mardi 9 juin 2009

Deux femmes en espérance de vieMarc 5:21-43 dimanche 28 juin


Marc 5




21Jésus regagna l'autre rive en bateau, et une grande foule se rassembla auprès de lui. Il était au bord de la mer. 22 Un des chefs de la synagogue, nommé Jaïros, arrive ; le voyant, il tombe à ses pieds 23 et le supplie instamment : Ma fillette est sur le point de mourir ; viens, impose-lui les mains, afin qu'elle soit sauvée et qu'elle vive. 24 Il s'en alla avec lui. Une grande foule le suivait et le pressait de toutes parts.

25 Or il y avait là une femme atteinte d'une perte de sang depuis douze ans. 26 Elle avait beaucoup souffert du fait de nombreux médecins, et elle avait dépensé tout ce qu'elle possédait sans en tirer aucun avantage ; au contraire, son état avait plutôt empiré. 27 Ayant entendu parler de Jésus, elle vint dans la foule, par-derrière, et toucha son vêtement. 28 Car elle disait : Si je touche ne serait-ce que ses vêtements, je serai sauvée ! 29 Aussitôt sa perte de sang s'arrêta, et elle sut, dans son corps, qu'elle était guérie de son mal.

30 Jésus sut aussitôt, en lui-même, qu'une force était sortie de lui. Il se retourna dans la foule et se mit à dire : Qui a touché mes vêtements ? 31 Ses disciples lui disaient : Tu vois la foule qui te presse de toutes parts, et tu dis : « Qui m'a touché ? » 32 Mais il regardait autour de lui pour voir celle qui avait fait cela. 33 Sachant ce qui lui était arrivé, la femme, tremblant de peur, vint se jeter à ses pieds et lui dit toute la vérité. 34 Mais il lui dit : Ma fille, ta foi t'a sauvée ; va en paix et sois guérie de ton mal.



35 Il parlait encore lorsque arrivent de chez le chef de la synagogue des gens qui disent : Ta fille est morte ; pourquoi importuner encore le maître ? 36 Mais Jésus, qui avait surpris ces paroles, dit au chef de la synagogue : N'aie pas peur, crois seulement. 37 Et il ne laissa personne l'accompagner, si ce n'est Pierre, Jacques et Jean, frère de Jacques. 38 Ils arrivent chez le chef de la synagogue ; là il voit de l'agitation, des gens qui pleurent et qui poussent de grands cris. 39 Il entre et leur dit : Pourquoi cette agitation et ces pleurs ? L'enfant n'est pas morte : elle dort. 40 Eux se moquaient de lui. Mais lui les chasse tous, prend avec lui le père et la mère de l'enfant, ainsi que ceux qui l'accompagnaient, et il entre là où se trouvait l'enfant. 41 Il saisit l'enfant par la main et lui dit : Talitha koum, ce qui se traduit : Jeune fille, je te le dis, réveille-toi ! 42 Aussitôt la jeune fille se leva et se mit à marcher — en effet, elle avait douze ans. Ils furent saisis d'une grande stupéfaction. 43 Il leur fit de sévères recommandations pour que personne ne le sache, et il dit de lui donner à manger.





Bizarre, vous avez dit bizarre. Deux récits enchevêtrés l’un dans l’autre qui semblent totalement différents l’un de l’autre et qui pourtant disent la même chose. Ils disent que quand Jésus intervient dans l’existence d’une personne cette personne entre dans la vérité de sa vocation d’être humain et devient capable de l’assumer totalement. Ici il y a deux femmes que tout oppose, mais qui ont le même mal. Elles ont ce qu’on peut appeler le mal de vivre. La plus vieille, celle dont le récit vient s’imbriquer dans le récit de l’autre, est atteinte d’une perte de sang, elle ne peut assumer son mal et la loi aggrave sa situation car tout ce qu’elle touche du fait de son mal devient impur. C’est la loi du sang qui remonte à Moïse. Elle doit donc vivre à l’écart des autres. Non seulement elle est malade, mais encore elle est rejetée.

La seconde, la plus jeune a 12 ans, elle a l’âge de devenir femme et la mort la surprend avant qu’elle le devienne. Françoise Dolto a fait une étude intéressante sur le cas du Père de cette de cette jeune fille. Elle montre que dans son affection pour l’enfant, il fait tout pour qu’elle reste une petite fille, c’est pourquoi il parle d’elle en disant : « ma petite fille ». En orient à cette époque on mariait les filles à douze ans. Il se substitue aussi à sa mère dont il n’est fait mention qu’à la fin. Dans son désir de la conserver dans son enfance, il l’empêche de grandir et l’entraîne à ne pas devenir adulte, donc à mourir. En fait c’est l’enfant qui meurt, comme dans toutes situations de fin d’adolescence, mais l’adulte qui devrait naître ne prend pas vie. La résurrection de l’enfant sera, en fait, la libération de l’adulte qui était en elle et qui avait besoin qu’on agisse sur elle pour la faire vivre.

Elles sont toutes les deux atteintes dans leur situation de femme. L’action de Jésus auprès de la jeune fille, comme auprès de l’autre femme est la même. Les chiffres sont là pour nous le faire comprendre. La plus âgée a cessé d’être femme depuis sa perte de sang il y a douze ans. L’autre meurt à douze ans, avant de devenir femme. La rencontre avec Jésus fait que toutes les deux retrouvent la vie avec leur handicap en moins. La rencontre avec Jésus a provoqué chez chacune d’elles une nouvelle vie. Que vont-elles en faire ? Nul ne le sait c’est du domaine de leur liberté. Mais elles ont toutes deux traversées des situations de mort où les hommes ont joué un rôle aggravant. Il y a fort à parier qu’elles n’auront plus besoin des hommes pour gérer leur nouvelle vie.

Jésus quant à lui slalome au milieu des interdits. La première femme en le touchant le rend impur, c’est sans doute selon la loi une très grande faute que de rendre un rabbi impur, il n’en a cure. Il se précipite vers la deuxième qui est morte, le contact de la mort, là aussi devrait le rendre impur, il ne s’en soucie pas. Il s’enferme avec elle dans son espace de mort et la ramène à la vie.


Jésus ne se soucie nullement des règles du pur et de l’impur, il ne semble avoir qu’un seul impératif, celui de lutter de toutes ses forces contre les handicaps qui font obstacle à la vie. Même si la loi religieuse, fut-elle celle de Moïse s’oppose à lui, il la contourne, car pour lui la préservation de la vie est plus forte que les exigences de la loi. Pour lui, une loi qui ne favorise pas la vie ne vient pas de Dieu, même si on se réfère à Moïse pour l’appliquer.

Quand Jésus s’intéresse à la vie de quelqu’un, c’est pour lui permettre de se dépasser et pour accomplir son destin d’être humain. Par ce récit il nous suggère la méthode à suivre. Si nous voulons être pleinement témoins de Jésus nous devons aider les autres à dépasser les handicaps ou les aliénations qui les perturbent. Ainsi, ils pourront se trouver, à notre contact, dans un état meilleur car il ne faut jamais perdre de vue que c’est la vie qui doit donner son sens à nos attitudes.

Dans les deux cas il semble que le comportement des hommes ait été un obstacle à la vie de chacune de ces femmes. Pour la première se sont les règles religieuses qui la marginalisent par rapport à la société des hommes. Pour la deuxième, les règles familiales ont joué contre elle. Dans les deux cas Jésus les transgresse au nom d’une nécessité qui s’impose comme prioritaire en toute chose : la vie.

Quand Jésus a rendu la vie à l’une comme à l’autre, il les laisse vivre. Va en paix dit-il à la première, sachant très bien qu’elle sera capable de gérer toute seule le retour à la vie qu’elle vient de faire. Quant à la jeune fille, il recommande qu’on lui donne à manger, c’est à dire qu’on lui donne seulement les éléments de subsistance dont elle besoin. Pour le reste, elle s’en chargera elle-même car elle est devenue adulte. Elle est capable de s’en sortir toute seule. Jésus fait confiance aux gens qu’il sauve, il n’a pas besoin que les hommes, la société ou l’Eglise en rajoutent. Or nous savons-bien de quelle manière nous sommes prudents à l’égard de ceux qui découvrent l’action de Dieu en eux. Nous savons combien les églises cherchent à les guider. Pourtant il semblerait que la découverte du Christ en eux soit à elle seule suffisante pour leur servir de guide.

Si Jésus libère des contraintes qui mènent à la mort il n’impose en contrepartie aucune condition pour vivre la liberté qu’il donne. La vie qu’offre le Christ est une vie sans contraintes. Par le passé nos Eglises n’ont pas su découvrir cette dimension de l’Evangile. Je parle du passé car le présent reste à construire et c’est à nous de le faire. Pour ce qui est du passé, elles ont vu que les hommes en terres lointaines étaient opprimés par un tas d’aliénations dont on a attribué la responsabilité au paganisme. On est allé à leur secours. On les a secourus, on les a aidés et on les a convertis. Ce fut l’œuvre de la mission. Des peuples entiers ont découvert la foi libératrice du Christ. La mission a fait une oeuvre immense mais par voie de conséquence elle a aussi imposé des règles de civilisation qui ont eu pour effet de contraindre ceux qui adhéraient à la foi à entrer dans un système tout aussi contraignant que celui dont ils sortaient. C’est ainsi que la « mission » s’est faite agent de la « colonisation ». Attitude tant décriée aujourd’hui. On a colporté au-delà de nos frontières nos habitudes d’occidentaux et nos divisions d’Eglises, nos systèmes d’économie et nos modes de fonctionnement. Nous avons pris la leçon du passé, et sans doute trop tard, nous avons compris qu’il n’était pas évangéliquement correct de convertir les gens pour leur imposer nos modes de vie.

Si l’Evangile est libérateur, il ne peut déboucher sur de nouvelles contraintes. Le risque consiste à croire que l’on peut intervenir dans la vie d’autrui au nom de Jésus Christ, de les guérir au nom de Jésus Christ et en contre partie de les asservir au nom de Jésus Christ.


Ceci étant dit, comment être témoin de l’Evangile aujourd’hui, en sachant que la seule vraie réponse est de faire évoluer les situations contraignantes vers des situations libératrices? Comme toujours, on risque d’en décevoir beaucoup, il n’y a aucune réponse ferme et définitive mais on peut donner des orientations. Nous savons que si l’Evangile est libérateur, il n’est pas contraignant. Si la conversion à Jésus Christ consiste à libérer les hommes de leurs péchés, il ne nous appartient pas de pécher à notre tour en leur refusant la confiance que Jésus leur a donnée en les appelant à lui. Il nous faut tenir pour prioritaire le fait que l’être humain, à la rencontre duquel vient Jésus, se trouve libéré, de facto, de toute contrainte. A nous alors d’agir au mieux de notre conscience.

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