Chapitre 15/1-15
Le cep et les sarments
1Moi, je suis le vrai cep, et mon Père est le vigneron. 2Tout sarment qui est en moi et qui ne porte pas de fruit, il le retranche ; et tout sarment qui porte du fruit, il l'émonde afin qu'il porte encore plus de fruit. 3Déjà, vous êtes émondés, à cause de la parole que je vous ai annoncée. 4Demeurez en moi, comme moi en vous. De même que le sarment ne peut de lui-même porter du fruit, s'il ne demeure sur le cep, de même vous non plus, si vous ne demeurez en moi. 5Moi, je suis le cep ; vous, les sarments. Celui qui demeure en moi, comme moi en lui, porte beaucoup de fruit, car sans moi, vous ne pouvez rien faire. 6Si quelqu'un ne demeure pas en moi, il est jeté dehors comme le sarment, et il sèche ; puis l'on ramasse les sarments, on les jette au feu et ils brûlent. 7Si vous demeurez en moi et que mes paroles demeurent en vous, demandez tout ce que vous voudrez, et cela vous sera accordé. 8Mon Père est glorifié en ceci : que vous portiez beaucoup de fruit, et vous serez mes disciples.
9Comme le Père m'a aimé, moi aussi, je vous ai aimés. Demeurez dans mon amour. 10Si vous gardez mes commandements, vous demeurerez dans mon amour, comme j'ai gardé les commandements de mon Père et que je demeure dans son amour. 11Je vous ai parlé ainsi, afin que ma joie soit en vous et que votre joie soit complète.
12Voici mon commandement : Aimez-vous les uns les autres, comme je vous ai aimés. 13Il n'y a pour personne de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis. 14Vous êtes mes amis, si vous faites ce que je vous commande. 15Je ne vous appelle plus serviteurs, parce que le serviteur ne sait pas ce que fait son maître. Je vous ai appelé amis, parce que tout ce que j'ai appris de mon Père, je vous l'ai fait connaître
Avez-vous déjà vu une vigne avant et après qu’elle ait été taillée, cela mérite le déplacement. Il n’y a pas besoin d’aller bien loin pour assister à cela. Celui qui assiste en promeneur à la taille en a pour les yeux et pour les oreilles. Le pied de vigne qui tend ses branches dénudées vers le ciel gris du mois de mars se trouve en très peu de temps réduit à très peu de choses : un moignon de bois tordu qui est le cep et quelques tiges de sarments mutilés qui porteront à l’automne les fruits qui pressés donneront le vin, signe de vie que le Christ partage avec le monde. Les claquements secs et discrets du sécateur déchirent le silence comme autant de petits cris de souffrance. Les sarments coupés devenus inutiles sont rassemblés en petits tas qu’une flamme claire réduit en cendres. Dans l’air encore frais du printemps qui commence à peine, s’entremêlent curieusement la vie qui va naître et la vie qui s’en va. Les sarments qui ne servent plus à rien disparaissent et la future récolte n’est encore qu’à l’état de promesses.
Nous avons là une image de l’Eglise. Elle n’est sans doute pas attractive, mais elle est porteuse d'espérance. Le cep qui représente son corps n’a d’intérêt que parce que le Christ l’habite. Il ressemble à un vulgaire morceau de bois fiché en terre. Son aspect insignifiant n’a d’intérêt que pour le vigneron qui sous l’écorce racornie perçoit déjà la sève qui murmure. Les quelques rameaux graciles, judicieusement taillés figurent les membres de l’Eglise et portent en eux l’espérance de la récolte. A première vue, l’aspect de la vigne n’est guère engageant et n’offre rien d’attrayant. Telle est l’image que Jésus utilise pour exhorter toutes les églises qui vont naître au cours des siècles. Elles sont averties du fait que leur fidélité dépendra d’une taille appropriée pour que leurs fruits produisent le meilleur vin pour annoncer le royaume qui vient. On croirait à évoquer cette image entendre la voix de Jean Calvin déclarant que l’Eglise réformée est toujours à réformer, comme le vigneron qui chaque année doit tailler sa vigne pour la rendre féconde. Il la réduit pour la faire grandir.
Jésus nous a habitués à d’autres images pour dynamiser son Eglise. Il nous l’a décrite comme une graine qui pousse toute seule et qui d’un seul coup se recouvre de feuillage tellement épais que les oiseaux peuvent s’abriter sous son ombre. Elle peut prendre l’aspect fragile d’une coque de noix livrée à la furie des flots que Jésus calme avec autorité et qui arrive sereinement au port. Paul a utilisé l’image du sportif dans le stade qui court pour recevoir la palme du vainqueur. Par contre ici c’est la seule fois dans l’Evangile qu’on nous décrit l’Eglise comme une plante que l’on mutile pour la rendre plus productive. Les coups de sécateurs sont perçus comme autant de souffrances nécessaires que le Seigneur nous imposerait pour obtenir le triomphe de son Eglise. Nous ne comprenons pas pourquoi Dieu nous soumettrait régulièrement une telle épreuve, comme s’il voulait par avance justifier les souffrances que le sort nous réserve d’une manière inexplicable.
Détrompez-vous, il n’y a pas ici une esquisse de la doctrine de la rédemption par la souffrance comme certains le souhaiteraient. Il nous faut revenir au texte et repérer comment Dieu s’y prend pour tailler la vigne. En effet, il ne prend pas de sécateur et il ne la fait pas souffrir. C’est sa Parole qu’il produit les effets souhaités et que les rameaux que nous sommes sont taillés. C’est par le moyen de la Parole, que nous avons cru que Dieu était tout entier dans les œuvres de Jésus, c’est par elle que nous avons décidé de nous attacher au Christ. C’est elle qui guide les étapes de notre vie chrétienne, et si quelque chose est à retrancher ou à enlever de nos vies, c’est par elle que nous les reconnaissons et c’est librement que nous décidons de les enlever. Ce n’est donc pas Dieu qui opère des ablations douloureuses, mais c’est chacun de nous qui régule sa vie selon que la parole le pousse dans un sens ou dans un autre. C’est par fidélité à sa parole que nous faisons les choix qui donnent du sens à notre vie. La Parole de Dieu est l’élément régulateur dont nous nous servons, bien souvent sans nous en rendre compte, pour purifier notre vie et rester fidèlement attachés au cep qui est le corps principal de l’Eglise et sous l’écorce duquel se dissimule le Christ lui-même.
Je me suis plu à dépeindre le cep comme un morceau de bois sans grand intérêt. On ne le remarquerait pas si ses sarments ne se couvraient de feuilles, de vrilles et de pampres prometteurs de fruit et de joie. Le cep n’a de raison d’être que dans ses branches qui lui donnent la récompense de ses efforts. Ses efforts consistent à acheminer la sève jusqu’au plus lointain de ses rameaux. Le cep ne peut vivre sans les rameaux qui ne peuvent vivre sans lui. Le Christ ne peut être vraiment porteur de vie que si les fidèles sont porteurs de vie à leur tour.
Chacun des fidèles que nous sommes est ici interrogé au sujet de lui-même et du témoignage que sa propre vie rend au Christ. Nous, sommes mis en face de nos responsabilités car c’est aux fruits que nous produirons que l’on reconnaîtra le Seigneur et que le Seigneur sera glorifié, et si le Seigneur est glorifié il le sera dans la joie. Notre existence n’a pas d’autre but que de mettre le Seigneur dans la joie, et il sera heureux si l’ensemble de sa création évolue avec harmonie.
Nous avons compris que le Seigneur nous rend efficaces par l’esprit qu’il dépose en nous. C’est la sève qui monte du cep vers les sarments qui permet aux fruits de se gorger de vie avant de devenir le vin nouveau qui abreuve le monde. Si le fruit n’est pas bon et que le vin tourne à la piquette, que se passe-t-il ? Cela vient-il de ce que le cep est trop vieux et qu’il faut le changer, ou cela vient-il du fait que les sarments ont été mal taillés, sucent la sève et ne donnent pas de bons fruits ? D’une manière générale, en ces temps actuels, on a tendance à croire que les idées force qui animent la vie sur terre depuis 2 000 ans sont dépassées, que le cep est trop vieux et qu’il faut le changer. On prétend que le Christianisme a fait son temps et qu’en ce début de millénaire, il faut faire place à de nouvelles spiritualités.
Qui veut tuer son chien l’accuse de la rage, qui veut refuser l’Evangile prétend qu’il est illisible, qui voit la paille dans l’œil des autres ne perçoit sans doute pas la poutre qui est dans le sien. Comment donner du sens à sa vie si on est incapable de s’orienter soi-même ?
L’Evangile que nous reconnaissons comme Parole de Dieu est à notre disposition pour nous aider à nous remettre en cause, pour rejeter ce qui est nocif, pour refuser ce qui n’est pas porteur d’espérance. C’est ainsi qu’il nous est suggéré de trouver dans l’Ecriture ce qui est porteur de fruit et de rejeter le reste. Si quelque chose ne va pas, c’est en nous qu’il faut le chercher et non pas dans le cep qui nous abreuve de sève.
Le fruit que nous sommes sensés produire, le vin nouveau qui abreuve le monde, c’est l’amour que nous avons en nous-mêmes et qui doit motiver toutes nos relations avec les autres. Si le monde manque d’amour aujourd’hui, et il manque d’amour, ce n’est pas la faute de Dieu qui nous prodigue aujourd’hui comme toujours le même évangile.
Si les choses vont mal c’est que les hommes ne savent plus aimer et quand les hommes ne sont plus capables de s’aimer les uns les autres, ils s’oppriment entre eux, les plus forts violentent les plus faibles pour les déposséder de leurs biens. C’est à cause du manque d’amour que la moitié du monde vit au détriment de l’autre moitié. C’est à cause du manque d’amour que ceux qui ne sont pas des esclaves s’arrogent le droit de commander ceux qui le sont encore. Curieusement, l’Evangile a été prêché jusqu’aux extrémités du monde et l’amour n’a pas suivi. S’il faut à nouveau tailler la vigne, il faudra savoir quels rameaux doivent être taillés et à quelle hauteur ils doivent l’être. « Heureux ceux qui écoutent ma parole et qui la gardent dit le Seigneur. »
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