5 Les apôtres dirent au Seigneur : Donne-nous plus de
foi. 6 Le Seigneur répondit : Si vous aviez de la foi comme une graine de
moutarde, vous diriez à ce mûrier : « Déracine-toi et plante-toi dans la mer »,
et il vous obéirait.
7 Qui de vous, s'il a un esclave qui laboure ou fait
paître les troupeaux, lui dira, quand il rentre des champs : « Viens tout de
suite te mettre à table ! » 8 Ne lui dira-t-il pas au contraire : « Prépare-moi
à dîner, mets-toi en tenue pour me servir, jusqu'à ce que j'aie mangé et bu ;
après cela, toi aussi, tu pourras manger et boire. » 9 Saura-t-il gré à cet
esclave d'avoir fait ce qui lui était ordonné ? 10 De même, vous aussi, quand
vous aurez fait tout ce qui vous a été ordonné, dites : « Nous sommes des
esclaves inutiles, nous avons fait ce que nous devions faire. »
Il nous a été dit que Dieu écrivit un jour avec son
doigt, des préceptes à l’usage du genre humain sur des tables de pierre. Mais
les hommes ne s’en montrèrent pas dignes selon Moïse qui se considérait comme
arbitre entre Dieu et les hommes. Il les jugea incapables de suivre les
préceptes divins et brisa les tables que Dieu avait écrites de sa main. Que pensez-vous
qu’il arriva ? Quelles furent les conséquences de ce crime de lèse-majesté
divine ?
Au lieu de punir le geste inqualifiable de celui qui
venait de détruire son œuvre, Dieu enjoignit Moïse de faire de sa propre main
une réplique de ce que Dieu avait produit. L’Écriture a tellement légitimé le
geste destructeur de Moïse qu’on a du mal à voir ce qu’il pouvait y avoir de
choquant dans son attitude. Le crime du peuple qui avait fait une image de Dieu
en forme de veau était-il plus irresponsable que celui de Moïse qui avait détruit le seul écrit
existant de Dieu?
La deuxième édition du texte des lois, faite de la
main d’un homme fut déclarée sacrée, elle fut enfermée dans un coffre non moins
sacré, lui aussi fait de main d’homme, et le tout fut enfermé dans le lieu très
saint du sanctuaire, lui aussi sacré et fait de main d’homme. Les pèlerinages
dans ces lieux sacrés étaient censés renforcer l’intensité de la foi. Mais tout
cela a disparu au cours des siècles et
il n’en reste rien aujourd’hui. Quant à la pierre, brisée par Moïse sur
laquelle Dieu écrivit, il n’en a subsisté pas même un éclat. Tout ce qui avait
été déclaré sacré, avait été œuvre
d’homme. La montagne sur laquelle cette histoire est censée avoir eu lieu a été
déclarée sacrée à son tour, nul ne sait cependant où elle est vraiment, si bien
que Dieu, enfermé dans sa divinité reste depuis toujours inaccessible au sacré.
Rien de ce qui est déclaré sacré ne le touche. C’était
sans doute une des raisons pour laquelle La Bible a conservé ce récit au sujet
du veau d’or et de la destruction des tables de la Loi pour attester la vanité
des tentatives humaines de s’approprier le sacré. Ces quelques constatations préliminaires
semblent n’avoir rien à voir avec la prière des disciples : « Donne-nous plus
de foi ! » Nous allons voir qu’il y a sans doute un lien entre les deux car les
hommes sont toujours à l’affût des
preuves de l’existence de Dieu et de sa présence dans le monde des humains. Les lieux sacrés comme nous l’avons vu sont
le fruit de leur imaginaire inventés par eux pour stimuler leur foi.
Après les lieux
sacrés qui selon certains croyants pourraient marquer la trace de Dieu dans
l’histoire, il y a ensuite les miracles qui seraient les signes de sa présence
parmi eux et attesteraient de la faveur divine de ceux qui en bénéficient.
Mais quelle signification ont-ils vraiment ? A y
regarder de plus près on constate que Dieu, qui en est l’auteur se met lui-même
en porte à faux quand il en fait, par rapport au rôle qu’il est sensé jouer au
milieu des hommes. En faisant des miracles, il se conteste lui-même. En effet,
si Dieu est juste, ce que nous croyons, les miracles, eux sont injustes. Ils
mettent à part leurs bénéficiaires et les séparent de ceux qui n'en profitent
pas. Si un malade est guéri au détriment de ceux qui ne le sont pas, Dieu
commet une injustice. Pour être juste, tous ceux qui sont atteints du même mal
devraient être guéris. Si c’était le cas, si tous étaient guéris, ce mal
n’existerait pas et le problème du miracle et de la guérison n’existerait pas
non plus, et on n’y chercherait pas la présence de Dieu.
Jésus était très conscient de ce fait, c’est pourquoi
quand il opérait lui-même des miracles, il recommandait le silence. En les
faisant, il cherchait à rendre compte de la réalité d’une puissance qui nous
dépasse, il voulait montrer la victoire à venir de Dieu sur le mal. En même
temps il ne voulait pas que Dieu puisse être perçu comme injuste en
privilégiant certains et non les autres. Il ne voulait pas que l’on puisse
penser que Dieu créait des catégories de gens méritants au détriment des
autres. En opérant des miracles trop visibles il aurait laissé entendre que
certains pouvaient avoir plus de foi que d’autres, si bien que la demande des
apôtres aurait été légitimée : « Seigneur donne-nous plus de foi. » Nous
voilà arrivés à la pointe du texte.
Quand on prête attention un instant à l’histoire des
croyants, on réalise que c’est le contraire qui se passe. Ceux dont la foi a
été donnée en exemple, ceux que la tradition a classés parmi les saints, n’ont
pas bénéficié de miracles et sont morts martyrs. Par contre, ceux qui ont été
au bénéfice d’un miracle, n’en ont pas profité sans déclencher des jalousies (Exemple
de l’aveugle en Jean 9: 1-41). Il nous faut sans doute réviser notre théologie
du miracle. Il nous faut aussi mettre en cause les actions des hommes qui
viseraient à prouver la supériorité de la foi de certains sur celle des autres.
Il nous faut donc veiller à ne pas confondre foi et religiosité.
Si donc Dieu se cache et si les miracles ne sont pas
les bons repères pour marquer sa présence parmi les hommes, quels seraient
alors les critères sur lesquels nous pourrions nous appuyer pour parler de foi
? Il n’y en a sans doute pas. Pour enfoncer le clou, Jésus va nous faire une
démonstration par l’absurde sur l’impossibilité de quantifier la foi des
croyants. Il émet l’hypothèse selon laquelle la foi pourrait-être mesurable.
Pour cela il suggère de prendre la plus petite unité de mesure qui soit à notre
disposition : le grain de moutarde. A partir de là il déduit que si la foi
était quantifiable, le plus humble des croyants pourrait faire des miracles
extraordinaires avec le peu de foi dont il dispose. En conséquence, ceux de ses
interlocuteurs qui pensent avoir une foi supérieure à celle des autres
devraient être inscrits au livre des records en matière de miracle. Jésus ne
cherche pourtant pas à nous dire que si nous n’arrivons pas à faire des
miracles, c’est que nous n’avons pas la foi, mais il veut montrer qu’il est impossible
de la mesurer.
Il n’est donc pas question d’augmenter les doses de
foi des fidèles pour avoir une église triomphante et efficace. Il faut s’y
prendre autrement. Nous avons compris que la foi ne se démontrait pas, or nous
sommes ainsi faits que nous ne croyons qu’à ce qui se démontre, nous ne croyons
qu’à la visibilité des faits. Nous voulons voir, nous voulons toucher, faute de
preuves nous demeurons incrédules.
Or la foi chrétienne repose sur l’affirmation selon
laquelle, l’infini de Dieu peut investir le monde fini des hommes. Nous croyons
que la vie peut prendre le pas sur la mort. Nous affirmons que la résurrection
est au cœur de notre foi. Cela ne se démontre pas, mais cela se ressent et se
vit. Il y a donc des certitudes qui s’établissent en nous sans preuves
apparentes.
Peut-on aller plus loin ? Il semblerait que la foi soit provoquée par une
rencontre intérieure. Il nous arrive d’éprouver des intuitions qui ne
viennent pas de nous mais qui nous séduisent. Elles nous viennent d’ailleurs.
Nous découvrons qu’il y a un ailleurs au-delà de nous-mêmes qui ne nous
appartient pas, mais qui provoque en nous des impressions et des désirs de
dépassement que nous adoptons comme nôtres.
Il nous faut cependant aller plus loin encore. Nous découvrons que
ces vérités intérieures que nous qualifions de foi ont été ressenties par
d’autres avant nous avec autant d’intensité et parfois plus. Elles nous
motivent d’autant plus qu’elles ont laissé des traces qui ont été consignées
par écrit par ceux qui les ont ressenties. Ces traces nous les retrouvons dans
ce qu’il est convenu d’appeler les Ecritures. Autrement dit la Bible.
Jésus a vécu cela avec une telle intensité que la mort
n’ a pas eu aucune prise sur sa vie et
sur ses dire. Nous découvrons avec lui que si Dieu demeure caché dans tout ce
qui est sensible, il se livre à nous dans ce que nous ressentons à l’intérieur
de nous-mêmes, qui ne nous appartient pas et qui vient d’ailleurs. Il nous
entraîne ainsi dans les mystères de l’infini où nous nous trouvons bien. Nous
rejoignons dans le secret de notre être ceux qui ont fait les mêmes expériences
en particulier Jésus Christ. La vie s’impose alors à nous comme un mystère que
nous accueillons dans un joyeux dépassement.
Que faut-il dire de plus, si non qu’il est vain de
demander à Dieu de nous augmenter la foi, puisque nous avons la plénitude de
Dieu en nous. Ce contact avec Dieu, appuyé sur le témoignage de Jésus devient pour nous le seul critère
dont nous avons besoin pour vivre avec exaltation tous les dépassements
nécessaires à notre épanouissement
1. psaume 139
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