mercredi 14 février 2018

Genèse 22/1-18 - Comment comprendre Dieu - dimanche 25 février 2018






22 Après cela, Dieu mit Abraham à l'épreuve. Il lui dit: «Abraham!» Celui-ci répondit: «Me voici!»

2 Dieu dit: «Prends ton fils unique, celui que tu aimes, Isaac. Va-t'en au pays de Morija et là offre-le en holocauste sur l'une des montagnes que je t'indiquerai.»
3
 Abraham se leva de bon matin, sella son âne et prit avec lui deux serviteurs et son fils Isaac. Il fendit du bois pour l'holocauste et partit pour aller à l'endroit que Dieu lui avait indiqué.

4 Le troisième jour, Abraham leva les yeux et vit l'endroit de loin. 5 Il dit à ses serviteurs: «Restez ici avec l'âne. Le jeune homme et moi, nous irons jusque là-bas pour adorer, puis nous reviendrons vers vous.»

6 Abraham prit le bois pour l'holocauste, le chargea sur son fils Isaac et porta lui-même le feu et le couteau. Ils marchèrent tous les deux ensemble.
7
 Alors Isaac s'adressa à son père Abraham en disant: «Mon père!» Il répondit: «Me voici, mon fils!» Isaac reprit: «Voici le feu et le bois, mais où se trouve l'agneau pour l'holocauste?» 8 Abraham répondit: «Mon fils, Dieu pourvoira lui-même à l'agneau pour l'holocauste.» Et ils continuèrent à marcher tous les deux ensemble.
9 Lorsqu'ils furent arrivés à l'endroit que Dieu lui avait indiqué, Abraham y construisit un autel et rangea le bois. Il attacha son fils Isaac et le mit sur l'autel par-dessus le bois.
10 Puis Abraham tendit la main et prit le couteau pour égorger son fils. 11 Alors l'ange de l'Eternel l'appela depuis le ciel et dit: «Abraham! Abraham!» Il répondit: «Me voici!» 12 L'ange dit: «Ne porte pas la main sur l'enfant et ne lui fais rien, car je sais maintenant que tu crains Dieu et que tu ne m'as pas refusé ton fils unique.»
13 Abraham leva les yeux et vit [derrière lui] un bélier retenu par les cornes dans un buisson. Il alla prendre le bélier et l'offrit en holocauste à la place de son fils. 14 

Abraham donna à cet endroit le nom de Yahvé-Jiré. C'est pourquoi l'on dit aujourd'hui:

«A la montagne de l'Eternel il sera pourvu.15 L'ange de l'Eternel appela une deuxième fois Abraham depuis le ciel. 16 Il dit: «*Je le jure par moi-même - déclaration de l'Eternel -, parce que tu as fait cela et que tu n'as pas refusé ton fils unique,
17 je te bénirai et je multiplierai ta descendance: elle sera *aussi nombreuse que les étoiles du ciel, pareille au sable qui est au bord de la mer. De plus, ta descendance possédera les villes de ses ennemis.

18 *Toutes les nations de la terre seront bénies en ta descendance, parce que tu m'as obéi.»

On a dit qu’Abraham était l’ami de Dieu, on a cité sa foi en exemple, on a même invité les croyants à l’imiter quand il a accepté, sans se rebeller, d’offrir à Dieu le sacrifice de son enfant que celui-ci lui demandait. Il avait ainsi accepté l’inacceptable annonçant par avance le sacrifice de Jésus que Dieu s’imposa à lui-même, pour sauver les hommes.  Mais a-t-on  l’obligation  d’accepter l’inacceptable sans réagir ?  Est-on obligé d’accepter une histoire aussi difficile à comprendre pour pénétrer le mystère de l’amour de Dieu ?

Certes, les récits bibliques ont forcé le trait. On n’est même pas sûr de l’historicité des personnages. Quoi qu’il en soit on a pris l’habitude de considérer que ce récit devait  devenir exemplaire pour guider la foi de celui qui voulait servir  Dieu fidèlement. Mais de quelle foi  s’agit-il ici  et à quel Dieu s’adresse-t-elle?  Le personnage de Dieu  reste ici énigmatique. Il apparaît comme un Dieu qui doute. Il doute de celui qu’il a choisi pour être son ami, et il doute de sa propre capacité  à avoir fait le bon choix, puisque c’est la fidélité de son bien aimé qu’il met en cause en le mettant à l’épreuve d’une manière bien cruelle.

Celui qui aurait un peu de bon sens ne devrait-il pas se mettre sur ces gardes face à un Dieu aussi peu sûr de lui-même ?  Nous pourrions alors penser qu’un récit qui prêterait une telle attitude à Dieu  serait une invitation  faite au croyant pour qu’il s’interroge sur la vraie nature de Dieu.  Loin de poser question à Abraham au sujet de sa foi, ce texte interroge le lecteur sur sa propre foi et l’invite à se demander en quel Dieu il croit.

Une  telle approche  nous invite donc à nous interroger nous-mêmes sur notre manière de croire.  Nous garderons cette  question  pour guider notre réflexion alors que nous allons suivre Abraham sur le dur chemin qu’il a choisi d’emprunter par fidélité à son Dieu.  Avant de se mettre en marche avec son Fils, son âne et ses deux serviteurs, Abraham a du mentir à sa femme. En fait, il ne lui a rien dit, il est parti, ainsi équipé sans dire où il allait ni ce qu’il allait faire. Il à menti par omission, car à coup sûr Sarah se serait mise en travers d’un tel projet. Le  mensonge  venait de se   glisser sournoisement entre Dieu et sa créature, et comble de surprise, c’est pour plaire à Dieu qu’Abraham s’apprêtait  à déplaire à sa femme. Mais  nous le savons, le mensonge cache quelque chose de suspect, c’est pourquoi nous avons eu raison, dès le début  de mettre en cause le bien fondé de ce récit  qui établit  un voile  sur   la bonne relation de Dieu et d’Abraham. A mesure qu’Abraham va progresser, c’est le visage de Dieu qui va changer.

Mais si ce premier mensonge n’est pas évident pour les puristes, Abraham en formule un second sans ambigüité et il le fait à l’intention de son propre fils qui l’interroge sur l’objet du sacrifice. « Dieu y pourvoira » lui dit-il, comme s’il ne savait pas que c’était l’enfant qui était l’objet du sacrifice. Abraham continue à monter  et si les pierres lui meurtrissent les pieds  il ne s’en  rend pas compte, tant le visage de Dieu lui devient odieux. Il ne peut plus supporter l’action que Dieu lui demande  de faire et le regard interrogateur de ses serviteurs lui devient insupportable, si bien qu’il leur demande de s’arrêter et de ne plus le suivre. Il ne supporte pas davantage la question de son fils à qui il ment  et pour se décharger de sa propre responsabilité, il renvoie la responsabilité sur Dieu en le mettant en cause : « C’est Dieu qui pourvoira au sacrifice ! »dit-il. Nous savons bien que Dieu acceptera la responsabilité du mensonge !  Dieu était en train de changer de visage !

Si j’ai moi-même rajouté la description des états d’âme d’Abraham, nous savons cependant que pour être crédible, il fallait bien qu’il les éprouve. Le chemin était  long, il a pris le temps  pendant ce parcours interminable de se questionner lui-même et de trouver des réponses qui ne lui convenaient pas. Il se disait qu’on ne devait  pas douter de Dieu, même s’il demandait l’impossible. Il se disait que les projets de Dieu sont toujours  bons, même si leur mise en œuvre s’apparentait  à la torture. Il se demandait également s’il avait bien compris le message de Dieu, et il en venait à douter de sa bonne relation avec lui. Toutes ces questions modifiaient pour lui, la nature de Dieu.

Et puis, il se produisit un pseudo miracle: la voix de l’ange se fit entendre, et sa main arrêta le couteau, le bélier pris par les cornes dans un buisson servit de substitut au sacrifice, et Dieu accepta le substitut. Tout devint  plus clair pour Abraham, mais est-ce bien sûr ?  A quoi avait servi cette aventure ?  Dieu y trouvait-il son compte, à  moins que cela ne lui serve encore à modifier encore son apparence ?

Certes le texte nous a appris que nous sommes sur le mont Morija, ce mont sur lequel plus tard on construira le temple.  S’appuyant sur ce récit et sur ce lieu, les écrivains bibliques ont retenu la règle de l’interdiction des sacrifices humains. Mais Abraham avait-il saisi que le visage de Dieu qu’il croyait connaître s’était effrité pour laisser place à un autre ?

 Trop fidèle a l’image de Dieu qu’il croyait immuable, il n’avait pas compris que Dieu lui demandait de  désobéir à ce Dieu là.  Il n’avait pas encore compris que Dieu n’était pas un Dieu versatile qui éprouve les hommes pour tester leur amour. Il n’avait sans doute pas encore  saisit que Dieu, avait déjà commencé à manifester aux hommes  son amour incompréhensible depuis les origines. Il avait contraint Caïn à vivre malgré son forfait par exemple, il avait suspendu les effets du déluge. Il s’était déjà fait connaître à Abraham sous d’autres traits quand il plaida pour la survie de Sodome.

 En effet, en priant pour la ville rebelle Abraham escomptait sauver Lot son neveu. Mais si tous avaient été sauvés, Lots aurait eu le même sort que les coupables, il aurait été sauvé comme eux, et peut-être aurait-il été considéré comme coupable. Abraham n’était sans doute pas encore prêt à accepter que justes et coupables bénéficient devant Dieu du même amour et de la même attention. Et nous, le sommes-nous ? C’est pour cela que  Dieu n’alla pas jusqu’au bout des concessions qu’il aurait pu faire. Mais Abraham avait déjà compris que Dieu était tout autre que ce que la tradition reconnaissait de lui.

En gravissant la montagne en compagnie d’Isaac et portant avec lui tous les instruments traditionnels du culte que l’on consacre habituellement à toutes les divinités, Abraham était-il en train de méditer sur la vanité du sacrifice  qui lui était demandé, et peut être de tous les sacrifices. Sans doute sentait-il monter en lui la conscience de ce Dieu qui n’existe parmi-nous que pour le mieux être des hommes. Il n’avait pas encore découvert, mais il s’y préparait, que la présence de Dieu au milieu des hommes n’avait pas d’autre but que de les aider à vivre mieux, et que pour vivre mieux, le seul message possible  était celui de l’amour du prochain aussi fort que l’amour pour nous-mêmes.

 Quand, au commencement  Dieu  bouscula le chao pour créer le monde,  c’est pour y introduire la notion d’altruisme qu’il le créa, car ce n’est  qu’  à ce prix  qu’il concevait l’avenir du monde.  C’est cela qu’Abraham était appelé à découvrir en méditant sur son aventure  qui le conduisit à épargner la vie de  son fils pour la plus grande satisfaction de Dieu, car tel est notre destin à tous : œuvrer pour que s’épanouisse  toute forme de vie que Dieu place devant nous.






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