samedi 14 février 2009

Abraham écoute et ne comprend rien: Genèse 22/1-19 pour le dimanche 8 mars 2009



22 1 Après ces choses, Dieu mit Abraham à l'épreuve, et lui dit : Abraham ! Et il répondit : Me voici ! 2 Dieu dit : Prends ton fils, ton unique, celui que tu aimes, Isaac ; va-t'en au pays de Morija, et là offre-le en holocauste sur l'une des montagnes que je te dirai. 3 Abraham se leva de bon matin, sella son âne, et prit avec lui deux serviteurs et son fils Isaac. Il fendit du bois pour l'holocauste, et partit pour aller au lieu que Dieu lui avait dit. 4 Le troisième jour, Abraham, levant les yeux, vit le lieu de loin. 5 Et Abraham dit à ses serviteurs : Restez ici avec l'âne ; moi et le jeune homme, nous irons jusque-là pour adorer, et nous reviendrons auprès de vous. 6 Abraham prit le bois pour l'holocauste, le chargea sur son fils Isaac, et porta dans sa main le feu et le couteau. Et ils marchèrent tous deux ensemble. 7 Alors Isaac, parlant à Abraham, son père, dit : Mon père ! Et il répondit : Me voici, mon fils ! Isaac reprit : Voici le feu et le bois ; mais où est l'agneau pour l'holocauste ? 8 Abraham répondit : Mon fils, Dieu se pourvoira lui-même de l'agneau pour l'holocauste. Et ils marchèrent tous deux ensemble. 9 Lorsqu'ils furent arrivés au lieu que Dieu lui avait dit, Abraham y éleva un autel, et rangea le bois. Il lia son fils Isaac, et le mit sur l'autel, par-dessus le bois. 10 Puis Abraham étendit la main, et prit le couteau, pour égorger son fils. 11 Alors l'ange du Seigneur l'appela des cieux, et dit : Abraham ! Abraham ! Et il répondit : Me voici ! 12 L'ange dit : N'avance pas ta main sur l'enfant, et ne lui fais rien ; car je sais maintenant que tu crains Dieu, et que tu ne m'as pas refusé ton fils, ton unique. 13 Abraham leva les yeux, et vit derrière lui un bélier retenu dans un buisson par les cornes ; et Abraham alla prendre le bélier, et l'offrit en holocauste à la place de son fils. 14 Abraham donna à ce lieu le nom de Jehova-Jiré. C'est pourquoi l'on dit aujourd'hui : À la montagne du Seigneur il sera pourvu. 15 L'ange du Seigneur appela une seconde fois Abraham des cieux, 16 et dit : Je le jure par moi-même, parole du Seigneur ! parce que tu as fait cela, et que tu n'as pas refusé ton fils, ton unique, 17 je te bénirai et je multiplierai ta postérité, comme les étoiles du ciel et comme le sable qui est sur le bord de la mer ; et ta postérité possédera la porte de ses ennemis. 18 Toutes les nations de la terre seront bénies en ta postérité, parce que tu as obéi à ma voix. 19 Abraham étant retourné vers ses serviteurs, ils se levèrent et s'en allèrent ensemble à Beer-Schéba ; car Abraham demeurait à Beer-Schéba.






Genèse 22/1-19 : la ligature d’Isaac ou le sacrifice d’Isaac

La vie nous paraît parfois bien mal faite, les choses ne se passent pas comme prévues, elles se retournent même contre nous et nous nous demandons quelles forces contraires nous baladent au gré de l’imprévisible. Le croyant en arrive même à se demander si Dieu ne l’a pas abandonné puisqu’il semble rester silencieux et impuissant en face d’un destin qui l’accable. Il se prend même à penser que c’est Dieu lui-même qui le met à l’épreuve. Il se répète alors intérieurement la demande du « Notre Père » qu’il récite dans toutes ses variantes : « Ne nous soumets pas à la tentation » ou encore, « ne nous laisse pas succomber dans l’épreuve ». Il répète intérieurement cette prière tout en se souvenant de l’épître de Jacques où il est affirmé que Dieu ne tente personne.

Malgré tout cela, ses questions restent sans réponse. Il pense alors à Job qui fut victime d’un pari entre Dieu et le Diable et il se demande s’il n’est pas le jouet du même sort. Il pense même que l’ange du Seigneur, chargé de veiller sur lui a relâché sa vigilance et que le démon en profite pour s’insinuer de manière sournoise dans les événements de sa vie. Nous nous sommes sentis inévitablement confrontés à de telles questions une fois ou l’autre dans notre vie.

Les questions que nous évoquons n’échappent à aucune religion. Elles essayent toutes d'y répondre avec plus ou moins de bonheur. Les trois grands courants du monothéisme se sont servis de cette aventure d’Abraham pour essayer de répondre à la question de savoir pourquoi nous avons parfois l’impression que Dieu nous fait subir une épreuve insurmontable.

Comment Abraham, l’ami de Dieu, a-t-il pu recevoir du Seigneur l’injonction de sacrifier son fils ?

Les différentes traditions ont retenu des réponses différentes. Les unes reconnaissent que Dieu a mis Abraham à l’épreuve parce qu’il était sûr de sa foi et que cette épreuve ne pouvait que le faire grandir et le rendre plus fort ! C’est psychologiquement vrai, l’épreuve surmontée a toujours un effet bénéfique sur celui qui s’en tire bien. S’appuyant sur cette interprétation des penseurs chrétiens ont reconnu dans cet épisode une annonce prophétique de la mort de Jésus que Dieu aurait prévue pour racheter les hommes. Mais n’y a-t-il pas quelque chose de pervers dans ce procédé ? C’est pourquoi nous ne pourrons le retenir, ni dans le cas d’Abraham, ni dans ce lui de Jésus.

La tradition des rabbins du Talmud me convient davantage pour ma part. Abraham n’aurait pas compris, selon eux, ce que Dieu lui demandait. « Fait monter ton Fils pour un sacrifice » traduisent-ils. Abraham aurait compris que Dieu lui demandait de faire monter son fils sur l’autel du sacrifice. Les rabbins rajoutent même, qu’il fallait ensuite qu’il le fasse redescendre. Donc selon eux, il ne s’agissait pas de le sacrifier, mais de le faire monter sur la montagne pour qu’il y fasse un sacrifice. Mais pourquoi Dieu attend-il 3 jours pour intervenir ? D’autres encore, plus subtiles jouent sur les traditions et sur les mots. Le texte fait usage de 2 mots différents pour désigner Dieu. Le Dieu qui fait la demande du sacrifice, c’est Elohim, la forme la plus ancienne du nom de Dieu. Celui qui sauve Isaac en tendant la main c’est Yawhé, la forme du nom de Dieu à laquelle nous sommes le plus habitués. Il s’agirait là de deux traditions différentes, artificiellement rapprochées par les rédacteurs bibliques. Mais cela ne nous dit pas comment l'auteur biblique a pu imaginer une telle demande de la part de Dieu. Comment trouver sa voie dans toutes ces explications ? Pourquoi Isaac reste-t-il passif tout au long de l’épreuve, d’autant plus qu’il n’est plus un enfant ?

Regardons le texte d’un peu plus près. Nous découvrons Abraham comme un homme solitaire qui ne comprend pas ce qui lui arrive. Il agit seul. Il fend le bois seul, il scelle l’âne seul et s’il est accompagné de deux serviteurs ceux-ci ne disent rien. Il n’en est pas moins seul. Il n’a rien dit à sa femme. Il n’a même rien dit à Isaac. Abraham ne sait-il pas qu’il ne faut pas rester seul quand on croit entendre Dieu demander l’impossible? Ne sait-il pas qu’il faut vérifier auprès des autres s’il s’agit bien de la voix de Dieu car c’est auprès des autres nous nous essayons d’abord de vérifier la justesse de ce que nous croyons entendre de Dieu.

Abraham n'est pas sensible à l’exégèse des rabbins qui diront dans le Talmud que faire monter ne signifie pas sacrifier. Abraham n’est pas capable de les entendre. Il se tait, lui qui est l’ami de Dieu et qui sait argumenter avec lui, comme dans l’affaire de Sodome. Il se tait curieusement et s’enferme dans la décision qu’il a prise et qu’il ne veut partager avec personne. Il croit qu’il connaît Dieu intuitivement et qu’il est le seul à savoir la volonté de Dieu. Il n’a besoin de personne pour y voir clair. Il se croit dans la lumière alors qu’il est aveuglé par la monstruosité de ce qu’il va entreprendre. C’est lui qui dans un égarement curieux projette ses sentiments sur Dieu alors qu'il croit que c'est le contraire qui se produit. Il se croit proche de Dieu alors qu’il en est très loin.

Tel est Abraham, tel sommes-nous quand notre logique nous amène à prendre des décisions absurdes et que nous refusons de prendre le temps de la réflexion.

Trois jours de marche silencieuse et le voilà en vue du mont Morija que Dieu lui avait indiqué comme lieu du sacrifice. Morija n’est pas seulement un nom de lieu, c’est le nom de la montagne où sera construit le Temple, plus tard. Ce lieu a une histoire que nous trouvons dans le Livre des Chroniques (1). C’est le lieu où David avait cru, beaucoup plus tard, discerner lui aussi la volonté de Dieu. Il s’était lourdement trompé(2). C’est le jour où, contre l’avis de tous, il décida du recensement d’Israël car Dieu ne voulait pas le recensement de son peuple. Certes dix siècles séparent les deux histoires, mais les écrits qui rapportent ces événements ont été rédigés à la même époque, ils sont les seuls à parler du mont Morija qui n'est mentionné qu'à ces deux occasions dans la Bible.

C’est ce nom de Morija qui va nous servir de clé pour percer cette énigme. David avait cru que le Seigneur verrait d’un bon œil le recensement des tribus d’Israël qu’il avait ordonné. Il n’avait pas écouté la parole de ses proches qui lui disaient que telle n’était pas la volonté de Dieu. David n’écoutant que lui-même s’était entêté. Le recensement eut bien lieu, Dieu se fâcha et décida d’un châtiment exemplaire.

C’est précisément sur cette montagne de Morija, sur l’ère d’Ornân que David vit la main de l’Eternel arrêter l’épée de l’ange exterminateur pour protéger Jérusalem vouée à la destruction en châtiment du péché de David.

Par deux fois, sur ce même lieu la main de Dieu était intervenue pour sauver Isaac d’une part, Jérusalem de l’autre, qui l’un et l’autre était en danger de mort du fait que deux des Pères fondateurs d'Israël, Abraham et David, s’étaient crus capables à eux tout seuls de décider de la volonté de Dieu.

Que dire maintenant ? Si non qu'il peut arriver qu'on se méprenne sur la volonté de Dieu, même quand on fait partie des fidèles parmi les fidèles. Ceux-ci peuvent eux aussi se fourvoyer et ne pas comprendre la volonté du Seigneur. En réalité, ni Abraham, ni David n’ont été tentés par Dieu. Mais l’un et l’autre ont cru que leur intimité avec le Seigneur leur donnait la clairvoyance qu’ils n’avaient pas.

Quand Dieu parle et charge quelqu’un de mission, cette parole est généralement confirmée d'une manière ou d’une autre. Ni sa propre science, ni sa foi, ni son orgueil ne sont suffisants pour décider tout seul de la vérité d’une intuition. Pourtant il est bien souvent gratifiant de penser que Dieu nous met à l’épreuve pour éprouver notre foi. Cela nous valorise de penser que Dieu nous estime capables d'affronter une épreuve. Ce serait comme un examen de passage à l'échelon supérieur.

Il est vrai aussi qu’au creuset de l’épreuve, nous avons l’impression d’être dans un labyrinthe dont nous ne trouvons pas la sortie. Regardons encore une fois Abraham qui subit l’épreuve. Enfermé sur lui-même par la pensée qui l’obsède, il avance solitaire. Il ne sait même plus parler à Dieu son ami, et quand il voit le mont Morija, la montagne de Dieu, ce n'est pas la libération de son tourment qu'il entrevoit, mais la mort de son fils. Malgré son obstination, son blocage, sa douleur, Dieu veille. L’épreuve en devient d’autant plus douloureuse qu'Abraham croit que le seul qui pourrait le soulager est responsable de sa situation.

Pourquoi ne lève-t-il pas les yeux ? Pourquoi ne voit-il pas le bélier qui est déjà là par le soin de Dieu, pris par les cornes ? Pourquoi se fait-il mal à lui-même ? Pourquoi ne cherche-t-il pas aide et secours auprès de Dieu son ami?

Face à tous ces pourquoi, je peux dire seulement que quand l’épreuve pèse lourdement sur nous, au lieu d’accuser Dieu qui n’en est pas l’auteur il nous faut inlassablement tenter de saisir sa main qui nous cherche et que dans notre désarroi nous avons du mal à trouver. C’est le sujet d'un d’un nouveau sermon, mais ce sera pour une autre fois.


(1) 2 Ch 3/1 - (2) 1 Ch 21

Aucun commentaire: