Marc 12/41 – 13/3
38 Il leur disait, dans son enseignement : Gardez-vous des scribes ; ils aiment se promener avec de longues robes, être salués sur les places publiques, 39 avoir les premiers sièges dans les synagogues et les premières places dans les dîners ; 40 ils dévorent les maisons des veuves et, pour l'apparence, ils font de longues prières. Ils recevront un jugement particulièrement sévère.
41 S'étant assis en face du Trésor, il regardait comment la foule y mettait de la monnaie de bronze. Nombre de riches mettaient beaucoup. 42 Vint aussi une pauvre veuve qui mit deux leptes valant un quadrant. 43 Alors il appela ses disciples et leur dit : Amen, je vous le dis, cette pauvre veuve a mis plus que tous ceux qui ont mis quelque chose dans le Trésor ; 44car tous ont mis de leur abondance, mais elle, elle a mis, de son manque, tout ce qu'elle possédait, tout ce qu'elle avait pour vivre.
13 /1 Alors qu'il sort du temple, un de ses disciples lui dit : Maître, regarde, quelles pierres, quelles constructions ! 2 Jésus lui répondit : Tu vois ces grandes constructions ? Il ne restera pas pierre sur pierre qui ne soit renversée.
On se sent bien petit et plein d’admiration devant un tel texte. On admire la foi de cette femme, mais on n’a nullement envie de lui ressembler. C’est souvent ainsi dans l’Evangile. Les gens que l’on nous donne à admirer, voire même à nous identifier à eux, sont bien souvent des ratés de la société ou des laissés pour compte, telle cette femme. On dirait que malgré les difficultés de notre vie Jésus nous reproche les bons moments que nous avons et les quelques avantages que notre société avancée nous procure. On dirait que pour faire son salut il faudrait être pauvre comme saint François d’Assise et rendre gloire à Dieu de notre pauvreté et de notre médiocrité. C’est ainsi que la chose a été comprise pendant de nombreux siècles jusqu’à ce que la Réforme bouscule le bien fondé de cette situation et rappelle que le salut est gratuit et qu’on ne l’acquiert pas en se faisant volontairement pauvre. En leur donnant une certaine faveur Jésus voulait montrer que ce n’est pas le dénuement qui mène à Dieu mais que c’est la richesse qui peut faire obstacle à la perception de la volonté de Dieu.
Pourtant ici en lisant ce texte je ne peux qu’éprouver un profond malaise et cette petite scène anodine va nous amener à nous poser des questions sur la personne de Jésus quant à la manière dont il est présent au monde. Il y a ici un certain nombre d’incohérences dont il va bien falloir rendre compte. C’est ce que je vais essayer de faire.
Pour peu que votre esprit soit en éveil, et qu’il soit assez critique, il ne pourra qu’être surpris, si non choqué quand il fera la constatation suivante : Jésus félicite une femme qui fait un geste qui ne va servir à rien.
En effet, il fait l’éloge devant ses intimes d’une pauvre femme qui se sacrifie littéralement en donnant tout ce qui lui est nécessaire à la vie pour l’entretien du temple de Jérusalem dont il annonce la destruction quelques instants plus tard. Cette constatation est si choquante, qu’elle doit nous arrêter et nous forcer à donner une explication logique à ce qui pour l’instant n’en a pas. Ici Jésus, approuve un sacrifice qui, selon son propre jugement ne servira à rien.
En fait tout est ici fait pour nous mettre mal à l’aise, et nous avons l’impression d’être pris au piège de notre propre foi. Jésus semble être blasé par le spectacle de la collecte de l’argent. Pensez-y au moment de l’offrande quand vous irez au Temple ou à l’Eglise. « Jésus regardait comment les foules mettaient de l’argent, plusieurs riches mettaient beaucoup... » Jésus ne critique pas, il ne louange pas non plus, il constate simplement. Aucun jugement de valeur n’est porté contre ceux qui donnent beaucoup. C’est alors qu’il attire l’attention de ses amis sur la veuve et le texte insiste sur l’insignifiance de la somme qu’elle met dans le tronc: « 2 pièces faisant un quart de sou »(1). Autant dire rien du tout, mais elle a donné de son nécessaire. Elle a puisé dans la caisse du ménage pour plaire à Dieu. Elle lui a donné la valeur du morceau de pain qu’elle ne mangera pas. Elle prend de son nécessaire vital pour en faire offrande à Dieu. Ainsi entre-t-elle avec Dieu dans une relation de vie. Il y a ici bien plus qu’un simple geste, bien plus qu’une simple action de grâces : elle ne chante pas seulement « prends ma vie elle est toute à toi »... comme nous le chantons souvent, mais elle la donne concrètement. En donnant cet exemple, l’évangéliste nous rappelle que notre relation à Dieu engage notre vie. Notre relation à Dieu est aussi importante que la vie que nous menons, que l’air que nous respirons que le pain que nous mangeons. Pouvons-nous faire comme elle, dans une société où l’argent est devenu le maître à penser, et où n’a de valeur aujourd’hui que ce qui permet un profit immédiat.
Le geste de la femme est cité en exemple sans qu’aucun autre commentaire ne soit fait, ni sur l’argent, ni sur les riches. La femme ne sait même pas qu’elle a retenu l’attention de Jésus pendant quelques secondes. Jésus n’a même pas eu une parole pour lui dire la faveur de Dieu à son égard. L’Evangile insiste seulement sur la valeur du sacrifice volontaire qui établit une relation de vie entre Dieu et la femme. C’est tout.
Mais tout n’est pas si simple car le temple doit être détruit. C’est ce constat qui complique les choses. L’étrange prophétie de Jésus annonçant la disparition du temple semble rendre vain et inutile cet acte qui lie la femme à son Dieu. Le temple pour lequel elle sacrifie ainsi sa vie sera démoli! Il ne restera plus pierre sur pierre. Comment Jésus peut-il faire une telle prophétie, que l’histoire va vérifier, après avoir insisté sur le geste remarquable de cette femme que cette prophétie rend parfaitement inutile?
En fait, il me semble que les choses ne sont pas inscrites d’avance dans l’histoire. Il n’y a pas de déterminisme dans la pensée judéo-chrétienne. Jamais on ne pourra dire c’était écrit d’avance. Le jour de ma mort, et l’événement par lequel je quitterai cette terre n’est pas écrit à l’avance, ni dans le livre de Dieu comme le pensent les musulmans ni dans les astres comme le pensent les astrologues. S’il en était ainsi la révélation chrétienne n’aurait aucun sens puisque les hommes seraient voués à un destin préétabli. Dans un tel contexte, le ministère de Jésus n’aurait aucun sens. L’histoire se vit donc au jour le jour dans l’existence des hommes qui cherchent par leurs actions à répondre à la mission et à la vocation que Dieu leur a donnée. C’est dans ce contexte que s’inscrit le geste de la femme. Le geste de la femme va dans le sens de la vie telle que Dieu la souhaite et telle que Jésus, l’annonce. En contribuant de tout son être à l’édification du sanctuaire terrestre où réside le nom de Dieu elle participe à la volonté créatrice du Seigneur. C’est dans ce sens que Jésus valorise son action.
Ce geste n’empêche pas pour autant Jésus de considérer avec lucidité la situation sociopolitique de son époque. Jésus sait, comme tout un chacun que si les tensions entre juifs et romains persistent, la guerre finira par éclater et le sanctuaire sera détruit. La prophétie de Jésus relève de la lucidité politique plutôt que de la théologie.
La destruction du temple est de l’ordre du possible et même du probable elle est liée au péché et à la violence des hommes et pas forcément à la volonté de Dieu. Encore une fois, répétons que les hommes sont appelés chaque jour à écrire l’histoire avec ce qu’ils y mettent. Ils trouve le sens des valeurs justes, à l’écoute de leur Dieu. Mais ils sont aussi habités par le mal et quand ils se mettent à l’écoute de leur cupidité et de leurs passions, c'est le mal qui s'inscrit dans l'histoire. Cette double tension leur sert à écrire l’histoire. Dieu ne prévoit pas à l’avance ce qui déterminera le cours des choses. Si Jésus avait su que Dieu avait décidé la destruction du Temple, il n’aurait pas tenu les propos qu’il a tenu sur la veuve comme il l’a fait. Jésus ne s’est jamais très clairement exprimé sur la destruction du temple, se sont ses ennemis qui au moment du procès ont joué sur les mots en disant qu’ « Il avait parlé de la destruction du temple ». L’Evangéliste Jean d’ajouter « qu’il parlait du temple de son corps ». Les disciples en fait n’ont retenu que des paroles ambiguës à propos du temple.
En prophétisant la destruction du temple Jésus ne fait pas état d’une décision préétablie de Dieu qui conduirait l’histoire indépendamment des hommes, mais Jésus fait état du péché des hommes qui les empêche d’agir en harmonie avec Dieu.
En faisant allusion à la démolition future du temple, Jésus se place dans la même ligne prophétique que les grands prophètes de l’antiquité juive tels Esaïe ou Jérémie. Leurs prophéties qui annonçaient les catastrophes étaient perçues comme conséquence du péché des hommes. Mais les prophètes prévoyaient que leurs prophéties pouvaient ne pas s’accomplir si le peuple changeait d’attitude
Le malheur annoncé par une prophétie peut toujours être suspendu par le repentir du peuple. Le repentir, c’est à dire le retour vers Dieu rend toujours possible une nouvelle participation des hommes à l’œuvre de Dieu. Le retour des hommes vers Dieu leur permet toujours de collaborer à nouveau avec lui dans le sens positif de l’histoire.
La femme du récit collabore donc avec Dieu, mais ce geste n’empêchera pas la folie des hommes de commettre l’irréparable et d’entraîner dans leur folie la destruction du temple comme ce fut jadis le cas à l’époque de Nabuchodonosor.
(1) selon la traduction de la nouvelle version Second révisée :"2 leptes valant 1 quandrant"
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