vendredi 27 août 2010

Luc 16:1-13 L'intendant habile dimanche 18 septembre 2016




Luc 16/1-13 La parabole de l'intendant habile reprise du texte proposé le  16 septembre 2010.

1 Il disait aussi aux disciples : Un homme riche avait un intendant ; celui-ci fut accusé de dilapider ses biens. 2 Il l'appela et lui dit : Qu'est-ce que j'entends dire de toi ? Rends compte de ton intendance, car tu ne pourras plus être mon intendant. 3 L'intendant se dit : Que vais-je faire, puisque mon maître me retire l'intendance ? Bêcher ? Je n'en aurais pas la force. Mendier ? J'aurais honte. 4 Je sais ce que je vais faire, pour qu'il y ait des gens qui m'accueillent chez eux quand je serai relevé de mon intendance.

5 Alors il fit appeler chacun des débiteurs de son maître ; il dit au premier : Combien dois-tu à mon maître ? 6— Cent baths d'huile, répondit-il. Et il lui dit : Prends ton billet, assieds-toi vite, écris : cinquante. 7 Il dit ensuite à un autre : Et toi, combien dois-tu ? — Cent kors de blé, répondit-il. Et il lui dit : Prends ton billet et écris : Quatre-vingts. 8 Le maître félicita l'intendant injuste, parce qu'il avait agi en homme avisé. Car les gens de ce monde sont plus avisés dans leurs rapports à leurs semblables que les fils de la lumière.
L'argent injuste et le bien véritable

9 Eh bien, moi, je vous dis : Faites-vous des amis avec le Mamon de l'injustice, pour que, quand il fera défaut, ils vous accueillent dans les demeures éternelles. 10 Celui qui est digne de confiance dans une petite affaire est aussi digne de confiance dans une grande, et celui qui est injuste dans une petite affaire est aussi injuste dans une grande. 11 Si donc vous n'avez pas été dignes de confiance avec le Mamon injuste, qui vous confiera le bien véritable ? 12 Et si vous n'avez pas été dignes de confiance pour ce qui appartenait à quelqu'un d'autre, qui vous donnera votre propre bien ? 13 Aucun domestique ne peut être esclave de deux maîtres. En effet, ou bien il détestera l'un et aimera l'autre, ou bien il s'attachera à l'un et méprisera l'autre. Vous ne pouvez être esclaves de Dieu et de Mamon.
C’est l’argent qui pourrit le monde disent les uns, ou c’est l’argent qui est le nerf de la guerre disent les autres. Ce n’est pas nouveau, cela date depuis toujours, mais une fois que l’on a dit cela, à part quelques exceptions, nous ne pouvons pas nous empêcher d’avoir besoin d’argent et de nous en servir. Nous jugeons la réussite des uns et des autres à l’argent qu’ils gagnent. Ce n’est sans doute pas le seul critère retenu, mais c’est quand même un critère de référence.

L’argent joue un rôle dans nos comportements de société parce qu’il a sa place de partout. Les peuples et les gens ont des comportements différents suivant la manière dont ils en parlent. Les Européens quant à eux sont discrets, voire même secrets sur leurs avoirs financiers, quant aux Américains, ils les étalent. Dans nos églises protestantes de France on utilise des aumônières plutôt discrètes pour récolter les offrandes si bien que personne ne sait ce que son voisin a donné. Cette manière de faire amuse les visiteurs qui ne sont pas habitués à nos méthodes. Ils ont l’habitude pour leur part des paniers ou des plateaux qui rendent visibles les offrandes pour susciter la générosité. Mais passons, quelle que soit la manière de récolter les offrandes, nous solennisons notre action au point d’en faire un acte liturgique, c’est dire la place que prend l’argent même dans nos communautés.

Pourtant, depuis l’origine de l’Église la tradition veut que l'on considère l’absence d’argent comme une vertu. Paul, pour sa part se faisait un honneur de ne devoir rien à personne. Il était fier de travailler de ses mains pour gagner sa nourriture. Dans les communautés monastiques on fait vœu de pauvreté croyant pieusement imiter Jésus qui apparemment vivait d’aumônes. C’est à cause de cela que l’on a pris l’habitude de considérer qu’il était pauvre et que la pauvreté était une vertu. Cependant, Jésus mangeait chez les riches et se faisait entretenir par les dames de la haute société, dont Suzanne entre autres, femme de l’intendant d’Hérode.
Quoi qu’on en dise, on a apparemment pris l’habitude d’être discrets sur les questions d’argent. Pourtant le texte de ce jour nous laisse entendre un autre son de cloche. Jésus une fois de plus nous surprend. Il semble approuver le comportement sordide d’un homme malhonnête qui entraîne ses semblables à détourner des fonds qui ne leur appartiennent pas.

Quelques remarques de bons sens s’imposent :
- pour inventer une telle histoire, il faut que Jésus ait eu une piètre idée du niveau moral de ses semblables.
- aucun des deux débiteurs de la parabole n’a un sursaut d’honnêteté en entendant les propositions de l’intendant. Ils entrent tous les deux dans la magouille et la tromperie, sans discuter.
- On ne nous signale aucune réaction d’indignation ou de surprise parmi les auditeurs de Jésus, pas même dans les rangs des apôtres, Il semble que nous assistions à un consensus général qui n’est pas à l’honneur de la société de ce temps.
Quoi qu’il en soit Jésus éprouve des réserves quant au comportement des meilleurs parmi ses compatriotes qu’il appelle des «fils de lumière ». Il faut sans doute voir là une remarque que fait Jésus à l’égard des Esséniens, les gens de Qumran. Ils vivaient en confréries à l' écart des autres. Ils faisaient vœu de chasteté et de pauvreté pour aider Dieu, pensaient-ils à hâter la fin des temps. Même à ces gens là, Jésus semble reprocher d’avoir une mauvaise attitude à l’égard de l’argent alors que notre intendant indélicat trouve grâce à ses yeux.

En effet, ce monsieur dispose des biens de son patron pour se faire des copains. L’argent est devenu dans ses mains un moyen pratique dont la seule utilité est de s’assurer l’amitié de gens qui ne seraient pas enclins à le devenir. Au cas où son patron le traînerait devant les tribunaux, il s’assure ainsi la complicité nécessaire requise par la loi, de deux témoins qui ont intérêt à l’innocenter. Sa démarche à leur égard est donc loin d’être innocente.

Jésus ne donne à l’argent aucune autre valeur que celle d’être un moyen d’échange entre les humains, mais qu’on ne s’y méprenne pas il le qualifie en même temps d’ «injuste. » Pour l’instant, Jésus constate que l’intendant s’en est servi comme d’un moyen mis à sa disposition pour se sortir d'une mauvaise affaire. Il avait pourtant d’autres choix à sa disposition mais il les récuse : il ne voulait pas manier la bêche parce que ça fatigue, il ne voulait pas avoir recours à la mendicité, parce que c’est dégradant. Alors, il utilise ce qu’il a à sa disposition pour se sortir de ce mauvais pas : l’argent des autres.
Que cet argent ne lui appartienne pas n’a aucune importance pour lui, ce n’est qu’un instrument qui pour le moment est à sa disposition pour établir de bonnes relations et se maintenir en vie. On ne voit quand même pas très bien où Jésus veut en venir. Il nous apprend que l’argent est un outil, mais on ne comprend pas comment cet outil, malhonnêtement utilisé par un homme indélicat peut nous servir et nous aider à comprendre les choses. Le procédé manque pour le moins de rigueur morale, mais Jésus n’en a cure et il continue à parler de l’argent, mais cette fois-ci il s’exprime en lui mettant un A majuscule.

Il lui donne un nom, que les traductions n’ont pas toujours respecté. Il l’appelle Mammon, «ce sur quoi on peut compter » C’est là où est le nœud du problème. Nous, à la différence de l’intendant mal honnête, nous lui accordons une valeur intrinsèque, nous considérons que celui qui en possède a du pouvoir, et se trouve élevé au rang de maître. C’est sa possession croyons-nous qui donne le pouvoir aux uns et son absence qui rend les autres dépendants et qui en fait des esclaves.

Nos sociétés l’ont divinisé en lui accordant un pouvoir qui supplante même celui que l’on accorde à Dieu. Contrairement à Dieu il ne sert pas à unir les gens, mais à les diviser, il crée des ruptures entre les hommes alors qu’il devrait les unir. Le monsieur malhonnête de notre histoire l’utilise, lui, pour créer un lien qui unit des gens entre eux. Il sait bien qu’il est perdu et il ne peut s’en sortir sans se faire des amis, c’est pourquoi il détourne de l’argent pour en faire profiter les autres. Il aurait pu l’utiliser autrement, mais non, il trouve plus profitable de l’utiliser pour établir des relations d’amitiés, amitiés douteuses, il va s’en dire, mais amitiés quand même avec des hommes. Il n’est plus alors dépendant de l’argent mais de l’amitié des autres. Il redonne ainsi, sans le savoir sa vraie valeur à l’argent. Il devient un instrument qui fait vivre en réunissant les hommes entre eux.

L’argent est ici un instrument de vie pour lui et pour ses complices. Quant à nous, les gens honnêtes, nous en avons fait une idole que Jésus qualifie d’ « injuste », c’est à dire de suspecte. Il est dangereux de le manipuler sans précaution et de l’utiliser sans tenir compte de sa vraie fonction. C’est pourquoi il faut le manipuler avec sagesse. Sa vraie fonction, selon Jésus est la même que celle de tous les instruments, il doit servir à établir des liens d’amitié entre les humains. Si nous ne l’utilisons pas dans ce sens, c’est lui qui prendra le pouvoir sur nous. Il deviendra une contre divinité qui nous opposera aux autres au lieu de nous rapprocher d’eux, c’est en cela qu’il est mauvais. C’est pourquoi, Jésus en le traitant de Mammon, dit qu’il est injuste.

Malgré l’usage malhonnête qu’en fait l’intendant de la parabole il procède quand même d’une démarche plus saine, quoi qu’on en dise, que celle qu’utilisent les gens « honnêtes », même si la morale n’y trouve pas son compte. S’il ne nous appartient pas de donner des leçons de morale aux autres, il nous appartient, dans la mesure du possible de nous approprier la joyeuse démarche de Jésus par rapport à l’argent. Il a su vivre dans l’abondance, quand son entourage le lui permettait et il n’en a rien gardé. L’abondance, nous l’avons ! Comment allons nous la gérer pour que nous n’en soyons pas dépendants et que les autres en profitent ? C’est cette question que pose ce texte.  L'argent ne devrait pas avoir d'autres fonctions que d'établir des liens d'amitié entre les hommes. Qui dit mieux?  

L'image du haut est de J.G. Mantel, celle du centre est de Frans Franken II

samedi 21 août 2010

Parabole des deux fils Luc 15:11-32 dimanche 12 septembre 2010




Luc 15/11-32
La parabole des deux fils
11 Il dit encore : Un homme avait deux fils. 12 Le plus jeune dit à son père : « Père, donne-moi la part de fortune qui doit me revenir. » Le père partagea son bien entre eux. 13 Peu de jours après, le plus jeune fils convertit en argent tout ce qu'il avait et partit pour un pays lointain où il dilapida sa fortune en vivant dans la débauche. 14 Lorsqu'il eut tout dépensé, une grande famine survint dans ce pays, et il commença à manquer de tout. 15 Il se mit au service d'un des citoyens de ce pays, qui l'envoya dans ses champs pour y faire paître les cochons. 16 Il aurait bien désiré se rassasier des caroubes que mangeaient les cochons, mais personne ne lui en donnait.
17 Rentré en lui-même, il se dit : « Combien d'employés, chez mon père, ont du pain de reste, alors que moi, ici, je meurs de faim ? 18 Je vais partir, j'irai chez mon père et je lui dirai : “Père, j'ai péché contre le ciel et envers toi ; 19 je ne suis plus digne d'être appelé ton fils ; traite-moi comme l'un de tes employés.” » 20 Il partit pour rentrer chez son père. Comme il était encore loin, son père le vit et fut ému ; il courut se jeter à son cou et l'embrassa. 21 Le fils lui dit : « Père, j'ai péché contre le ciel et envers toi, je ne suis plus digne d'être appelé ton fils. » 22 Mais le père dit à ses esclaves : « Apportez vite la plus belle robe et mettez-la-lui ; mettez-lui une bague au doigt et des sandales aux pieds. 23 Amenez le veau engraissé et abattez-le. Mangeons, faisons la fête, 24 car mon fils que voici était mort, et il a repris vie ; il était perdu, et il a été retrouvé ! » Et ils commencèrent à faire la fête.
25 Or le fils aîné était aux champs. Lorsqu'il revint et s'approcha de la maison, il entendit de la musique et des danses. 26Il appela un des serviteurs pour lui demander ce qui se passait. 27 Ce dernier lui dit : « Ton frère est de retour, et parce qu'il lui a été rendu en bonne santé, ton père a abattu le veau engraissé. » 28 Mais il se mit en colère ; il ne voulait pas entrer. Son père sortit le supplier. 29Alors il répondit à son père : « Il y a tant d'années que je travaille pour toi comme un esclave, jamais je n'ai désobéi à tes commandements, et jamais tu ne m'as donné un chevreau pour que je fasse la fête avec mes amis ! 30 Mais quand ton fils que voici est arrivé, lui qui a dévoré ton bien avec des prostituées, pour lui tu as abattu le veau engraissé ! » 31 Le père lui dit : « Toi, mon enfant, tu es toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à toi ; 32 mais il fallait bien faire la fête et se réjouir, car ton frère que voici était mort, et il a repris vie ; il était perdu, et il a été retrouvé ! »
Cette parabole est une histoire que Jésus a racontée sans doute un soir où il mangeait à la table d’un hôte dont le nom nous est demeuré inconnu. Les paraboles sont nées de propos recueillis au vol, d’anecdotes, de propos de table, d’incidents quelconques. Jésus s’en emparait, il en tirait un enseignement avec lequel il a forgé son Evangile. Chacun s’y reconnaissait et y découvrait un autre visage de Dieu, bien différent de celui de la tradition.
Qu’il nous soit permis aujourd’hui d’imaginer le fait divers qui l’aurait peut être inspiré. Cette parabole pourrait bien être l’écho d’une conversation surprise entre deux matrones le matin même sur un marché. Elles commentaient la vie du village et donnaient leur avis. Elles parlaient de la famille de ce brave Monsieur Lévi, (c’est moi qui donne ce nom au personnage du père de la parabole) qui avait bien du tourment à élever tout seul ses deux garnements qui lui causaient bien du souci.
- Nous parlons de garnements, disait l’une mais ils sont arrivés à l’âge adulte et ils n’ont ni l’un, ni l’autre pas plus de cervelle qu’un moineau.
- Mais qu’a-t-il fait au Bon Dieu, ce pauvre homme renchérissait la seconde pour avoir deux fils aussi dissemblables ? Le grand dadais qui est l’aîné est toujours dans les basques de son père, il est bien brave, mais il n’a jamais pris une seule initiative, quelle femme voudra jamais de lui ?
- Et la première mégère de renchérir en disant que le plus jeune est bien différent, il est fugueur et a toujours les poches percées. Il n’est pas travailleur et s’il continue, il finira sans doute bien mal.
- La deuxième d’en rajouter et de plaindre le père : Il est trop bon, il est incapable de bousculer le plus grand pour qu’il se prenne en main à l’âge qu’il a. Il est aussi incapable de corriger le plus petit et de le mettre au travail. Il en serait autrement si sa pauvre défunte était encore là. Sans doute, tout le village connaissait ce riche propriétaire, un brave homme, dépassé par ses problèmes d’éducation.
Le portrait de cette famille étant tiré, revenons aux propos de Jésus. Il a dressé le portrait d’un père qui a fait couler beaucoup d’encre sous la plume des commentateurs. On a dit qu’il était un mauvais éducateur selon les critères d’aujourd’hui, c’est cet aspect que soulignait l’une des deux commères. On a constaté l’absence de présence féminine, ce que les féministes n’ont pas manqué de souligner. En supposant que ce personnage soit pour Jésus l’image qu’il veut donner de Dieu, on peut se laisser aller à dire que l’amour de cet homme exprime tout à la fois la tendresse du père et la douceur de la mère tant son comportement est ambigu.
L’amour de Dieu a toujours quelque chose de surprenant. Si le Père du récit est en décalage par l’expression de son amour par rapport à un père humain, c’est que Jésus n’a aucune prétention pédagogique. Il raconte son histoire comme une forme de défi à la logique humaine pour nous parler de Dieu.
Ce père n’est donc pas un éducateur efficace, il n’exerce pas son autorité pour secouer son aîné sans personnalité et corriger son cadet qui mériterait une bonne raclée. Il n’est que tendresse et amour. Tel est le Dieu que Jésus voudrait nous faire découvrir. Un Dieu qui n’est jamais violent, jamais sévère et qui déborde d’altruisme et d’affection.
Tout cela ne colle cependant pas avec l’image que nous avons de Dieu. Nous ne trouvons pas notre compte dans ce portrait car un tel Dieu en dépit de son amour paraît totalement impuissant. Nous aimerions qu’il nous dresse le portrait d’un Père efficace. Un Dieu qui interviendrait en bousculant les méchants en rendant justice aux faibles et aux opprimés nous conviendrait mieux.
Toute l’histoire Biblique ne nous brosse-t-elle pas le profil de Dieu sous les traits d’un Seigneur tout puissant qui aime son peuple d’un amour sans égal, mais qui le châtie quand il s’écarte de lui. Quand ce peuple lui reste fidèle, ce qui est rare, il le protège contre ses adversaires au point d’aller jusqu’à fracasser sur les rocher le crâne de ses ennemis comme il est dit au psaume 68. Si on redoute la violence de Dieu, on la souhaite cependant car elle donne du sens à l’histoire.
C’est alors que nous nous posons la question de savoir quelle présence, ce Dieu qui est tout amour et toute tendresse, peut exercer dans ce monde. Comment se situer par rapport à lui dans nos sociétés où la violence prend le pas chaque jour sur le droit et la justice ? Dieu est-il devenu inefficace depuis les temps où il prêtait main forte à Moïse. A-t-il changé d’attitude ou sa puissance s’exerce-t-elle d’une autre manière qu’il nous faut découvrir ?
Cette parabole ne nous apportera pas toutes les réponses, mais elle va nous permettre de réfléchir d’une autre manière à ce problème. Rejoignons la table où Jésus raconte cette histoire. Il ne tient pas compte des regards obliques dans sa direction, ni des murmures qui parviennent jusqu’à lui. En effet, ce père trop bon, ce Dieu trop miséricordieux ne plaisait sans doute pas à tout le monde. On le voit mal dans l’attitude du père vis-à-vis des deux fils.
Si on projette l’histoire du peuple d’Israël sur chacun de ces deux enfants on reconnaîtra dans le cadet le peuple d’Israël dans son rôle de peuple au cou raide, toujours en rébellion contre son Dieu. Si ce portrait déplaît à certains auditeurs, ce n’est pas à cause de la fugue du jeune homme, ni de sa fréquentation des prostituées, ni du fait qu’il avait du garder les cochons. Les prophètes, jadis avaient utilisé ces mêmes images pour décrire les turpitudes de ce peuple, mais ce qui leur posait problème, c’est le retour du jeune homme – pas de repentance significative, pas de reproches, le pardon sans réserve, l’amour sans limite, la joie sans retenue.
L’histoire leur avait appris le contraire, l’exil avait été perçu comme un châtiment, une épreuve de pénitence avant le retour pénible en Terre Promise. Dieu avait-il changé, fallait-il faire une relecture des textes. Dieu pouvait-il pardonner sans repentir ? Ils ne comprenaient pas non plus que l’on puisse voir dans le portrait du frère aîné celui du peuple d’Israël quand il était fidèle, comme si la fidélité à Dieu était perçue par Jésus comme une valeur négative.
Les pharisiens présents de grincer des dents tant ils se reconnaissaient dans ce grand dadais de fils désavoué dans sa protestation moralisante mais enveloppé de l’amour du père qui l’invitait à se réjouir gratuitement de la miséricorde imméritée accordée à son frère. En fait l’attitude du père révèle un autre problème, qui contient la clé de l’énigme. Elle met en évidence le manque de liberté des deux fils.
Le cadet, en s’affranchissant de toute autorité se croyait libre. Il se croyait sans contrainte, capable de mener la vie qui lui plaisait. Bien vite il déchante, et à son corps défendant, il décide de choisir de perdre sa fausse liberté au profit de la soumission à l’autorité paternelle- échec sur tout la ligne - Le Père ne l’entend pas de cette oreille il renonce joyeusement à exercer son autorité sur lui pour laisser libre cours à son amour et il organise une fête.
A l’aîné qui lui parle de soumission résignée, le Père répond qu’il n’a rien demandé et que c’est lui qui s’est volontairement soumis à une autorité que le père ne reconnaît pas comme étant la sienne. C’est alors que le père lui offre la liberté qu’il n’avait pas su trouver, en l’invitant à se joindre à la joie de son frère. L’histoire s’arrête là, Jésus nous laisse le soin de tirer les conclusions.
Il y a fort à parier que Jésus essaye de nous faire comprendre que l’amour de Dieu est capable de transformer les hommes, de rendre libre aussi bien le fils résigné que le fils prodigue. La joie et l’amour du Père vont-ils transformer les deux fils qui, ensemble vont joyeusement et librement gérer le domaine et révéler par leur réussite que l’amour du Père est payant et qu’il dissimulait en lui une immense puissance de transformation ? Pas si sûr, la partie n’est pas forcément gagnée, les deux fils peuvent revenir à leurs anciens démons et tout sera à recommencer.
Il en va de même de la présence de Dieu sur ce monde. Son amour gratuit, sa tendresse infinie, son pardon réparateur sont capables de transformer la société et de révéler à ce monde la puissance de transformation qu’il y a en Dieu. Les églises dont nous sommes les modestes représentants n’ont que ce message à donner aux sociétés dans lesquelles elles vivent. Encore faut-il qu’elles croient elles-mêmes à l’efficacité de cette puissance d’amour par laquelle Dieu est capable d’exercer sa toute puissance pour faire évoluer le monde.

Nous avons publié un autre sermon sur la parabole du fils prodigue le 14 mars, je vous invite à vous y rendre.

Les reproductions du tableau de Rembrandt proposées ici vous invitent à regarder les mains du père dont l'une est celle d'un homme et l'autre celle d'une femme.

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dimanche 15 août 2010

Porter sa croix: Luc 14:25-33 dimanche 4 septembre 2016

Luc 14: 25
De grandes foules faisaient route avec lui. Il se retourna et leur dit :
26 Si quelqu'un vient à moi et ne déteste pas son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères, ses sœurs et même sa propre vie, il ne peut être mon disciple. 27 Et quiconque ne porte pas sa croix pour venir à ma suite ne peut être mon disciple.


28 En effet, lequel d'entre vous, s'il veut construire une tour, ne s'assied pas d'abord pour calculer la dépense et voir s'il a de quoi la terminer, 29 de peur qu'après avoir posé les fondations, il ne soit pas capable d'achever, et que tous ceux qui le verront ne se moquent et ne disent : 30 « Cet homme a commencé à construire, et il n'a pas été capable d'achever. »
31 Ou bien quel roi, s'il part en guerre contre un autre roi, ne s'assied pas d'abord pour se demander s'il peut, avec dix mille hommes, affronter celui qui vient au-devant de lui avec vingt mille ? 32 Sinon, tandis que l'autre est encore loin, il lui envoie une ambassade pour demander les conditions de paix. 33Ainsi donc, quiconque d'entre vous ne renonce pas à tous ses biens ne peut être mon disciple.



La tradition a rendu populaire une certaine image de Jésus que Théodore Botrel parmi tant d’autres a chanté dans le folklore breton. Jésus y est présenté comme le doux Sauveur à barbe blonde avec de grands yeux doux. Le cinéma américain a contribué pour sa part à vulgariser cette image. Les peintres classiques n’ont pas échappé à ce canon de beauté pour présenter le visage du Seigneur. Mais ce serait mal lire l’Evangile que de voir Jésus sous ce seul portrait. Le texte que nous avons lu nous présente un autre aspect de Jésus, plus rude, d’où la tendresse est absente. Le rôle de Jésus est de nous faire découvrir Dieu. Ici il le fait sans ménagement car le Dieu dont il est le témoin est différent de celui que Jésus lui-même nous a habitué à découvrir dans ses propos.

Qui est Dieu pour vous ? En quoi votre existence est-elle affectée par la réalité de Dieu ? Comment agit-il en vous ? Ces questions tant de fois répétées, tant de fois formulées nécessitent qu’on ose se les poser au moins une fois de temps en temps. Chacun y répondra mentalement et à sa façon. On pourra dire que Dieu est une force qui vient d’en haut et qui s’empare de nous, qui habite notre âme et notre esprit. On dira aussi que c’est une certitude rassurante selon laquelle notre vie serait ballottée au rythme des hasards dans une société globalisante. Nous dirons aussi que Dieu donne du sens à notre être. Nous nous garderons de vérifier si notre réponse est conforme à la théologie en vigueur dans notre église. Mais nous savons fondamentalement, que nous ne chercherions pas Dieu s’il ne nous avait déjà trouvés, et que c’est lui qui nous pousse à le chercher. Nous percevons intuitivement qu’il y a un lien entre lui et nous et nous croyons qu’il a quelque chose à voir avec notre existence dans ce monde.

Il est donc normal que nous cherchions Dieu, sans pour autant jamais le trouver complètement. Écoutez ce que dit le poète Kalil Gibran : « Contemplez le ruisseau, écoutez sa mélodie. Eternellement, il sera en quête de la mer, et bien que sa recherche n’ait pas de fin, il chante son mystère de crépuscule en crépuscule. Puissiez-vous chercher le Père comme le ruisseau cherche la mer » (1)

 
Nous savons que Dieu a laissé son empreinte en nous, c’est pourquoi Jésus nous aide à le trouver. Mais ce Dieu que Jésus nous aide à trouver est très différent de tout ce que l’on a dit, car il nous devient personnel. Dans le texte de ce matin Jésus s’implique dans notre recherche et nous provoque volontairement. Il ne s’encombre d’aucun a priori, et d’une manière surprenante il saute à pieds joints par-dessus les conventions. Il parle de haine alors que nous nous attendons à ce qu’il parle d’amour. « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » nous plaisons-nous à répéter après lui et nous nous appuyons sur l’Evangile de Jean pour dire que Dieu est amour.

Aujourd’hui, ce n’est pas le cas Jésus recommande de haïr ses proches, son père, sa mère ses frères et ses sœurs sa femme et les autres. Il n’a aucune parole rassurante pour mettre un baume sur nos inquiétudes. Pour nous stimuler, il nous promet de porter notre croix, comme W. Churchill promettait à son peuple du sang,  des larmes et de la sueur. Il ouvre devant nous une perspective de souffrance et de mort.

Ainsi provoqués, nous allons pouvoir exercer notre sagacité. En fait, le jeu en vaut la chandelle. Jésus a l’intention de nous faire sortir des chemins battus. Il nous montre que Dieu n’a rien à voir avec les critères soigneusement recensés par les religions. Dieu pour lui ne se trouve pas dans un code de morale. Il est ailleurs que dans nos définitions théologiques. Dieu se situe avant tout dans une relation avec nous. Comme il a sacrifié sa divinité pour venir jusqu’à nous, il s’attend à ce que nous lui consacrions notre humanité.

Il nous propose sagement de faire le bilan de notre foi en nous racontant cette parabole banale du roi qui compte ses hommes, puis qui compte les hommes de l’adversaire et qui négocie la paix en fonction de ses propres forces parce qu’il préfère se soumettre plutôt que de risquer un combat perdu d’avance. La paix dans ce contexte devient un accord de moindre mal, un « gentleman agreement » que l’on a du mal à fonder théologiquement. Or nos vies ressemblent la plupart du temps à ces côtes mal taillée où l’on essaye de donner à chacun sa part. Dieu y compris. Nous composons avec Dieu, avec les hommes, avec notre vertu, avec le temps, si bien que notre existence ne ressemble plus à rien si non à un « melting pot » sans goût ni grâce ni saveur ni prétention.

En quelques phrases, Jésus a mis à mal tout notre édifice spirituel, pour que nous nous efforcions de le reconstruire. Nous n’osons même pas continuer notre lecture de l’Évangile de peur d’être encore plus déstabilisés car ajoute Jésus, «quiconque ne renonce pas à tout ce qu’il possède ne peut être mon disciple ». Il faut comprendre clairement que cela veut dire qu’on ne peut pas découvrir Dieu en vérité sans abandonner tous les préjugés et tous les acquis de la société. Le chercheur de Dieu doit donc aller à contre courant d’une société qui centralise tout sur l’homme. C'est ce que préconise un petit livre paru au Etats Unis et qui est devenu un "best seller":  "étrangers dans la cité" de S.Hauerwas et W.H.Willimon

Jésus met notre manière de raisonner totalement en cause en nous rappelant qu’avec Dieu, c’est tout ou rien. Pas question de partager prudemment entre Dieu et le monde. Pas question de demander à Dieu de se charger de notre âme d’une part et de choisir de gérer nous-mêmes et à notre gré nos autres activités. Il nous rappelle ainsi que Dieu est envahissant.

Jésus contemple alors la foule qui le suit comme un troupeau bêlant. Il nous décrit comme des moutons cherchant à être pris en charge par un bon berger. Ils cherchent seulement un confort spirituel auprès d’un maître à la mode qui paraît pour lors efficace. Jésus renonce à se laisser manipuler par eux, il n’est pas un gourou rassurant qui profiterait des avantages de ses dons de guérisseur et de prédicateur pour s’assurer une notoriété. Il provoque la foule dont nous faisons tous partie pour que chacun sorte de lui-même et assume le poids de la croix qu’il doit porter.

Vous voulez être rassurés sur l’avenir de votre âme, vous voulez une religion facile qui soit distincte des religions traditionnelles . Vous voulez échapper aux tourments de la vie et être les privilégiés de Dieu, vous ne voulez plus être malades et vous voulez manger tous les jours à votre faim ! Mais vous valez mieux que cela, vous n’êtes pas des moutons promis à l’abattoir. Vous avez en vous la capacité d’être des rebelles, de vivre une passion dévorante, cette passion peut se vivre avec Dieu, mais elle réclame une rupture.



Dans l’Écriture, la rupture est parfois féconde et créatrice, car elle demande à être habitée par un esprit inventif. La rupture c’est la distanciation nécessaire qu’il nous faut prendre par rapport aux conventions sociales qui nous enferment dans des catégories ou des préjugés. Il n’est donc pas étonnant que Jésus prenne la famille pour cible, parce qu’elle a un pouvoir contraignant et enfermant sur les individus. Pour que Dieu puisse s’emparer de nous il ne faut être retenu par aucun autre intérêt. C’est ainsi libérés et placés tout entier sous le charme de Dieu que nous pourrons devenir les conquérants d’un monde nouveau. De même que l’homme doit quitter son père et sa mère  s’il veut aimer sa femme, de même il faut mettre les exigences familiales au second degré de nos préoccupations pour laisser l’intuition de Dieu nous saisir et mettre nos vies à la disposition de Dieu.

Combien parmi nous ne trouvent-ils pas leur existence fade et sans avenir ? Ils se sont généralement comportés comme le roi de la parabole racontée par Jésus. Ils ont recherché leurs intérêts, ils ont fait la part des choses, et ils ont donné une importance calculée à chacun, ils n’ont cependant pas négligé Dieu, mais ils lui ont seulement réservé une part. Ils ont ainsi construit une vie raisonnable faite de concessions, sans que le hasard et l’aventure n’y aient leur place. Dieu mérite mieux que nos petites dispositions de sagesse humaine, il réclame toute notre activité, tous nos soucis, toutes nos préoccupations, la totalité de nos personnes. Dieu réclame de devenir le partenaire de notre vie et de la partager en totalité.

Affranchis des contingences humaines, Dieu nous rend libres et responsables. Il se peut que cette joyeuse liberté déplaise aux hommes qui cherchent à nous la prendre en nous enlevant la vie. Ce fut le cas de Jésus et de bien d’autres après lui. Mais leur mort ne fut-elle pas un cri de liberté et une ouverture vers la délivrance. Leur vie était en Dieu et la vie en Dieu est sans limite puisqu’elle lui est toute consacrée et qu’elle débouche quand tout est accompli dans la plénitude éternelle de Dieu. sans limite de temps et d’espace.
1. Jésus fils de l’homme page 71. Albin Michel





Ces images existent sur plusieurs blogs, mais je n'ai pas réussi à en trouver l'auteur. Qu'il soit félicité pour son talent. Si un lecteur trouve son nom, je le remercie de me le communiquer.






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samedi 14 août 2010

Luc 14:7-14 quelle est la bonne place ?dimanche 29 août 2010

Luc Chapitre 14

Encore une guérison le jour du sabbat

1Un jour de sabbat, il était venu manger chez l'un des chefs des pharisiens, et ceux-ci l'observaient. 2 Un hydropique était devant lui. 3 Jésus demanda aux spécialistes de la loi et aux pharisiens : Est-il permis ou non d'opérer une guérison pendant le sabbat ? 4 Ils gardèrent le silence. Alors il prit le malade, le guérit et le renvoya. 5 Puis il leur dit : Lequel de vous, si son fils ou son bœuf tombe dans un puits, ne l'en retirera pas aussitôt, le jour du sabbat ? 6 Et ils ne furent pas capables de répondre à cela.

Choisir la dernière place

7 Il adressa une parabole aux invités parce qu'il remarquait comment ceux-ci choisissaient les premières places ; il leur disait : 8 Lorsque tu es invité par quelqu'un à des noces, ne va pas t'installer à la première place, de peur qu'une personne plus considérée que toi n'ait été invitée, 9 et que celui qui vous a invités l'un et l'autre ne vienne te dire : « Cède-lui la place. » Tu aurais alors la honte d'aller t'installer à la dernière place. 10 Mais, lorsque tu es invité, va te mettre à la dernière place, afin qu'au moment où viendra celui qui t'a invité, il te dise : « Mon ami, monte plus haut ! » Alors ce sera pour toi un honneur devant tous ceux qui seront à table avec toi. 11 En effet, quiconque s'élève sera abaissé, et celui qui s'abaisse sera élevé.

Inviter les pauvres

12 Il disait aussi à celui qui l'avait invité : Lorsque tu donnes un déjeuner ou un dîner, ne convie pas tes amis, ni tes frères, ni les gens de ta parenté, ni des voisins riches, de peur qu'ils ne te rendent ton invitation et qu'ainsi tu sois payé de retour. 13 Mais lorsque tu donnes un banquet, invite des pauvres, des estropiés, des infirmes, des aveugles. 14 Heureux seras-tu, parce qu'ils n'ont pas de quoi te payer de retour ! En effet, tu seras payé de retour à la résurrection des justes.

Il est des gens qui pensent que l’intervention de Dieu dans leur vie relève d’abord du miracle, c’est à dire qu’ils cherchent à percevoir sa présence en eux par des signes perceptibles. C’est à des signes tels que le rétablissement de leur santé ou l’amélioration de leur situation sociale qu’ils décident de la présence de Dieu dans leur vie. Si cela ne se produit pas, ils se sentent frustrés et prennent leurs distances par rapport à Dieu ou bien ils se culpabilisent en pensant qu’ils ont commis des fautes impardonnables qui empêchent la manifestation de Dieu de se réaliser en eux. Ils souffrent de cette situation alors que leur foi hésitante devraient les amener à vivre, d’abord une libération intérieure.

Ils souffrent de cet état de fait et s’appliquent à découvrir dans l’histoire de leur vie les péchés qu’ils auraient pu commettre et que Dieu aurait pu retenir contre eux et qu’il se refuserait à leur pardonner. Nous savons qu’ils ont tort, mais comment leur faire comprendre que Dieu les aime et ne les punit pas. Comment leur faire comprendre que Jésus a renversé l’échelle des valeurs de la culpabilité et que tous les péchés, même les moins acceptables peuvent être pardonnés par l’effet de sa seule bonté ?

On leur a mis dans la tête qu’ils devaient se repentir d’une manière plus significative qu’ils n’ont pu le faire jusqu’à présent. Ils n’osent pas le faire ou même, ils ne peuvent pas le faire, si bien qu’ils restent enfermés dans leur solitude en ressassant une situation que Dieu ne demande qu’à améliorer pour peu qu’ils acceptent le pardon gratuit qui leur est déjà offert. Ils se considèrent comme naturellement destinés à la dernière place du banquet. Ils n’entendent pas encore Jésus qui leur susurre à l’oreille que leur place est plus haute à la table . Ils restent fermés sur leur position et ne peuvent pas encore l’entendre. Sans doute la suite de ce propos les aidera-t-ils à entendre la voix du Seigneur qui les interpelle.

Il est aussi des gens qui prennent une attitude tout à fait différente. Forts de leurs expériences spirituelles, ils racontent à qui veut l’entendre les merveilles que Dieu a faites pour eux. Ils ne se lassent pas de parler de leur conversion qui, selon eux relève du miracle permanent parce que leur vie a été changée et qu’ils ont réussi à améliorer leur situation ou qu’ils ont été guéris de la maladie qui les accablait. En se donnant en exemple ils se proposent de guider sur les chemins de la foi ceux qui n’y sont pas encore parvenus. Ils se sont déjà assis à la place d’honneur de la table du banquet et offrent aux autres les bonnes méthodes pour les imiter.

Nous nous réjouissons avec eux de la manière dont Jésus a su toucher leur cœur et transformer leur vie, mais nous entendons aussi le maître leur suggérer que la modestie sied à tout croyant et les invite a descendre vers le bas de la table car nul ne peut s’ériger en donneur de leçon si non le maître lui-même.

Il est en effet des gens qui se servent de Dieu lui-même pour se valoriser au détriment des autres. Ils ne savent pas encore que le maître ne nous valorise pas par les honneurs mais s’intéresse à la manière dont chacun saura construire sa vie pour que celle-ci plaise à Dieu. Or la vie qui plait à Dieu c’est celle de celui qui valorise les autres en s’effaçant lui-même.

Dans cette course à la meilleure place, nous en prenons tous pour notre grade. Car nous estimons qu’il est nécessaire que notre vie de croyant soit reconnue par les autres pour être utile à la cause de Dieu. Cependant nous avons du mal à reconnaître un enseignement de Jésus valable pour tous dans cette invitation à afficher notre modestie au point de nous réfugier dans un anonymat tel qu’il méconnaît tous les fruits que produit la foi.

En effet, si nous attendions d’être repérés grâce à nos vertus cachées, nous risquerions d’attendre longtemps car l’extrême modestie ne convient à personne dans nos sociétés occidentales. Nous ne sommes pas en orient où il est d’usage semble-t-il de se dévaloriser soi-même auprès des hôtes que l’ont reçoit dans sa maison. Il n’est pas dans nos usages d’inviter notre illustre visiteur à poser le pied dans notre misérable demeure. En fait de tels propos n’ont pas pour but d’honorer l’autre en se rabaissant soi-même, mais avaient pour but de détourner les mauvais esprits du foyer de celui qui recevait.

Alors pourquoi Jésus veut-il que nous nous minimisions de la sorte ? Pourquoi veut-il que nos bonnes œuvres ne soient pas reconnues ? Il nous demande là d’avoir une attitude humainement inacceptable. Nous comprenons, bien sûr, qu’en nous dévalorisant nous-mêmes nous donnons plus d’importance à notre prochain et qu’en agissant ainsi, c’est eux que nous mettons en valeur. Mais il y a là un tel excès que nous n’arriverions pas à en faire la règle de notre vie.

Quel en serait d’ailleurs le but véritable ? On peut d’ailleurs se demander comment les choses pourraient aller mieux si les gens capables et compétents taisaient leurs qualités et leurs compétences et attendaient qu’on les découvre. Notre société n’est-elle pas un champ de bataille où il faut lutter pour faire valoir les idées les plus généreuses? Même Gandhi a du se battre, sans violence, il va s’en dire, pour obtenir les droits que le pouvoir refusait aux plus modestes. Il n’est pas resté tout seul sans son coin en attendant que l’on découvre ses idées généreuses, il les a imposées par ses actions. Quant à Jésus lui-même il est descendu des montagnes de Galilée pour venir à la rencontre des scribes et des pharisiens pour se faire remarquer d’eux et entamer avec eux une lutte dont on sait la suite.

En fait, le problème n’est pas là. Jésus ne cherche pas à nous abaisser pour que par notre humilité, nous grandissions aux yeux des hommes. Ce serait en effet une autre façon d’affirmer que le salut s’obtient par les œuvres. S’il suffisait de se rabaisser et de devenir modeste pour obtenir une récompense de Dieu et de prendre autorité sur les autres, il y a longtemps que l’on aurait exploité cette méthode. Nous savons bien que l’extrême humilité ne conduit à rien. Ceux qui sont affublés d’un sérieux complexe d’infériorité le ressentent comme un handicap dans leur vie et non pas comme un avantage. Jésus sait très bien que ce n’est pas en humiliant les gens qu’on les fait progresser. Le but de Jésus est tout le contraire, il vaut au contraire qu’à son contact nous progressions dans notre connaissance afin de devenir des hommes accomplis.

A la différence des croyants dont je parlais tout à l’heure qui pensent que l’intervention de Dieu dans leur vie doit se manifester par un miracle, Jésus nous propose de porter un autre regard sur nous-mêmes. Il ne veut pas que nous nous mettions dans la situation des assistés qui attendent qu’un prodige transforme leur vie. Un tel homme serait dans une situation de dépendance qui ne ferait pas de lui un homme responsable mais un homme assisté.

Or Jésus veut faire de nous des hommes responsables, capables d’intervenir dans les affaires de leurs prochains pour les aider à s’améliorer. Ce n’est pas en espérant ou en revendiquant une situation de notables que les choses évolueront, mais en nous mettant au service des gens qui ont besoin d’être aidés. C’est parce que nous aurons agi au niveau de la détresse des autres que nous serons reconnus par eux et que les miracles espérés pourront se produire. Ils se produisent rarement comme un don tombé du ciel mais comme le résultat de longs efforts menés patiemment aux cœur même des difficultés de nos semblables.

N’oublions jamais que Dieu renforce nos âmes et fait de nous des fidèles aguerris, en nous invitant à devenir les serviteurs de nos semblables les plus malchanceux. Notre société ne reconnaît que rarement les mérites des serviteurs, cependant c’est par leur action, souvent anonyme que les choses avancent. Jésus a une vision du monde radicalement différente de la nôtre. Il faut nous y faire.


vendredi 6 août 2010

La porte étroite Luc 13: 22-30 dimanche 21 août 2016


Luc 13: 22-30
22 Il traversait les villes et les villages, et il enseignait en faisant route vers Jérusalem. 23 Quelqu'un lui dit : Seigneur, n'y aura-t-il que peu de gens sauvés ? Il leur répondit : 24 Efforcez-vous d'entrer par la porte étroite. Car, je vous le dis, beaucoup chercheront à entrer et ne le pourront pas. 25 Dès que le maître de maison se sera levé et aura fermé la porte, et que, restés dehors, vous commencerez à frapper à la porte et à dire : « Seigneur, ouvre-nous ! », il vous répondra : « Vous, je ne sais pas d'où vous êtes. » 26 Alors vous commencerez à dire : « Nous avons mangé et bu devant toi, et tu as enseigné dans nos grandes rues ! » 27 Et il vous répondra : « Vous, je ne sais pas d'où vous êtes ; éloignez-vous de moi, vous tous qui commettez l'injustice ! » 28 C'est là qu'il y aura des pleurs et des grincements de dents, quand vous verrez Abraham, Isaac, Jacob et tous les prophètes dans le royaume de Dieu, et que vous serez chassés dehors. 29 On viendra de l'est et de l'ouest, du nord et du sud pour s'installer à table dans le royaume de Dieu. 30 Ainsi, il y a des derniers qui seront premiers et des premiers qui seront derniers.
Les portes du salut se fermeront-elles à tout jamais devant les pas de celui qui cherche à se sauver par lui-même, car ce n’est pas en accumulant des actes qui sont sensés plaire à Dieu que l’on gagne son salut ! Les bonnes actions et les dévotions font partie de toutes ces actions vides d’avenir si elles n’ont d’autre but que d’attirer l’attention de Dieu sur celui qui les commet. Depuis longtemps l’Ecclésiaste a attiré l’attention du lecteur biblique pour le mettre en garde contre la vanité des entreprises humaines qui ne visent qu’à valoriser leur auteur.

Ces réflexions blasées devraient aider le lecteur à comprendre ici les propos de Jésus qui semblent confirmer l’affirmation selon laquelle celui qui cherche à être sauvé par ses propres moyens ne fait qu’entreprendre une vaine poursuite du vent qui le mène à la vanité et non pas au salut. Sans doute faut-il que celui qui cherche le salut comprenne que ce n’est pas une chose qu’il peut acquérir mais c’est une chose qui lui est donnée sans qu’il cherche à s’en saisir. Encore faudra-t-il qu’il découvre ce que signifie « être sauvé » ! Quel danger le menace-t-il pour qu’il cherche à en être sauvegardé et contre lequel il devrait être protégé ? Où donc est le péril ?

Cette recherche est vide de sens si on ne dit pas ce que l’on redoute. Ainsi sommes-nous entourés de gens qui ont peur de quelque chose qu’ils n’arrivent pas à définir. Ce n’est pas un travers du Moyen Âge contre lequel la Réforme a essayé d’apporter des solutions, ce n’est pas un travers contemporain qui serait alimenté par l’angoisse d’un avenir incertain, cela existait déjà du temps de Jésus. Et Jésus essaye de répondre à cette préoccupation en dénonçant le mal fondé de leurs angoisses. Jésus a longuement dénoncé ces angoisses qui reposaient sur la crainte d’un jugement de Dieu. Il a voulu rassurer ceux qui au dernier jour redoutaient que les bons soient séparés des mauvais comme l’on sépare les brebis d’avec les boucs ou le blé de l’ivraie.

Si aujourd’hui la crainte du jugement s’est estompée, les hommes cherchent toujours à tirer inconsciemment profit de leurs bonnes actions si bien que quand un coup du sort les frappe, ils expriment leur incompréhension en disant qu’ils ne méritaient pas cela.

Bien que Jésus ait formulé des réponses claires, les humains ne semblent pas les entendre et cherchent inconsciemment à faire du bien pour que cela leur soit porté à crédit. Pourtant ils savent que les critères de Dieu ne sont pas les mêmes que les leurs. Jésus nous montre que pour Dieu tous les hommes entrent dans la même catégorie, car aucun ne serait capable de se tenir devant lui à cause de l’excellence de ses vertus. Cependant Dieu ne fait pas d’exception, il aime tous les hommes et propose à chacun d’entre eux de partager leur vie et de cheminer sur la même route qu’eux. Le salut n’est donc pas réservé au petit nombre des vertueux, mais il consiste à savoir que Dieu habite en nous et travaille notre esprit pour que nous nous impliquions dans un mode de vie qui lui convient.

D’emblée Jésus ouvre son propos en fermant toutes les possibilités aux hommes d’avoir accès au salut par eux-mêmes. S’il est dit dans les premiers versets que la porte est étroite pour atteindre Dieu, elle sera bien vite fermée complètement par la suite par le maître qui laisse dehors ceux qui se réclament de lui. Ceux qu’il laisse dehors lui rappellent pourtant en parlant à travers la porte fermée qu’ils ont mangé avec lui et qu’il a prêché la « bonne nouvelle » chez eux.

Il nous faut reconnaître dans ces premiers visés tous les gens de la communauté de ceux qui ont suivi Jésus et qui n’ont toujours rien compris bien qu’ils rompent le pain avec lui et partagent sa coupe. Ils ont beau communier régulièrement, ils ont beau écouter la prédication de l’Évangile, ils ont beau venir au culte le dimanche, ils continuent à ne rien comprendre. Ils se croient supérieurs aux autres parce qu’ils font partie des intimes du Seigneur. Ils ont tort. Leur compagnonnage avec le Seigneur ne les rend pas meilleurs que les autres et ne leur garantit en rien leur salut, puisque le salut ne correspond à aucun critère de vertu.

Jésus semble avoir ouvert ici la boîte de Pandore en mettant à mal tous les arguments de ceux qui se croient sauvés par leurs propres vertus. Il évoque dans cet enseignement qui paraît un peu décousu tous les personnages qui nous sont déjà rendus familiers par les paraboles qu’il a prononcées, même si elles sont citées après ce passage dans cet Évangile ou même si elles sont citées dans d’autres évangiles et pas dans celui-ci.

Il commence par parler de la porte étroite. Il fait peut être allusion à une des portes de Jérusalem qui était si étroite que l’on devait décharger les chameaux pour qu’ils puissent la franchir. Jésus s’est sans doute servi de cette particularité pour en tirer un enseignement selon lequel il était plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d' entrer dans le Royaume de Dieu. Il signifiait par là qu’aucune qualité humaine ne permettait de s’approprier le Royaume de Dieu, pas même la richesse grâce à laquelle on pouvait faire de nombreuses générosités et améliorer le sort des plus démunis.

En parlant de la porte fermée au nez des amis, ne fait-il pas allusion à la parabole des cinq vierges sages et des cinq vierges folles ? Les vierges folles qui n’ont pas d’huile ne pourront s’en procurer nulle part ni l’échanger avec leurs copines ? l’huile signifierait-elle la foi qui ne peut se monnayer en aucune façon ? Les bonnes grâces de Dieu ne s’achètent pas elle nous sont données dans une relation toute personnelle avec Dieu. Cette relation est toujours possible sauf au cas où la porte se ferme et où la vie s’arrête. A ce moment là nul ne peut dire la suite de l’histoire qui nous est suggérée par la parabole du pauvre Lazare et du riche inconscient. Ce dernier arrivé dans l’au-delà ne peut accéder à Dieu malgré sa bonne volonté, et c’est malgré lui qu’il voit Lazare en compagnie d’Abraham et des patriarches jouissant de la béatitude éternelle.

Bien évidemment ce n’est pas la fin de ces paraboles qu’il faut retenir comme enseignement, mais l’impossibilité d’acquérir par ses propres moyens les faveurs de Dieu. En faisant allusion d’une manière plus ou moins voilées à des paraboles déjà prononcées Jésus veut rappeler qu’il a de nombreuses fois prêché sur ce même type d’enseignement. Les hommes ont en effet du mal à comprendre que c’est Dieu lui-même qui vient à leur rencontre. C’est Dieu lui-même qui multiplie les occasions pour que chacun d’entre nous réalise que c’est lui qui frappe à la porte de notre cœur et qui nous sollicite pour que nous lui ouvrions.


Les valeurs sont complètement renversées. Ce n’est pas l’homme qui cherche Dieu, c’est Dieu qui le cherche. Ce n’est pas l’homme qui trouve Dieu, c’est Dieu qui trouve l’homme. L’initiative n’appartient pas à l’homme mais à Dieu. Le salut est donc l’état de celui qui sait que Dieu l’a trouvé et qui a su répondre à cette situation. On ne gagne pas son salut, mais on découvre que l’on est sauvé.

Dans ce récit, Jésus ne ferme la porte à personne pour le priver de son salut, mais il ferme la porte à toutes les mauvaises idées qui nous passent par la tête et que nous croyons bonnes pour nous placer sur le chemin de Dieu. Ce n’est donc pas pour être sauvés que nous faisons de bonnes actions, c’est parce que nous savons que nous sommes visités par Dieu et qu’il nous inspire les bonnes actions que nous faisons. Nous pouvons d’ailleurs être visités par lui sans en avoir encore pris conscience. Nous sommes donc invités à voir les choses d’une toute autre manière. C’est pour cela que l’Évangile de Matthieu commence par les béatitudes qui proposent une lecture des événements de ce monde en contradiction totale avec la réalité apparente de nos sociétés :


« Heureux les pauvres en esprit, car le Royaume des cieux est à eux,Heureux ceux qui pleurent, ils seront consolés, Heureux ceux qui sont doux car ils hériteront la terre, Heureux ceux qui on faim et soif de justice car ils seront rassasiés, Heureux les miséricordieux car ils obtiendront miséricorde, Heureux les cœurs purs car ils verront Dieu, Heureux ceux qui procurent la paix car ils seront appelés fils de Dieu, Heureux ceux qui sont persécutés, car le Royaume des cieux est à eux, Heureux serez vous lorsque l’on vous insultera, car votre récompense sera grande dans les cieux. »