30 Partis de là, ils traversaient la Galilée, et il ne voulait pas qu'on le sache. 31 Car il instruisait ses disciples et leur disait : Le Fils de l'homme est sur le point d'être livré aux humains ; ils le tueront, et, trois jours après sa mort, il se relèvera. 32 Mais les disciples ne comprenaient pas cette parole, et ils avaient peur de l'interroger.
Qui est le plus grand ?
Qui est le plus grand ?
33 Ils arrivèrent à Capharnaüm. Lorsqu'il fut à la maison, il se mit à leur demander : A propos de quoi raisonniez-vous en chemin ? 34 Mais eux gardaient le silence, car, en chemin, ils avaient discuté pour savoir qui était le plus grand. 35 Alors il s'assit, appela les Douze et leur dit : Si quelqu'un veut être le premier, qu'il soit le dernier de tous et le serviteur de tous. 36 Il prit un enfant, le plaça au milieu d'eux et, après l'avoir pris dans ses bras, il leur dit : 37 Quiconque accueille en mon nom un enfant, comme celui-ci, m'accueille moi-même ; et quiconque m'accueille, ce n'est pas moi qu'il accueille, mais celui qui m'a envoyé.
Je
m’interroge à la lecture de ce texte à propos de cette opposition qu’on y
trouve entre le fait d’être grand et le fait d’être un enfant. Si on éclaire ce
texte par les textes parallèles dans les autres Evangile, on obtient une
précision selon laquelle il s’agit ici d’être grand dans la foi. Ce serait à la
foi des adultes que Jésus opposerait la foi d’un enfant et c’est
la spontanéité de l’enfant, sa
candeur aussi qu’il mettrait en avant en l’opposant à la foi bien structurée
des adultes
Nous sommes sans doute mieux
placés pour comprendre les propos de Jésus que ses contemporains, car
aujourd’hui, les enfants sont au centre des préoccupations de notre société.
L’enfant est devenu roi dans un monde où tout tourne autour de lui. Il est
devenu le type même du consommateur que les marques cherchent à séduire pour
orienter le goût des adultes. On n'hésite même pas à faire de ces chers petits, des donneurs de leçon aux adultes pour vérifier
qu’'ils font correctement le tri de leurs ordures ou pour leur dire de ne
pas téléphoner en voiture.
Pourtant, si l’enfant est roi dans les
sociétés favorisées, il ne l’est pas dans les sociétés
défavorisées si bien qu’à
côté du monde des enfants rois, il y a aussi le monde des enfants victimes, et
c’est à ce monde-là qu’appartenait Jésus.
Il fallait cependant faire
le point sur la situation de l’enfant dans nos sociétés post-modernes pour
comprendre l’attitude de Jésus. Il prend un enfant en
exemple pour montrer le chemin que l’on doit suivre si on veut devenir grand aux
yeux de Dieu. Dans la société de Jésus l’enfant n’avait pas un sort enviable.
Il était le plus souvent considéré comme une charge.
Il était avant tout une bouche de
plus à nourrir. On le faisait travailler très tôt pour un salaire inexistant,
c’est ainsi qu’il fournissait une main d’œuvre peu coûteuse dont on avait
tendance à abuser. Victime
de la mauvaise alimentation et de l’hygiène déficiente, beaucoup mouraient en
bas âge. Sans doute l’enfant, était-il aimé par ses parents, mais il n’était
pas choyé comme aujourd’hui. Les chagrins que causait la mortalité infantile
poussaient les parents à ne pas trop s’attacher aux tout petits dont beaucoup
ne survivaient pas à la petite enfance.
C’est donc dans ce contexte
que Jésus intervient en plaçant un enfant devant eux à titre d’exemple. On se demande alors en quoi un enfant
aurait-il pu donner un exemple de grandeur ?
Un enfant n’avait pas
d’instruction et il n’avait aucun savoir. Une société faite seulement d’enfants
aurait été vouée à une disparition certaine. On ne voit pas en quoi les enfants
pourraient nous mettre sur le chemin de la sagesse spirituelle qui plairait à
Dieu ? Pourtant c'est bien en
s'appuyant sur la sagesse des enfants que Jésus a quelque chose à nous dire sur
notre relation à Dieu.
En fait les enfants ne sont
pas des adultes en miniature. Ils ne pensent pas comme des adultes, ils ne
réagissent pas non plus comme eux. Ils ont un comportement qui leur est propre.
Ils ont en particulier une faculté d’émerveillement que n’ont pas les adultes.
En contrepartie, les adultes ont le savoir et la science ou la sagesse dont ils
font beaucoup de cas en matière spirituelle. Aujourd’hui, comme jadis à
l’époque de Jésus, on donne un enseignement religieux aux enfants pour qu’ils
puissent acquérir les notions élémentaires de la foi. Pour faire partie d’une
communauté chrétienne, encore aujourd’hui, ne faut-il pas avoir franchi les
étapes du catéchisme et avoir fait ses premiers pas comme catéchumène ?
Des adultes dûment patentés
sont chargés d’enseigner les enfants, ils sont à la fois des enseignants et des
gardiens de la tradition. C’était la même situation à l’époque de Jésus. Il
était nécessaire de connaître les 613 articles de la Loi ou tout au moins les dix
commandements qu’il fallait respecter, pour espérer communiquer avec Dieu et
grandir dans la foi. C’est sur ce point que Jésus semble en désaccord avec nous
et avec les adultes de son temps. Il semble contester le fait que pour être un homme de
foi il faille avoir acquis l’expérience auprès de plus savant que
soi.
L’enfant, peut-être plus que l’adulte, sait
observer ce qui se passe en lui. Il découvre
très vite que son cœur est habité de pensées bonnes et de pensées mauvaises. Il
sait aussi que des sentiments parcourent son âme. Il a un sens de la beauté, de
la justice, de la droiture qui lui est propre, sans que les adultes comprennent
ce qui se passe en lui. Mais, sans doute
l’enfant ne sait pas mettre un nom sur
l’origine de ces phénomènes, il ne sait pas que Dieu travaille en lui, mais il
en constate les effets dans sa naïveté sans pour autant comprendre vraiment ce
qu’il ressent. Pourtant, très vite les adultes
interviennent pour expliquer ces mystères et pour lui indiquer la bonne voie à
suivre et l’enfant perd sa candeur et sa faculté d’émerveillement. Très vite
ses parents puis ses enseignants vont lui apprendre à maîtriser le cours de sa
vie intérieure, et ils vont lui enseigner en même temps tout ce qu’il faut
savoir sur
Dieu sur le péché sur la loi et l’enfant passe de la spontanéité enfantine à la raison de
l’adulte.
L’enfant va alors apprendre ce que les
hommes savent depuis des siècles sur Dieu, et c’est ainsi qu’il deviendra un adulte bien élevé et un croyant honnête face à Dieu,
croit-on. Mais Jésus trouve que les choses vont trop vite et que l’on ne
donne pas à cette naïveté le temps de faire son œuvre.
Ainsi sans que les adultes,
parents ou éducateurs s’en souviennent leur premier contact avec Dieu, à eux
aussi, s’est fait à partir d’expériences
de vie
intérieure qu’ils
ont faites quand ils étaient enfants. En ont-ils gardé le souvenir? De
fait on leur a vite enseigné ce qu'ils devaient savoir sur le vrai Dieu.
Quelle que soit la façon dont
les enfants entendent parler de Dieu par les adultes, cela
se passe toujours de la même manière.
Les adultes donnent une information sur Dieu sans se soucier des émotions
que peut
avoir eu le petit enfant dans sa vie intérieure.
Jésus sait bien, quant à
lui, que ce sont les expériences de la vie intérieure qui nous amèneront les
uns et les autres à une connaissance personnelle de Dieu. Il invite donc ceux
qui l’écoutent à faire une descente au fond
d’eux-mêmes avec la même naïveté que le ferait un enfant qui ne sait pas encore
s’exprimer et qui découvre que « ça » parle au fond de lui.
Il nous invite donc à
retrouver une spontanéité intérieure. Elle a été sans doute altérée par ce que
l’éducation nous a apporté et qui a fait de Dieu une réalité extérieure à
nous-mêmes, si bien que nous ne savons plus très bien entendre quand Dieu Dieu s’adresse à nous au plus profond de notre âme. Jésus ne méprise pas pour
autant l’enseignement de la loi, il ne rejette pas la tradition rapportée par les
¨Pères, mais il dit aussi que nous ne pouvons pas progresser dans la foi si nous n’essayons
pas de converser avec Dieu dans notre intimité, là où personne ne peut nous
accompagner ni venir avec nous.
Si aujourd’hui beaucoup
d’hommes se détournent de Dieu, c’est sans doute parce qu’on leur a
enseigné à se référer à un Dieu qui parle à l’extérieur d’eux-mêmes au travers
des textes et des traditions et ils découvrent que ce Dieu là n’est pas en adéquation avec le monde moderne. Ceux qui
désespèrent de ne pas trouver dans le Dieu que prêchent les hommes, la voie de
leur salut, la trouveront quand même s’ils essayent de retrouver un cœur
d’enfant et de s'émerveiller de l’action
de Dieu en écoutant ce qu’il leur dit au plus profond de leur personne.
Jésus nous invite à dépasser les conventions de la religion, pour retrouver une
vie intérieure et tenter d'écouter Dieu
qui a choisi l'humain pour en faire son interlocuteur. Il ne veut pas lui
donner un message connu d'avance qui serait inscrit de tout temps dans les
Ecritures, mais il veut l'inviter à un dialogue interne avec Dieu dont il
découvre, bien évidemment la pertinence dans les Ecritures qui lui serviront
désormais à éclairer le dialogue intérieure qu'il aura avec Dieu.
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