mercredi 23 novembre 2011

Luc 1: 46-56


Le cantique de Marie Luc 1 :46-56
dimanche 11 décembre 2011

46 Marie dit alors :
« De tout mon être je veux dire la grandeur du Seigneur, 47 Mon cœur est plein de joie à cause de Dieu, mon Sauveur ;
48 Car il a bien voulu abaisser son regard sur moi, son humble servante.
Oui, dès maintenant et en tous les temps, les humains me diront bienheureuse,
49 Car Dieu le Tout-Puissant a fait pour moi des choses magnifiques.
Il est le Dieu saint,
50 Il est plein de bonté en tout temps pour ceux qui le respectent.

51 Il a montré son pouvoir en déployant sa force :

Il a mis en déroute les hommes au cœur orgueilleux,
52 Il a renversé les rois de leurs trônes
et il a placé les humbles au premier rang.
53 Il a comblé de biens ceux qui avaient faim,
et il a renvoyé les riches les mains vides.
54 Il est venu en aide au peuple d'Israël, son serviteur :
Il n'a pas oublié de manifester sa bonté 55 envers Abraham et ses descendants, pour toujours,
comme il l'avait promis à nos ancêtres. »
56 Marie resta avec Élisabeth pendant environ trois mois, puis elle retourna chez elle.


Quand Dieu donne des rendez-vous aux humains, il est bien rare que ceux-ci s’en rendent compte. Ce n’est qu’après coup et beaucoup plus tard qu’ils réalisent qu’un temps fort de leur histoire était en train de se vivre et que personne ne s’en est aperçu. Qui se douterait que ce récit de la visite de Marie à Elisabeth, dans sa naïveté et sa tendresse marque un de ces moments de l’histoire ? Bien évidemment 2000 ans d’histoire chrétienne se sont chargés d’aiguiser notre regard en le pointant vers Marie dont les religions feront le personnage que l’on sait. Mais pour l’instant on n’en est pas là, et l’historiographie chrétienne n’a pas encore glosée sur cette jeune fille.

Pour l’instant Marie suit le chemin qui la mène dans les montagnes de Judée à la rencontre du passé. Elle va rencontrer Elisabeth sa parente, la future mère de Jean Baptiste. On nous a dit qu’il était le dernier prophète de l’ancienne Alliance et qu’il avait ouvert le chemin à Jésus. C’est pourquoi on peut dire que Marie, avant même de rentrer dans l’histoire a rendez-vous avec son passé, celui dont Jean est le dernier témoin. Les paroles qu’elle va prononcer vont faire d’elle un témoin de l’espérance dont son peuple a toujours vécue. Elle reproduit dans son discours les paroles des prophètes, çà et là dispersées, qu’on a recueillies pour établir son témoignage.

Ils avaient semé l’espérance quand personne n’espérait plus, ils avaient parlé de vie alors que la mort les cernait, ils avaient dit comment Dieu partageait la souffrance de ceux qui étaient opprimés. Personne n’avait pu étouffer la voix de Dieu quand la tentation du désespoir s’emparait des hommes. Quand les armées des Babyloniens suivies par celles des Perses avaient anéanti toute liberté, quand les armées d’Alexandre suivies par les légions romaines avaient occupé tout ce territoire, qui aurait osé dire que l’espérance n’était pas morte ? Pourtant, il y a toujours eu un prophète pour relever la tête et donner des possibilités d’espérer, car rien ne peut mettre un terme à cet élan de vie que l’esprit de Dieu répand autour de lui.

Marie montait sur ce chemin pierreux foulé jadis par tant de ses ancêtres. Elle allait à la rencontre d’Elisabeth sa parente. Deux femmes allaient vivre ainsi une rencontre qui fera date dans l’histoire de la révélation de Dieu aux hommes. L’une était trop jeune et l’autre est trop vieille pour enfanter. Mais les propos qu’elles ont échangés prendront une valeur considérable, car c’était la première fois que la parole concernant Dieu avait été prononcée par des femmes. Si vous vous en souvenez, le seul homme qui ait tenté de parler depuis le début de l’ Evangile de Luc était devenu muet, c’était Zacharie, le prêtre, le mari d’Elisabeth. C’était maintenant dans la bouche de Marie, une fille trop jeune pour parler en Israël, que l’Evangéliste Luc déposait les paroles d’espérance que nous nous proposons de méditer.

Ces paroles ont pour but de dire la foi nouvelle telle qu’elle va advenir. Il ne faudrait cependant pas fausser la portée de ces propos en insistant sur le fait qu’elle est la Vierge Marie, celle qui pèsera par la suite, si lourdement sur la piété de tant de croyants. Elle ne joue aucun rôle dans cet Evangile, elle n’est même pas mentionnée parmi les femmes au tombeau, c’est dire qu’au moment de la rédaction de ce texte, Marie ne suscite aucune piété particulière.

Ce qui la met en joie, c’est que Dieu l’a regardée. Elle ne se réjouit pas parce qu’elle est la future mère du Messie. Elle se réjouit parce qu’en la regardant Dieu a adopté une attitude nouvelle à son égard. Sa conception de Dieu va en être bouleversée.

Si elle utilise encore le langage traditionnel selon lequel Dieu se comporte comme un vaillent guerrier qui détrône les tyrans, aucun événement significatif ne vient étayer son propos. L’efficacité dont elle fait état est prophétique et n’a qu’une valeur spirituelle. Elle ne décrit pas un Dieu qui opère des miracles. Il ne fait pas de prodiges. Il se contente d’exister. Les événements dont elle parle ne se sont pas réellement produits. Elle mêle dans une même image ce qu’elle espère et ce qui se passera dans les siècles suivants. Elle parle des choses qui ne se produiront que plus tard, quand les hommes auront intégré le message que Jésus leur apportera. Marie se contente de dire ce qui se produira dans le futur quand les hommes, transformés par l’Evangile de son fils se mettront à agir. Ce n’est pas Dieu qui agira en vertu de sa toute puissance, c’est la puissance de son Esprit qui agira dans les hommes et les transformera.

Marie a esquissé dans son propos le portrait de Dieu que Jésus révélera au monde comme étant son Père. Dieu apparaît alors comme une force bienveillante qui transforme les hommes et qui stimule la bonté qui est en eux pour en faire une règle de vie. L’Evangile est en marche et Marie est la première à en témoigner. Il appartient désormais à chacun d’opérer sur lui-même une conversion pour comprendre que Dieu agit efficacement sur chacun de ceux qui comptent sur lui, pour mettre en valeur le meilleur d’eux-mêmes.

Nous avons dit au début de notre propos qu’après que les hommes aient été privés de parole, c’était aux femmes de la prendre. Ce changement est révélateur de la nouveauté qui est en train de se mettre en place dans notre rapport à Dieu. Depuis toujours c’est la parole des hommes qui a porté les vérités sur Dieu. Naturellement ils ont utilisé les notions de forces, de supériorité, de violence même. Ainsi Dieu était-il, selon leur témoignage, le Dieu des armées, triomphant de tous ses ennemis. On ne pouvait voir en lui que le dépositaire de la toute puissance par laquelle il s’imposait à tous les peuples, même ceux qui ne se réclamaient pas de lui.

De tels propos ne pouvaient plus être tenus par des femmes. Si Marie parle encore de la force de son bras, c’est pour s’attaquer aux idées orgueilleuses des hommes violents. Par ailleurs elle décrit un Dieu attentif aux petites gens dont elle fait partie, il est miséricordieux et soucieux de ceux qui sont frappés d’injustice et plein de tendresse. Dans ces propos on découvre un Dieu qui inspire plus qu’il n’agit, qui est attentif plus qu’il n’intervient. En privant l’homme de parole et en la confiant à une femme, Luc change du même coup la nature de Dieu si bien qu’en changeant le discours sur Dieu on découvre la possibilité d’une autre relation avec lui.

S’ils perçoivent désormais Dieu comme celui qui n’intervient plus mais qui inspire les hommes pour qu’ils agissent, les humains découvrent qu’ils sont libres désormais et responsables de leur sort. Pour que cette avancée ait pu se faire, l’Evangile a donné la parole à une femme, Marie.

Ce n’est cependant pas une nouveauté, tout son discours était déjà contenu dans celui des prophètes dont elle s’inspire. Mais sa sensibilité féminine était nécessaire pour amorcer le changement que Jésus allait apporter. Elle transmet ainsi un nouveau concept sur Dieu sans qu’on en ait même pris conscience. Quand Marie se met à parler, elle nous prépare à être accueillis par un autre Dieu que celui auquel nous sommes habitués. Elle nous prépare à découvrir celui que Jésus s’attachera à présenter comme un Père bienveillant. Dieu devient alors un activateur de vie, sa présence n’est plus intervenante mais motivante. Dieu ne prend plus les choses en main, mais il stimule nos mains pour qu’elles agissent.

Certes, les hommes retrouveront la parole. Zacharie, le père de Jean Baptiste parlera dès que son fils sera né, mais ce qui était nouveau avait déjà eu lieu et plus rien ne serait comme avant. La révolution spirituelle était donc en marche, mais il faudra du temps pour y arriver. Jésus lui-même n’y réussira que partiellement, car nous sommes, nous aussi encore tentés de demander à Dieu d’agir à notre place. Nous subissons toujours la tentation de l’idolâtrie qui consiste à conférer à Dieu une toute puissance magique pour nous sortir d’affaire. Cette tentation est si fréquente que Jésus en a fait la dernière demande du Notre Père « Ne nous induits pas en tentation, mais délivre nous du mal ». Autrement dit cette dernière demande dénonce l’idolâtrie comme le forme la plus sournoise du mal dont Dieu nous protège par sa seule présence dans notre vie.



Les images sont de Macha Chmakoff

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