mercredi 27 décembre 2017

Luc 2/22-40 Siméon qui es-tu? Dimanche 31 décembre 2017



Luc:
22 Et, quand les jours de leur purification furent accomplis selon la loi de Moïse, ils l’amenèrent à Jérusalem pour le présenter au Seigneur — 23 suivant ce qui est écrit dans la loi du Seigneur : Tout mâle né le premier de sa mère sera consacré au Seigneur — 24 et pour offrir en sacrifice une paire de tourterelles ou deux jeunes colombes, selon ce qui est dit dans la loi du Seigneur.
25 Or il y avait à Jérusalem un homme du nom de Syméon. Cet homme était juste et pieux ; il attendait la consolation d’Israël, et l’Esprit saint était sur lui. 26 Il avait été divinement averti, par l’Esprit saint, qu’il ne verrait pas la mort avant d’avoir vu le Christ du Seigneur. 27 Il vint au temple, poussé par l’Esprit. Et, comme les parents apportaient l’enfant Jésus pour accomplir à son égard ce qui était en usage d’après la loi, 28 il le prit dans ses bras, bénit Dieu et dit :
29 Maintenant, Maître, tu laisses ton esclave
s’en aller en paix selon ta parole.
30 Car mes yeux ont vu ton salut,
31 celui que tu as préparé devant tous les peuples,
32 lumière pour la révélation aux nations
et gloire de ton peuple, Israël.
33 Son père et sa mère s’étonnaient de ce qu’on disait de lui. 34 Syméon les bénit et dit à Marie, sa mère : Celui-ci est là pour la chute et le relèvement de beaucoup en Israël, et comme un signe qui provoquera la contradiction 35— et, toi-même, une épée te transpercera — de sorte que soient révélés les raisonnements de beaucoup.

36 Il y avait aussi une prophétesse, Anne, fille de Phanuel, de la tribu d’Aser. Elle était très avancée en âge. Après avoir vécu sept ans avec son mari depuis sa virginité, 37 elle était restée veuve ; âgée de quatre-vingt-quatre ans, elle ne s’éloignait pas du temple et prenait part au culte, nuit et jour, par des jeûnes et des prières. 38 Elle aussi survint à ce moment même ; elle louait Dieu et parlait de l’enfant à tous ceux qui attendaient la rédemption de Jérusalem.
39 Lorsqu’ils eurent accompli tout ce que prescrivait la loi du Seigneur, ils retournèrent en Galilée, à Nazareth, leur ville.
40  Or l’enfant grandissait et devenait fort ; il était rempli de sagesse, et la grâce de Dieu était sur lui.


Le temps des prophètes était achevé depuis longtemps au temps des événements relatés,  mais rien n’est jamais terminé quand il s’agit  de la révélation de Dieu. Venus du fin fond des âges  deux vieillards, d’une fidélité irréprochable,  prophètes inconnus jusqu’alors, s’avancent sur la cène de l’histoire pour saluer un temps nouveau.  A peine entrevus, ils retourneront dans l’oubli mais les paroles de Siméon’’ seront retenues  ici, comme un préambule à l’Évangile dont la première page n’est pas encore écrite.
 L’essentiel du message de Jésus est donné d’emblée ici par ce vieillard qui parle en prophète : « Cet enfant est là pour la chute et le relèvement de beaucoup en Israël et comme un signe qui provoquera la contradiction ». En une formule lapidaire il résume tout l’Évangile qui n’a pas encore été prononcé. Désormais, aucun homme ne pourra tomber sans que son redressement ne soit une priorité pour Dieu. Notre vie s’ouvre donc sur la promesse que Dieu mettra tout en œuvre pour nous sortir d’affaire en cas de chute. Mais les hommes répondront-ils à sa mobilisation?
On oublie bien souvent cet épisode qui passe presque inaperçu dans la Bible. Mais c’est parce que l’événement est discret qu’il faut insister dessus. En général c’est par des interventions qui ne sont visibles que par ceux qui en sont dépositaires que Dieu révèle aux hommes le sens qu’il veut donner au cours de l’histoire. C’est aux hommes ensuite à le mettre en œuvre. Siméon attendait, comme tous les juifs que Dieu intervienne dans l’histoire de son peuple. Il lui suffit d’une seule phrase pour que tout l’avenir s’éclaire d’un sens nouveau : « Il est là pour la chute et le redressement de beaucoup« . Cette phrase prononcée, Siméon peut quitter le monde des vivants.
Quand nous nous interrogeons sur le sens de notre vie et que nous nous demandons à quoi nous servons réellement, il nous suffit de nous souvenir que le destin de Siméon n’était certainement pas écrit à l’avance d’une manière claire et précise, mais il lui a suffit, au soir de sa vie, de dire une seule phrase pour que son existence prenne du sens. Nous avons tous un rôle à jouer dans ce monde, ne serait-ce que celui de prononcer une seule parole, encore faudra-t-il la prononcer au bon moment.
Siméon semble avoir dit les choses au bon moment : « Il est pour la chute et le redressement de beaucoup! » Ainsi Dieu promet-t-il d’agir de telle sorte que ceux qui sont tombés puissent se redresser, et entrevoir une planche de salut ! C’est tout un programme. La mise en œuvre de cette promesse provoquera une telle contestation dans le monde, que Marie, qui ici, comme souvent dans l’Évangile, représente peut-être  l’Église en sera déchirée jusqu’au plus profond d’elle-même. Les hommes préféreront se diviser  entre eux au risque de défigurer l’Église plutôt que de se mettre au service de l’Évangile, c’est à dire au redressement des plus faibles.
Les mots que Siméon vient de prononcer et qui constituent le tout premier élément de la vocation de Jésus ne sont pas nouveaux. La tradition biblique avait enseigné depuis toujours que Dieu se rangeait du côté de ceux qui sont tombés et qu’il prend toujours le parti des faibles contre les forts. C’est par ce constat qu’a commencé l’histoire d’Israël: celle d’un petit peuple d’esclaves libérés par Moïse. Mais pour qu’une telle  promesse se réalise, il faudra toujours qu’il y ait quelqu’un pour accomplir le travail de  libération.
Siméon et bien d’autres prophètes avant lui savaient que la volonté de Dieu était que chacun se  mette au service des plus humbles, mais que cette volonté resterait sans suite si personne ne mettait la main à la pâte. Les hommes  ont toujours eu du mal à considérer que tout devait commencer par là. Pour la première fois dans l’histoire du monde, un vieillard pressent que l’enfant qu’on lui présente porte en lui la capacité de renverser le cours de l’histoire en faveur des déshérités, car c’est par là que commence la nouveauté.
 Il sait cependant que tout cela ne se fera pas sans mal, c’est pourquoi, il parle de contradiction. Les désirs de Dieu correspondent rarement aux souhaits des hommes.  Le rôle de Jésus a été de les mettre en accord au péril de sa vie. Siméon comprend avant les autres que ce sera difficile, que les hommes se déchireront entre eux à cause de la dimension sociale et humanitaire que va prendre l’action visible de Dieu dans le monde des humains. L’amour de Dieu relayé par l’action des hommes se manifestera en premier lieu par le souci des humbles. C’est la vocation que Dieu donne à celui qui pour le moment n’est qu’un bébé et que les nations salueront plus tard sous le titre de Fils de Dieu.
C’est sur lui que se porteront les premiers coups, parce qu’on l’a accusé de mépriser le bien fondé des gens  au pouvoir et   de discréditer  le culte et la tradition, au profit de l’amour du prochain. N’est-ce pas encore aujourd’hui un sujet de discorde entre ceux qui donnent priorité aux œuvres et ceux qui croient que priorité doit être donnée au culte, alors que les deux doivent se confondre en une même action. Quand Jésus lui-même sera tombé, c’est Dieu qui le redressera, car l’action de Dieu s’imposera désormais comme un défit à la mort. Mais cela ne s’imposera pas sans mal.
 Si Siméon continue sa prophétie en disant à Marie qu’elle sera  divisée jusqu’au plus profond de son âme,  c’est parce que les hommes eux-mêmes préféreront se diviser entre eux, diviser leur héritage spirituel, diviser le corps de l’Eglise plutôt que  de répondre à cette vocation de charité qui doit  régénérer le monde en faisant de tous les hommes nos prochains, même ceux qui ne pensent pas comme nous.
Ceux qui ont vocation d’être redressés, qui sont-ils? Vous les connaissez  mieux que moi, car ils sont nos prochains. Ce  sont ceux qui près de chez-nous ont besoin de nous. Mais pour se mettre à leur service, encore faut-il que nous ayons expérimenté en nous-mêmes cette transformation que Jésus peut entreprendre. Il s’agit de nos propres expériences quand nous aussi avons éprouvé le besoin  d’être secourus dans nos difficultés. Je pense à ceux qui se sentent en désaccord avec eux-mêmes et à ceux qui  sont tiraillés entre les exigences du moment et celles de leur foi.  Je pense à ceux qui ne savent pas trouver le sens de leur vie et qui ne sont pas satisfaits du cours que prennent les choses dans leur existence. Je pense aussi  à ceux qui se fourvoient   parce qu’ils font semblant de croire qu’une vie réussie est une vie couronnée d’honneurs et de privilèges, et qui considèrent que la réussite sociale est un cadeau du ciel si non de Dieu! A tous,  Jésus promet de les aider à jeter un autre regard sur leur vie qui les transformera et les rendra aptes au service des autres.
C’est pour tous ceux-là aussi que Jésus, reçoit vocation d’intervenir dans la vie. Il est capable de mettre du baume sur les parties douloureuses et il ouvre devant les pas de chacun une perspective d’espérance. En ce temps de Noël, prenez donc le temps de laisser Jésus naître dans vos âmes, ouvrez-lui votre cœur pour qu’il s’en empare. Cela prend du temps, cela demande parfois du renoncement. Cela demande que l’on se remette à prier, même si on ne sait plus le  faire. Mais c’est à ce prix là que l’Évangile manifeste sa capacité de changer le monde.
C’est alors que le mystère de la prière prendra  toute sa signification et son efficacité. Elle permet de s’ouvrir au Seigneur pour qu’il prenne en charge nos chutes. C’est alors, que sans que nous nous en rendions compte il commence à transformer notre vie et à nous ressusciter. Ainsi s’ouvre devant nous le programme d’une vie nouvelle habitée par Jésus et joyeusement ouverte aux autres et à Dieu.

mardi 19 décembre 2017

Jean 1/1-18 Verset 18 Personne n'a jamais vu Dieu,...Lundi 25 décembre 2017



La prière : Une approche du prologue de Jean  1/1-18 verset 18 « Personne n’a jamais vu Dieu, le fils unique, qui est dans le sein du Père,   lui, l’a fait connaître. »

Le prologue de Jean révèle en nous la présence de Dieu  au sein de l’humanité depuis les origines.  Mais dans ce mystère comment Dieu se fait-il présent en nous ?  Une réponse à cette question serait que Dieu se fait présent en nous par la prière. C’est donc à la prière que nous allons réfléchir en ce jour de Noël.



L’homme qui pense, qui réfléchit et qui médite sur lui-même est aussi un être qui prie, même s’il ne sait pas vraiment ce que  ce cela signifie. En effet,  la notion de prière relève  de comportements  qui sont très différents  chez les uns et  chez  les autres.   La plupart des humains ne prient pas tous de la même façon, même s’ils utilisent le même mot pour parler de leurs relations avec ce qu’il y a au-delà d’eux-mêmes,  car la plus part  ont conscience qu’il y a  une réalité qui les dépasse,  même si certains s’efforcent de le nier.  

La prière  semble être une évasion hors  de nous-mêmes vers autre chose que nous-mêmes.  Faute de mieux, nous l’appelons Dieu. C’est en lui que nous puisons notre courage pour aller de l’avant et pour nous remplir de ce dynamisme qui donne du sens à notre existence. Mais à peine avons-nous dit cela que notre horizon s’obscurcit, loin de se préciser, notre vison de Dieu devient flou car nous réalisons, que nous ne savons pas vraiment qui est Dieu. Avant  d’entrer plus à fond dans notre propos, nous sommes déjà déstabilisés par ce qui devrait nous conforter.  Alors que nous devrions être remplis de sérénité, ce questionnement de notre esprit fait place à une forme de culpabilité car nous réalisons que nous ne savons pas donner un visage à ce Dieu en qui nous espérons. Ce tout autre à qui nous nous adressons, ce Père en qui Jésus se confiait est-il en nous un observateur de notre vie intérieure ou  en est-il un acteur. Habite-t-il aussi  tout ce qui vit et respire sur terre et même au-delà,  ou est-il encore autre chose ?

Se pose alors la vraie question sur Dieu. S’il est  celui qui est au de-là de nous et qui se confond avec tout l’univers,  est-il possible qu’il ait une relation personnelle et privilégiée avec chacun de nous quand nous nous adressons à lui dans la prière? C’est en fait ce que nous espérons quand nous le prions.  Cette relation qui pourrait alors s’établir entre lui et nous nous mettrait à part,  de nos semblables et d’une manière privilégiée. Nous deviendrions  à ses yeux quelqu’un qui a une place unique et qui nous distinguerait  parmi nos semblables. Si c’était le cas, il  s’opérerait dans notre relation à Dieu, une action sélective entre  les humains, et certains dont naturellement nous ferions partie,  se croiraient  mis à part par Dieu par rapport aux autres. Nous rejoindrions alors le groupe  de ceux  qui se croient prédestinés,  selon la théologie calviniste, au détriment des autres. Hors du contexte des origines de la Réforme, c’est une position que l’on a actuellement du mal à accepter ! Nous voilà donc face à un Dieu partial à qui nous redouterions de déplaire pour ne pas être écartés de sa grâce ! A moins qu’il soit tout autre ?

Mais si Dieu n’était pas cela, il serait alors celui qui regarde le monde avec équité et dont l’action ne  ferait pas de catégories entre les humains. Personne ne pourrait être alors au bénéfice d’une intervention  divine particulière.  Dans  ce cas là, on pourrait se demander pourquoi  nous  lui adresserions nos prières  si non pour éprouver de l’amour et de la commisération à son contact ?  Il faudrait alors que nous considérerions,  qu’il est cet être de bonté et de générosité au contact duquel, chacun en s’approchant se trouverait  transformé. Notre prière consisterait donc  à observer attentivement notre propre vie pour la placer sous l’inspiration de cette force novatrice qui émanerait de Dieu et qui nous rendrait meilleurs. Notre prière serait alors un dialogue avec nous-mêmes  qui  nous  mettrait  au bénéfice de cet esprit de bonté qui souffle sur le monde.

Pour l’instant, notre réflexion a provoqué en nous un questionnement sur  Dieu et sur nous-mêmes sans vraiment avoir apporté de réponse  à notre question qui consistait à chercher à  savoir qui est Dieu et pourquoi nous cherchons à communiquer avec lui. Formulée comme nous l’avons fait jusqu’à maintenant notre prière semble avoir été avant tout un dialogue avec nous-mêmes. Il nous faut  donc aller plus loin dans notre réflexion, car,  nous  avons l’intuition de croire qu’en nous et au-delà de nous, il y a « un tout autre » avec lequel nous voudrions  dialoguer. Nous devons nous demander maintenant  si Dieu, dans sa plénitude  ne serait  pas qu’ une réalité dont la plus grande partie nous échapperait  mais  dont nous  pourrions  cependant saisir la partie qui réside à l’intérieur de nous-mêmes et dont tout le reste nous serait inaccessible.

La prière serait alors comme une forme de méditation intérieure avec cette partie du divin qui cohabiterait en nous et  qui tendrait à réaliser une harmonie entre toutes les pulsions conscientes ou non  qui nous agitent, et qui feraient de nous des êtres meilleurs.

En fait  quand  nous disons que Dieu est insaisissable, c’est que nous le cherchons  ailleurs que là où il est. C’est dans la mesure où nous considérons  que nous pouvons le rencontrer seulement en nous-mêmes qu’il  nous est accessible, et que sa présence  peut équilibrer  notre être et notre personne.  Mais si nous le cherchons  ailleurs  qu’en nous  et que nous espérons son intervention  miraculeuse  à partir d’un univers  qui est à l’extérieur  de nous, c’est  alors que Dieu  devient  totalement inaccessible. C’est pourquoi le texte de Jean nous  invite à comprendre  les récits de Noël à partir d’une expérience intérieure que Dieu nous invite à faire.



Nous approchons alors de cette réalité ineffable que Jésus  appelait du nom de Père.  Quand nos entrons dans cet état d’esprit qui nous est suggéré ici, nous réalisons que c’est lui aussi qui nous accompagne et que sa présence nous remplit de bien être. Nous voyons alors avec bonheur se dérouler le cours des choses auxquelles Dieu participe pleinement en nous. Nous sentons alors  son influence sur nos comportements et  nous comprenons tout ce qui se passe comme  un miracle constant que produit sa présence.

vendredi 15 décembre 2017

Luc 1/26-8 Bien Heureuse Marie - dimanche 24 décembre 2017




Bien heureuse Marie

Evangile de Luc 1/26-38

Au sixième mois, l'ange Gabriel fut envoyé par Dieu dans une ville de Galilée du nom de Nazareth, chez une vierge fiancée à un homme du nom de joseph, de la maison de David; le nom de la vierge était Marie. Il entra chez elle et dit : je te salue toi à qui une grâce a été faite; le Seigneur est avec toi. Troublée par cette parole, elle se demandait ce que signifiait une telle salutation. L'ange lui dit : sois sans crainte, Marie, car tu as trouvé grâce auprès de Dieu. Voici, tu deviendras enceinte, tu enfanteras un fils, et tu l'appelleras du nom de Jésus. Il sera grand et sera appelé fils du très Haut, et le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David son père. Il régnera sur la maison de Jacob éternellement et son règne n'aura pas de fin. Marie dit à l'ange : Comment cela se produira-t-il, puisque je ne connais pas d'homme? L'ange lui répondit : Le saint Esprit viendra sur toi et la puissance du Très Haut te couvrira de son ombre. C'est pourquoi le saint enfant qui naîtra sera appelé Fils de Dieu. Voici qu’Élisabeth ta parente a conçu, elle aussi un fils en sa vieillesse, et celle qui était appelée stérile est dans son sixième mois. Car rien n'est impossible à Dieu. Marie dit : Voici la servante du Seigneur; qu'il me soit fait selon ta parole. Et l'ange s'éloigna d'elle.


Bien heureuse Marie! Nous la disons bien heureuse parce qu'elle a été choisie pour être la mère du Messie. Ce texte nous parle au plus profond de notre être et fait vibrer ce qu'il y a de meilleur en nous. Il nous parle de cette jeune fille d'Israël dont la foi simple et naïve a été citée en exemple par tant de générations de fidèles que j'ai peur, en intervenant dans cette hagiographie d'égratigner des souvenirs qui vous sont chers. La tradition a brossé d'elle un tel portrait que l’Écriture ne la reconnaît pas. On a tellement forcé le personnage qu'on a fini par faire d'elle la concurrente de son propre fils, l'initiatrice du saint Esprit, la mère de Dieu et la reine des cieux! Marie, que de folies en ton nom! Les hommes t'ont trahie en voulant faire de toi celle que tu n'es pas.

Marie, face a son destin a vécu une existence bien différente que celle que nous lui prêtons. Elle a sans doute eu une histoire tout à fait semblable à celle de la plupart des filles du peuple d’Israël. C'est à cause de ce destin, tellement proche de celui des petites gens que nous sommes et tellement merveilleux à la fois, qu'elle peut être pour nous un puissant relais sur le chemin de la foi. C'est pourtant, à partir de ce récit que nous relisons encore une fois que les hommes vont faire déraper l' l'histoire. Ils vont s'extasier devant le merveilleux, ils ne vont plus voir que l'ange et oublier tout le reste. Mais en fait d'une bonne nouvelle, c'est plutôt une mauvaise nouvelle pour elle, c’est un avenir de fille mère qui lui est réservé. Pour que ça ne se passe pas trop mal, il faudra encore une fois que l'ange ou que le destin s’en mêlent pour forcer la main à Joseph qui finira par endosser une paternité qui n'est peut être pas la sienne. Il nous appartient à nous seuls de voir dans cet incident les effets d'un miracle ou tout simplement le processus humain de la procréation. Mais le texte raconte une histoire merveilleuse pour faire grandir la présence de Dieu en nous, et théologiens et historiens s'ingénient à banaliser l'histoire en  nous invitant à  découvrir ce qu'il y a derrière les textes car, si tout est merveilleux, rien n'est historique. Je continue donc à  gommer le merveilleux  au risque de tout édulcorer.

L'enfant qu'elle porte en son sein ne sera pas facile à élever. En forçant volontairement le trait nous retrouvons en lui des comportements qui le rapprocheraient des jeunes de notre temps. Si je me contente de suivre le déroulement de sa vie dans l’Évangile de Luc qui fait suite au texte de la nativité, nous allons découvrir un enfant fugueur à douze ans dont le comportement consterne ses parents qui n'y comprennent rien. Il quitte la caravane qui le ramène au village sans prévenir pour se réfugier  dans le Temple. A l'âge adulte il déserte l'échoppe paternelle et laisse sa mère et ses frères sans ressource. N'est-ce pas pour cela que sa mère et ses frères essayeront de le rencontrer  alors qu'en tant que fils ainé il a des droits sur l'atelier et ne semble pas s'en soucier, mais il refusera de les recevoir. Il contestera même que Marie puisse être réellement sa mère! "Qui est ma mère qui sont mes frères si non ceux qui font la volonté de mon Père?" leur fait-il répondre.


En faisant cela, il savait ce qu'il faisait, mais elle, sa mère ne le savait pas et elle en souffrit certainement. "Une épée te traversera l'âme" lui avait prophétisé le vieux Siméon (Luc 2:35). On la retrouvera au pied de la croix, mais nulle part, dans cet évangile ni dans un autre, on nous fait part ni de ses états d'âme ni de sa vie intérieure. Le chemin de Marie fut sans histoire, exemplaire dans sa simplicité, tellement exemplaire que nul n'en a parlé.

C'est à cause de ce qu'on n'a pas dit que Marie est un personnage intéressant. Bien que mère du Messie, bien que choisie par Dieu pour faire vivre son fils dans la société des hommes, son humble parcours n'a provoqué aucun émoi particulier. Et pourtant, sa tâche, faite d'une humble fidélité a été, oh combien nécessaire, et indispensable! Le même constat peut être fait pour Joseph. Sa fidélité exemplaire n'a pas nécessité qu'on la raconte.

Exemplaire avons-nous dit? Si cela ne l'avait pas été on en aurait parlé! Si Marie et Joseph avaient été de mauvais parents, s'ils avaient mal aimé leur fils, on en aurait parlé. S'ils l'avaient battu ou privé de nourriture, on en aurait parlé, s'ils l'avaient abandonné à son triste sort lors de sa fugue à Jérusalem, ça se saurait. Ils ont fait ce qu'ils devaient
faire, et Jésus est devenu un homme en qui on a reconnu le Messie. A quoi bon s'émerveiller de ce que ses parents aient fait ce qu'ils devaient faire?

C'est alors que je me tourne vers vous et vous dis les mêmes choses. Je vous dis qu'en faisant normalement ce que vous faites vous êtes comparables à Marie. En essayant d'être fidèlement membres de l’Église comme vous le faites, vous édifiez le corps spirituel du Christ, puisque l’Église, c'est son corps. Vous agissez ainsi à la suite de Marie qui en nourrissant son fils contribuait à faire grandir son corps de chair. Pour nous, l'ange a le même message que pour Marie. Il nous dit, à nous aussi qu'une grâce nous a été faite, il nous dit que le Seigneur Dieu est avec nous et qu'il a besoin de nous pour édifier L’Église, le corps spirituel du Christ, le fils de Marie. C'est dans cette société des hommes où nous sommes que Dieu a voulu s'incarner, il a voulu être partie prenante de ce que nous vivons chaque jour. Devant Dieu, ce n'est pas ce qui se voit qui a de l'importance, c'est ce qui arrive.

Ce qui arrive est fait de mille choses insignifiantes qui mises bout à bout font l'événement et écrivent l'histoire. Ce ne sont pas les puissants, ceux dont le nom fait la une des journaux qui font avancer le monde, en dépit des apparences, c'est la multitude des hommes et des femmes au milieu desquels Dieu habite qui dessinent l'avenir. Bien qu'ils tiennent en apparence le premier plan, ce ne sont ni Hérode, ni César Auguste qui ont marqué leur siècle, ce sont les peuples qui ont vécu, qui ont bougé, qui se sont révoltés, ce sont les esclaves qui ont construit les monuments qui subsistent encore et c'est au sein de ce peuple que Dieu a pris forme humaine en Jésus Christ.

Au risque de vous troubler, je dirais que ce ne sont pas les dirigeants du monde, ni les autorités politiques qui jouent le premier rôle, dans le conflit que nous connaissons ce sont les peuples qui descendent dans la rue, ce sont les indigents de tout bord, ce sont les hommes qui souffrent, qui n'arrivent pas à se révolter et qui agonisent sous la botte. C'est au sein des peuples que Dieu prend visage humain. Aujourd'hui, comme demain Dieu accompagne chacune et chacun de ceux qui modestement, sans se faire remarquer participent à la grande aventure humaine commencée il y a 2 000 ans.

Cette aventure consiste à savoir que Dieu se tient parmi les hommes pour construire un monde nouveau, fait d'amour, de fraternité et d'espérance. Quant à Dieu, il ne se contente pas d'être l'observateur céleste de nos bonnes œuvres. Il n'est pas au ciel où les hommes sont absents, il est au cœur de la mêlée de leur histoire. Il ne se tient pas plus du côté de ceux qui ont le pouvoir que de ceux qui le subissent. Il est au milieu des hommes d'où il bouleverse les enjeux de l'histoire en inspirant aux uns et aux autres des projets novateurs. Nous avons beau imaginer que les choses sont autrement, l’Évangile nous ramène toujours à redécouvrir cette proximité de Dieu qui se soucie plus du sort des opprimés que de sa gloire céleste.


Nous  avons toujours du mal à admettre qu'il prend en charge l'intérêt de tous les hommes et en particulier de ceux que l'on a l'habitude de considérer comme les petits, les obscures, les sans grade. Pour lui, ce qui a de l'importance n'est pas forcément visible, car c'est caché au cœur de la vie du monde. Si les hommes ont fait de Marie, car il faut bien revenir à elle, ce que la tradition nous a rapporté, c'est que là encore les hommes ont refusé les contraintes de l'incarnation. Ils ont fait de la mère de Jésus la reine du ciel qui rassure par ses apparitions régulières. Les hommes la placent dans les lieux célestes aux côté de Dieu, mais Dieu n'y est pas! Le ciel où Dieu réside est au cœur de l'humanité. Tant que nous refuserons cette présence de Dieu au milieu de nous, nous continuerons à mettre Marie dans le ciel et à croire que Dieu intervient par des prodiges pour rassurer le monde. Il n'en est rien. C'est au cœur des hommes où il a fait sa résidence que Dieu sollicite leur collaboration pour construire un monde nouveau et fraternel qu'il se plaît à appeler son Royaume.


Illustrations Henry Ossawa Tanner 1898 Philadelphie