! La révolution que le prophète Esaïe inaugure avec les chants du
serviteur et que Jésus reprend à son compte signifie que Dieu a
délibérément pris position en faveur de celui qui souffre. Ce n’est pas
l’avis de ceux qui considèrent qu’il faut accepter son sort sans protester comme
un acte de foi et qu’il faut accepter
que Dieu nous impose la souffrance comme une épreuve de notre foi.
Nous nous
demandons alors comment Dieu peut-il correspondre au Père aimant en qui
Jésus trouve sa joie ? Le prophète Esaïe qui nous rapporte ces faits
est le deuxième du nom. Il vivait à l’époque de l’exil à Babylone. Il a vu s’effondrer l’état d’Israël et il a
partagé le sort de ses compatriotes en exil. Les savants se demandent encore
qui est ce serviteur souffrant dont il parle ? Est-ce le peuple d’Israël ? Est-ce le
prophète lui-même dont un autre raconte les souffrances ? Dans ces textes
provocants, le prophète essaye de
trouver de la cohérence dans ce qui est incohérent et de l’ordre dans le
désordre. C’est dans ces questions que
nous rejoignons les interrogations sur la création que nous posions au début de
notre propos.
Plus
l’humanité évolue, plus elle se trouve engoncée dans ce qui n’a pas de sens.
Plus l’humanité tend à s’organiser, plus
surgissent en son sein les causes les de rivalité et de désespoir. Plus la
médecine évolue, plus les moyens de destruction augmentent. Nous sommes encore
dans la même situation de chaos tel qu’il est décrit au début des Ecritures. A
l’origine nous est-il dit, « L’esprit de Dieu se mouvait au dessus de
l’immensité qui n’était qu’un Tohu Bohu informe et vide. Cette description du début
des temps, correspondrait-elle encore à la réalité d’aujourd’hui ?
Dieu
est-il encore en train de se battre contre le désordre qu’il essaye de réguler
depuis toujours? Est-il encore en train de bousculer les forces hostiles pour
que la terre s’épanouisse ? Est-il encore en train de diviser le firmament
pour maintenir le jour en équilibre et
pour que l’ensemble de la planète évolue sans que la terre tremble et
les océans ne se révoltent ? Est-il
toujours en train de pousser les hommes à agir au milieu de cette agitation
pour que la cohérence prenne le dessus ? Tout se passe comme si toutes les
étapes de la création étaient mêlées les unes aux autres et non pas classées en
six jour distincts. C’est à ce demander si le
poète qui nous a transmis ce récit merveilleux de la Création n’a pas
séparé les époques pour mieux les décrire, alors que dans le réalité elles
étaient toutes imbriquées les unes dans les autres ? S’il en est ainsi,
c’est que Dieu est encore aujourd’hui en train de s’efforcer de créer un monde
à l’image de son désir et invite l’homme à l’y rejoindre. Alors que l’opération
est en cours, Dieu patiemment attend le septième
jour qui n’est pas encore accompli et continue à se colleter avec le Tohu Bohu.
Il s’efforce en même temps de projeter en chaque humain le désir d’ordre qui
est en lui. Dieu a confiance en l’homme qu’il a créé et il cherche à s’en faire
un partenaire, c’est pourquoi il a besoin de partager son désir avec lui pour
l’aider à organiser le monde dans une évolution cohérente.
Il est
dans la nature du monde de résister au talent organisateur de Dieu. Cette
résistance prend toutes les formes possibles et contamine l’homme lui-même.
Celui-ci, avant de se soumettre à Dieu reste le pur produit de ce monde
rebelle. N’est-il pas selon les textes, issu de cette terre qui résiste à Dieu
alors que Dieu essaye de la dompter pour la créer.
Dans la
nature, toujours insoumise, les lions et les insectes ainsi que toutes les
autres bêtes dites dangereuses tels les virus et les microbes se font la guerre
entre eux et n’épargnent pas les humains. Ils les combattent jusqu’à ce que
mort s’en suive. Y a-t-il encore du sens à tout cela ?
Tout cela
a du sens si chacun entre dans le projet créateur de Dieu. Dieu quant à lui se
refuse à se laisser dominer par un monde sans loi. Au contraire, il essaye de
créer des lois d’équilibre dont le seul
secret est l’amour, c’est par lui qu’il agit sur les hommes pour qu’ils se
tournent vers Dieu et adoptent son projet d’avenir. L’harmonie deviendra la
règle et le mal vaincu s’estompera au point de disparaître. Dieu espère que
grâce à sa prodigieuse intelligence, l’homme se mettra au service de ce monde
nouveau qu’il espère. Il met alors tout
en œuvre pour que l’amour devienne la règle de l’évolution.
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