Il parlait
du Temple de son corps - dimanche 4 mars 2018
13 La Pâque des Juifs était proche, et Jésus monta à Jérusalem. 14 Il
trouva dans le temple les vendeurs de bovins, de moutons et de colombes, ainsi
que les changeurs, assis. 15 Il fit un fouet de cordes et les chassa tous hors
du temple, avec les moutons et les bovins ; il dispersa la monnaie des
changeurs, renversa les tables 16et dit aux vendeurs de colombes : Enlevez tout
cela d'ici ! Cessez de faire de la maison de mon Père une maison de commerce !
17 Ses disciples se souvinrent qu'il est écrit : La passion jalouse de ta
maison me dévorera.
18 Les Juifs lui dirent : Quel signe nous montres-tu pour agir
de la sorte ? 19 Jésus leur répondit : Détruisez ce sanctuaire, et en trois
jours je le relèverai. 20 Les Juifs dirent : Il a fallu quarante-six ans pour
construire ce sanctuaire, et toi, en trois jours, tu le relèveras ! 21 Mais le
sanctuaire dont il parlait, lui, c'était son corps. 22 Quand donc il se fut
réveillé d'entre les morts, ses disciples se souvinrent qu'il disait cela ; ils
crurent l’Écriture et la parole que Jésus avait dite.
23 Pendant qu'il était à Jérusalem, à la fête de la Pâque,
beaucoup mirent leur foi en son nom, à la vue des signes qu'il produisait, 24
mais Jésus, lui, ne se fiait pas à eux, parce qu'il les connaissait tous 25 et
parce qu'il n'avait pas besoin qu'on lui présente un témoignage sur l'homme :
lui-même connaissait ce qui était dans l'homme.
Encore
un geste de la part de Jésus qui nous désoriente. On l'avait enfermé dans le
cadre de la non-violence. Il s'en échappe. Il fait un geste de violence
apparemment gratuit, même s'il ne s'en prend pas aux hommes, il s'en prend tout
de même à leurs biens. Il prêchait dans le Temple et voilà qu'il dénie toute
valeur à ce lieu. Pourtant, ce lieu, s'il avait subsisté serait sans doute
aujourd'hui un des lieux les plus visités du monde.
Jésus
en s'en prenant à un lieu de culte semble bien rigoriste! Ne savait-il pas que
beaucoup de gens ont besoin de symboles et de réalités visibles pour construire
leur spiritualité ? Nous sommes sensibles à tout ce qui est beau. Les belles
liturgies qui séduisent nos sens favorisent notre élévation spirituelle. Nous
pensons même qu’elles nous rapprochent du divin. Il en va de même pour les
beaux monuments dont la valeur esthétique est aussi au service de l’édification
de notre foi. D’un revers de main, ou plutôt d’un coup de fouet, Jésus
pulvérise toutes ces vérités. Il les tient pour quantité négligeable. Il les
considère même comme des éléments contraires à l’expression de la foi.
La
grande question qui se dégage de tout cela c'est celle qui consiste à se
demander pourquoi Jésus a commis le seul acte de violence de sa vie en s’en
prenant au temple.
On
a cherché à l’expliquer par l’aspect scandaleux que pouvait avoir le trafic de
l’argent, mais ce trafic était rendu nécessaire par un souci de pureté,
l’argent impur des Romains ne pouvait y avoir cours. On a pensé que les
sacrifices avaient quelque chose de provoquant et de répugnant, mais cette pratique,
bien ancrée dans les mœurs ne choque que nous, 20 siècles après. Le bâtiment du
temple, avec sa majesté provocante aurait pu être à l’origine de sa
contestation. Mais l’édification de ce bâtiment, considéré comme une merveille
avait été construite avec le sang, les larmes et l’argent de tout un peuple. Jésus
n’aurait certainement pas voulu faire
preuve d’indifférence à l’égard des sentiments de ses contemporains. Ce ne peut
donc être à cause de tout cela que Jésus voue le
temple à la ruine.
Il
faut chercher plus loin encore. Nous sommes à l'approche de la fête de Pâques.
Cette fête commémorait la libération du peuple juif jadis réduit en esclavage
en Égypte. Les juifs perçoivent encore aujourd’hui, cette libération comme
l'événement fondateur de leur peuple. Cette libération leur donne le sentiment
d'exister. Chaque Israélite est invité à vivre cet événement d’une manière
personnelle, comme s’il s’agissait de sa propre libération, comme si c'était
une affaire personnelle entre Dieu et lui. On peut donc dire que c'est l'acte
créateur par lequel Dieu a donné vie à son peuple, et par extension à chaque
individu qui se réclame de lui.
Dès
que l'on parle de création on pense immédiatement au tout premier chapitre de
la Bible quand Dieu créa toute chose à partir du chaos initial et mit de
l'ordre dans l'univers en désordre. C'est dans ce contexte spirituel et
intellectuel qu'il faut situer la scène où Jésus bouscule le parvis du temple
de Jérusalem et y met symboliquement le désordre.
Jésus
restaure donc en quelque sorte le désordre primitif dans le lieu de la présence
de Dieu pour que celui-ci puisse exercer à nouveau sa fonction de créateur. Ce
geste signifie un retour aux origines, un retour au désordre, dans l'attente
d'une nouvelle création. Jésus s’inscrit à la suite des prophètes qui depuis
des générations se fatiguaient à dire au peuple élu que les fidèles ne se
comportaient pas conformément à la volonté de Dieu. Jésus met le désordre dans
le temple, ce lieu où les hommes avaient enfermé Dieu dans le Saint des saints
afin de rendre à Dieu une nouvelle possibilité de recréer un peuple. A la
différence des autres Évangiles qui situent cet événement à la fin de leur
récit, celui de Jean, le situe au tout début du ministère de Jésus, comme un
acte prophétique de la mission qu’il entendait accomplir
Jésus
s'en prend au temple parce que les célébrations qui y avaient lieu semblaient
être en contradiction avec la volonté de Dieu, non pas dans la manière dont
elles se déroulaient puisqu'elles étaient conformes à l’Écriture mais dans
l'esprit avec lequel les fidèles y accomplissaient leurs devoirs religieux.
J'utilise à dessein l'expression "devoirs religieux", car Jésus
reprochaient aux hommes de valoriser les rites religieux au détriment de la
foi. Jésus ne méprisait pas pour autant le temple, mais il s'en prennait à la
manière d'y favoriser les attitudes de piété par les cérémonies qui s’y
déroulent.
Le
Temple, c'est le lieu du rite, et le rite c'est ce qui codifie la relation avec
Dieu. Or pour Jésus, la relation avec Dieu ne doit justement pas être codifiée,
cette relation doit être faite de sentiments partagés. Elle vient du cœur et
n'a rien à voir avec les obligations quelles qu'elles soient. Dieu ne veut pas
entrer dans le système où les hommes cherchent à l'enfermer. Or les rites, sont
des procédés d'enfermement. Dieu ne veut donc pas être lié par des rites qui
lui imposeraient de "sauver" ceux qui l'approchent d'une manière
conventionnelle et de "pardonner" ceux qui ont accompli les rites,
sans forcément l'aimer.
Cette
manière de se comporter n'est pas propre aux contemporains de Jésus, toutes les
générations de croyants la connaissent, car les hommes ont tendance à
considérer qu'il suffit de satisfaire à quelques obligations pour plaire à Dieu
et qu'il suffit de faire quelques actes de piété pour être en règle avec sa
conscience.
Si
Jésus radicalise sa position il n'innove pas pour autant. Les prophètes avant
lui avaient mené le même combat. " Je hais vos sacrifices" avait dit
Esaïe et Jérémie affirmait que Dieu préférait la circoncision du cœur à celle
de la chair. Ce qui pour Jésus est contraire à la volonté de Dieu, c'est que
les hommes cherchent à acquérir une pureté formelle dont Dieu devrait
s'accommoder. Dieu serait ainsi pris au piège de sa propre loi.
.
Si Jésus bouscule tout et préconise un changement radical, ce n'est pas parce
que Dieu a changé, ce n'est pas parce que le Dieu de l'ancien Testament serait
différent de celui du nouveau, mais c'est pour que les hommes changent, car
c'est chez les hommes que le changement doit se produire.
Pour
que ce changement qu'il préconise puisse avoir lieu, il propose de détruire le
Temple de pierre et de construire celui de son corps. Ce que Jésus, et les
prophètes avant lui reprochaient aux fidèles c'est qu'ils se dispensaient de
relations personnelles avec Dieu. Ils n'avaient pas compris que Dieu voulait
être en relation avec chacun d'entre eux, comme il veut être en relation avec
chacun de nous. La relation se fait à partir de sentiments dont le plus fort
est l'amour par lequel Dieu établit une relation permanente avec nous.
Nous
comprenons alors pourquoi Jésus va faire du pardon le grand thème de son
enseignement. Il proclame que le pardon est acquis d'une manière permanente à
tous ceux qui croient. En effet, c'est pour se décharger du sentiment de
culpabilité qui les accable que les hommes ont recours à des rites religieux.
Le rite c'est l'acte facile à faire pour être sûr, croit-on, d'obtenir son
pardon. Mais Dieu ne veut pas de marchandage. Il veut une relation
d'intimité dans la vérité, c'est pourquoi il proclame par la bouche de Jésus
l'abrogation de tous les rites liés à l'acquisition du pardon. Plus de
sacrifices, pas de pénitence, gratuité totale du pardon et du salut.
Mais,
dira-t-on, Jésus en supprimant les rites du Temple, ne les a-t-il pas remplacés
par d'autres rites que nous appelons les sacrements: la Sainte Cène et le
Baptême?
Non,
nos sacrements n'ont qu'une seule raison d'être, celle de rendre plus forte
notre relation à Dieu. Ce sont des gestes que nous accomplissons pour être
encore plus fortement en communion avec Dieu et avec les hommes. C'est quand on
les célèbre que la prophétie de notre texte prend tout son sens : "il
parlait du temple de son corps." Amen
Les illustrations proviennent de la maquette
de Alec Garrad , Américain de 78 ans qui a consacré trente années de sa vie
pour la construire
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