dimanche 28 juillet 2019

Luc 12/13-21 Dieu et le destin dimanche 4 août 2019


Luc 12/13-21

13 Du milieu de la foule, quelqu’un demanda à Jésus : « Maître, dis à mon frère de partager avec moi notre héritage. »

14 Jésus lui répondit : « Homme, qui donc m’a établi pour être votre juge ou l’arbitre de vos partages ? »

15 Puis, s’adressant à tous : « Gardez-vous bien de toute avidité, car la vie de quelqu’un, même dans l’abondance, ne dépend pas de ce qu’il possède. »

16 Et il leur dit cette parabole : « Il y avait un homme riche, dont le domaine avait bien rapporté.

17 Il se demandait : “Que vais-je faire ? Car je n’ai pas de place pour mettre ma récolte.”

18 Puis il se dit : “Voici ce que je vais faire : je vais démolir mes greniers, j’en construirai de plus grands et j’y mettrai tout mon blé et tous mes biens.

19 Alors je me dirai à moi-même : Te voilà donc avec de nombreux biens à ta disposition, pour de nombreuses années. Repose-toi, mange, bois, jouis de l’existence.”

20 Mais Dieu lui dit : “Tu es fou : cette nuit même, on va te redemander ta vie. Et ce que tu auras accumulé, qui l’aura ?”

21 Voilà ce qui arrive à celui qui amasse pour lui-même, au lieu d’être riche en vue de Dieu. »





N’en déplaise à ceux qui pensent le contraire, le hasard, ce n’est pas Dieu qui se promène anonymement sur notre terre. Les choses heureuses qui nous arrivent, sans que nous n’ayons rien fait pour les recevoir ne sont pas des cadeaux que  Dieu nous ferait en secret, et pourtant, ils sont nombreux ceux qui le croient ! De même, les coups du sort qui altèrent le cours de notre vie par des événements malheureux, ne sont pas le fait d‘un jugement que Dieu prononcerait contre nous pour nous punir de nos mauvaises actions. C’est ce que dit clairement Jésus en  ouverture de cette parabole quand il  refuse  de participer à l’attribution de l’héritage de son interlocuteur. Il exprime par cette courte remarque que ni Dieu,  par son intermédiaire, ni par l’intermédiaire de personne n’intervient dans les décisions du destin, qu’il nous soit favorable ou non. Pourtant sans le dire, beaucoup le croient quand même.

Qu’ai-je fait au bon Dieu pour que cela m’arrive ? Cette expression populaire n’aurait aucune valeur au regard de Jésus. Pas plus que n’aurait de valeur le fait que Dieu nous ferait des faveurs par les heureux événements qui se produisent dans notre vie. Mais c’est le propre de notre nature de croyant d’attribuer à  l’action de  Dieu l’origine des  événements qui nous arrivent. Il relève de notre nature  inquiète de raisonner ainsi. Nous avons tendance à chercher en Dieu des explications à ce qui n’en a pas. Mais justement ici, il est dit que Dieu ne semble pas être concerné.

Après avoir écartés ces arguments, Jésus remet les choses en place en racontant une parabole qui nous déconcerte et dont on a du mal à saisir la pointe. Il s’agit de l’aventure qui est  arrivée à un homme riche qui mourut au moment où il s’apprêtait à jouir des biens amassées tout au cours de sa vie. Nous nous sentons directement interpelés car notre société organise la vie de ses citoyens de la même manière que le fait cet homme, c’est le sujet d’une des toutes prochaines lois qui se préparent et qui utilise  ce principe pour discuter de l’avenir de nos retraites. Nous  prévoyons nous aussi notre vie en préparant le moment où  nous arrêterons de travailler pour couler en fin de vie des jours heureux. Nous sommes persuadés, quand tout cela se passe bien, que ce n’est que justice de profiter des fruits de notre labeur.

La fin de cette histoire nous met mal à l’aise, et nous aimerions lui trouver  une cause logique. Or elle n’en a pas !  Dieu contrairement à ce que nous souhaitons n’intervient pas. Il dit simplement les faits : « tu mourras » On aimerait trouver la faille en culpabilisant d’une manière ou d’une autre cet homme à cause d’une richesse qu’il aurait injustement gagnée. Mais rien n’est dit qui pourrait le laisser penser. On se dit quand  même qu’il aurait pu faire profiter ses héritiers, enfants ou petits-enfants de cette fortune, au lieu de tout amasser comme un gros égoïste. Mais c’est dans notre tête que cela se passe, le texte n’en dit rien, ni de ses héritiers éventuels ni de son égoïsme. La parabole n’émet aucun jugement de caractère  moral contre cet homme.

Cette parabole  nous renvoie à notre propre réflexion sur Dieu et à la valeur de la vie.      C’est sans doute dans cette direction   que ce texte veut nous entraîner. En effet, au cours de sa réflexion intime l’homme exprime son autosatisfaction  et s’adresse à son âme en une expression qui nous paraît curieuse : «  mon âme réjouis-toi » dit-il, et la parabole continue par une parole qui vient de Dieu. Elle  n’est pas un jugement mais un simple constat: « cette nuit, ton âme te sera redemandée » comme si le hasard avait choisi de se manifester à ce moment-là, sans aucune consigne venu d’une puissance quelconque.

Jésus n’approfondit pas la question mais, c’est le mot « âme » utilisé par trois fois qui nous interpelle. 

Qu’est-ce que l’âme dans le langage biblique ? Nous savons qu’elle est le véhicule de la vie et que la vie a Dieu pour origine. En mentionnant par trois fois  l’âme dans  ce passage  Jésus cherche à nous rappeler que nous appartenons à cet ensemble qui est le monde du vivant sur terre et qu’on ne peut organiser sa propre existence sans se soucier du vivant dont nous faisons partie. C’est par le biais du souci de son âme que  nous réalisons que cet homme est égoïste et que c’est son égoïsme qui constitue sa pierre d’achoppement car c’est de sa seule existence qu’il il s’est soucié jusqu’alors.

Il nous est difficile de ne pas approfondir cette parabole sans tenir compte de la valeur de l’âme en  langage biblique et de ne pas établir une coïncidence avec l’actualité qui préoccupe tant nos contemporains qui s’interrogent sur la mise en danger du vivant par le comportement irresponsable des hommes. Il serait cependant inconvenant de vouloir faire partager à Jésus nos idées sur l’écologie, en faisant dire aux Ecritures ce qu’elles ne disent pas. Il est clair cependant que la Bible contient des notions que l’on retrouve dans les questions d’actualité.  Nous y trouvons notamment la notion du fait que l’homme est partie prenante du monde du vivant et qu’il a une responsabilité dans son bon fonctionnement. Le reproche  qui semble être sous-jacent à l’histoire de  cet homme c’est qu’il n’a tenu aucun compte du vivant dont il fait partie.

Le récit s’organise autour de lui comme si sa situation de privilégié était un acquis incontestable et qu’il pouvait faire de la nature ce qu’il en voulait. Cela relevait de son bon droit. Il pouvait  amasser à son profit tout ce qu’il pouvait. Le petit entrefilet qui précède la parabole y a justement était placé pour dire en préliminaire que Dieu ne joue aucun rôle dans l’attribution des privilèges de chacun et que Dieu ne manipule pas le hasard en notre faveur, si bien que nous n’avons aucun droit à être privilégié. Quoi qu’il en soit des situations qui nous favorisent, il relève de notre responsabilité de les gérer en fonction du vivant au milieu duquel nous existons.

Nous sommes donc invités à méditer sur le fait que Dieu n’a aucune responsabilité dans les acquis que nous confère notre propre situation : fortune, intelligence, lieu de naissance.  Mais compte tenu de notre situation personnelle il nous invite à prendre nos responsabilités. C’est bien d’ailleurs ce que nous dit l’Evangile en d’autres endroits, en particulier dans le fameux «  aime ton prochain comme toi-même » qui fait écho au « aime ton Dieu de tout ton cœur de toute ton âme et de toute ta force » qui veut dire la même chose. Nous ne pouvons pas vivre indépendamment de tout ce qui vit autour de nous et rien ne nous privilégie par rapport aux autres.




Même dans une parabole où n’intervient en aucune façon le jugement de Dieu, l’Evangile laisse percer l’idée que nous sommes dans  un univers où le souci au sujet de tout ce qui concerne le vivant est une chose essentielle, que Dieu est partie prenante de cet équilibre de la nature  et que nous avons une responsabilité vitale dans la gestion de cet équilibre.

jeudi 18 juillet 2019

Luc 10/38-42 Marthe et Marie dimanche 21 juillet 2019


Luc 10 : 38-42  Marthe et Marie  Dimanche 21 juillet 2019



38 Pendant qu'ils étaient en route, il entra dans un village, et une femme nommée Marthe le reçut. 39 Sa sœur, appelée Marie, s'était assise aux pieds du Seigneur et écoutait sa parole.



40 Marthe, qui s'affairait à beaucoup de tâches, survint et dit : Seigneur, tu ne te soucies pas de ce que ma sœur me laisse faire le travail toute seule ? Dis-lui donc de m'aider. 41 Le Seigneur lui répondit : Marthe, Marthe, tu t'inquiètes et tu t'agites pour beaucoup de choses. 42 Une seule est nécessaire. Marie a choisi la bonne part : elle ne lui sera pas retirée.




D’habitude, ce sont les frères et non les sœurs  qui sont mis en opposition dans l’évangile, parce que la société de l’époque mettaient plus en avant les hommes que les femmes, pourtant ici, comme pour déroger à la règle, ce sont deux sœurs qui interrompent Jésus. Elles lui ouvrent leur porte et le reçoivent. Ces deux femmes ont été rendues célèbres par l’Evangile de Jean qui les présente comme des amies  proches de Jésus qui rendit la vie à leur frère Lazare décédé. Marie a été identifiée à la femme qui renversa un vase de parfum aux pieds de Jésus. Ici, elles nous sont présentées par l’évangéliste Luc. Il est peu familier des coutumes d’Israël, et présente les deux sœurs comme des femmes plus représentatives  de la société grecque que de la société juive. Il donne à Marthe le rôle de chef de la  maisonnée,  ce qui n’aurait pas cours en terre d’Israël. 







Luc par le truchement de ces deux femmes va  aborder la situation des femmes dans l’Eglise telle qu’elle se posait à  la première génération du christianisme. Derrière le questionnement de Marthe qui s’inquiète de voir sa sœur aux pieds de Jésus écoutant avec avidité l’enseignement du maître, il faut  reconnaître le souci des premiers chrétiens qui devaient s’interroger de la place que prenaient les femmes dans le ministère de l’Eglise.  En effet, Lydie qui était chef d’entreprise par exemple,  devint aussi chef d’Eglise dans la ville de Philippe. D’autres femmes dont nous ne connaissons pas toujours les noms avaient sans doute commencé à occuper des postes importants. Était-ce raisonnable ?



En rapportant cet épisode de la vie de Jésus, Luc essaye sans doute de répondre  à cette question que l’actualité avait rendue brûlante. Ici, Marthe par son attitude  soutient la thèse selon laquelle les femmes doivent s’occuper d’autre chose que de théologie. Marie qui est mise en cause ici ne dit rien. La réponse de Jésus semble dire sans ambigüité que  Marie serait  à la bonne place et que l’étude de  la théologie relèverait vraiment de son ressort. Elle a donc vocation à prendre la place du maître quand il ne sera plus là. Mais Jésus répond-il vraiment à la question  au sujet de laquelle nous nous interrogeons? Comme nous allons le voir plus loin,  c’est  en fait à une autre question qu’il répond.





Une nouvelle question surgit alors. Jésus est-il en train d’établir une hiérarchie dans les fonctions que l’on exerce dans l’Eglise ? Que les femmes   aient leur place dans le ministère de l’enseignement, qu’elles puissent exercer celui de la parole, cela ne semble pas  poser vraiment de problème, même si on a mis des siècles à s’en apercevoir, mais y a-t-il supériorité du ministère de la parole sur les autres ministères ? C’est  ce que Jésus semble dire  et c’est l’enseignement que l’on a pris l’habitude de retenir de ce texte.



Vue le caractère de Marthe  on comprend vite qu’elle n’était pas de nature à se laisser dominer, en tout cas pas par sa sœur qu’elle évincerait volontiers plutôt que de se laisser dominer par elle. Elle croit savoir que son service pour le Seigneur est indispensable à la bonne marche des affaires. Elle ne conçoit pas que le service de l’écoute passe avant celui de l’action. Le bavardage théologique passe pour elle au second plan. Tout se passe dans son esprit comme si tout avait déjà été dit depuis longtemps sur Dieu et sur la manière de le servir et qu’il n’y avait pas lieu d’en rajouter. Tout cela n’était que commentaires de rabbins, inutiles à la bonne marche des choses. En pensant ainsi elle se situe dans un courant de pensée classique. Pour elle ce qui compte, c’est l’efficacité, et elle s’y emploie.



Nous reconnaîtrons dans son comportement une attitude assez répandue dans beaucoup de nos églises et de nos paroisses qui cherchent à se rendre visibles par l’efficacité de leurs actions.  Elles cherchent plus à témoigner de leur foi par les œuvres qu’elles font plus que par leur approche spirituelle des événements. On  mobilise plus facilement les paroissiens d’une communauté  pour s’investir  dans les œuvres de la paroisse plutôt que pour fréquenter les études bibliques, si bien qu’il est de bon ton de considérer  que les gens les plus efficaces sont ceux qui agissent et non pas ceux  qui s’assoient pour méditer et réfléchir.



En lisant un peu vite ce passage on penserait facilement que Jésus prend ici le contrepied de Marthe et qu’il la désavoue. Marthe quant à elle ne s’en laisse pas conter et campe sur ses positions. Quant à Marie, elle ne se lève pas pour rejoindre sa sœur à sa demande, elle reste assise avec l’approbation du maître.



Jésus en fait, ne donne pas tort à Marthe, il lui reproche de s’inquiéter et de s’agiter pour beaucoup de choses. C’est son souci qui est l’objet de sa critique et non pas la tâche qu’elle accomplit. Marthe se met en souci parce que les choses ne prennent pas la tournure qu’elle souhaite. En bonne maîtresse de maison, elle croit savoir ce qui est bon pour son hôte et elle prie sa sœur d’adopter la même attitude qu’elle. Elle va même jusqu’à reprendre Jésus parce qu’il n’a pas eu les mêmes pensées qu’elle et qu’il ne se soumet pas à ses propres  conventions sociales auxquelles elle donne une portée universelle.



Or, Jésus n’est pas un hôte ordinaire. S’il est reçu par les deux sœurs, c’est parce qu’il est perçu par elles comme celui qui vient de la part de Dieu. Ce qu’il a  à leur dire est un message de la part de Dieu. Marthe ne se soucie pas de cette réalité, elle agit comme elle croit devoir agir, elle agit comme si elle savait mieux que le messager de Dieu ce qu’elle doit faire. Elle sait mieux que Jésus ce que Dieu lui demande et elle reproche à Jésus de ne pas avoir la même pensée sur Dieu qu’elle-même. Là est le problème. Elle reproche à Marie et à Jésus de débattre sur des questions théologiques qu’elle-même a  sans doute déjà résolues.  Elle ne  cherche pas à savoir ce que Dieu souhaite qu’elle fasse. Elle le sait déjà et mieux que lui. Elle n’imagine même pas  qu’elle doive se soucier de la volonté de Dieu avant de se mettre au travail pour lui. Pour Jésus Marthe ne se soucie pas  à bon escient et ne s’agite pas pour la bonne cause, parcequ’elle n’a pas pris soin de s’en soucier.





Il y a ici un bon enseignement pour l’Eglise qui ne prend toujours pas le temps de réfléchir à ce que Dieu souhaite qu’elle fasse avant d’agir. Si l’église avait pris cette peine elle aurait évité par le passé de se fourvoyer dans des situations contestables dont la liste serait trop longue pour qu’on la dresse  maintenant. 

jeudi 4 juillet 2019

Luc 10/25-37 Le bon Samaritain dimanche 14 juillet 2019




Luc 10 : 25-37 Le bon Samaritain



25 Un spécialiste de la loi se leva et lui dit, pour le mettre à l'épreuve : Maître, que dois-je faire pour hériter la vie éternelle ? 26 Jésus lui dit : Qu'est-il écrit dans la Loi ? Comment lis-tu ? 27 Il répondit : Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de toute ton intelligence, et ton prochain, comme toi-même. 28 Tu as bien répondu, lui dit Jésus ; fais cela, et tu vivras. 29 Mais lui voulut se justifier et dit à Jésus : Et qui est mon prochain ?  



30 Jésus reprit : Un homme descendait de Jérusalem à Jéricho. Il tomba aux mains de bandits qui le dépouillèrent, le rouèrent de coups et s'en allèrent en le laissant à demi-mort. 31 Par hasard, un prêtre descendait par le même chemin ; il le vit et passa à distance. 32 Un lévite arriva de même à cet endroit ; il le vit et passa à distance. 33 Mais un Samaritain qui voyageait arriva près de lui et fut ému lorsqu'il le vit. 34 Il s'approcha et banda ses plaies, en y versant de l'huile et du vin ; puis il le plaça sur sa propre monture, le conduisit à une hôtellerie et prit soin de lui. 35 Le lendemain, il sortit deux deniers, les donna à l'hôtelier et dit : « Prends soin de lui, et ce que tu dépenseras en plus, je te le paierai moi-même à mon retour. » 36 Lequel de ces trois te semble avoir été le prochain de celui qui était tombé aux mains des bandits ? 37 Il répondit : C'est celui qui a montré de la compassion envers lui. Jésus lui dit : Va, et toi aussi, fais de même.


Qui est mon prochain ? La question est de savoir qui fait partie du cercle élargi de ceux qui ont de l’intérêt pour moi ? Autrement dit celui qui n'appartient pas à mon milieu, tel l'étranger peut-il être mon prochain ?  Car pour l’interlocuteur de Jésus et pour nous-mêmes la bonne réponse décidera de sa  propre vie devant Dieu.

Que s’est-il donc passé dans la tête de Jésus  pour qu’il  raconte à des gens qui lui étaient déjà hostiles, cette histoire qui met en scène un étranger, voyageur solitaire en terre inamicale. Jésus ici se trouve dans un milieu qui ne lui est pas favorable. Dans ce texte admirablement bien construit, rien n’est laissé au hasard. Jésus met au centre de son propos un étranger bien imprudent car il se déplace seul dans un endroit où les bandits abondent. Il est d’autant plus en danger qu’il est riche. Il est non seulement riche et étranger, mais il est samaritain, c’est dire que sa pratique d'un judaïsme non orthodoxe  offense les coutumes religieuses des gens du pays qu’il traverse, même s'il ne la ramène pas à ce sujet. Le héros de l’histoire a tout contre lui. Il est donc bien imprudent  de se déplacer ainsi dans ce lieu solitaire. On pourrait s’attendre à ce que dans un tel contexte  il lui arrive un mauvais coup. Il n’en est rien.

Sous les traits de ce Samaritain généreux et débonnaire, Jésus ne trace-t-il pas le portrait d’un personnage qui lui ressemble, fortune en moins? Il faudrait sans doute faire quelques retouches pour que le portrait soit  conforme, mais si peu !  Jésus est mal venu dans les milieux orthodoxes du judaïsme judéen.  C’est de ce milieu que vient son interlocuteur. C’est de ce milieu que seront issus, dans quelques semaines ses accusateurs. Ne fait-il pas  figure de redresseur de tort. Lui, qui prétend enseigner les juifs n’est-il pas un demi-étranger ? Il vient de Galilée, une mauvaise terre habitée par des sangs mêlés,  des juifs mâtinés de païens. Il a l’arrogance de  donner des leçons de vertu à des juifs de pure souche  et de les offenser en tournant en dérision le clergé tu temple qu’il ridiculise dans cette histoire où il campe deux de  ses membres dans une affaire hautement improbable comme nous allons le voir ?  

Jésus, est un  en habile narrateur  et il sait dans quelle direction  il entraîne ses auditeurs, c’est pourquoi il attend prudemment que l’intrigue du récit soit vraiment nouée, pour introduire le Samaritain  sur les lieux du récit. Au paravent, il a mis deux membres du clergé en situation moralement indélicate. Or cette situation semble invraisemblable, on va le voir. Pas plus vraisemblable d’ailleurs,  sera l’attitude de ce riche samaritain qui, par son attitude donne la bonne réponse à la question  posée à l’origine de la parabole : «  Qui est mon prochain ? ».

Tout sonne faux dans ce récit si on l’approfondit quelque peu. Les  auditeurs de Jésus l’ont sans doute bien compris. En effet il semblait évident que la route empruntée par  les 3 personnages  qui traversaient un lieu désert était mal fréquentée. Le blessé de l’histoire en a fait les frais. Le Samaritain qui  était vraisemblablement  riche, on peut le déduire à  la manière dont il débourse dans le fil du récit une forte somme,  aurait encouru le même sort en voyageant seul. C’est un des  détails qui rend le récit suspect. S’il  avait voyagé en groupe avec d’autres personnes, comme  la prudence le recommandait,  son geste  aurait perdu une partie de sa valeur, c’est pourquoi Jésus l’a campé dans une histoire  invraisemblable où il    git en tant que voyageur solitaire et vulnérable.  Cependant la remarque faite au sujet du danger encouru par le Samaritain est valable aussi pour le prêtre et le lévite. Ils sont peut-être critiquables, mais pas idiots.  Par  mesure de prudence  et dans leur propre intérêt, ils auraient sans doute voyagés ensemble, en tout cas pas seuls.  Ils n’auraient sans doute pas commis l’imprudence de  s’aventurer dans ces lieux, sans un minimum d’escorte. Dans ce cas, leurs  compagnons de route les auraient l’un et l’autre contraints à la charité envers le blessé qu'ils ont croisé et ils n’auraient pas passés leur chemin. Sans ces invraisemblances la parabole n’aurait pas de sens. Mais le récit n’aurait d’ intérêt que si le prêtre et le lévite n’avaient un mauvais rôle. On va donc se demander pourquoi Jésus affiche  une telle hostilité à l’égard des prêtres  Pourquoi leur fait-il  tenir un si mauvais rôle et quel est le sous-entendu d’un tel discours? Patience !

En attendant, écoutons  les propos qui se murmurent, sans doute, dans le dos de Jésus et qu’il a sciemment provoqués. Ce n’est pas  dit d’une manière audible, car le narrateur  garde le dénouement pour la fin, mais chacun de nous peut facilement trouver des arguments pour alimenter la critique. « C’est bien connu, susurre-t-on, que  Jésus était  anticlérical et qu’il  préconisait une autre forme de  religion, une religion sans clergé, sans scribes  sans docteurs de la loi, sans Loi et sans Temple. » C’est sans doute pour accréditer ces critiques qu’il introduisit dans son récit deux religieux qu’il  accable en les mettant dans une situation particulièrement désobligeante.  Cette rumeur,  on l’entendra clairement plus tard lors du procès de Jésus au Sanhédrin, mais elle  avait déjà pris naissance en Galilée. Souvenez-vous de l’incident qui se produisit après que Jésus ait prononcé  un sermon dans     la synagogue de Nazareth. Il   faillit se faire lyncher pour propos malvenus. La rumeur, comme toute rumeur a tendance à s’amplifier, c’est ce qui se passe sans doute. Jésus en arrivant en Judée était sans doute déjà précédé d’une mauvaise réputation qui invitait les bons pratiquants à se méfier de lui.  Son procès était déjà en préparation. Tel est le contexte dans lequel Luc nous transmet son Evangile. 

 Mais ce ne sont pas les seules critiques que l’on pourrait adresser à Jésus. On pourrait lui reprocher encore d’avoir mis en scène un aubergiste  qui accepte de faire crédit, qui plus est  à un étranger, ce que personne n’aurait fait et ne ferait encore, ni vous, ni moi. Ça ne tient pas ! Toute l’histoire est  construite sur des impossibilités, mais sa conclusion qui est la conclusion d’un récit invraisemblable  allons-nous la récuser? En fait,  sa conclusion qu’elle est-elle ? Elle suggère que l’intérêt pour la vie  d’un malheureux justifie que l’on risque toute sa fortune pour lui. Jésus attire notre attention sur la qualité de vie que Dieu nous demande de réserver à notre prochain.

Nous avons peut-être un peu de mal à l’accepter. C’est pourquoi il est bien plus facile pour tout auditeur de ce récit de le  décrédibiliser, plutôt que d’en chercher la pointe  et écouter ce qu’il nous suggère de comprendre. Mais ce n’est pas fini.

Continuons. Portons notre attention sur ce samaritain qui ne tient compte ni de son temps, ni de son argent pour maintenir en vie le mourant.  Ce qui lui paraît plus essentiel que tout, même que ses soucis personnels, c’est que la vie du blessé soit préservée. Pour lui cette émotion qu’il ressent à la vue du blessé est plus forte que toutes les prescriptions de la religion. Elle dépasse la rigidité de la loi écrite pour en faire la quintessence de la loi morale, celle à laquelle Jésus nous propose d’obéir d’instinct  et qui nous suggère que la préservation de la vie de l’autre, quel qu’il soit est la condition indispensable de notre relation à Dieu. Mais la pointe du texte est peut-être encore ailleurs.

Oublions pour un instant cette conclusion de Jésus. Jésus n’est pas un naïf. Au cours de ce voyage qui l’amène à Jérusalem, il a lui-même expérimenté la dureté des relations avec les étrangers et des Samaritains en particulier.  Il s’est trouvé lui, et  ses amis, en situation d’étranger rejeté  en traversant la Samarie. Le récit nous en rapporte l’épisode quelques lignes plus haut.  Il fut agressé à l’entrée d’un village samaritain ( Lc 9/53ss). Sans doute sa petite troupe était-elle  en nombre suffisant pour que l’incident soit sans conséquence, mais il dut passer son chemin ! Cependant  la rancune s’était  installée au cœur de ses proches qui lui proposèrent quand même de faire descendre le feu du ciel sur les agresseurs.

Cette parabole ne serait-elle pas la leçon que donnerait Jésus à  ses propres amis à la suite de cet incident et ne s’adresserait aux juifs qu’après coup ? Ce serait donc ses amis qui seraient d’abord visés ici. En effet, une leçon porte mieux si on donne l’impression de s’adresser à d’autres qu’à ceux qui sont réellement concerné. Jésus a bien compris  quel sort il aurait eu lui-même s’il avait voyagé en solitaire, mais cela fait partie des aléas de la vie.  Il veut alors montrer que la générosité de cœur n’a pas de frontières  et que ce n’est pas le fait d’être étranger qui rend les hommes différents les uns des autres et qui établit des frontières entre eux. C’est pourquoi il met ici en scène un samaritain généreux, alors que lui et ses amis ont été victimes de samaritains hostiles.

Il n’y a aucune frontière qui délimite le territoire où se trouve notre prochain,  les frontières sont construites par les hommes et non par Dieu  et c’est elles qui  fabriquent les étrangers.  Les frontières sont  des séparations de nature humaine  établies par les hommes pour des raisons économiques et que Dieu n’a pas inventées. L’accès à Dieu n’a pas de frontière, et son amour pour les hommes  n’en a pas non plus et aucune frontière ne peut entrer en compte quand il s’agit de préserver la vie des autres.