Chapitre 5
Le « Sermon sur la montagne »
1 Voyant les foules, il monta sur la montagne, il s'assit, et ses disciples vinrent à lui.
2 Puis il prit la parole et se mit à les instruire :3 Heureux les pauvres en esprit, car le royaume des cieux est à eux !
4 Heureux ceux qui pleurent, car ils seront consolés !
5 Heureux ceux qui sont doux, car ils hériteront la terre !
6 Heureux ceux qui ont faim et soif de justice, car ils seront rassasiés !
7 Heureux ceux qui sont compatissants, car ils obtiendront compassion !
8 Heureux ceux qui ont le cœur pur, car ils verront Dieu !
9 Heureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu !
10 Heureux ceux qui sont persécutés à cause de la justice, car le royaume des cieux est à eux !
11 Heureux êtes-vous lorsqu'on vous insulte, qu'on vous persécute et qu'on répand faussement sur vous toutes sortes de méchancetés, à cause de moi. 12 Réjouissez-vous et soyez transportés d'allégresse, parce que votre récompense est grande dans les cieux ; car c'est ainsi qu'on a persécuté les prophètes qui vous ont précédés.
C’est ici le premier enseignement de Jésus et il commence par « heureux ».
Heureux êtes-vous dit-il, et à la suite de ce mot qu'il répète 10 fois tels les 10 commandements de Moïse, il dresse la liste de tous les gens de son entourage qui n'ont aucune raison d'être heureux, puisqu'ils sont pauvres, ils pleurent, ils sont endeuillés, ils n'ont plus de ressource, ils sont déçus par l'iniquité de la justice humaine, ils sont naïfs et doux dans une société de violence, ils sont maltraités à cause de leurs idées, ils sont persécutés, parce qu'ils suivent Jésus. Tous ces gens marginalisés par la société ou par les événements, Jésus les proclame "heureux».
Comment recevons-nous une telle affirmation ? En toute objectivité, si nous étions dans leur cas, et nous le sommes parfois, nous aspirerions à en sortir le plus vite possible et nous chercherions à ne plus être victimes ni de la pauvreté, ni de la tristesse, ni du malheur. Même les plus pieux d'entre nous à qui on a raconté que c'était un honneur que d'être inquiété au nom de Jésus Christ, ne le revendiquent pas, ni pour eux, ni pour leurs amis, et si, ils le revendiquaient nous considérerions qu'ils devraient se faire soigner.
Depuis que Jésus a prononcé ces paroles, l’Eglise s'en est délectées. On les chante et on les récite encore dans toutes les circonstances de notre vie d’Eglise. Cependant, quoi qu'on en dise, nous le répétons, nous n'avons pas envie de nous trouver dans la situation de tous ceux qui sont visés par les propos de Jésus.
Pourquoi donc Jésus les a-t-il tenus? Quelle était sa visée ? Certains ont cru que Jésus annonçait une révolution sociale et même une révolution cosmique. Ils ont cru que Jésus allait inaugurer un temps nouveau où le Dieu tout Puissant ouvrirait les cieux et renverserait l'ordre social en détruisant toutes les inégalités. Ils croyaient que le Royaume de Dieu allait enfin s'établir sur terre. Ceux-là ont été déçus, ils ont quitté Jésus discrètement les uns après les autres.
Le dernier à être resté dans l'entourage du Seigneur a sans doute été Juda. On dit qu’il aurait livré Jésus au pouvoir du souverain sacrificateur pour contraindre Jésus à se battre et à inaugurer ainsi l'ordre nouveau en convoquant les légions d'anges pour le défendre. Ce fut peine perdue. Jésus s'est laissé arrêter, le ciel ne s'est pas ouvert, Michel et ses anges ne sont pas intervenus, bref ce fut raté. Il n’y eut pas de coup d’éclat de la part de Jésus. Juda désespéré se serait donné la mort. Les amis de Jésus se sont égayés dans la nature, laissant le "maître " seul au pouvoir de ses ennemis. Ceux-ci ont alors organisé un faux procès. Ils ont même fait du chantage pour obtenir que le préfet le condamne à mort. Ce fut la fin de l'ordre nouveau tant espéré.
Les amis de Jésus, encore tout effrayés par ce week-end d'horreur, découvrirent au petit matin que le maître était vivant. Non pas qu'il ait survécu à son supplice, mais qu'il vivait autrement. C’est à cause de cette vie nouvelle jaillie à l’ombre de la croix que certains se mirent à penser que l’ordre nouveau tant annoncé était arrivé. Ce seraient les amis de Jésus, qui seraient désormais chargés par le maître de préparer le chemin d’une vie nouvelle que sa résurrection promettait à tous.
Certains se sont arrêtés là et se sont contentés de croire que Jésus avait apporté une morale altruiste comme seule solution à tous les maux dont souffraient les hommes. Mais où était la nouveauté ? Confucius, Bouddha ou Socrate n’avaient-ils pas dit la même chose avant lui ?
En fait de nouveauté, ceux qui ont élaboré une religion nouvelle à la suite de l’aventure de Jésus et bien qu’ils aient énoncé des dogmes compliqués ont fini par laisser entendre qu’il suffisait d’être bon et pieux pour attendrir Dieu et mériter le paradis. On était retombé dans une morale universelle propre à toutes les religions.
Ce fut le mérite de la Réforme de dénoncer cette simplification à outrance du message de Jésus. On a alors découvert que si Dieu nous regarde avec bienveillance, c’est parce qu'il nous aime. L’idée de salut que nous avons retenue de l’enseignement de Jésus n’est liée ni à notre générosité, ni à notre piété, mais à l’amour qu’il a pour nous. La bonté de Dieu se saisit de nous, tels que nous sommes, et met en nous une force nouvelle qui non seulement nous fait vivre, mais surtout nous fait vivre autrement.
Il me semble en fait, que c'est cette troisième voie qu'il nous faut explorer maintenant, celle qui nous invite à vivre autrement car selon Jésus, c'est cet autrement qui devrait nous rendre heureux. Mais avons nous envie de vivre autrement ? Nous avons plutôt envie de vivre conformément aux pulsions communes à tous les hommes, qui consistent à désirer être plutôt au somment de l’échelle sociale qu’en bas et être riche et en bonne santé, plutôt que pauvre et malade.
L’existence au quotidien apporte un cruel démenti à nos aspirations. Rares en effet sont ceux qui réalisent durablement tous ces souhaits. Plutôt que de faire semblant de croire que tout va bien et de laisser les illusions humaines guider notre vie, pourquoi ne pas suivre cette autre voie que Jésus nous propose? Au lieu de se laisser aller à des aspirations humaines, ne serait-il pas préférable de laisser parler en nous ces voix intérieures qui nous viennent de Dieu ?
Bien qu’il ait vécu il y a de 2 000 ans, la résurrection nous rend Jésus tout aussi présent aujourd’hui que jadis. Il se tient à nos côtés, comme il était à côté de ceux qui étaient avec lui sur la montagne. S’il ne prend pas nos problèmes en charge, comme il ne prenait pas, non plus, les problèmes de ses auditeurs en charge, il nous aide cependant, comme il le faisait pour eux, à nous prendre nous-mêmes en charge. Il nous incite à prendre notre situation en main en nous insufflant l'énergie dont nous avons besoin pour aller plus avant. C’est à cause de cette intuition qu’André Chouraqui, dans sa traduction de la Bible, a rendu l’expression de « heureux » par: " en marche".
En effet, pour se mettre en marche, il faut le vouloir, Jésus nous incite donc à vouloir. Quand on veut, quand on décide de vouloir, c’est lui qui nous prend la main. Il ne nous lâche pas, il fait résonner en nous une voix qui et celle de Dieu et qui nous met en marche. Il nous permet de le rejoindre dans l'Eternité où il est déjà. Plus le chemin de l'éternité se précise, plus sa main se fait ferme. Plus sa voix se fait entendre, plus nous avons envie de ne plus changer de compagnon de route, plus nous sommes heureux en sa présence.
En constatant la différence de traduction entre nos Bibles qui rendent le grec makarios par heureux et André Chouraqui qui dit : "En marche", on est en droit de se demander qui a tort ou qui a raison? J'étais bien évidemment séduit part la traduction de Chouraqui, mais comment la concilier avec le mot grec makarios qui signifie bien "heureux"? J'ai donc refait le même parcours que Chouraqui, je suis allé à l'hébreu ou à l'araméen, qui était la langue de Jésus, pour constater que le mot qui traduit « heureux » en hébreu est un mot issu de la racine du verbe marcher (Asher) ce qui pourrait vouloir dire que l'homme "heureux" c'est l'homme qui marche.
Si donc l'Eglise où nous sommes ne marche pas comme nous croyons qu’elle doit le faire, il ne faut pas s’attrister, car il n’y a rien qui soit figé à l'avance. Dieu n'a jamais interdit ni de faire évoluer cette église ni même de la changer. N’est-ce pas ce qu’ont tenté de faire les Réformateurs ?
Ils ont certainement entendu cette voix de Dieu que Jésus leur faisait entendre. C’est parce qu’ils étaient affligés ou pauvres ou assoiffés de justices ou indignés par les injustices qu’en écoutant Dieu les exhorter, ils se sont mis en marche et qu’en suivant Dieu ils ont découvert qu’ils en étaient heureux.
En marche, vous les affligés, vous les pauvres, vous les assoiffés de justice ! En compagnie de Jésus, il se passera forcément quelque chose qui fera de nous des êtres différents !
Pourquoi différents?
Parce que sauvés !
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