dimanche 30 octobre 2011

Matthieu 25:31-46

POUR LE DIMANCHE 20 NOVEMBRE 2011


Le jugement dernier

31 Lorsque le Fils de l'homme viendra dans sa gloire, avec tous les anges, il s'assiéra sur son trône glorieux. 32 Toutes les nations seront rassemblées devant lui. Il séparera les uns des autres comme le berger sépare les moutons des chèvres : 33 il mettra les moutons à sa droite et les chèvres à sa gauche. 34 Alors le roi dira à ceux qui seront à sa droite : « Venez, vous qui êtes bénis de mon Père ; héritez le royaume qui a été préparé pour vous depuis la fondation du monde. 35 Car j'ai eu faim et vous m'avez donné à manger ; j'ai eu soif et vous m'avez donné à boire ; j'étais étranger et vous m'avez recueilli ; 36j 'étais nu et vous m'avez vêtu ; j'étais malade et vous m'avez visité ; j'étais en prison et vous êtes venus me voir. »

37 Alors les justes lui répondront : « Seigneur, quand t'avons-nous vu avoir faim, et t'avons-nous donné à manger ? — ou avoir soif, et t'avons-nous donné à boire ? 38 Quand t'avons-nous vu étranger, et t'avons-nous recueilli ? — ou nu, et t'avons-nous vêtu ? 39 Quand t'avons-nous vu malade, ou en prison, et sommes-nous venus te voir ? » 40 Et le roi leur répondra : « Amen, je vous le dis, dans la mesure où vous avez fait cela pour l'un de ces plus petits, l'un de mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait. »

41 Ensuite il dira à ceux qui seront à sa gauche : « Allez-vous-en loin de moi, maudits, dans le feu éternel préparé pour le diable et pour ses anges. 42 Car j'ai eu faim, et vous ne m'avez pas donné à manger ; j'ai eu soif, et vous ne m'avez pas donné à boire. 43J 'étais étranger, et vous ne m'avez pas recueilli ; j'étais nu, et vous ne m'avez pas vêtu ; j'étais malade et en prison, et vous ne m'avez pas visité. » 44 Alors ils répondront, eux aussi : « Seigneur, quand t'avons-nous vu avoir faim ou soif, étranger, ou nu, ou malade, ou en prison, sans nous mettre à ton service ? 45Alors il leur répondra : Amen, je vous le dis, dans la mesure où vous n'avez pas fait cela pour l'un de ces plus petits, c'est à moi que vous ne l'avez pas fait. » 46 Et ceux-ci iront au châtiment éternel, mais les justes, à la vie éternelle.




Ceux qui pensent que l’Évangile donne des règles plus restrictives que l'Ancienne Loi de Moïse s'en donnent à cœur  joie avec cette parabole qui achève les enseignements  de Jésus sur une condamnation sans appel.  A  coup sûr  cette parabole  doit avoir une autre explication que celle de juger sévèrement ceux qui ont manqué aux règles de la plus élémentaire charité. C'est ce que nous allons essayer de voir au risque d'être accusé de manipuler l’Évangile.

Jésus fustige donc d’une volée de bois vert tous ceux qui auront l’audace de ne pas aimer leur prochain d’une manière significative. Il fait de l’altruisme une règle tellement rigide que tous se sentent coupables et responsables à l’énoncé du verdict. Au début de l’Évangile Jésus recommandait d’aimer son prochain et ne laissait pas entendre qu’il pourrait y avoir des conséquences graves pour nous si on ne le faisait pas. Ici il se transforme en juge et prononce une sentence sévère pour ceux qui ne le font pas. En fait, il parle seulement d’altruisme, il n’est plus question d’amour. L’évangile qui se veut libérateur, devient tout à coup culpabilisant, et Jésus qui était sensé pardonner tous les hommes devient leur accusateur, si bien que nous avons du mal à le reconnaître dans ce dernier rôle.

Ce n’est pas seulement le contenu de cette parabole qui est déroutant, c’est que la société ambiante tient le même langage. Elle nous reproche de ne pas faire grand cas de tous les affamés, de ne pas savoir accueillir les étrangers, de ne pas se soucier des malades dans les hôpitaux et de n’avoir aucun égard pour ceux qui sont en prison. Quelle que soit la manière dont nous allons traiter ce texte, nous allons coller à l’actualité et nous allons nous sentir personnellement concernés en tant que membres de cette société auto culpabilisante.


La société civile d’aujourd’hui tient donc le même discours que celui que les Églises tenaient jadis et qu’elles tiennent encore. Elles visent à dominer les masses en les culpabilisant. On pense même que c’est ce type de discours qui est aujourd’hui la cause du déclin de nos sociétés occidentales. Elles prétendaient que le salut de chaque individu devant Dieu dépendait de la manière dont chacun se repentait de ses erreurs et de  ses manquements aux règles d'amour. Après s’être repenti chacun devait corriger ses actions insuffisantes. Ce n’est qu’après que chacun pouvait trouver espoir dans son salut.

Si nous portons notre attention sur les médias d’aujourd’hui, nous y lisons à chaque ligne de leurs éditoriaux que la société occidentale est responsable de tous les maux de la planète : La pollution bien sûr, la famine des pays pauvres, le climat d’insécurité dans le moyen Orient, j’en passe. Mais à la différence du discours que l’on reprochait et que l’on reproche encore aux Églises de tenir, les médias ne laissent place à aucun espoir et culpabilisent les occidentaux d’être tellement sclérosés qu’ils ne sont plus capables de faire les sacrifices nécessaires pour redresser le cap et sauver le monde en dérive.

Comment donc s’en sortir ? Il nous faut sans aucun doute retrouver le langage de l’Évangile qui n’enferme pas les hommes dans leur culpabilité, mais leur donne l’espérance d’une issue heureuse. Si nous essayons de pénétrer plus à fond cette parabole, nous constaterons que malgré le rejet des coupables, elle s’achève sur la promesse de la vie éternelle pour les justes. C’est le dernier mot du texte. Le but de ce long discours culpabilisant est donc d’ouvrir l’avenir sur une possibilité de vie. Cette vie donnée par Dieu sera éternelle. Mais nous l’avons compris, cette conclusion passe mal aujourd’hui, car les promesses de l’au-delà ne font plus recette.

Nos contemporains se sont détournés des églises traditionnelles parce que leur langage culpabilisant qui masquait l’espérance était devenu insupportable, mais ils gardent en eux une soif de spiritualité. Ils vont même jusqu’à gommer complètement la réalité de Dieu pour ne retenir que l’image d’un esprit de bonté, de fraternité et d’amour qui soufflerait sur le monde et dont toutes les religions seraient dépositaires. Nos contemporains n’ont pas cessé d’être animés par des idées généreuses avec lesquelles ils construisent une foi à leur propre dimension et se tracent pour eux-mêmes des voies d’espérance. Mais si l’homme moderne reste un homme spirituel, il a pourtant rejeté Dieu dont le visage traditionnel ne lui convient plus et ils n'entendent plus cette parabole qui semble être présentée ici comme le testament spirituel de Jésus.

Ne se trouvant plus à l’aise dans les religions reconnues, il ne se sent pas non plus à l’aise dans la société civile qui tient le même langage que les églises qu’il a rejetées et qui en plus a détruit l’espérance. Pourtant cette société moderne ne lui a-t-elle pas tout donné ? En tout cas, on essaye de le lui faire croire. Elle lui a donné la possibilité de confort, la puissance économique, la consommation en abondance, l’éducation et l’enseignement, mais en même temps elle a créé l’angoisse du lendemain et la peur de tout perdre, sans solution de remplacement. L’espérance a cessé de faire partie du langage autorisé.

Dans cet univers que j’ai brossé sombre à souhait, Jésus se présente comme celui qui accuse. Il vient avec les attributs d’un juge et siège au tribunal de Dieu. Il répond ainsi aux souhaits de ceux qui voulaient le faire Dieu et il prend ainsi la place de son Père jugeant le monde. Personne ne peut échapper à son jugement. Qui parmi nous, même les plus saints, pourraient mériter le salut qu’il propose ? Personne, car nous resterons toujours  coupables de manquement aux règles de l’humanité la plus élémentaire. Tant qu’il y aura des hommes nus en difficulté  de logement et des enfants affamés, tant que des vieillards mourront solitaires dans les hôpitaux, et tant que des jeunes gens se suicideront en prison nous ressentirons cruellement le poids de nos défaillances.

Celui qui parle ainsi, c’est le Jésus couronné de gloire qui trône en majesté sur le tympan de nos cathédrales, c’est celui qui juge et qui condamne, ce n’est pas celui qui est messager d’espérance pour ce monde, ce n’est pas le témoin de Dieu qui  dans les lignes suivantes va entamer son long calvaire au cours duquel il est dit  que c'est à cause de l'humanité défaillante  qu'il donne sa vie, non pas pour que les hommes soient condamnés mais qu'ils découvrent dans sa mort la cause de leur salut.

Pourquoi alors cette  parabole accusatrice  dans laquelle nous avons du mal à entrer?  Pourquoi Jésus se met-il en scène sous les traits d’un juge arrogant ?

Tout simplement parce que nous sommes à un des tournants de l’Évangile ! Dans les pages qui vont suivre va commencer la longue série des textes de la passion qui vont donner une autre couleur à la réalité sur Dieu. Et qui vont à tout jamais anéantir ce Dieu vindicatif.

Finie alors l’idée de Dieu-juge entouré de sa cour d’archanges trônant avec son fils pour punir le monde infidèle. Terminé l’image de ce Dieu qui se met en colère pour préserver sa majesté divine quand elle est offensée. C’est maintenant une autre réalité de Dieu que Jésus va proposer au monde par sa mort qui défie la mort et par sa résurrection qui offre la vie aux hommes quand celle-ci semble avoir disparue. L’image de Dieu qui s’impose désormais à nous, c’est celle du Dieu qui donne la vie, et qui offre aux hommes l’espérance quand l’avenir semble compromis. En entrant volontairement dans le processus de sa passion Jésus détruit à tout jamais l’idée que Dieu nous accuse de quoi que ce soit et nous rend coupables de quoi que ce soit. Son projet consiste à nous enrôler dans un processus de vie pour les hommes et pour le monde.

Cette parabole prend alors l’allure de la caricature de ce que serait le monde si Dieu s’imposait à nous comme un Dieu de justice et non comme un Dieu d’amour. C’est la caricature du Dieu qui transparaît dans les discours des pharisiens et que Jésus récuse. C’est le Dieu des intégristes qui veulent imposer aux autres une loi qu’ils ne peuvent pas s’appliquer à eux-mêmes. Le Dieu de Jésus Christ a toujours refusé de se laisser enfermer dans la notion de justice telle que les hommes la conçoivent. Il se fera connaître désormais comme celui qui vient vers tous les hommes et leur propose à tous le salut comme Michel Polnareff le chantait quand il disait que nous irons tous au paradis,… même les méchants.


Il me plait donc de regarder l’avenir avec
cette conception des choses car je suis sûr que c’est aussi la conception de Dieu.


samedi 29 octobre 2011

Matthieu 25:14-30

POUR LE DIMANCHE 13 NOVEMBRE 2011


La parabole des talents 14 Il en sera comme d'un homme qui, sur le point de partir en voyage, appela ses esclaves et leur confia ses biens. 15 Il donna cinq talents à l'un, deux à l'autre, et un au troisième, à chacun selon ses capacités, et il partit en voyage. Aussitôt 16 celui qui avait reçu les cinq talents s'en alla les faire valoir et en gagna cinq autres. 17 De même, celui qui avait reçu les deux talents en gagna deux autres. 18 Celui qui n'en avait reçu qu'un alla faire un trou dans la terre et cacha l'argent de son maître. 19 Longtemps après, le maître de ces esclaves arrive et leur fait rendre compte. 20 Celui qui avait reçu les cinq talents vint apporter cinq autres talents et dit : Maître, tu m'avais confié cinq talents ; en voici cinq autres que j'ai gagnés. 21 Son maître lui dit : C'est bien ! Tu es un bon esclave, digne de confiance ! Tu as été digne de confiance pour une petite affaire, je te confierai de grandes responsabilités ; entre dans la joie de ton maître. 22 Celui qui avait reçu les deux talents vint aussi et dit : Maître, tu m'avais confié deux talents, en voici deux autres que j'ai gagnés. 23 Son maître lui dit : C'est bien ! Tu es un bon esclave, digne de confiance ! Tu as été digne de confiance pour une petite affaire, je te confierai de grandes responsabilités ; entre dans la joie de ton maître. 24 Celui qui n'avait reçu qu'un talent vint ensuite et dit : Maître, je savais que tu es un homme dur : tu moissonnes où tu n'as pas semé, et tu récoltes où tu n'as pas répandu ; 25 j'ai eu peur, et je suis allé cacher ton talent dans la terre : le voici ; prends ce qui est à toi. 26 Son maître lui répondit : Esclave mauvais et paresseux, tu savais que je moissonne où je n'ai pas semé et que je récolte où je n'ai pas répandu ? 27 Alors tu aurais dû placer mon argent chez les banquiers, et à mon arrivée j'aurais récupéré ce qui est à moi avec un intérêt. 28 Enlevez-lui donc le talent, et donnez-le à celui qui a les dix talents. 29— Car on donnera à celui qui a, et il sera dans l'abondance, mais à celui qui n'a pas on enlèvera même ce qu'il a. — 30 Et l'esclave inutile, chassez-le dans les ténèbres du dehors ; c'est là qu'il y aura des pleurs et des grincements de dents.




Il arrive parfois que notre générosité naturelle nous amène à défendre des causes qui n’ont pas lieu d’être. Les apparences sont parfois trompeuses et ne doivent pas retenir captive notre attention au risque de faire une erreur de jugement. Ce cas risquerait de se produire si nous nous avisions de considérer que la cause désespérée du troisième serviteur méritait toute notre attention et qu’il bénéficiait par avance de notre indignation. En effet, alors qu’il n’a rien demandé, il se trouve chargé d’une mission qu’il a remplie avec satisfaction car il a conservé intact le talent qu’il avait reçu. Pourtant en fin de compte, il est condamné pour n’avoir pas fait ce qu’on ne lui avait pas demandé de faire !

Il croyait que le talent qu’on lui avait remis lui avait été confié en dépôt par son maître et qu’il devait le lui restituer intact. C’est là que le bât le blesse car ce talent, comme ceux remis aux deux autres, lui avait été donné et il en avait pleine jouissance, mais il ne l’avait pas compris. Devant la tournure que prennent les événements à la fin, il craque, c’est alors qu’il ose sortir de sa réserve naturelle pour dire sa peur à la face de son maître et lui exprimer les quatre vérités qu’il conserve enfouies au plus profond de lui-même. Sont-elles justifiées ? C’est ce que nous verrons.

Pour le moment, nous partageons son indignation et nous aimerions lui prêter notre voix pour dire à Jésus qui rapporte cette histoire, qu’il se trompe, que Dieu n’est pas comme ce maître. Il n’est ni versatile, ni dur ni méchant, nous ne croyons pas qu’il moissonne où il n’a pas semé. Ce Dieu serait-il alors le produit de notre imagination, celui que l’on redoute sans le nommer, celui dont on craint les jugements, celui que l’on célèbre dans les « te deum » quand la victoire est de notre côté et devant lequel les peuples s’humilient en cas de défaite, ce Dieu qui dirige le monde en sous-main d’une manière arbitraire ?

Ce Dieu irréel n’existe pas puisqu’il est irréel. Si ce Dieu n’existe pas, croyez vous que ce serviteur ait raison de se plaindre de lui ? Non, car lui non plus, n’a pas plus d’existence que le Dieu dont on parle, il est inexistant lui aussi. Nous avions alors envisagé de prendre la défense d’un homme qui n’existe pas mais auquel notre logique avait donné vie. On verra plus loin, dans la logique de cette parabole que cet homme ne prend de réalité que pour mettre en cause notre propre imagination sur Dieu.

En fait ici Dieu est présenté sous deux aspects contradictoires. Nous revenons maintenant au début de la parabole. Dans le premier cas, si on identifie Dieu au maître de la parabole, il est bon et généreux, puisqu’il distribue avec largesse ses biens à ses serviteurs. Il connaît bien ses serviteurs puisqu’il donne à chacun selon ses capacités. Cette manière d’agir peut paraître injuste, mais nous savons que dans la nature les dons sont inégalement répartis entre les individus. L’un est fort, l’autre est faible. L’un aime le sport et l’autre n’aime pas l’effort physique et apprécie la musique. L’un est doué pour les chiffres, l’autre pour les lettres. Le maître, ou Dieu qui se cache dans le personnage, en tient compte sans aucun commentaire, c’est un état de fait qu’il ne remet pas en cause pour le moment

Chacun reçoit un don conséquent, même celui qui n’a reçu qu’un talent, car un seul talent lui permettrait de vivre plusieurs années sans rien faire. (1) Les deux premiers avec audace se lancent dans l’aventure, le troisième cache l’argent dans la terre. Il n’avait pas compris que cet argent lui avait été donné. Cette méprise nous montre qu’il ne connaît ni son maître ni Dieu. Le don du maître lui aurait permis de vivre comme un homme libre; en ne s’en servant pas, il a agi comme s’il ne vivait pas. Ainsi le lecteur avait cru que ce personnage existait vraiment alors qu’il n’existait pas ! A quoi bon se soucier de son sort ? S’il a enfoui dans la terre ce qui pouvait le faire vivre, c’est qu’il ne vivait pas. La terre n’est-elle pas le lieu où on dépose les morts ? Son trésor devenait alors pour le troisième serviteur porteur de mort. S’il n’avait pas compris que son maître lui donnait une nouvelle vie, comment aurait-il pu comprendre Dieu dont il était l’image ? Il a considéré que la vie qui lui était donnée était une trop lourde charge à porter. C’est à partir de ce moment qu’il est mort avant d’avoir commencé à exister.

S’il ne comprend pas le don de vie qui lui est fait, il ne comprend pas non plus son maître dont il fait un portrait qui ne correspond pas à la réalité. Il en va de même pour Dieu. Le maître vint alors, est-il dit. Non pas il revint, mais il vint, non pas pour réclamer son du, mais pour partager sa joie avec ceux qu’il a comblé de vie. Là aussi la traduction selon laquelle il leur fait rendre compte est mauvaise, le texte original ne dit pas cela, il dit : « il vint et ils parlèrent de comptes », et c’est effectivement ce qu’ils ont fait.

En fait les deux serviteurs ne rapportent pas l’argent donné, ils apportent simplement l’argent gagné, non pas pour le donner au maître, mais pour le lui montrer et se réjouir avec lui de leur bonne fortune. Voila le maître tel que Jésus nous le décrit et qui lui sert d’exemple pour parler de Dieu. Dieu vient vers les hommes et se réjouit avec eux de la vie qu’il transforme par sa présence. Certes cette vie transformée n’est pas parfaite, elle comporte des injustices, mais ce n’est pas ici que l’on pourra disserter sur les injustices de ce monde, ce n’est pas le sujet. La réalité de l’injustice n’est cependant pas escamotée, elle est même présentée avec réalisme.

En effet les deux hommes n’ont pas reçu des dons à part égale. L’un serait-il plus doué pour les affaires que l’autre ? Ce n’est pas dit. Le premier reçoit 5 talents et le deuxième 2. La différence est de 3. Mais en doublant la mise la différence double également et passe de 3 à 6. La question de l’injustice est donc vraiment posée, mais ce n’est pas tout. Le troisième serviteur rapporte son talent, ce n’était sans doute pas prévu mais ce talent qui aurait du lui rester, échoit au premier.

Chose curieuse, à ce moment précis du récit le maître change de casquette, Dieu devient différent et se fait complice de l’injustice. Il devient selon les dire du troisième personnage dur et injuste. Pire que cela il accepte sans broncher les reproches qui lui sont faits comme s’ils étaient des vérités et il envoie le serviteur malheureux dans les ténèbres de la mort où il était déjà depuis le début de l’histoire, et pour en rajouter une couche, il récupère le talent qu’il avait donné au troisième pour le remettre au plus riche.

Si, pour un temps, nous nous sommes appesantis sur le sort de ce troisième personnage, c’est que nous nous sentions, nous aussi victimes d’un destin qui nous accable où l’injustice est dominante et où on prend aux pauvres pour donner aux riches. Les plus chanceux supplantent les autres et les plus démunis sont la proie des nantis. Il est difficile d’être plus pertinent et plus réaliste. Mais, la parabole nous a rassurés car Dieu n’est en rien lié à ce monde là.

La Parabole n’a pas nié la réalité de notre monde, mais elle nous a invités à discerner le rôle que Dieu y joue. Elle nous a invité à le reconnaître dans le maître des deux premiers serviteurs. Même s’il n’enlève pas les injustices, il cherche cependant à rendre les hommes heureux. Il va à contre temps du monde apparent et partage avec les hommes les parcelles de bonheur qui peuvent leur incomber.

Si nous identifiions Dieu au maître du troisième serviteur qui pactise avec l’injustice, nous entrerions dans le domaine de la mort où l’espérance est vaine où la seule réalité est dans les ténèbres du dehors. Toute réalité de Dieu qui ne s’identifierait pas à la première image qui nous en est donnée n’a pas lieu d’être. Quant à l’homme qui a peur et qui n’y croit pas, comme le troisième personnage, il doit s’efforcer de se convertir à ce Dieu bon, qui accepte d’intervenir dans ce monde d’injustice pour donner aux humains le goût de la vie. Si la fin de parabole nous est donnée comme insupportable, c’est pour que nous la réfutions au nom même de Dieu.


1. Le talent valait 60 mines, c'est-à-dire 6000 deniers, environ 5 500 francs or ( note de la Bible à la Colombe)

mercredi 12 octobre 2011

Matthieu 25:1-13


La Parabole des dix vierges dimanche 6 novembre 2011

Matthieu 25:
1 Alors le royaume des cieux sera semblable à dix vierges qui prirent leurs lampes pour aller à la rencontre de l'époux. 2 Cinq d'entre elles étaient folles, et cinq sages. 3 Les folles en prenant leurs lampes, ne prirent pas d'huile avec elles ; 4 mais les sages prirent, avec leurs lampes, de l'huile dans des vases. 5 Comme l'époux tardait, toutes s'assoupirent et s'endormirent. 6 Au milieu de la nuit, il y eut un cri : Voici l'époux, sortez à sa rencontre ! 7 Alors toutes ces vierges se levèrent et préparèrent leurs lampes. 8 Les folles dirent aux sages : Donnez-nous de votre huile, car nos lampes s'éteignent. 9 Les sages répondirent : Non, il n'y en aurait pas assez pour nous et pour vous ; allez plutôt chez ceux qui en vendent et achetez-en pour vous. 10 Pendant qu'elles allaient en acheter, l'époux arriva ; celles qui étaient prêtes entrèrent avec lui au (festin) de noces, et la porte fut fermée. 11 Plus tard, les autres vierges arrivèrent aussi et dirent : Seigneur, Seigneur, ouvre-nous. 12 Mais il répondit : En vérité, je vous le dis, je ne vous connais pas.
13 Veillez donc, puisque vous ne savez ni le jour, ni l'heure.




Il était une fois un beau jeune homme qui épousa une belle jeune fille. Tel pourrait-être le début de l’histoire mise en scène ici par Jésus pour nous parler du Royaume des cieux. Imaginons qu’il s’agisse d’un mariage princier, admirons au passage les belles toilettes et la foule des invitées qui piétinent dans les allées du parc du château en attendant que s’ouvrent les portes. Mais ce sera tout, car contrairement aux contes de fée, l’histoire finit mal. On ne nous parle, ni de la fiancée, ni de son père, ni de sa mère et si on nous parle du marié c’est pour nous dire qu’il ne se comporte pas comme un prince charmant puisqu’il claque la porte au nez d’une partie des invités. Quel est donc ce malappris qui invite des gens pour mal les recevoir ? Horreur, il se pourrait bien que cet odieux personnage soit une figure du Messie, autant dire de Jésus. C’est une histoire où rien ne correspond à ce qui par ailleurs pourrait nous faire rêver.

On n’a dit qu’il s’agissait d’un mariage, mais il n’y a pas de parents. Si c’est Jésus qui tient le rôle principal, qu’en est-il de son père ? Puisque toutes ces choses nous laissent insatisfaits, les commentateurs ont cherché des réponses dans les allégories. Ils se sont penchés sur la nature de l’huile dont l’absence provoque la fin tragique de l’histoire. Cette huile n’est pas rare, puisqu’on peut se la procurer dans le premier magasin venu si bien que ceux qui pensent qu’il peut s’agir de la foi font fausse route car la foi ne peut se négocier en aucun cas.


Pour les contemporains de Jésus cette parabole pouvait résonner bien autrement que sur le ton de dénigrement que j’ai employé jusqu’à maintenant. Ils attendaient instamment la venue du Messie. Jésus lui-même a laissé entendre que ce pouvait être lui, mais il a déçu ceux qui espéraient restaurer la grandeur d’Israël parce qu’il prétendait apporter le salut à tous. En fait le Messie qui était attendu par des juifs pour le mieux être d’Israël n’avait aucune prétention universelle, et la parabole colle parfaitement avec un tel personnage.

Nous avons ici l’époux dans le rôle du Messie. Il se fait attendre. Il ne se sent concerné que par les juifs de pure souche, qui sont représentés par les vierges sages, celles qui ont de l’huile. Quant aux juifs qui ne le sont pas vraiment, les prosélytes et craignant Dieu, bien qu’ils aient acquis leur l’huile, ne peuvent entrer. Il s’agit des vierges folles. Si cette lecture est la bonne on est en droit de se demander ce que cette parabole fait dans l’Evangile.

Certains chrétiens cependant regrettent qu’une telle situation ne puisse se réaliser pour eux. Ils sont tentés de s’approprier cette parabole en tant que Chrétiens. Ils font de l’huile l’apanage des convertis et des pratiquants. Combien d’églises, de courants religieux, ou de sectes n’ont-ils pas rêvé de rassembler des communautés formées de l’élite de leurs membres composées de purs chrétiens, séparés des autres et promis aux meilleures places du royaume. Ils adoptent à leur profit les thèses des contemporains de Jésus qui attendaient un Messie qui les distingueraient de la masse de l’humanité.

Mais cette lecture de la parabole ne convient pas aux autres chrétiens, à ceux qui comprennent le ministère de Jésus d’une autre façon. Ils n’ont pas oublié sa prédication dans une autre parabole, qui encourage les serviteurs à aller chercher les invités à la noce dans les bas quartiers des cités. Ils savent aussi qu’il a dit que les prostitués et les malhonnêtes devanceront dans le Royaume les meilleurs d’entre eux. Comment concilier cette image de Jésus qui dans certains textes fait un tri sélectif entre les invités et qui ailleurs appelle tout le monde à le rejoindre ?

En fait si cette parabole nous pose de vrais problèmes de compréhension, elle n’est pas unique dans son genre. L’Évangile en contient d’autres qui vont dans le même sens. Vous connaissez certainement la parabole du jugement des nations qui fait suite à celle-ci dans le même Évangile où le divin juge sépare les brebis des boucs et envoie ceux qui ont manqué d’altruisme dans le feu éternel. Cette parabole des dix vierges n’est donc pas la seule où on ne reconnaît pas Jésus dans le mauvais rôle qu’il se donne. Mais il y a cependant une différence frappante avec cette parabole. Si dans les autres paraboles certains sont rejetés, c’est qu’ils l’ont bien mérité, en tout cas selon nos critères de morale, alors qu’on ne trouve pas de vraies raisons au rejet des pauvres jeunes filles en manque d’huile car elles n’ont fait de tort à personne.

En fait, nous nous accommodons bien de ces récits qui nous rapportent des histoires où les coupables sont victimes d’un jugement sévère. Nous les lisons à la lumière de notre logique humaine et nous trouvons toujours une explication pour justifier les jugements qui frappent ceux qui ont mal agi. Pourtant ces récits, nous donnent une autre image de Jésus que celle à laquelle nous sommes habitués, mais nous nous en accommodons parce que nous réagissons, comme si Jésus, malgré sa grande bonté avait les mêmes critères de justice que nous.

Tout en nous accommodant de ses jugements sévères sur ceux qui n’aiment pas leurs prochains comme eux-mêmes, nous n’hésitons pas à parler de grâce pour tous et de salut universel à condition que les futurs convertis formulent un repentir sincère et authentique. En fait nous avons du mal à imaginer un Évangile qui n’ait pas conservé une partie de la rigidité de la loi de Moïse dont nous suspendons les aspects contraignants, tels le repos du sabbat et les règles alimentaires, mais nous réclamons cependant avec vigueur des démarches de repentir en vue de l’acquisition du pardon. En fait nous considérons que Jésus a accepté de mourir pour édulcorer la Loi et instaurer une religion au rabais.

Heureusement qu’il y a cette histoire des 10 jeunes filles qui nous reste en travers de la gorge. Elle va nous permettre de comprendre les choses autrement. Si cette histoire est inacceptable pour nous, parce qu’elle semble condamner celles qui n’ont fait de tort à personne, elle ne s’accorde pas non plus avec ceux qui ont réfléchi au sens de la mort de Jésus. En effet, ce récit ne nous aide pas à comprendre comment, en mourant sur une croix à cause de ses idées, Jésus il a pu réconcilier l’humanité avec Dieu. Par contre, si nous lisons ce récit en faisant abstraction de la mort de Jésus nous nous cantonnons dans un judaïsme édulcoré comme on l’a dit.

Si nous considérons que Jésus a accepté la mort pour donner aux hommes une autre image de Dieu, que celle que nous a transmis la tradition, les choses prendront une autre allure. En mourant Jésus a anéanti l’image traditionnelle de Dieu. Il a détruit l’idée selon laquelle Dieu avait des comptes à régler avec l’humanité. Il a détruit tout ce qui nous choque en Dieu, à commencer par l’idée du Dieu qui condamne les hommes à vivre dans la crainte de l’avoir offensé si bien que ce n’est donc pas lui qui envoie les maladies pour punir les humains, ce n’est pas lui qui provoque les tremblements de terres et autres catastrophes pour affirmer sa puissance. Ce n’est pas lui non plus qui pousse les hommes à faire la guerre pour l’honneur de son nom, ce ne sera pas lui non plus qui claquera la porte au nez des jeunes filles en manque d’huile.

Jésus s’est laissé condamner à mort pour accréditer une autre réalité de Dieu selon laquelle Dieu accompagne les hommes et leur envoie son Esprit pour les dynamiser, pour leur donner de l’audace et leur permettre d’affronter les périls de la vie avec courage. Ils peuvent ainsi surmonter les épreuves qu’ils subissent sans savoir pourquoi elles arrivent. Il leur donne l’audace de la foi pour vivre dans l’espérance et regarder la mort avec sérénité.

La parabole des dix vierges devient alors inacceptable pour celui qui croit en ce Dieu que la mort et la Résurrection de Jésus lui donne de découvrir. Il y avait mal-donne dès le début. En fait personne n’avait demandé aux vierges de faire ce qu’elles ont fait. Ce sont les vierges entre elles qui avaient décidé qu’il fallait de l’huile en réserve pour entrer, et qu’elles ne pouvaient rien partager. Les vierges sages étaient tout aussi folles que les autres, car elles n’avaient rien compris. Les vierges folles, elles aussi avaient cru à un autre messie que celui qui est venu et elles ne l’ont ni reconnu , ni suivi.

Si cette histoire apparaît comme désespérante, elle n’a pourtant pas lieu de l’être, car le marié qui ferme la porte n’est pas le vrai messie. Il est la fausse image d’une réalité dépassée. La porte ne peut pas se refermer sur cinq jeunes filles et les laisser dehors, car personne ne leur avait interdit d’entrer au moment où les portes s’étaient ouvertes. C’est l’idée qu’elles en avaient qui les a jetées dehors. C’est leur fausse idée de Dieu et du Messie qui les a amenées à cette situation si bien que la conclusion désespérante appartient à une autre réalité qui n’est pas celle de l’Évangile.

Les images sont de He Qi
Les statues représentent les vierges folles et les vierges sages : cathédrale de Strasbourg

mardi 4 octobre 2011

Matthieu 23:1-12

Indignez-vous dimanche 30 octobre 2011



Matthieu 23 :1-12




Jésus met en garde contre les scribes et les pharisiens
1 Alors Jésus dit aux foules et à ses disciples : 2 Les scribes et les pharisiens se sont assis dans la chaire de Moïse. 3 Faites et observez donc tout ce qu'ils vous diront, mais n'agissez pas selon leurs œuvres, car ils disent et ne font pas. 4 Ils lient des charges lourdes, difficiles à porter, pour les mettre sur les épaules des gens, mais eux-mêmes ne veulent pas les remuer du doigt. 5 Toutes leurs œuvres, ils les font pour être vus des gens. Ainsi, ils élargissent leurs phylactères et ils agrandissent les houppes de leurs vêtements ; 6 ils se plaisent à avoir la première place dans les dîners et les premiers sièges dans les synagogues, 7 être salués sur les places publiques et être appelés Rabbi par les gens.
8 Mais vous, ne vous faites pas appeler Rabbi ; car un seul est votre maître, et vous, vous êtes tous frères. 9 Et n'appelez personne sur la terre « père », car un seul est votre père, le Père céleste. 10 Ne vous faites pas appeler docteurs, car un seul est votre docteur, le Christ. 11 Le plus grand parmi vous sera votre serviteur. 12 Qui s'élèvera sera abaissé, et qui s'abaissera sera élevé.


Indignez-vous, tel semble être le mot d’ordre que le philosophe Stéphane Hessel ait lancé à l’intention de la jeunesse en révolte sur tous les continents du monde en ce début de vingt et unième siècle. Il s’agit de s’indigner parce qu’on n’y trouve pas son compte et parce que l’on ne trouve pas sa place en ce monde en cours de mutation. Il s’agit de s’indigner parce que les vraies valeurs sont bafouées, que les jeunes diplômés ne trouvent pas d’emplois à la mesure de leurs études, et que les classes privilégiées continuent à l’être au détriment de celles qui ne le sont pas.


Ce mouvement des indignés a fait tâche d’huile et continue à se répandre sur toute la planète, il a provoqué des mouvements contestataires et s’en est  pris  pacifiquement aux gouvernements en place qui s’en sont émus. Ce mouvement a déclenché la sympathie des uns et inquièté les autres.

 Très vite il nous vient à l’idée de créer un amalgame entre le mouvement que Jésus a suscité il y a vingt siècle et celui dont je viens de parler. On imagine volontiers Jésus, descendant dans les rues, occupant pacifiquement l’espace publique et dénonçant comme il avait l’habitude de le faire l’attitude insupportable des privilégiées de son temps. N’était-ce pas d’ailleurs ce qu’il était en train de faire quand il s’en prenait aux pharisiens qui se prévalaient de leurs privilèges pour donner des leçons aux autres.

Jésus s’indignait au nom de préceptes divins dont les directives étaient malmenées par ceux là même qui étaient chargés de les enseigner et de les faire respecter. Il proclamait haut et fort que la justice était dans son camp et s’attirait de nombreuses sympathies.

Mais avant de vous indigner à votre tour à la suite de mon propos à cause des libertés que je m’autorise à prendre en ce début de sermon, prenez quelques instants pour savourer les propos de Jésus. Vous constaterez sans doute, avec le décalage nécessaire du temps qu’ils collent à l’actualité. Il s’en prend aux pharisiens et aux scribes qui sont les intellectuels de cette époque qui ont accaparés des privilèges et qui se justifient du droit, en cours à l’époque, pour les conserver. Ils ne se rendent pas compte que c’est le droit qu’ils utilisent pour se légitimer qui les condamne.

Certes le droit est de leur côté en dépit des sarcasmes de Jésus. Ils payent l’impôt ecclésiastique sans rechigner. Ils sont moralement vertueux. Ils respectent tous les préceptes religieux. Tout en s’opposant au pouvoir de l’occupant romain, ils ne font cependant pas de troubles dans les rues, si bien qu’un semblant de paix a cours dans leurs cités. Citoyens soumis et contestataires à la fois, ils vivent assez mal le procès d’intention que leur fait Jésus.

S’ils sont hypocrites, ils le sont honorablement. Ils acceptent de se mettre en cause si on le leur fait remarquer courtoisement selon les règles qui ont cours dans les débats rabbiniques de leur temps. Mais ils n’acceptent pas les provocations telles que Jésus les pratiquait en les interpelant dans les lieux publiques. Si tout bon lecteur de l’Évangile prend ici partie pour Jésus, il doit se méfier de ne pas mettre en cause tous les indignés de notre temps et tout ceux qui se réclament de leur bon droit en se drapant dans le respect des droits de l’homme.

En effet, nous nous indignons volontiers contre ceux qui abusent de la situation qui les favorisent. Nous souhaiterions que les privilégiés le soient moins et surtout que d’autres soient reconnus à leur tour, quand ils ne le sont pas, dans les privilèges qu’ils ont acquis. Nous voudrions que les diplômes ouvrent la voie à des professions qui leurs correspondent. Nous voudrions que l’on reconnaisse aux indignés les privilèges auxquels ils n’ont pas encore accès mais auxquels ils aspirent justement croient-ils.

Privilégiés avons-nous dit, serviteurs répond Jésus. L’’image du service est au cœur même de son Évangile et prend la place centrale de son propos que nous recevons aujourd’hui, « car le plus grand parmi-vous sera votre serviteur ».

Qu’on ne se méprenne cependant pas, Jésus parle bien de service et non d’esclavage. Ce n’est pas le même mot et Jésus ne pratique pas la confusion des genres. Il utilise bien le mot de serviteur et il fait référence à une fonction de service pour porter son indignation. En dépit de ce que les grammairiens ou les linguistes pourront dire, il y a une distinction qu’il faut faire entre serviteur et esclave. Nous n’envisagerons pas ici le problème des esclaves, nés comme tels, ni des mauvais maîtres qui les maltraitent, c’est un autre sujet contre lequel Jésus nous laissera le soin de nous indigner plus tard. Nous mettrons 17 siècles à le faire.

Nous nous écarterons aussi de la notion moderne du service, selon laquelle nous ne devrions être en tant qu’hommes et femmes libres les serviteurs de personne, alors que nous sommes tous au service de quelqu’un ou de quelque chose.

Nous resterons un peu sur une notion archaïque du service. Le serviteur a passé un contrat avec celui qui l’emploie. Les clauses de ce contrat peuvent se résumer en une seule. Le serviteur est embauché pour que le patron trouve dans son service un mieux être. Plus le patron trouve de satisfaction dans le service donné, mieux il se porte. Si Jésus envisage pour nous la fonction de serviteur, c’est pour que celui au service duquel nous sommes attachés se porte mieux.

Il s’agit maintenant de savoir de qui on est appelé à être le serviteur. De Dieu, allons-nous dire ! Jésus dit bien que ce n’est pas le cas. C’est ce que croyaient les pharisiens, il leur donne tort. Il s’agit ici d’être le serviteur des autres. C’est à n’y rien comprendre. Si Jésus participe à notre indignation face aux injustices qui nous sont faites, pourquoi nous ramène-t-il dans une nouvelle situation de dépendance et de service ? Sommes-nous installés par lui dans la fonction de serviteurs de la cause pour laquelle nous contestons ?

Mais quelle cause défendons-nous donc ? Défendons-nous la cause de ceux qui n’ont pas de privilèges mais que nous cherchons à acquérir pour eux. Dans ce cas nous acceptons que le fait d’être privilégiés est un principe incontournable puisque nous nous efforçons d’y faire entrer ceux qui n’y sont pas encore

Vu sous cet angle là l’Évangile ne nous paraît-il pas un peu réducteur? J’ai fortement l’impression que Jésus ne nous suivrait pas dans cette voie. En fait Jésus ne précise pas au service de quelle cause nous sommes appelés, car nous sommes les serviteurs des autres, c'est-à-dire de l’humanité. En effet, nous est-il venu un jour à l’idée que si Dieu a été reconnu comme le créateur de l’humanité, c’est pour le bonheur des hommes et pour leur bien être. Si nous reconnaissons que Dieu donne du sens à l’humanité, ce n’est pas pour établir des catégories parmi les êtres humains, ni pour créer des castes de privilégiés en fonction de leurs diplômes ou de leurs lieux d’origine, mais pour établir un mouvement général selon lequel tous les hommes ont droit au bonheur. C’est pour accomplir ce projet que nous sommes embauchés par Dieu comme serviteurs.

Sans doute le bonheur se définit-il différemment suivant les lieux où l’on habite ou selon la culture à laquelle nous appartenons, mais tous les humains ont droit au bonheur et à la satisfaction de vivre. Si ce n’était pas le cas, Dieu n’aurait plus sa place parmi nous en tant que créateur.

Nous sommes donc mis par Dieu au service du mieux être de l’humanité, et si cela passe par la défense des privilèges de certains non reconnus pour le moment, ce ne peut être que provisoire, car tout ne peut être fait en un seul mouvement, mais il faut donner du temps au temps pour que le vaste monde se mette à l’unisson de Dieu qui réclame nos services pour que l’harmonie du monde s’approche le plus possible de sa perfection.